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Michaël Ferrier : Notre ami l’atome

Une trilogie de l’atome

D 17 juin 2021     A par Viktor Kirtov - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Notre ami l’atome » de Michaël Ferrier , co-écrit avec le réalisateur Kenichi Watanabe, collection L’Infini / Gallimard a été publié en librairie le 20 mai 2021 à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe

Le livre est la transposition de trois films écrits par Michaël Ferrier et réalisés par Kenichi Watanabe : « Le Monde après Fukushima », 2013 / « Terres nucléaires, une histoire du plutonium », 2015 / « Notre ami l’atome », 2020

Michaël Ferrier avait vécu le grand séisme du 11 mars 2011 depuis Tokyo, où il vit,

puis s’était rendu dans la région dévastée de Fukushima dès 2011 et en avait rendu compte dans un livre qui fait référence, publié également dans la collection L’Infini Gallimard, en 2012, sous le titre « Fukushima. Récit d’un désastre » que Philippe Forest a qualifié ainsi :

Formidable roman sismographe,
sans aucun équivalent à ma connaissance,
et dont la puissance de dévoilement dépasse de loin
tout ce que l’on a pu lire ici sur la catastrophe en question. »

Philippe Forest,
Art Press, mars 2012

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Edition originale (2012) et réédition Poche, Folio (2013)
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Michaël Ferrier dans la région de Fukushima ©M.Ferrier2011

https://www.tokyo-time-table.com/fukushima-recit-dun-desastre

Depuis, il est revenu à de nombreuses occasion sur cette catastrophe : entretiens, conférences, articles, livres, films. jusqu’à ce dixième anniversaire qui voit successivement la publication d’un ouvrage collectif sous sa direction

Dans l’œil du désastre. Créer avec Fukushima (Éditeur : MARCHAISSE, février 2021)

Qui faisait suite à un autre ouvrage collectif. Penser avec Fukushima

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Et depuis le 20 mai

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Auteurs : Michaël Ferrier, Kenichi Watanabe

Éditeur : Gallimard

Collection : L’infini

Paru le : 20/05/2021

240 pages

Depuis le « roman sismographe » du désastre de Fukushima, tel que le qualifiait Philippe Forest, Michaël Ferrier est devenu, de fait, le chroniqueur d’une époque, celle de l’ère atomique, avec cet anti-titre pour son dernier ouvrage : « Notre ami l’atome ». Plus précisément, le chef de file des chroniqueurs de Fukushima, étendue à la chronique de notre ère atomique, avec la publication de deux ouvrages collectifs sous sa direction « Penser Fukushima » puis « Créer avec Fukushima ». Ce n’est pas le moins de ses mérites que d’avoir compris que la complexité et l’imbrication des questions de toutes natures posées par cette catastrophe nécessitait une approche pluridisciplinaire et dépassait le seul contexte de Fukushima.
C’est ainsi que le deuxième chapitre nous conte comment tout ceci est né au lendemain de la deuxième guerre mondiale : si l’histoire du Plutonium nous était contée, en même temps que l’histoire du nucléaire français, un rôle mondial majeur. Oui notre histoire nationale est intimement liée à l’ère atomique, objet de cette fresque que nous propose Michaël Ferrier. Les espoirs, les utopies et les folies humaines y sont décryptées. Là où se rejoignent le mythe (Pluton) et le drame, le monde de la guerre (la bombe atomique) et le monde de la paix (le nucléaire civil, générateur d’énergie), la politique et la géopolitique (cf l’Iran aujourd’hui) ; les imbrications militaro-politico-économiques

Résumé

Après l’accident nucléaire de Fukushima en mars 2011, la centrale nucléaire doit être en permanence aspergée d’eau qui est alors radioactive. L’eau contaminée est stockée dans des cuves qui s’entassent par milliers et l’espace de stockage devrait être saturé en 2022. Des experts envoyés par le gouvernement préconisent de vider les cuves dans la mer. Un récit inspiré par trois films documentaires. ©Electre 2021

Quatrième de couverture

Notre ami l’atome Partout sur la terre de Fukushima, à deux pas des habitations, parfois cachés par un simple rideau d’arbres, de grands sacs noirs s’entassent, remplis de déchets radioactifs -branches, herbes, fleurs, poussière...-, montrant au voyageur stupéfait une image tangible de ce qu’on pourrait appeler la poubellification du monde, ou l’avenir programmé de notre planète. Plus loin, des milliers de réservoirs bleus, de réservoirs blancs, de réservoirs gris : aujourd’hui, et pour des dizaines d’années encore, on refroidit en permanence la centrale en l’aspergeant d’eau. Au contact des réacteurs, l’eau utilisée devient immédiatement radioactive : des centaines de cuves stockent plus d’un million de tonnes d’eau contaminée. Chaque année, le paysage s’obstrue davantage et l’espace de stockage arrivera à saturation en 2022. Pour résoudre le problème, ou plutôt l’évacuer, des experts commissionnés par le gouvernement recommandent purement et simplement de les vider dans la mer.

À propos de Michaël Ferrier

Grand-mère indienne, grand-père mauricien, né en Alsace, Michaël Ferrier passe son enfance en Afrique et dans l’océan Indien, fait ses études à Saint-Malo et à Paris. Il est professeur à l’université Chuo de Tokyo où il enseigne la littérature.
Il vit à Tokyo depuis 1994.
Il a publié, entre autres : Le Goût de Tokyo (Mercure de France, 2008), Maurice Pinguet, le texte Japon (Seuil, 2009) et Kizu, la lézarde (Arléa, 2004). Tokyo, Petits portraits de l’aube, paru chez Gallimard en 2004, a reçu le prix littéraire de l’Asie 2005. Son livre "Fukushima, récit d’un désastre" en 2012 a été publié chez Gallimard.

