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Mouchard(s)

D 8 décembre 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Qu’est-ce qu’il a ton pays ? L’est malade ? »
Rimbaud à Er­nest Delahaye [1].

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Lu dans l’édition de Reims du journal L’Union du 8 mai 2020 et rapporté sur Arte, « chaîne culturelle européenne », dans l’émission 28’ du 16 mai :

« Le virus de la délation s’est répandu à Reims.
Depuis le début du confinement, la mairie et la police municipale de Reims croulent sous une avalanche d’appels ou de lettres de dénonciation. "On n’avait pas vu ça depuis les années 40", observe un élu. »

Un avant goût du "nouveau monde" ou du "monde d’après" ? Un mauvais goût de France moisie, déjà bien présent dans "le monde d’avant".

En octobre 2020, Philosophie magazine s’interroge : Le grand retour de la délation ? :

« La seconde moitié du XXe siècle marque un retour de l’incitation, voire de l’obligation, de dénonciation en France. De ce point de vue, la République française s’inscrit dans le prolongement de la loi du 25 octobre 1941 adoptée par le régime de Vichy : celle-ci « érige pour la première fois en délit la non-dénonciation de certains délits ou crimes de droit commun [et] oblige chacun à avertir les autorités publiques non seulement des infractions dont il a été témoin, mais aussi de tout projet dont il a eu connaissance permettant de craindre la perpétration d’une de ces infractions », explique Danièle Lochak [2]. »

Le Robert

mouchard​​, moucharde ​​​

1. nom familier Dénonciateur. ➙ indicateur ; familier mouton.
2. nom masculin Appareil de contrôle, de surveillance.

synonymes
mouchard, moucharde nom
- délateur, dénonciateur, rapporteur, porte-panier (Québec), balance (familier), cafard (familier), sycophante (littéraire)
- indicateur (de police), mouton (argot), mouche (familier, vieilli)

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Un an plus tard... Témoignages et définitions. La confusion règne...

La délation se répand-elle en France ?

RTL, 29 avril 2021.

Sommes-nous des mouchards, des balances ou des citoyens responsables qui veillons au respect de l’ordre public ? Une fête clandestine, une évasion fiscale... De plus en plus de Français prennent l’initiative de dénoncer leur prochain et la crise sanitaire que nous traversons a considérablement amplifié le phénomène, puisque partout en France, la police croule sous les appels anonymes pour désigner ceux qui auraient manqué aux mesures des confinements.

Invités :
- Jean-François Marmion, psychologue
- Bruno Fuligni, historien
- Roger-Pol Droit, philosophe et écrivain

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Au XIXe siècle, la Préfecture de Police s’intéresse de près aux écrivains. Hugo et Verlaine sont-ils subversifs ? Bruno Fuligni a épluché leur dossier.

Trop confus... A abandonner

La bonne vieille police républicaine nous manque, tout se modernise trop vite. Prenez la fin du XIXe siècle, dont on peut ouvrir les archives consacrées aux écrivains : vous découvrez là un vrai génie de la surveillance, Louis Andrieux, préfet de police, lequel a d’ailleurs engendré en douce un autre génie, littéraire celui-là, Louis Aragon. Voici comment ce super-flic définit un dossier : «  Il n’a pas pour but de définir qui vous êtes, mais surtout ce qu’on dit de vous. L’information la plus mensongère peut être une lueur, éclairer une trace, avoir par conséquent un intérêt de police. » Votre dossier ? Il peut comporter « pêle-mêle, sans distinguer le vrai du faux, tout rapport dont vous aurez été l’objet, toute dénonciation vous concernant, tout article de journal, tout fait divers où vous serez nommé ».

Cette opération de ragots, de potins, de confidences demande un énorme travail, et c’est celui, incessant, des « agents secrets », qu’on préférait à l’époque « intelligents et instruits », raison pour laquelle on s’adressait de préférence aux journalistes. Faire surveiller les écrivains par des journalistes, qui dit mieux ? Le préfet est précis, cependant. « L’agent secret se recrute dans toutes les couches sociales : c’est votre cocher, c’est votre valet de chambre, c’est votre maîtresse, ce sera vous demain, pour peu que la vocation vous prenne, à condition toutefois que vos prétentions n’excèdent pas vos mérites, car ceux qui sont à vendre ne valent pas tous la peine d’être achetés. » Et cette perle : « Il n’en coûte pas cher de faire surveiller les anarchistes, les collectivistes, et tous les apôtres de la révolution sociale ; mais les agents qui travaillent dans les salons ont des exigences généralement exagérées pour les services qu’on en tire. » Travail au noir : infiltrations, dissimulations, provocations, désinformations. Louis Andrieux a cette phrase sublime d’innocence cynique : « Mes anciennes relations avec le parti révolutionnaire me furent très utiles... »

