L’Histoire splendide : ce titre ne vous est plus tout à fait inconnu depuis qu’on a retrouvé une lettre du 16 avril 1874 dans laquelle Rimbaud faisait part à un communard exilé à Londres de son projet d’« entreprendre un ouvrage en livraisons, avec titre : L’Histoire splendide ». Sollers l’évoque dans un chapitre de son dernier roman Désir : « Il s’agirait "d’une série indéfinie de morceaux de bravoure historique, commençant à n’importe quelles annales ou fables ou souvenirs très anciens... d’une archéologie ultra-romanesque suivant le drame de l’histoire, du mysticisme de chic, roulant toutes controverses, du poème en prose à la mode d’ici, des habiletés de nouvelliste aux points obscurs..." » [1]. Le projet de Rimbaud n’a pas vu le jour. Nous sommes en 2020. Nouvelle surprise. Guillaume Basquin, auteur, en 2016, de (L)ivre de papier (roman, poème, chant) [2], mettant à profit le « CONfinement » (sic), a décidé de poursuivre l’ambition révolutionnaire de Rimbaud dans un work in progress sur lequel il travaille actuellement.
« ... pour répondre à votre invitation d’hier, m’écrit-il, j’ai choisi un extrait de 2 pages de mon livre en cours (la fin du premier chapitre), "L’Histoire splendide" ; si vous voulez bien le publier sur "Pileface", cela me ferait énormément plaisir. Normalement, la typo va varier pour chaque chapitre, à la façon "Carrousels" de Jacques Henric. La typo prévue pour ce premier chapitre est Times New Roman italique gras... »
Et bien voilà (premier état).
A.G.


Alexandre Rodtchenko, Pur Rouge, 1921, 62.5×52.7cm.
Moscou, coll. privée. ZOOM : cliquer sur l’image.

« Au commencement »
(impression prévue en Times New Roman italique gras)