Partie 1. Le monde après Fukushima

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Exergue

C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal.
HANNAH ARENDT

L’ignorance alliée au pouvoir est l’ennemi le plus féroce que la justice puisse avoir.
JAMES BALDWIN

Extraits

L’accident nucléaire de Fukushima a eu lieu le 11 mars 2011. Vers trois heures moins le quart de l’après-midi se produit un tremblement de terre de magnitude 9, le plus puissant jamais enregistré au Japon depuis que les instruments de mesure existent, dont l’épicentre est situé à 145 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Moins d’une heure après, un tsunami de 15 mètres de haut ravage le site de la centrale, noyant les alimentations électriques ainsi que les groupes de secours, réduisant à néant le dispositif de refroidissement des cœurs. La centrale comporte six réacteurs, dont trois fonctionnent à pleine puissance au moment du séisme et trois autres sont à l’arrêt pour maintenance. On n’ose imaginer l’ampleur du désastre si les trois autres réacteurs avaient été en service. L’accident est classé au niveau 7, le plus élevé de l’échelle internationale des événements nucléaires, ce qui le place au même degré de gravité que la catastrophe de Tchernobyl en 1986.

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Bateau échoué par le tsunami au centre-ville de Kesennuma,
photo K. Watanabe © Kami Productions

C’est le début d’une longue série d’erreurs et d’atermoiements. Par mensonge ou ignorance, omission ou calcul, la plupart des responsables scientifiques et politiques vont tenter de minimiser la situation plutôt que de réduire les risques.

*

Tamotsu Baba est le maire de Namie. Il nous reçoit dans son bureau encombré de dossiers et montre une grande carte de la région épinglée sur
le mur :

La centrale accidentée se situe ici. Et 5 kilomètres plus loin, en ligne droite, voici la ville de Namie. Et tout ça, c’est la commune de Namie… C’est ici que le bâtiment a explosé et a déversé les substances radioactives. Ce jour-là, les vents ont poussé le nuage radioactif dans cette direction [nord-ouest]. Nous, le 12 mars, nous nous sommes réfugiés là, dans la mairie annexe, à 27 kilomètres de la mairie principale.

Sa voix ne tremble pas et il parle sans véhémence. Mais une lueur passe dans ses yeux lorsqu’il se souvient de ces journées de mars :

Je suis révolté, parce que dans la nuit du 11 mars, Speedi, le système de prévisions d’informations d’urgence environnementale, était actionné. Les fonctionnaires du ministère des Sciences eux aussi, de leur côté, avaient repéré notre zone et avaient établi point par point un tracé de la radioactivité. Les résultats de ces deux suivis concordaient. Et au même moment, nous, nous étions sur place, tous présents à la mairie. Nous étions restés là pour travailler. Alors je ne comprends pas pourquoi personne n’a pu nous prévenir. Personne ne nous a dit combien les radiations nucléaires étaient élevées »

Le lendemain 110 000 personnes sont évacuées dans un rayon de 20 kilomètres, décrété zone interdite. Plusieurs centaines de milliers d’autres suivront, dans un rayon de 30 kilomètres, et parfois même au-delà. Au plus fort de la crise, au moins 448 000 personnes ont été déplacées : c’est le pire exode de populations au Japon depuis la Seconde Guerre mondiale. La ville de Namie, qui comptait 22 000 habitants, est devenue en quelques heures une ville fantôme.

*

Chapeau sur la tête, un pull-over « No nuke » sur les épaules, le musicien Ryûichi Sakamoto apparaît. Oscar de la meilleure musique de film pour Le Dernier Empereur, acteur inoubliable de Furyo aux côtés de David Bowie, Sakamoto sait doser ses effets et se fait volontiers ironique : « Ce n’est que de l’électricité ! Et juste pour cette électricité, faut-il vraiment mettre nos vies en danger ? » Après la Seconde Guerre mondiale, le philosophe Adorno avait lancé une formule devenue célèbre : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare. » En un troublant renversement de la fameuse phrase, Sakamoto s’écrie : « Garder le silence après Fukushima est un acte de barbarie. »

Depuis Fukushima, des voix se font donc entendre pour proposer des solutions à la crise énergétique qui frappe la planète : exploitation raisonnée, développement durable, énergies alternatives, nouvelles technologies de l’écologie. Mais c’est Naoto Kan qui est sans doute le mieux placé pour représenter cette prise de conscience collective. Le Premier ministre japonais, aux manettes du pays pendant la crise nucléaire et longtemps promoteur lui-même d’une politique nucléariste, est désormais partisan d’une sortie totale du nucléaire : L’expérience du 11 mars m’a beaucoup fait réfléchir. Concernant le nucléaire, j’ai. opéré un virage à 180 degrés. Puisque le nucléaire est aux mains des hommes, et qu’il y a toujours le risque d’une erreur humaine, la sécurité absolue n’existe pas. L’unique sécurité, c’est de ne pas avoir recours au nucléaire. C’est de ne pas avoir de centrales nucléaires. C’est ma conclusion.

