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Sollers-Mauriac / Le Défi

D 4 juillet 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Philippe Sollers par François Mauriac
« Bloc Notes », L’Express, 13 déc.1957


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En 1957, l’écrivain du Bloc-Notes recevait, dans le Bordelais, un jeune homme, originaire de Bordeaux, descendu de Paris. Après cette visite, il publiait ceci...

Voici ma contribution personnelle à la « Nouvelle Vague ». Ce garçon de 21 ans, qui est bordelais, et qui s’appelle Philippe, m’apporte son premier livre (1).

Ce Philippe retrouve dans mes livres l’odeur de la banlieue où, en 1936, il est né, des adolescents qui lui ressemblent et qui souffrent et s’irritent au contact de la même faune.

Il tient à moi par les racines et, si vieux qu’il vive, il n’oubliera jamais, je le crois, la lumière de ce jour doré, l’année de ses 19 ans, où il vint pour la première fois à Malagar.

Il n’empêche que l’épigraphe du Défi est d’André Breton, et le livre que Philippe a lu dans le train entre Bordeaux et Paris, c’est La Modification, qu’il admire avec désespoir parce qu’il lui semble que Michel Butor(*) lui coupe l’herbe sous les pieds. Je ne suis pas jaloux des auteurs qu’il préfère. Une oeuvre digne de ce nom naît toujours à un confluent de lectures, et un jeune être y prend conscience de ce qu’il désire devenir.
Philippe offre ce caractère singulier, chez un débutant des lettres, de ne pas y songer comme à une carrière. Francis Ponge est l’un de ses grands hommes. Philippe n’est pas pressé d’écrire dans les journaux, ni de s’agiter à la surface. L’oeuvre à écrire s’impose seule à lui. Il ne croit pas aux recettes et s’il a tout lu de ce qui compte parmi ses aînés immédiats, on ne saurait être moins docile à la mode. A l’avant-garde, oui, mais pas à tout prix.
Quelques cris atroces éclatent dans Le Défi, histoire d’un amour-illusion chez un garçon trop lucide et qui, après avoir soumis la jeune fille « à l’heure de vérité du plaisir », demeure de glace quand elle se tue : « A consulter les regards, je m’aperçus qu’on prenait mon silence pour un abîme de douleur. Cela me paraît bien touchant. »
Ne crions pas au monstre. Philippe nous rassure d’ailleurs dans une postface : Claire, la jeune fille du Défi, n’a aucune réalité charnelle et incarne, paraît-il, l’adolescence de l’auteur [1].
C’est de cette part de lui-même qu’il se débarrasse en l’immolant... Qu’il me pardonne si je ne me sens rassuré qu’à demi. Claire, je la crois plus vivante qu’il ne voudrait. Le plaisir est homicide, nous le savons tous. Et lequel de ses aînés le rappellerait à Philippe sinon celui qui, il y a un demi-siècle, commençait le même voyage que lui, avec la même espérance au coeur ?
Il était parti de la même banlieue que Philippe habite. Le train avait grondé sur le pont de la Garonne. Bordeaux apparut un instant dans cette brume orageuse où l’enfant-poète avait cru mourir étouffé... Cette goutte d’eau de la plus ancienne vague et celle-ci de la plus nouvelle, qu’elles sont pareilles et pourtant différentes ! Mettons à part le garçon trop singulier que j’étais et qui ne représentait que lui-même. Mais ceux qui montaient à Paris avec moi, dans ces premières années du siècle, Alexis Léger, Jacques Rivière, Jean de la Ville, tant d’autres lisaient des maîtres qui s’appelaient Barrès, Maurras, Péguy, Claudel, Romain Rolland... La pensée, l’art étaient engagés. Non que certains d’entre nous ne fussent déjà fascinés vaguement, comme l’est Philippe, par cette recherche de l’absolu dans le langage : Mallarmé, Rimbaud surtout les y entraînaient. Non que Les Nourritures terrestres et L’Immoraliste ne fussent déjà des livres-clefs pour moi. Mais l’intelligence était mobilisée. Il existait des impératifs que nous ne discutions pas. L’énorme mécanisme était déjà monté qui allait broyer avec méthode, durant quatre années, un million et demi de jeunes Français dociles. A quoi Philippe répondrait sans doute que toute génération reste exposée à être broyée, que le Minotaure est éternel, que sa ration de chair fraîche lui a toujours été servie : l’Histoire est faite de ces repas, et qu’en attendant, il n’y a rien d’autre au monde, quand on est Philippe, que de s’exprimer. Il en restera quelques-uns (toujours assez) pour prier, aimer, se donner. Philippe, lui, n’est pas un agneau.
Voilà donc un garçon d’aujourd’hui, né en 1936. L’auteur du Défi s’appelle Philippe Sollers. J’aurai été le premier à écrire ce nom. Trente-cinq pages pour le porter, c’est peu — c’est assez. Cette écorce de pin dont, enfant, je faisais un frêle bateau, et que je confiais à la Hure qui coulait au bas de notre prairie, je croyais qu’elle atteindrait la mer. Je le crois toujours.

