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« Tu es la splendeur même » : Dominique Rolin et Philippe Sollers unis pour toujours

Jérôme Garcin

D 11 janvier 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Pendant plus de cinquante ans, Dominique Rolin et Philippe Sollers ont vécu un amour clandestin. Les voici unis sur le papier grâce à la publication du deuxième volume de leur
volumineuse correspondance.

Par Jérôme Garcin
Publié le 11 janvier 2021 à 12h22

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Dominique Rolin.
(ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP)

C’est un amour fou, que rien ne saurait tempérer. Ni le temps qui passe – un demi-siècle d’exaltation – ni le grand âge, qui sonne et tonne. Lorsqu’elle écrit, le 25 avril 2008, une ultime lettre à Philippe Sollers, son cadet de 25 ans, Dominique Rolin va en avoir 95 : « Je mets une couronne de baisers sur ta belle tête. Et je continue à respirer comme la plus belle femme du monde. » Celui qu’elle appelait « splendadoramour » et son « aigle royal » lui adressera encore des mots doux et fervents, mais elle n’y répondra plus. Désormais, seule la maladie l’oblige. Elle s’éteint, à Paris, le 15 mai 2012. Mais, grâce à la publication de leur volumineuse correspondance, l’auteur de « Passion fixe  » et la romancière de «  Journal amoureux » ont cessé d’être des clandestins et, couchés sous la couverture blanche de la NRF, sont unis pour toujours.

Ils s’étaient rencontrés en 1958, avaient longtemps caché leur liaison, qu’ils abritaient chaque année dans un hôtel vénitien baigné par la Giudecca, et avaient fini par la dévoiler, en 2000, sur le plateau d’« Apostrophes », où Bernard Pivot avait incité Dominique Rolin, à la fois gênée et radieuse, à mettre le nom de Sollers sur le « Jim » récurrent de ses livres. Cet aveu tardif n’avait rien changé à leur « axiome » secret (pas d’amour sans littérature ni de littérature sans amour) ni à leur calendrier intime et rigoureux : déjeuner le lundi chez Lipp, soirées mozartiennes chez elle, rue de Verneuil, dans son appartement baptisé « le Veineux », séjours dans la Cité des Doges et longs échanges épistolaires dès qu’il partait, à Pâques et l’été, pour sa maison de l’île de Ré.

Oraison et incantation

Les lettres de Dominique Rolin tiennent de l’oraison et de l’incantation. Elle exalte son merveilleux amant – «  tu es la splendeur même  » –, glorifie l’écrivain – «  tu es le triomphateur du nouveau siècle » –, loue sa « générosité » et sa « bonté », admire le guerrier du goût, sans oublier de vitupérer les imbéciles qui, à Paris, complotent contre son génie. Ce pourrait être risible, et c’est très émouvant.

Car la romancière du « Gâteau des morts », toujours prompte à se déprécier, à regretter de n’avoir pas écrit un livre « incontestable », à juger les hommes de lettres supérieurs aux femmes, ces «  fourmis impuissantes » (on déconseille la lecture de ce volume aux féministes pures et dures), ne peut ni vivre ni écrire sans la présence, le regard, les lettres et les téléphones quotidiens de Sollers. Il l’éclaire, elle l’illumine. Parfois, elle compare leur amour immarcescible à un verger peint par Monet, où ils sont «  arrosés d’ombres vertes », parfois à « un immense concert », où ils sont « symphoniques l’un de l’autre », parfois à un maquis, où ils résistent « aux tabous éculés  ». Elle oublie seulement de le comparer à une sonate de Cimarosa, jouée à quatre mains sur le clavier du temps.

Jérôme Garcin, L’OBS.

LIRE AUSSI > « Tu es le seul point fixe de ma vie » : le grand amour clandestin de Philippe Sollers

Lettres à Philippe Sollers, 1981-2008, par Dominique Rolin, Gallimard, 432 p., 24 euros [1].

Paru dans « L’OBS » du 23 décembre 2020.

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Deux lettres
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Paris

Vendredi 9 juillet 1993
17 heures

Amour mille fois chéri,

ta lettre à l’instant, où tu me parles de travailler plus et plus encore. Mais tu oublies que tu m’as servi de modèle sur ce plan. J’ai constamment raison, me dis-tu, et c’est vrai dans la mesure où je me suis soumise à la tienne. Sans toi, je n’aurais écrit que des livres approximatifs. Tu as fait sauter les verrous, ouvert les portes et, derrière toi, je me suis envolée. Tes livres me font battre le cœur. Je te déclare une fois de plus aujourd’hui — par lettre interposée, ce qui est plus fort qu’un roman : j’aime d’amour mon amour pour toi, je le caresse et l’enveloppe, le serre et me laisse réchauffer par lui. Ce qui revient à dire, en somme : la seule chose qui me sépare de toi, c’est ma passion pour toi. Vu ? Ai travaillé ce matin, comme s’il me fallait me retourner sur moi-même avant de remplir une page de plus. Quand on dort, pourquoi se retourne-t-on ? tout à coup, c’est le branle-bas du corps que personne ne vous a demandé de faire. Côté gauche, côté droit, provocation du corps qui doit obéir à des consignes très précises sans nous apporter d’explications, d’ordres. Même phénomène s’il s’agit d’écriture. Plusieurs pages sont prêtes en moi, mais il est interdit de les forcer avant terme. Un tour sur le lit de mon inconscient, et les pages en suspens, modestes et prudentes, viendront se glisser sous mes yeux. La page est ; la non-page n’est pas [2]. J’ai failli pleurer tellement je te voyais prononcer cet axiome — qui est l’exact reflet du nôtre, n’est-ce pas, mon petit mari adoré ? J’aime tes yeux, ton poignet, ta main, ton cerveau, tes yeux. À demain matin, MON.