UBU NUCLEAIRE

Ubu nucléaire L’image que l’on a du Japon est celle d’un pays développé, à la pointe de la technologie, celle d’un pays développé dans le domaine nucléaire. Et la majorité des Japonais croit à cette image. Mais en réalité, c’est absolument faux. Dans le domaine du nucléaire, le Japon est un pays en voie de développement. Jusqu’à aujourd’hui, il a essayé d’avoir son indépendance dans le domaine de la technologie nucléaire avec l’aide des pays nucléarisés. Mais pour le moment, il n’y est pas encore parvenu. Aussi longtemps que le Japon voudra posséder la bombe, je pense qu’il ne renoncera pas au retraitement du plutonium. Ainsi parle l’ingénieur nucléaire Hiroaki Koide, dans son bureau de l’université de Kyoto qui poursuit :
[…] Le Japon voulait absolument avoir son usine de retraitement. Mais les États-Unis sont contre le retraitement effectué par d’autres pays, car cela permet de fabriquer des armes atomiques. Sous le mandat du président Carter, les États-Unis ont décidé de ne plus effectuer eux-mêmes le retraitement commercial. Mais ils ne voulaient pas non plus déléguer cette tâche à d’autres pays… Puisque les États-Unis refusaient de transmettre leur technologie, le Japon s’est alors tourné vers la France. Et c’est à Tôkaimura qu’une usine de retraitement expérimentale a été installée. Voilà comment cette usine a démarré, en 1977. Depuis, la centrale nucléaire de Tôkaimura a subi par deux fois un accident nucléaire, en 1997 et en 1999 quand, à la suite d’une erreur humaine, une réaction en chaîne nucléaire instantanée et incontrôlée causa la mort d’au moins deux personnes, l’évacuation de centaines d’autres et le confinement de centaines de milliers dans un rayon d’au moins 10 kilomètres.

*

Mais si l’on voulait un bon exemple des aberrations nucléaires en matière de plutonium, l’usine de Rokkasho, qui a été précisément conçue pour succéder à celle de Tôkaimura et pour remédier à ses problèmes, serait aussi une excellente candidate. Rokkasho ne fonctionne pas. Elle n’a jamais fonctionné. Cette usine de retraitement des déchets nucléaires construite en 2002 sur le modèle de la Hague, dont les coûts de fabrication n’ont cessé d’augmenter, et située de surcroît près d’une faille sismique, n’a jamais démarré. Sa grosse machinerie coûteuse et dangereuse a accumulé les incidents techniques et sa mise en service a été reportée plus d’une vingtaine de fois… Une usine pour rien : le symbole de l’absurdité du système nucléaire. En la voyant, on songe à la remarque de la Mère Ubu devant son rejeton : « Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée ! » Pour l’instant, on y garde le combustible usé des 54 réacteurs nucléaires japonais, dont les piscines de refroidissement sont proches de la saturation. Avec un investissement de 20 milliards de dollars (le triple du budget annoncé à l’origine), le projet phare du nucléaire japonais ne sert plus aujourd’hui que de simple entrepôt de stockage. Ainsi s’enferre le système, entre les centrales qui fonctionnent et qui mettent en péril la vie et la santé des gens, et celles qui ne marchent pas mais n’en sont pas moins dangereuses, toutes engloutissant au passage des sommes exorbitantes. Le plutonium n’est pas seulement un produit dangereux il en est aussi le marqueur ubuesque, son révélateur d’absurdité.

NUCLÉAIRE CIVIL - NUCLEAIRE MILITAIRE : LA GRANDE ILLUSION

la grande illusion Le 26 mai 1972, sous une ribambelle de drapeaux venus de tous les pays du monde, l’Américain Richard Nixon et le Soviétique Leonid Brejnev signent à Moscou les traités SALT I, pour la limitation des armements stratégiques. C’est une date importante pour la non-prolifération des armes nucléaires. Au sein même de la guerre froide, un espoir se fait jour et une détente s’installe. Au même moment, tandis que les Américains décident d’arrêter le retraitement civil, la France fait le choix inverse et commence, avec l’usine de la Hague, une exploitation commerciale de l’industrie du retraitement. Le nucléaire civil et le nucléaire militaire, dont la séparation n’a jamais été nette en France, comme aux États-Unis ou au Japon, se passent le relais. C’est la naissance d’une stratégie de développement du nucléaire civil. L’État décide la construction de plusieurs centrales, dont tous les combustibles irradiés seront retraités à l’usine de la Hague. Comme le précise l’historienne Gabrielle Hecht : La grande illusion, prônée par l’industrie nucléaire, par les gouvernements aussi d’ailleurs, c’est cette idée qu’on peut séparer de façon nette, claire et contrôlable le nucléaire civil et le nucléaire militaire. Or cette séparation n’est jamais aussi nette qu’on l’espère, ni du point de vue technique et scientifique, ni du point de vue politique.

*

Didier Anger revient sur cette période charnière de l’histoire nucléaire en France : Le lobby nucléaire est extrêmement important en France, c’est-à-dire le grand corps des Mines, que l’on trouve à la tête des installations nucléaires, comme Areva, et également dans les ministères : les deux sont liés. On dit que le nucléaire est un État dans l’État, mais on dit aussi que c’est l’État lui-même. C’est à partir de 1973 que ce groupe, cette fraction en quelque sorte à l’intérieur de l’État, profite du choc pétrolier pour dire : on va lancer le nucléaire civil… Le problème de changement de la production militaire à la production dite civile se produit dans les années 1975-76. C’est sans doute dans les têtes des grands chefs en 1973, mais ce n’était pas encore une décision. Il y avait une complication, c’est qu’il fallait passer à un statut privé. Le statut juridique privé permet le commerce avec l’Allemagne et le Japon, les deux principaux clients visés, mais c’est resté d’État à presque 100 %. Un tour de passe-passe, en quelque sorte.

