Trois raisons de nous intéresser à Judit Reigl :
- Ses tableaux de la série « Centre de dominance » en écho de notre tropisme pour l’infini et le motif de la spirale.
- L’intérêt que porte Marcelin Pleynet à cette artiste peintre.
- La rétrospective qui lui est consacrée au musée des Beaux-Arts de Nantes, du 9 octobre 2010 au 2 janvier 2011.
Comme chez les Mousquetaires, jamais trois sans quatre.
La quatrième raison est plus personnelle, Nantes est aux portes de ma région natale, et m’y suis rendu récemment pour l’exposition « La Soie le Canon FRANCE-CHINE (1700-1860) » qui précédait celle-ci. En outre, les rénovations intérieures du Château des Ducs de Bretagne mettent remarquablement en valeur l’exposition permanente dédiée à l’histoire de la ville, qui est en même temps une leçon d’Histoire. Par beau temps, les places et zones piétonnes avec leur nombreuses terrasses peuvent avoir un air de Montpellier... Le sud à l’ouest. Oui, ça existe. Allez à Nantes par beau temps, on s’y sent bien.
Judit Reigl, Centre de dominance (1958-59)
« Sur le plan de la toile, le centre se propose en maelström, gouffre, tourbillon, qui creuse la profondeur de l’oeuvre, se déplace et s’ouvre, se fait et se défait, en se constituant. Etablissant alors en effet un espace où le centre est partout et la périphérie nulle part. »
Marcelin Pleynet, Reigl, Paris, Ed. Biro, 2001, p34
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Judith Reigl, Ils ont soif insatiable de l’infini (1950)
« Ce qu’il convient avant toute chose de remarquer, c’est que l’ouverture de l’oeuvre, au moment où André Breton en prend connaissance, s’établit à partir d’une oeuvre littéraire (Les Chants de Maldoror) particulièrement révolutionnaire et dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne fut jamais très fréquentée (Ils ont soif insatiable de l’infini, 1950).
Bref, il faut retenir ce que l’intelligence picturale de Judit Reigl doit à sa fréquentation de la littérature, de la lecture et notamment de la poésie ... de la parole qui se traduit et se révèle dans sa capacité de jouer, si je puis dire, formellement, des mots et des formes. »
Règle du jeu, je de Reigl
Déterminé. Déterminant.
Un corpuscule de l’Univers.
Un corpuscule de l’univers
C’est l’Univers."
(J.R.1985)
Marcelin Pleynet
Judit Reigl, Déroulement et Histoire
(juillet-octobre 2008)
« ils ont soif insatiable de l’infini » (Les Chants de Maldoror)
I,8 - p. 95-96
Cet aboiement démesuré des chiens correspond à un cri de révolte totale, dirigé
I,8 - p. .94-95
Ils ont soif insatiable de l’infini, huile sur toile, 1950.
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Sollers et Lautréamont
« Vous savez, j’avais fait le pari de citer intégralement les Poésies de Lautréamont dans mes propres livres. C’est maintenant chose faite, et cela passe très bien. »
Philippe Sollers
Entretien avec la revue Pylône, Bruxelles, 2 décembre 2003.
Voir articles :
Les emprunts de Sollers aux Poésies de Lautréamont
Fou de Lautréamont
Lautréamont, manifeste
...
Portrait de Judit Reigl (Vidéo INA)
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Judit Reigl, Déroulement et Histoire
Marcelin Pleynet, juillet - octobre 2008
(Judit Reigl, Unfolding and history
in Judit Reigl - Oeuvres 1974-1988, Erdész Makláry Fine Arts, mars 2009, Budapest)
"Vous êtes en possession de moyens qui me stupéfient
et je vous vois en mesure d’ accomplir des choses immenses."
André Breton, 1954
INTRODUCTION
Le premier texte que j’écris sur Judit Reigl participe d’une rencontre avec l’artiste début 1975. Judit Reigl est alors représentée à Paris par une galerie située derrière les halles, la Galerie Rencontres. En ce qui me concerne, je collabore alors avec Philippe Sollers à la rédaction et à la direction de la revue Tel Quel.
Je vois alors les tableaux de l’artiste à la Galerie Rencontres, dont l’activité est liée aux initiatives de Betty Anderson, que Judit Reigl a rencontré et avec laquelle elle s’est liée lors d’un premier voyage d’études en Italie, en 1947.
Je découvre donc en même temps l’oeuvre de la maturité et la biographie aventureuse du peintre ; qui me font l’une et l’autre une très forte impression. Et plus grande encore, lorsque j’aurai le bonheur de visiter l’atelier de Marcoussis où le peintre s’est retirée et isolée dans la première moitié des années soixante.
Marcoussis, village des environs de Paris, cher à Corot, et où Cézanne, en juin 1886, a peint chez Villevieille (peintre d’histoire et portraitiste né à Aix-en-Provence en 1829, mort à Aix-en-Provence en 1916 - élève de François Granet)... Marcoussis n’est plus aujourd’hui qu’un bourg isolé et sans grand intérêt culturel.
Ainsi tout est surprenant dans l’oeuvre de Judit Reigl. Et, pour un écrivain, sans doute aussi bien sa biographie que sa bibliographie. Comment ne pas se trouver impressionné par ce que, dès 1954, André Breton écrit d’un tableau dont le titre, Ils ont soif insatiable de l’infini, est emprunté aux Chants de Maldoror ?