(1) Trente-cinq pages aux Editions du Seuil.

12 décembre 1957

(*) MICHEL BUTOR SUR SOLLERS

Même lorsque ce sont des livres de commande, Sollers s’en tire toujours avec brio. Bravo ! Je souhaiterais avoir autant de facilités.
Michel Butor

Propos recueillis par Jean-Louis Tallon
4 décembre 2001- Bibliothèque Municipale de Lyon, la Part Dieu

VOIR ICI

Avec la publication du Défi, sa famille refuse qu’il soit signé Philippe Joyaux

Le Défi, son premier texte publié, paraît dans le numéro 3 de la revue Ecrire, en octobre 1957, revue dirigée par Jean Cayrol aux éditions du Seuil. Étant encore mineur lors de la publication de ce texte, le jeune Philippe Joyaux se heurta à l’opposition de ses parents pour signer le contrat d’édition, sous son nom - le nom de la famille ! L’épisode nous est conté par Sollers dans sa lettre à Francis Ponge du 17 octobre 1957 :

9. PHILIPPE SOLLERS À FRANCIS PONGE

Paris, jeudi [17 octobre 1957]

En vérité, je suis confus de vous importuner en ce moment !
Mais voici à peu près ce qui m’arrive (« ennui » n’étant, après tout, qu’un euphémisme) :
En juillet, je signe au Seuil pour une petite chose de trente pages [c’est le Défi]. Là-dessus, pars en vacances, n’y pense plus guère. Début octobre, voulant m’envoyer les placards, la dactylo de Cayrol se trompe d’adresse et expédie le paquet à l’un de mes cousins. Le chef-d’oeuvre est saisi, commenté, traduit en famille. La poule s’aperçoit qu’elle a couvé un serpent. Elle fouille dans mes papiers et y découvre - horreur ! - un manus¬crit où, je crois bien, il est question de faire l’amour. Sur-¬le-champ, Cayrol est téléphoné, menacé des tribunaux (je suis mineur) pour des phrases précises et si je garde mon nom. Le dit Cayrol, d’ailleurs charmant, me convoque et, devant témoin, me prie durant une heure d’en passer par ces sacrifices. Comme, naïf, je propose de reprendre mon texte, on n’a pas l’air d’entendre. Quant à en venir aux mains pour le récupérer, le gaillard qui était là présent m’eût massacré à coup sûr (grand, gros, l’œil littéraire).

Bref, je finis par me demander pourquoi on m’a fait venir. Sur un signe de lassitude - et j’ai le cœur trop sensible pour envoyer un pote en justice ! - on coupe donc une ou deux petites audaces, m’affuble d’un pseudonyme et - allez !

Après quoi, on devient charmant, on s’inquiète de mon génie, on m’invite à cocktailer, à déjeuner. Comme je pro¬nonce que, pour m’éviter des ennuis je préférerais ne pas publier : nuance inconnue.

En définitive, mon contrat étant nul - et l’ayant toujours été, puisque je n’ai pas vingt et un ans - on espère bien que je vien¬drai bientôt déposer mes phrases, resigner en due forme. Les « ennuis », par la suite, ne regarderont plus que moi. (Tout ceci, aux alentours du 28 novembre, jour de mon anniversaire.) Rideau.

Me voici donc dans la rue, abruti, épouvanté, brouillé avec ma famille ce qui me peine énormément car - à défaut de pouvoir, en littérature, jouer la musique qui me plaît- j’aurais pu tenter grâce à elle une belle carrière dans la quincaillerie [2], le Harrar [3] à peu de frais !
Seule lumière : on continue de m’envoyer un peu d’argent.
Mais pour combien de temps et à qui se fier ?
*
Soignez-vous, Monsieur, ne me prenez pas trop au sérieux.
Après tout, il paraît qu’il faut passer par là. Soyez remercié en tout cas de votre mot si rapide qui m’a réchauffé un peu. Car bel et bien seul à présent je me trouve !
Oui, merci d’être ce que vous êtes (ne prenez pas sur votre temps pour moi et soyez assuré de ma discrétion).

Vôtre, Ph. Joyaux

PRIX FENEON

Sollers recevra le prix Fénéon pour Le Défi, le 11 mars 1958.