*

La frontière entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire est poreuse, tout comme il existe de nombreuses passerelles – technologiques, industrielles et politiques – entre l’usage pacifique de l’atome (l’électricité) et son usage guerrier (la bombe). Toutes les négociations politiques depuis les années 1950 (taux d’enrichissement de l’uranium, capacités des centrifugeuses, stocks disponibles, inspections internationales…), résumées exemplairement ces dernières années par le cas du programme nucléaire iranien, tournent autour de ce problème, mettant au jour les contradictions du système et ses ambiguïtés, entre la promotion commerciale du nucléaire civil, son exportation sans vergogne et la défense officielle de la non-prolifération nucléaire au niveau international : loin d’être une péripétie de l’Histoire, qui pourrait se dissoudre dans toute une série de tractations plus ou moins discrètes, de menaces plus ou moins évasives ou de sanctions plus ou moins efficaces,
cette incohérence est constitutive du mode de fonctionnement de l’énergie atomique, dès son origine. Elle explique notamment comment la France peut d’un côté être signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et, en toute bonne conscience, « contribuer à la prolifération nucléaire de manière assez active et assez forte », parce qu’elle a, elle aussi, « des techniques à vendre » (Gabrielle Hecht). Position intenable, que résume Didier Anger sur un ton sarcastique : La France reste un pays extrêmement proliférateur. La France a vendu des techniques à l’Inde. La France a vendu au Pakistan. On vend des sous-marins nucléaires, enfin des sous-marins non nucléaires mais qui peuvent devenir lanceurs d’engins nucléaires, et au Pakistan et à l’Inde ! Ah, on est neutre…

SURGENERATEUR ´


Le surgénérateur : comme son nom l’indique, c’est le rêve d’une matière première illimitée, d’une énergie quasi gratuite et d’une domination totale de la nature. Mycle Schneider décrit parfaitement les espoirs fous qui naissent d’une telle perspective : On a, historiquement, commencé très tôt à rêver de ce qu’on a appelé les réacteurs à neutrons rapides, ou les surgénérateurs. Le nom contient cette idée de « surgénérer » la matière première. Il est totalement compréhensible que les techniciens aient été fascinés par cette idée : c’est quand même le perpetuum mobile qu’on avait imaginé, à savoir créer plus de matières premières qu’on n’en consomme. Comment est-ce qu’on peut dire non à quelque chose de pareil ?

*

Présent dès les débuts de l’ère nucléaire (Enrico Fermi l’évoque dès 1945), le projet va connaître un regain d’actualité au moment du choc pétrolier des années 1970, note Mycle Schneider.

Avec la crise du pétrole, un mythe qu’on a accolé au surgénérateur était : « les surgénérateurs vont créer plus de matière première qu’ils n’en consomment, vont se substituer au pétrole ». Il y aura donc une espèce de solution du problème énergétique dans le monde à travers les surgénérateurs. C’est pendant cette période-là jusqu’aux années 1978 que tous les contrats de retraitement commerciaux pour la Hague ont été signés : avec le Japon, avec l’Allemagne (les deux plus grands clients), environ 40 %, avec EDF, et d’autres clients étrangers… La crise mondiale des prix du pétrole, avec son cortège de prix à la hausse et sa spirale de croissance à la baisse, suscite un intérêt accru pour le vieux rêve du surgénérateur. En France, Phénix (1973) et Superphénix (1984) déploient leurs ailes. Leurs noms empruntés à la mythologie grecque disent assez toute la part de légende que draine avec lui le surgénérateur : le mythe d’un combustible nucléaire au plutonium qui renaîtrait indéfiniment de ses cendres… Pourtant, trois ans après la mise en service de Superphénix, les ingénieurs se rendent compte que ce qu’ils avaient conçu comme une merveille de technologie ne fonctionne pas. Un reportage de l’époque explique :

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Finalement, la France a arrêté Superphénix en 1997. Le prototype appelé Astrid a lui-même été abandonné, en 2019. Le CEA ne l’envisage plus guère que pour une application industrielle très lointaine, à l’horizon d’un siècle. Pendant ce temps, on continue à produire du plutonium. Aujourd’hui, 56 tonnes sont entreposées à la Hague et on ne sait pas quoi en faire.

Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », disait Bossuet. Et les dirigeants d’Areva sont, à tous les sens du terme, des irresponsables. [...]

Partie 2. Terres nucléaires. Une histoire du plutonium

Cette deuxième partie du livre, élargit la chronique de Fukushima du premier chapitre pour nous conter, riens moins que l’ère atomIque. Comment est-on passé de Hiroshima et Nagasaki à Fukushima ? On aurait pu croire les Japonais hostiles à jamais au nucléaire après les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki. A peine dix ans après, le Japon se lançait dans un ambitieux programme de centrales nucléaires, sur une terre connue pour sa dangereuseté sysmique, les tsunamis qui en ont résulté au cours de l’histoire, mais l’homme a une grande faculté d’oubli. Un mur de protection de XX mètres, plus haut que tous les tsunamis connus devrait suffire à protéger les centrales de Fukushima. Mais là, la hauteur du tsunami a dépassé les statistiques connues, l’en s’est engouffrée dans trois réacteurs et provoqué leur explosion.

Oui, à un moment ou l’autre, l’erreur humaine ou la défaillance technique ou le réveil des forces de la nature viennent contrecarrer les plans des hommes.
Il en fut déjà ainsi à Tchernobyl en 1986, mais si l’on sort du domaine nucléaire, on peut se souvenir que le Titanic réputé insubmersible par ses concepteurs a fait naufrage après avoir heurté un iceberg, lors de son premier voyage transatlantique, que le zeppelin Hindenburg, le plus grand ballon dirigeable à hydrogène, jamais conçu, s’embrase lors de son atterrisage à New York, le 6 mai 1937. Les 190 000 m3 d’hydrogène brûlent en 34 secondes. Sa destruction est un événement médiatisé dans le monde entier qui met fin à l’aventure du transport transatlantique par dirigeable.
De même, au lendemain de Fukushima, la Chancelière allemande Angela Merkel a décidé d’arrêter la production d’électricité d’origine nucléaire en Allemagne

Aujourd’hui l’hydrogène redevient plus que « fréquentable » pour les transports. Il est même vu comme une source d’énergie à l’avenir prometteur, notamment pour les avions moyen courrier.
Faut-il suivre l’exemple allemand qui a remplacé un risque « potentiel » avec l’exploitation de centrales nucléaires par un « impact réel négatif immédiat sur l’environnement », en remettant en service des centrales au charbon ? La production électrique d’origine nucléaire malgré sa grande dangerosité potentielle produit une énergie décarbonée, ce qui n’est pas le cas des centrales au charbon qui détruisent chaque jour notre environnement, en attendant la relève des solutions de production d’électricité, en quantité suffisante, à partir des énergies renouvelables, ce qui n’est pas encore le cas.