Samedi 8 heures

Sommeil exquis, au juste niveau puisque tu m’as appelée. « Tu veux que je te couche ? » me disais-tu avant le dîner. C’est la question à ne pas me poser. « Être couchée » par le Bienamour est un don du ciel, le miracle harmonisant mes nerfs, mon cœur, mes poumons, tout. « Être couchée » par toi : raz-de-marée heureux contenant la masse de nos passés, de nos présents et même de nos futurs auxquels je crois avec la plus grande fermeté ! Ce matin : froid intense d’une journée bleu pur. Ciel et trottoirs nettoyés jusqu’à l’os. Je viens de relire ta lettre en guise de bénédiction divine (Au nom du Père, etc.), ma loupe à la main. Ton écriture — je parle du graphisme, est plus belle et concentrée que jamais, parfois hiéroglyphique, ou plutôt chinoise, certains mots deviennent des signes qu’il s’agit de déchiffrer avec attention. À force de passion pour ton travail, tu as besoin de te synthétiser et de te précipiter, mais je te connais si bien que je finis toujours par traduire l’insaisissable de tes splendides lettres.
Je m’y mets. Je me sens heureux jusqu’au bout des tiges. Tu es mon adoré. Et moi je suis le

Toupetitipopotam-tam

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Paris

Lundi 18 juillet 1994
18 heures

Bonsoir, Amour de ma vie,

Je viens de t’entendre me dire adorablement que tu n’avais rien à raconter, et je fonds de bonheur tellement c’est juste, tellement c’est dans la moelle de l’amour. Nous n’avons rien à nous raconter d’autre que ce mystérieux mouvement vers l’autre. Si violent qu’il n’est pas transposable au moyen des mots. En réalité, chacun de tes appels téléphoniques a l’impact de l’explosion jupitérienne qui vient d’avoir lieu. Seuls pourraient intervenir les astronomes qui sont les spécialistes des mondes impossibles mais peut-être aussi, par voie poétique, ce qui nous arrive à nous. Grandeur de la science, grandeur de la simplicité dans l’amour. Je suis arrêtée tout à l’heure par une femme, bourgeoisie gentille, la cinquantaine environ, qui me dit : « j’aime vos livres, quel est le vrai nom de l’homme de votre vie, dites-le-moi ... » Devant mon refus, elle enchaîne : « oh bien sûr, ça doit se savoir dans les milieux littéraires » et elle s’est volatilisée sans insister, après avoir conclu : « C’est une si belle histoire ! »
Ce que tu m’écris à propos des mouettes est magnifique : leurs chambres d’échos, elles chantent leurs souvenirs de vol, elles communiquent par ricochets sonores, etc. Tu es un admirable chéri qui m’épate, à la fois en surface, en profondeur, en oblique. Pas un seul écrivain n’est capable de tels éclairs jubilatoires de sensations à part toi, Mon splendam, (et peut-être un peu moi aussi, de temps en temps). Je me sens bien aujourd’hui. Deux ou trois pages encore, et l’Ac. [3] sera bouclé. Au fond, je suis allée assez vite : je l’avais recommencé le 14 février, donc cinq mois de travail. À demain, dors bien.

Mardi 9 heures

Dormi comme un phoque. Hier : cette pluie qui transformait le carrefour en lac furieux, du jamais vu, réfugié au snack, tout le monde se parlait, ahuri par la violence de l’orage.
Repris ce matin mon travail de la veille, ce n’est jamais donné d’avance dans mon cas. Il faut re-traiter les matériaux avant d’atteindre le fil juste, c’est-à-dire l’âme. Je recopierai demain les trois dernières pages. Ciel gris terne et tiède, hésitant entre le sommeil et l’orage. La fraîcheur dont on a tellement besoin est une fraîcheur fausse, sournoise en diable. Mon système unique de survie : penser à toi, à ton travail, au mien dont je doute incroyablement, au prodige permanent de notre nous, divisé et subdivisé à l’infini. Le problème est résolu en tout cas : ensemble ou séparés, nous ne nous quittons pas un seul instant. Nous faisons vibrer l’espace, mon merveilleux chéri, nous jouons une partie de tennis qui n’a pas de fin. Je suis la

P. F. d’A.

Sens-tu la bêtise de ma lettre ?

LIRE AUSSI :
Lettres (aperçu)
Trois lettres
Vivant Denon dans les lettres de D. Rolin et Philippe Sollers


[2Aphorisme calqué sur l’affirmation de Parménide : "L’être est, le non-être
n’est pas".

[3D. Rolin, L’Accoudoir, roman qui paraîtra chez Gallimard en 1996.

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