Le prix Fénéon est un prix littéraire et artistique créé en 1949. Il récompense tous les ans un jeune écrivain et un jeune peintre ou sculpteur âgés de 35 ans au plus et dans une situation modeste, afin de les aider à poursuivre leur formation littéraire ou artistique. Le montant du prix pour l’année 1958 s’élèvait à 100 000 anciens francs, devenus 2000 nouveaux francs en 1960 et 2000 € aujourd’hui. Pas de quoi rouler sur l’or, mais un signe d’encouragement et de reconnaissance appréciables !

Le Défi - Résumé

Le Défi lest une histoire simple : un adolescent désoeuvré, tour à tour lucide et aveugle, en proie au doute, rencontre son double féminin, Claire. Mais très vite, cette union se métamorphose en affrontement ; l’histoire d’amour cède la place à la violence. Après avoir couché avec Claire, le narrateur l’abandonne sans remords. La jeune fille finit par se suicider, laissant l’amant, joueur cynique, devant ses responsabilités. Sollers ajoute à propos de ce premier récit qu’il s’agit en fait d’un essai : « Essai sur un cas particulier de la psychologie ("l’adolescentite aiguë") : celui d’un être qui s’épie avec angoisse et assiste à lui-même avec un effroi mêlé de plaisir. »

À vingt et un ans, l’écrivain débutant, grâce à ce texte, salue une dernière fois son adolescence que symbolise la jeune fille prénommée Claire. « Claire, c’était bien ma jeunesse que je capturais, que je brisais enfin », affirme Sollers dans le court texte « Postface et notes sur Le Défi  »,

L’adieu d’un jeune homme à son passé, le doute qui contracte l’estomac, la passion qui enflamme le coeur. Sollers, petit-fils de Chateaubriand ? Oui, probablement, mais le temps d’un livre, pas plus, pour être sûr d’en finir avec la tentation romantique qui nous guette tous à la sortie de l’adolescence. Un détour du côté de chez René, mais un détour seulement. [4]

Pascal Louvrier
Philippe Sollers Mode d’emploi
Editions du Rocher p. 16-17

Le Défi - Extraits

RARE

L’intégrale ICI (pdf) (crédit A.G.)

Le Défi dans Histoire de Tel Quel par Philippe Forest

Dès 1956, [...] Sollers a écrit à François Mauriac qui l’a invité à lui rendre visite. Non sans un certain agacement, l’auteur du N ?ud de vipères s’en apercevra vite : il ne compte pas au nombre des écrivains qu’admire le jeune Joyaux. A Barrès, celui-ci préfère Rimbaud et Mallarmé, Francis Ponge et André Breton. Entre le romancier consacré et le débutant, les liens sont d’une autre nature. Mauriac le soulignera à l’occasion de la parution du Défi : « Ce Philippe retrouve dans mes livres l’odeur de la banlieue où, en 1936, il est né, des adolescents qui lui ressemblent et qui souffrent et s’irritent au contact de la même faune. Il tient à moi par les racines et, si vieux qu’il vive, il n’oubliera jamais, je le crois, la lumière de ce jour doré, l’année de ses 19 ans, où il vint pour la première fois à Malagar ». Le prestige indiscutable dont jouit Mauriac, il le tire sans doute de son ?uvre romanesque que Sollers a lue, mais plus encore d’appartenir déjà à une certaine légende de la littérature : consacré par l’attribution du prix Nobel en 1952, il est l’homme pour qui Proust fut une présence vivante avant que d’être un nom sur la couverture d’un livre ; de la Résistance à l’engagement contre les guerres coloniales, il est aussi le symbole d’une intégrité et d’un courage politiques qui peuvent, à bon droit, forcer l’admiration. On l’a vu déjà, lorsque, en décembre 1956, Sollers écrira à Cayrol, il ne manquera pas de se recommander discrètement du parrainage bordelais de Mauriac. [...]

Philippe Forest
Histoire de Tel Quel (1960-1982)
Seuil, p.
28-30


[1Nota : Le Défi (1957), dont le thème se retrouve dans son premier roman Une curieuse solitude (1958) peut en être considéré comme une esquisse. Une courte nouvelle comme galop d’essai avant un vrai roman. (note pileface)

[2La famille de Philippe Joyaux dirige la ferblanterie Recalt, qui produit notamment du matériel de cuisine.

[3Allusion à Arthur Rimbaud qui, après son adieu à la littérature en 1875, voyage et travaille dans le commerce du café, de peaux, d’ivoire, d’encens, de parfums, à Harar, en Ethiopie, en 1880-1881, puis de 1883 à 1885.

[4alors que Jean-René Huguenin, membre du comité directeur initial de Tel Quel persévérera dans la veine romantique avec La côte sauvage (note pileface)

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