L’essai de Michaël Ferrier fait véritablement froid dans le dos, mais essentiellement à charge.

On sait pourtant que la radioactivité qui accompagne le nucléaire n’a pas apporté que du mal mais aussi des bénéfices pour nos examens médicaux radiologiques.

L’Histoire nous apprend aussi que l’homme n’a cessé d’aller au-delà de ses limites et c’est ainsi qu’il s’est répandu sur notre planète. Et même Mr de La Pérouse dont Louis XVI s’inquiétait en questionnant :« A-t-on des nouvelles de Mr de la Pérouse » a disparu corps et biens comme beaucoup d’aventuriers pionniers de la conquête de notre monde. Comme aussi ces sept astronautes qui se lançaient à la conquête de l’espace, à bord de la navette spatiale américaine Challenger le 28 janvier 1986 et morts lors de l’explosion de celle-ci, peu après son décollage, transformant en une gigantesque torche les 1 700 tonnes de carburant et de poudre assurant la propulsion.


Mais le livre de Michaël Ferrier est là pour nous rappeler les limites que l’on ne franchit pas impunément, et comme toujours que le moteur militaro-politico-économique y a joué un rôle déterminant et pas le meilleur.

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Si le plutonium m’était conté

Le plutonium est nécessaire pour faire exploser une bombe atomique, mais contrairement à l’uranium, on ne le trouve pas dans des mines, à l’état naturel. Il est un sous-produit de l’uranium utilisé comme combustible dans un réacteur nucléaire. D’où l’intérêt pour tous les candidats qui aspirent à posséder l’arme nucléaire, de maîtriser cette étape préliminaire en arguant un objectif civil : la production d’électricité. Ce fut aussi le cas pour le Japon comme pour l’Iran aujourd’hui. Mais le plutonium nécessaire doit être de haute qualité, du Plutonium 239 qui nécessite quelques compétences et moyens supplémentaires et les Américains dépensent beaucoup d’efforts à en limiter la maîtrise par tous les moyens possibles

EXTRAITS

Exergue du chapitre :

L’histoire du plutonium est une des plus dramatiques de l’histoire des sciences. C’est bien sûr une histoire qui se poursuit, et des chapitres supplémentaires viendront par la suite s’y ajouter.
GLENN SEABORG,
découvreur du plutonium

Le plutonium :
« une toxicité diabolique »

Pour démêler cet étrange écheveau, il nous faut remonter à la source de cette tragédie en trois actes, à Berkeley, en 1940. C’est ici, dans une des universités les plus réputées au monde, à la veille de l’entrée en guerre des États-Unis, que Glenn Seaborg fait la découverte d’un élément chimique très rare, radioactif et particulièrement toxique : le plutonium.

*

Glenn Seaborg est un physicien atomiste américain, qui deviendra plus tard président de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis. Voilà comment il décrit sa découverte, dans le livre The First Weighing of Plutonium (Atomic Energy Commission of Technical Information, Oak Ridge, Tennessee, 1967), d’une manière saisissante :

Le plutonium est si inhabituel qu’il approche de l’incroyable. Dans certaines conditions, il peut être aussi dur et cassant que le verre ; dans d’autres, aussi mou et plastique que le plomb. Il brûle et se réduit rapidement en poudre lorsqu’il est chauffé à l’air, ou se désintègre lentement lorsqu’il est conservé à température ambiante. Il est unique parmi tous les éléments chimiques. Enfin, il est d’une toxicité diabolique, même en petites quantités.

Le plutonium est un des radioéléments les plus dangereux au monde : il comporte, même à des doses minimes, des risques graves pour la santé. Il est particulièrement toxique si on l’avale, si on le respire ou s’il entre sous la peau par une blessure, une coupure ou une simple écorchure. Des organes vitaux comme les poumons, le foie, les os, sont ses cibles de prédilection. Sa dose létale est infime et effrayante : 1microgramme suffit pour provoquer la mort.

Mais le plutonium engage aussi des échelles temporelles sans commune mesure avec celles des êtres humains : sa demi-vie est de l’ordre de 24000ans, ce qui signifie qu’au bout de 24000ans il aura perdu seulement la moitié de sa toxicité. Comptabilité improbable : pour donner un ordre de comparaison, la pyramide de Kheops en Égypte, l’une des plus anciennes constructions au monde, compte « seulement » 4600ans d’existence. Le plutonium se situe tout simplement aux limites, voire en dehors de nos possibilités de représentation.

*

L’échantillon de plutonium présenté par Seaborg est le résultat du bombardement de kilos d’uranium avec des neutrons. Il a été isolé dans une forme assez pure pour pouvoir être pesé grâce à une balance spéciale, le 10septembre 1942 dans son laboratoire, à Chicago : il pèse exactement 2,77 microgrammes (archives du Dr Glenn Seaborg). Ces quelques microgrammes vont bientôt changer l’histoire de l’humanité.

Car le plutonium n’est pas une découverte parmi d’autres. D’abord parce qu’il est d’une dangerosité extrême, « diabolique » comme le décrit Seaborg lui-même. Mais aussi parce qu’il s’inscrit dans une nouvelle logique militaire et commerciale, qui renverse complètement les rapports de la science et de ses applications, comme l’analyse le physicien français Jean-Marc Lévy-Leblond :

Je crois que la mise au point de l’arme nucléaire pendant la Seconde Guerre mondiale est un événement beaucoup plus profond qu’un simple événement militaire et qu’il transforme radicalement le fonctionnement de notre société, en particulier le rôle qu’y joue la science. Il faut bien voir qu’auparavant –disons au XIXesiècle et même dans la première moitié du XXesiècle– les scientifiques s’occupent essentiellement de recherches fondamentales, et que les applications viennent après, plus tard : ce sont des ingénieurs, des industriels qui vont se saisir des découvertes et les mettre en œuvre. Ce qui se passe entre 1939 et 1945 est une rupture complète avec ce schéma puisque ce sera la première fois, je crois, dans l’histoire mondiale, que des scientifiques qui sont des chercheurs fondamentalistes, des physiciens-théoriciens de pointe, vont être engagés pour mettre au point un développement technique : fabriquer la bombe.