La République est en danger, la Commune vient d’être écrasée, mais le feu couve encore sous la cendre. La Commune a d’ailleurs incendié les archives, nous privant par là même des dossiers des écrivains antérieurs. Mais enfin, voici les vedettes : Hugo, Verlaine, Rimbaud, Vallès, Dumas fils, Willy et Colette et, mais oui, André Breton. Hugo est espionné pour les motifs suivants : propagande socialiste, campagne pour l’amnistie des communards, adultère. Verlaine, pour participation à un mouvement insurrectionnel, malversations, destruction de preuves, pédérastie active et passive, détournement de mineur, tentative de meurtre, ivrognerie, tapage nocturne. Vallès, ça n’en finit pas, et puis il est condamné à mort par contumace. Dumas fils, c’est grave : indécision politique. Willy (et Colette dans les coulisses) : débauche, escroquerie, diffamation, chantage. André Breton, enfin : extrémisme révolutionnaire, port d’arme, coups et blessures, destruction volontaire d’objets, menace de mort, activité antinationale. Voilà une jolie brochette d’anormaux congénitaux. Hugo ? « Il est déplorable qu’un si grand esprit, après un point de départ juste et humain, arrive à des conclusions dignes d’un fou ou d’un illuminé ignorant tout ce qui est. » Il est « poseur, sec, fait un éloge pompeux de sa personne ». En 1879, «  il se fait exploiter par une jeune fille dont il a fait sa maîtresse et qui le fait chanter après avoir ignoré longtemps que son amant était l’illustre poète. Elle a eu un enfant de lui et cela le flatte énormément ».

L’affaire Verlaine-Rimbaud ? Le scandale du siècle. « Comme moral et comme talent, ce Raimbaud [sic], âgé de 15 à 16 ans, est une monstruosité. Il a la mécanique des vers comme personne, seulement ses oeuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes. » Tout cela est idiot, fastidieux, lourd, mais très révélateur de l’état d’esprit des employeurs. On notera que Breton, en 1937, est décrit, danger, comme «  ayant critiqué les différents revirements du Parti communiste et de ses chefs  ». Mais déjà, en 1926, accompagné d’Aragon, il avait fait irruption dans les bureaux du journal les Nouvelles littéraires. Là, dit le flic de service, les deux énergumènes ont « frappé le directeur M. Martin du Gard, brisé une lampe, un appareil téléphonique et plusieurs glaces ». Le rapporteur ajoute : « Ces voies de fait avaient été motivées, d’après leurs auteurs, par les critiques de M. Martin du Gard à l’égard de M. Louis Aragon. » On voit bien, par cet incident, à quel point nous avons changé d’époque. Qui oserait aujourd’hui, comme écrivain révolutionnaire, casser une lampe sur le crâne d’un critique ou d’un animateur de télé ? En réalité, le XIXe siècle ne s’est achevé que vers la fin du XXe.

Un des derniers héros de la liberté radicale, Debord, écrit ceci dans « Panégyrique » (1989) : « C’est généralement une triste épreuve, pour un auteur qui écrit à un certain degré de qualité, et sait donc ce que parler veut dire, quand il doit relire et consentir à signer ses propres réponses dans un procès-verbal de police judiciaire. » Debord précise que ses réponses aux différentes polices ne pourront pas être éditées plus tard dans ses oeuvres complètes. Il décrit ainsi ses expériences internationales : « La police anglaise m’a paru la plus suspicieuse et la plus polie, la française, la plus dangereusement exercée à l’interprétation historique, l’italienne, la plus cynique, la belge, la plus rustique, l’allemande, la plus arrogante, et c’était la police espagnole qui se montrait encore la moins rationnelle et la plus incapable. » Comme je n’ai que rarement vécu dans l’illégalité, je confirme ces jugements uniquement à propos des polices française et italienne. A vrai dire, on n’imagine pas Debord courtoisement interrogé à Moscou, New York, Téhéran, Pékin ou La Havane. Sauf en islamisme dur, la police spectaculaire n’a plus rien à redouter des écrivains. La dernière tentative d’espionnage français sur ce terrain a été celle de Mitterrand, un président qui se voulait littéraire, avec la piteuse affaire des écoutes téléphoniques. J’ai été écouté, parmi d’autres, mais les bandes me concernant ont bizarrement disparu.