André Breton adresse alors à Judit Reigl (qui encore inconnue à son arrivée à Paris, a cru devoir lui offrir la peinture) une lettre où il déclare :"Vous ne pouvez pas imaginer la joie grave qui m’envahit ce matin. Cette oeuvre, du premier instant que je l’ai vue, j’ai su qu’elle participait du grand sacré... je n’aurais jamais cru que cette parole de Lautréamont pût trouver une image à sa hauteur, et j’ai été bouleversé de son adéquation totale à celle-ci, qui s’est jetée à ma tête quand j’entrais chez vous." (mai 1954)
Cette lettre manuscrite se trouve reproduite dans la monographie que j’ai consacré à Judit Reigl - éditions Adam Biro, 2001.
Il faut voir le tableau pour découvrir à quel point la lettre d’André Breton et le texte qu’il consacre à Judit Reigl, dans Le Surréalisme et la peinture, (Gallimard éditeur) sont absolument justifiés.
Et il faut aussi savoir que je participe à un groupe qui attache une importance toute particulière à Lautréamont, sur lequel j’ai édité un livre dans la collection "Écrivains de toujours", aux éditions du Seuil en 1967 (qui fit une impression telle, qu’il me valut une invitation à enseigner dans une université américaine, à Chicago) pour comprendre la sorte d’impression et de certitude qui furent alors les miennes.
Bref, dès ma première approche, l’oeuvre de Judit Reigl devait s’imposer à moi avec la plus grande évidence. Et, comme dans ces années soixante-dix le peintre présentait sa grande série de Déroulement 1, je rédigeais sur l’oeuvre de Judit Reigl, en 1975, un essai que j’intitulais De la peinture comme enseigne. Texte repris, en 1977, dans un volume d’essais (Art et littérature) publié par la collection Tel Quel, aux éditions du Seuil.
[...]
Il suffit de considérer la bibliographie de Judit Reigl, pour constater que je n’ai jamais depuis cessé d’accompagner et de célébrer son oeuvre. Jusqu’à lui consacrer, en 2001, une importante monographie aux éditions Adam Biro.[...]
La suite ici : article intégral (pdf)
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Lettre manuscrite d’André Breton à Judit Reigl
5 juillet 1954
Chère Amie,
Vous me donnez un des grands émerveillements de ma vie : vous ne pouvez imaginer la joie grave et profonde qui m’envahit ce matin. Cette oeuvre* du premier instant que je l’aie vue, j’ai su qu’elle participait du grand sacré et son entrée chez moi me fait l’effet d’un Signe solennel. Je n’aurai cru que cette parole de Lautréamont pût trouver image à ma hauteur, et j’ai été bouleversé de son adéquation totale à celle-ci, qui s’est jetée à ma tête quand j’entrais chez vous. Je craignais que vous ne m’en vouliez un peu de cette précipitation que j’avais mise à vouloir vous la faire montrer, elle et plusieurs autres mais ce n’était là, vous pensez bien, que l’excès du mouvement d’exaltation que j’avais éprouvé au fur et à mesure que vous me découvriez vos autres toiles. Je suis tel que je voudrais aussitôt que tous ceux qui en valent la peine passent par le même enthousiasme que moi.
Je ne sais, Judith Reigl, comme vous dire le don que vous me faites. C’est encore trop près, voyez-vous. Vous êtes en possession de moyens qui me stupéfient de la part d’une femme et je vous crois en mesure d’accomplir des choses immenses.Laissez-moi vous dire toute mon admiration, toute mon émotion.
André Breton
(*) Il s’agit du tableau intitulé « Ils ont soif insatiable de l’infini », 1950, huile sur toile, 110 x 99 cm. Acquisition MNAM, Paris.
Eclairage sur l’artiste
Judit Reigl naît en Hongrie en 1923. Elle étudie à l’Académie des Beaux-arts de Budapest de 1941 à 1946, puis en Italie. En 1950, elle quitte clandestinement son pays et, après avoir traversé une grande partie de l’Europe à pied avec des moyens de fortune, arrive en France. À Paris, elle entre en contact avec le groupe surréalisteet s’intéresse dès 1953 à la pratique de l’écriture automatique en peinture. Elle expose pour la première fois ses tableaux à la galerie L’Étoilescellée en 1954 et décide quelques mois plus tard de quitter le groupe surréaliste. Les séries de cette époque, Éclatements (1955-1958) et Centre de dominance (1958-1959), accordent une grande importance à la spontanéité du geste pictural. De 1958 à 1965, elle réalise les tableaux de Guano, série née des toiles ratées posées au sol sur lesquelles l’artiste a marché, travaillé, versé des couleurs et des matières qui se sont ensuite séchées et stratifiées. Après la série Homme (1966-1972), qui marque un passage à la figuration, Judit Reigl développe, à partir de 1973, les Déroulements. En marchant le long de toiles agrafées aux murs de son atelier, elle laisse des traces au pinceau, « écriture ondulatoire » correspondant au rythme de sa déambulation. Les cycles plus récents de son travail, comme Face à (1988-1990) et Corps sans prix (1999-2001), montrent un intérêt renouvelé pour la représentation du corps humain. (Crédit : ina.fr)