Le royaume de Pluton

France, États-Unis, Japon. Malgré quelques différences, la gestion du problème du plutonium révèle les mêmes problèmes et les mêmes impasses dans les trois pays. Trois pays dont les habitants sont prisonniers d’une spirale qui semble sans fin. Le serpent nucléaire se mord la queue : il se contamine lui-même et se nourrit de l’argent de la contamination comme de la décontamination.

[…]

* Le plutonium tient son nom de Pluton, le dieu des Enfers dans la mythologie occidentale. C’était un dieu peu aimé, qui ne se laissait jamais apitoyer par les prières des hommes. On le représentait muni d’un trousseau de clés noires, pour signifier que son royaume était si bien gardé que nul jamais ne pourrait en sortir. Mais les Japonais pensent que la péninsule de Shimokita, où se trouve l’entrée des Enfers, est l’endroit sur la Terre où on peut communiquer avec les morts. Le pont rouge des jardins japonais est le symbole de ce passage entre les mondes. Peut-on revenir du royaume de Pluton ? C’est la question à laquelle, un jour ou l’autre, nous aurons tous à répondre.

Partie 3. Notre ami l’atome : Un siècle de radioactivité.

Exergue


Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit et dont le sort se joue,
Mais atomes pensants, atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux.
VOLTAIRE
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Le début

Ville de Namie, préfecture de Fukushima, en mai2019. Neuf ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima. La ferme de Masami Yoshizawa est située à 14kilomètres de la centrale de Fukushima, dans la zone interdite. Depuis huit ans, il refuse de la quitter. Le taux de radioactivité y est pourtant dix fois supérieur à la norme en vigueur. Ce petit homme sur son tracteur jaune est un paysan et un résistant : sous l’œil de ses vaches, il continue son travail… Un travail un peu particulier : chaque jour, il nourrit des vaches contaminées, que l’on ne pourra jamais consommer. La tâche semble absurde et pourtant, ce combat s’inscrit dans une longue histoire : celle des irradiés du nucléaire, des essais de Bikini au désastre de Fukushima, en passant par les Radium Girls. Ce film est l’histoire de ces combats.

*

Continuer à élever mes vaches ici, c’est un acte de résistance contre l’État. Il déteste que je sois là avec mon bétail. Il n’attend qu’une chose, c’est qu’on fasse faillite et qu’on disparaisse. C’est pourquoi il est hors de question de flancher. La vie de mes vaches, c’est ma vie. Nous vivons ensemble dans la radioactivité, nous sommes comme des amis, ce sont mes compagnons. *

*

Autre témoignage et l’opération Tomodachi.

Sumio Konno est un ancien employé de la centrale nucléaire d’Onagawa. Comme tout le monde au Japon, il se souvient très précisément de la journée du 11 mars 2011 :

Au moment de l’accident, le 11mars, j’étais à la centrale nucléaire d’Onagawa, à 120kilomètres au nord de Fukushima. Et comme je ne pouvais plus rentrer chez moi, je suis resté dans le périmètre de la centrale jusqu’au 15mars. L’alarme s’est déclenchée à Onagawa car le 13mars, le nuage radioactif est arrivé jusque-là. L’ordre de confinement a été donné. Les rayonnements étaient très élevés, on ne pouvait plus sortir. Moi, j’étais en patrouille à l’extérieur pour chercher les victimes du tsunami mais on m’a rappelé et je suis retourné à l’intérieur du bâtiment. À ce moment-là, le 13mars, j’ai vu un énorme bateau arriver dans la baie. C’était le Ronald Reagan qui venait pour l’opération Tomodachi.

En japonais, Tomodachi veut dire « ami ». L’opération Tomodachi est une mission humanitaire des forces armées américaines venue porter secours aux victimes du séisme et du tsunami. Le 13mars 2011, au lendemain de la première explosion à la centrale de Fukushima, le prestigieux porte-avions Ronald Reagan est envoyé dans le cadre de cette opération.

L’USS Ronald Reagan n’est pas un bateau comme les autres. C’est l’un des onze porte-avions géants de la flotte américaine. Il mesure 333mètres de long : c’est plus que la tour Eiffel et presque autant que l’Empire State Building. Imaginez un de ces deux monuments couché sur l’eau, en mouvement, et déplaçant toute la masse de la mer le long de ses flancs. Avec ses 5000hommes d’équipage, ses zones de restauration et ses cuisines ouvertes en permanence, ses salons de coiffure, ses deux supermarchés, ses trois chapelles et sa poste (le navire a son propre code postal), le plus grand navire de guerre américain basé en Asie est une véritable ville.

Ou, pour mieux dire, une citadelle, une base aérienne ultra- militarisée, un aéroport de combat. Celui que l’on a décrit comme « les deux hectares les plus dangereux du monde » embarque en effet toute une panoplie de missiles et de dispositifs de surveillance. La forteresse flottante est prête à parer au moindre accident. Ses radars, ses radios et ses satellites épient les environs en permanence, sur mer et sous mer, et peuvent observer le ciel jusqu’à 800kilomètres. Pourtant, le 13mars 2011, ce chef-d’œuvre technologique va se trouver confronté à un ennemi invisible et impalpable, qui va avoir raison de lui et le forcer à reculer : ce jour-là, le fer de lance de la marine américaine, avec son parc aérien de plus de 70 aéronefs, un essaim d’avions et d’hélicoptères toujours prêts à ouvrir le feu, se trouve pris au piège par le nuage radioactif qui s’échappe par bouffées de la centrale de Fukushima.