Une des explications de Mai 68, qui a pris tout le monde par surprise, est que la police gaulliste était très mal faite. Elle ne savait rien de ce qui se tramait dans les corps et dans les cerveaux. Voilà une erreur qui ne s’est pas reproduite. Comme m’y invitait le Nouvel Observateur, j’ai demandé, par personne interposée, des nouvelles de mon dossier de police. Il est très épais, très fourni, des coupures de presse dans tous les sens, des dizaines de photos à tous les âges et dans les situations les plus diverses, des commentaires acerbes et sarcastiques à foison, bref un chaos de contradictions qui décourage le diagnostic final. On y trouve de tout : ma vie privée (agitée, mais en dernière instance inobservable), mes engagements successifs jugés peu sérieux (de Mao au pape), mes apparitions dans les médias (on ne sait plus où donner de la tête), des jugements littéraires antagonistes, une description de mes activités peu claires dans l’édition, et même des tentatives de résumés cocasses de certains de mes livres. « Vous mettez tout ça dans un ordinateur, il fume », m’a dit gentiment mon informateur. Bref, le foutoir. Une main (celle de Sarkozy ?) a écrit récemment pour demander la clôture du dossier : « Trop confus, à abandonner. »

Comme quoi, je ne m’en suis pas si mal tiré, somme toute.

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 12 au 18 octobre 2006

Première mise en ligne 18 novembre 2006.

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« La Police des écrivains », par Bruno Fuligni

CNRS éditions.

Quel auteur la police épia-t-elle même le jour de ses obsèques ? Jules Vallès, bien sûr ! Quel grand poète français fut soupçonné d’être un agent de l’Intelligence Service britannique ? Jacques Prévert, sans nul doute ! Quel écrivain adressait des lettres d’amour à son percepteur ? Boris Vian, pardi !
Dans ce livre, Bruno Fuligni révèle l’existence de dossiers de police sur les principaux écrivains français, de Victor Hugo à Jean-Paul Sartre. Des dossiers généralement constitués d’une succession de notes brèves, accumulées sur des décennies, émanant d’indicateurs plus ou moins bienveillants : comptes rendus de manifestations publiques, rapports sur l’origine et le milieu du personnage en cause, rapports de filature, indiscrétions diverses… Ils comportent aussi bien des jugements généraux sur la moralité de nos grands auteurs que des informations factuelles sur leurs activités, leurs amours, leurs ridicules et leurs petites manies.

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Bruno Fuligni

Bruno Fuligni, historien, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire politique et policière de la France dont Secrets d’État (L’Iconoclaste, 2014) et Une Histoire amusée des promesses électorales (Tallandier, 2017).

LIRE AUSSI : Picasso, cet étranger, ce métèque


[1Cité par Marcelin Pleynet dans Rimbaud en son temps. Pleynet déclare « retenir qu’une déclaration comme celle de Rimbaud à Er­nest Delahaye — "Qu’est-ce qu’il a ton pays ? L’est malade ?" — fut pour moi déterminante dès que j’eus l’âge de revenir sur mon enfance, et de me de­mander ce qu’il en était du pétainisme des Français, pendant l’Occupation et, à la Libération, du patrio­tisme des mêmes, devenus communistes, en train d’humilier des femmes et de les tondre sur les places publiques. Ou encore de me trouver pris dans les anachronismes nationalistes et colonia­listes qui ont justifié la "pacification" du territoire algérien. Ou encore, en 1981, de voir élu président de la République celui qui prit la responsabilité de cette "pacification" et des tortures que, quasi offi­ciellement, elle entraîna. Ou encore de constater que ce sont les mêmes Français, de droite et de gauche, qui, pressés de faire oublier Mai 68, plé­biscitent Jacques Chirac en mai 2002. »

[2Danièle Lochak, née en 1946, est une juriste française, professeure émérite de droit public à l’université Paris-Nanterre et militante associative de la défense des droits de l’homme, en particulier elle a été présidente du GISTI. (Cff. wikipedia.

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