*

La fin de la Partie 3

Dans le ciel bleu de Fukushima, deux corbeaux noirs passent en croassant. Sumio Konno, l’ancien employé de la centrale nucléaire d’Onagawa, regarde le paysage criblé d’énormes sacs-poubelle de plastique noir et explique :

Avant, tous les sacs de débris radioactifs qu’on voit là derrière étaient dispersés partout dans la ville. On les a rassemblés ici, où on a fait un stockage provisoire. Une partie de ces sacs va être déplacée à côté de la centrale de Fukushima, sur le grand centre de stockage de déchets radioactifs. Les déchets sont en train d’être triés : soit ils vont à la centrale, soit ils restent là provisoirement. Les sacs qui vont rester là seront soigneusement recouverts d’une bâche verte.

Partout sur la terre de Fukushima, à deux pas des habitations, parfois cachés par un simple rideau d’arbres, de grands sacs noirs s’entassent, remplis de déchets radioactifs –branches, herbes, fleurs, poussière…–, montrant au voyageur stupéfait une image tangible de ce qu’on pourrait appeler la poubellification du monde, ou l’avenir programmé de notre planète. Plus loin, des milliers de réservoirs bleus, de réservoirs blancs, de réservoirs gris : aujourd’hui, et pour des dizaines d’années encore, on refroidit en permanence la centrale en l’aspergeant d’eau. Au contact des réacteurs, l’eau utilisée devient immédiatement radioactive : des centaines de cuves stockent plus de 1million de tonnes d’eau contaminée. Chaque année, le paysage s’obstrue davantage et l’espace de stockage arrivera à saturation en 2022.

Pour résoudre le problème, ou plutôt l’évacuer, des experts commissionnés par le gouvernement recommandent purement et simplement de les vider dans la mer.

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4 Messages

  • Viktor Kirtov | 4 janvier 2022 - 11:02 1

    De : Michaël Ferrier
    Envoyé le : lundi 3 janvier 2022

    Merci, cher Viktor, pour ce menu spécial 2022, plus alléchant que l’austère année qui vient de s’achever…

    À vous aussi une très belle 2022 !C’est l’Année du Tigre au Japon : que cette nouvelle année vous apporte donc l’énergie du Tigre et la grâce des félins pour réaliser tous vos projets, et je pense bien sûr particulièrement au beau site pileface, qui doit vous demander une énergie dingue.

    Quant à moi, en plein dans l’écriture de mon nouveau roman, que je finirai j’espère aux États-Unis dans la résidence d’écriture Jules Verne.

    Je retournerai aussi en mars aux États-Unis pour le colloque "Writing the World with MF"qui m’est consacré.

    La traduction deFrançois, portrait d’un absentet deScrabble, une enfance tchadienneen anglais cette année sera aussi l’occasion de me promener dans le monde anglophone, malgré ce fichu virus...

    avec mon amitié,

    Michaël


  • Viktor Kirtov | 11 novembre 2021 - 15:39 2

    Conférence - lecture : Pitt à pawol de Michaël Ferrier à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

    GIF

    Le vendredi 12 novembre 2021 - 18h
    Réservation sur le site e la MCJP : www.mcjp.fr

    Relayer les voix de Fukushima Faire circuler la parole, voilà l’objectif de Yasmina Ho-You-Fat, directrice de la compagnie de théâtre Le Grand Balan, quand elle recrée l’atmosphère d’un pitt : à l’origine destiné aux combats de coqs dans les Caraïbes, la troupe n’en retient pour son pitt à pawol (parole) que le lieu chaleureux, propice à l’échange pour y faire découvrir une œuvre. Y convier Michaël Ferrier, c’est accueillir un auteur de la créolité : celle de l’Océan indien qui l’a fait grandir, celle du Japon où il vit, enseigne et qu’il qualifie de « traversé par des problématiques de créolisation ». Dix ans après la triple catastrophe, à travers la lecture d’extraits de récits de Fukushima rapportés par Michaël Ferrier, les comédiens, Yasmina Ho-You-Fat et Jean-Louis Cassarino, accompagnés du percussionniste Atissou Loko, donnent la parole aux condamnés à la « demi-vie » des zones contaminées avant de céder la place au romancier et traducteur René de Ceccatty qui assurera la modération d’un échange entre le public et l’auteur


  • Albert Gauvin | 25 juillet 2021 - 14:21 3

    Fukushima

    par Yannick Haenel

    C’est un petit garçon en tee-shirt blanc, marqué Nike, qui se déchausse et entre dans un immeuble. Il est accompagné par sa mère. Il porte un dosimètre autour du cou. Le dosimètre est un appareil à mesurer la radioactivité. On est au Japon, dans la ville de Nihonmatsu, à 50 km de la centrale de Fukushima.

    Le petit garçon subit un scanner, les parois de la machine se referment sur lui. Un médecin fait ses calculs, puis il donne ses conseils à la mère et à l’enfant, qui sont assis face à lui, silencieux, dociles. Il faut, dit-il, réduire l’irradiation, en posant par exemple des bouteilles en plastique remplies d’eau sur le bord des fenêtres. Le mieux serait de faire dormir l’enfant plutôt au rez-de-chaussée qu’au premier étage, et de préférence au milieu de la pièce : c’est là, en tout cas dans les maisons, que la radioactivité est la plus basse (dehors, c’est l’inverse, au sol elle est la plus haute).

    Le petit garçon et sa mère repartent. « Ainsi vivent les habitants de Fukushima, s’efforçant de voir l’invisible, de capturer l’in­­saisissable, dans la limaille d’une existence qu’on hésite désormais à appeler une vie. »

    C’est le début de Notre ami l’atome, un livre extraordinaire, limpide, fondamental, que vient de publier Michaël Ferrier (éd. Gallimard, coll. « L’Infini »). Le texte est celui de trois films qu’il a écrits et qui ont été réalisés par Kenichi Watanabe.

    Michaël Ferrier, qui vit et enseigne au Japon, arpente depuis la catastrophe du 11 mars 2011 ce qu’il appelle le « monde d’après Fukushima »  ; il enquête, rencontre des habitants de la zone irradiée – il témoigne.

    Ce livre, qui fait suite à Fukushima. Récit d’un désastre (éd. Gallimard, coll. « L’Infini »), paru en 2012, nous donne ainsi à ­comprendre les modalités contemporaines de l’inhabitable, celui que les hommes ont fabriqué eux-mêmes.

    On se souvient que, le 11 mars 2011, un tremblement de terre d’une puissance inédite a provoqué un tsunami qui a ravagé le site de la centrale nucléaire. Ferrier montre à quel point la politique de minimisation adoptée par les autorités a amplifié le ravage.

    Des tonnes d’eau radioactive ont été déversées de la centrale vers la mer, provoquant « la plus forte pollution radioactive marine jamais observée dans l’histoire de l’humanité », écrit ­Ferrier. Les poissons sont contaminés. Sur les marchés, les ­pêcheurs ont eux aussi leur dosimètre pour vérifier le taux de radio­activité de leur pêche.

    Dans un pays pourtant brisé par Hiroshima et Nagasaki, l’énergie nucléaire a été vendue, dès les années 1950, comme une énergie de paix. Ce livre raconte les intérêts industriels, militaires, commerciaux qui se cachent derrière ce crime : l’invention d’une déchetterie invisible.

    Le pire est à venir. Mettant en rapport Tchernobyl et Fukushima, Ferrier cite Ulrich Beck : « Toutes les victimes de cet accident ne sont même pas encore nées. »

    Charlie Hebdo 1511 du 7 juillet


  • Viktor Kirtov | 17 juin 2021 - 11:35 4

    Voici un chapitre éclairant de la troisième partie du livre de Michaël Ferrier qui décrypte pour nous comment un peuple traumatisé par le nucléaire avec Hiroshima et Nagasaki a malgré tout adopté l’ambitieux programme de centrales nucléaires dont celles de Fukushima. Et l’on va trouver au centre du jeu, un éminent ‘patriote’ japonais : Matsutarô Shôriki qui n’est rien moins qu’un agent retourné de la CIA…‘

    Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut remonter le cours du temps, et se fier à une discipline délicate et précieuse, incontournable jusque dans ses difficultés : l’Histoire.

    Comment les Japonais arrivent-ils d’une part à revendiquer – et à pratiquer – un refus clair et net des armes atomiques, et d’autre part à produire, comme si de rien n’était, des centrales nucléaires en quantité pour les répandre sur les îles japonaises, sans se rendre compte que ces centrales sont vraisemblablement porteuses du même potentiel catastrophique ? La question n’a pas fini de me tarauder : comment a-t-il été possible d’opérer pareille dichotomie entre Hiroshima et Fukushima ?

    C’est ainsi que, comme tant d’autres aujourd’hui, s’interroge Ulrich Beck.
    Le lien entre Fukushima et Hiroshima – cette « rime terrible », comme la nomme le philosophe Jean-Luc Nancy – n’est pas facile à établir. Pour l’expliciter, il faut en revenir aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, au moment où se met en place, pour des raisons à la fois idéologiques et financières, l’illusion, voire la tromperie, d’un atome uniquement pacifique.

    *

    Dans les premiers jours du mois de novembre 1955, l’exposition américaine Atoms for Peace – « Des atomes pour la paix » – s’installe au parc Hibiya à Tokyo. L’ambassadeur américain au Japon, John Moore Allison, transmet un message du président Eisenhower :
    « Cette exposition symbolise la détermination mutuelle de nos deux pays à prouver que le formidable pouvoir de l’atome doit être consacré à la paix. » Matsutarô Shôriki inaugure l’exposition qui ouvre une page de l’histoire nucléaire au Japon.

    Qui est Matsutarô Shôriki ?

    Le président du Comité japonais à l’énergie atomique certes, et c’est à ce titre qu’il est présent en ce mois de novembre. Mais c’est aussi et surtout un baron des médias, fondateur de la première chaîne de télévision commerciale et de la ligue professionnelle de base-ball au Japon. Un grand sportif et un homme d’affaires. Un philanthrope enfin, inondant d’argent certaines organisations caritatives et artistiques. Dès qu’on gratte un peu la carapace vernie, ce portrait se fissure pourtant, puis se craquelle irrésistiblement : Shôriki est notamment soupçonné d’avoir appelé au nettoyage ethnique des Coréens lors du grand séisme de 1923 (il était officier supérieur de la Police métropolitaine de Tokyo). Après la guerre, il a été classé criminel de guerre de catégorie A, et incarcéré avant d’être blanchi et relâché en 1947. En fait, comme on le découvrira bien des années plus tard, avec la déclassification de documents secrets par l’agence américaine des archives nationales (NARA, 2006), Shôriki est en réalité… un agent de la CIA. Retourné par les Américains, ce grand patriote a été chargé d’introduire leurs centrales nucléaires sur le sol japonais.

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    Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a parfaitement accompli sa mission. En quelques années, l’Archipel se couvre de réacteurs américains. C’est sous la houlette de ce businessman au-dessus de tout soupçon que, dix ans à peine après les centaines de milliers de victimes de Hiroshima et de Nagasaki, alors que les hibakusha, les irradiés de la bombe, subissent encore – et pour longtemps – l’ostracisme et les discriminations réservés aux « lépreux du nucléaire », l’énergie nucléaire se voit miraculeusement présentée comme une énergie de paix universelle et de dignité humaine.