j’œuvre sans entreprendre dans le secret espoir d’un dérèglement de la durée — j’enseigne sans discourir — j’organise le délire — je lève le voile sur ce qui vous maintenait dans une demi-obscurité — je rends au lecteur sa liberté : plusieurs chemins de lecture légitime restent ouverts — il ne s’agit d’ailleurs pas d’un livre au sens habituel du terme mais plutôt d’un montage généralisé de l’histoire littéraire & de l’Histoire humaine tout court — je mâche les mots mésusés — je me garde d’intervenir dans le débat public & de lui-même le peuple se transforme — voyez :
dans le cadre de l’exposition 5x5=25 à Moscou en 1921 Alexandre Rodchenko expose un tableau nommé Pur rouge — ô Flotte rouge ! make it new with old stuff
les murs sont nos pinceaux — les places sont nos palettes ! — la toile de Tessil notre marbre ! — un héros du travail est un coup dur pour le bourgeois — agit-train — l’électricité + les Soviets ! — si l’ennemi ne se rend pas on le déterre
je suis fait de tout ce que j’ai vu : 6 personnages en quête d’auteur — puis immédiatement après 5 personnages à la faucille & au marteau — au Kremlin Staline se soucie de chacun de nous : telle est la morale de l’Esthétique réaliste-socialiste
en contrepoint une fabrique de lettres bourgeoises pour rire : Alma Luvia Pollabella
anarchopédie de formes volubiles — épicomédie de poche — livre isomorphique à sa composition — action writing !
je veux bien être pendu si je comprends un traître mot à ce roman !
mon chant ne conte pas un conte il ne chante que pour chanter — la fable ici est un simple régime de paroles & de fous & ce qui compte n’est pas le conte mais les détours les digressions — les accords & les désaccords — les venelles & les ruelles — les impasses & les culs-de-sac — les croisements & les carrefours — tout — le monde entier ses rebuts — vont dans cette embouchure du livre comme toute eau de pluie va à la mer & la mer n’en est pas pour autant changée ni ne déborde l’océan — la littérature est tout simplement du langage chargé de sens au plus haut degré possible
ce livre ne sera pas comme (L)ivre de papier composé de chapitres avec échafaudages rendus visibles mais de plateaux — ces plateaux auront des vitesses très différentes & seront composés de matières diverses — ce sera un tourbillon génial & archangélique : les fidèles seront récompensés
voyez (& lisez) : gnosis of precreate determination—agnosis of postcreate determinism : dis-cours par signes — jets d’urine — communication tactilo-olfactive — vocalises en ultrasons : Ecclesiastical and Celestial hierarchies—the ascending the descending—its Allothesis— écho-lalies — empreintes buccales — circuits magnétiques — écriture automatique — cadavre ex-quis — enfin tout sauf la bonne vieille écriture inclusive de la très progressiste République en marche — allons z’enfants de — la connerie !
le poème-en-moins devient pluriel dans une grande variété de lignes émotives :
o ômego de oméga : o hallahi oh alarido o caral avido o alarido do or (oçaño) o hallero do cor
kaléidoscope en état permanent de mutation — combinaisons inattendues entre dé-babélisation & babélisation du langage
réflexion pensémiotique : puisqu’on a fait passer ce fichier électronique Word dans une presse offset vous pouvez maintenant tenir ce volume entre vos mains — le papier imprimé seul — surtout s’il coûte cher — vérifie le texte : lieu de terreur — porte du ciel
rien d’autre
& ce rouleau dont j’ai fait une stèle — vision sur papier
polyparole
Front gauche de l’art
sera maison pour tous : chacun y pourra trouver pitance à son appétit & goût
tout y sera bon pour l’oreille & la cervelle — bonheur intégral — réminiscences d’un Paradis l’autre — journal de bord cosmique — essai florentin — disque vinyle 78t voué aux seules rayures divines
hourra dans les moissons
jaillissement de la parole
fantaisie baroque
contredanse
bagatelles
polyglossie
logophanie
toupie géante
azulejos lisibles
grande harmonie
travail avec orchestre
poésie épico-épiphanique
champ d’événements imprévus
groupe infini de parallélogrammes de forces
symphonie de mots en miniature
praxis intersémiologique
rotation anticyclonique
vertige cosmique
voyage sur place
konkrete text
ars nova
recombinaison totale de toute l’Histoire littéraire d’un écritoire l’autre
Amen illimité
rien ne reste inaccompli : sous le ciel tout est à nouveau naturellement en paix & à sa place comme Sirius
j’ai volé le feu — j’en ai fait provision : résurgence dans le présent dune figure de pathos : Prometheus or the Promise of Provision— transes d’espacetemps
un supplice chinois ce livre !
une disjonction de colonnes d’air comme chez Bartók
un glissement de surfaces phoniques : peripapetic periphery fur Mister Finnagain
ce qui inquiète le plus le chat c’est l’immobilité : je dois être un chat — chat réincarné temporairement en homme
je suis vieux — j’ai mon compte de jours
generations have trod have trod have trod & all is seared with trade
à la fin était le tribunal populaire d’Internet : no more elitism no more elite
mon écriture s’achemine à toute vitesse vers sa propre disparition par dissolution de mon moi d’auteur — mon esprit s’emparadise
le texte du multilivre — simple conjuration de signifiants — se dévide comme le serpent
les heures se rassemblent ceintes de robes multicolores
this work of mine : kick-off for new literature : look at it : look at this mess ! Dieu voit comme c’est bon
ici je ne cherche plus rien tout n’est plus que quiétude : je suis au but
le reste est touchant : j’y ai pleuré
Guillaume BASQUIN
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L’incurable présent et le feu du verbe, par Guillaume Basquin, écrivain
« qu’est-ce qui fait 999 fois clic-clic & une fois clac me demande ma plus jeune fille Ninon ? le savez-vous ? non ? eh bien un mille-pattes avec une jambe de bois pardi ! »
C’est entendu, cet homme-là est le diable, ou tout simplement un dément.
Quel crédit en effet accorder à un individu capable de confondre un tableau de Malevitch avec un aéroplane volant ?
On l’insulte, il insulte derechef, le verbe haut, la gorge chaude, les yeux brûlés, dans la belle tradition surréaliste-situationniste.
On veut le terroriser, il réplique, atomise, monte à huit mille pieds.
Il exerce une veille vigilante sur la façon dont le pouvoir politique instrumentalise la santé afin d’asseoir des lois liberticides, il ne cesse de renvoyer des liens, de chercher la petite bête dans le gros animal social, il n’est pas droit-de-l’hommiste au sens où vous l’entendez, il est insupportable.
Voilà pourquoi il faut lire L’Histoire splendide, texte multiple, polyphonique, polymorphe, polylingue, en cing parties + un épilogue, titre dont on se souvient qu’il s’agit d’un projet de livre avorté d’Arthur Rimbaud : Au commencement (« était le foutre ») / Mille romans (Un chapitre que peut sauter quiconque n’a pas d’opinion personnelle sur le maniement des pensées) / Terreur (de la Révolution française par ses célibataires mêmes au fascisme sanitaire) / Entracte (Pourquoi j’écris de si bons livres) / Journal de CONfinement (Le présent est incurable) / Epilogue.
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Lu sur facebook, de Claire F., ce post :
Guillaume Basquin est un drôle d’énergumène. J’avais mis sur facebook le post suivant qu’il a très mal pris :
Basquin, disais-je, l’a très mal pris. En bon "sniper" (je reprends le mot), faisant flèche de tout bois, il m’a renvoyé au "Great Reset", au "grand basculement" dont il est fort question aujourd’hui, et a décidé, non sans humour, de me me mettre "en prison" pour un mois comme... facebook - où le pire côtoie plus souvent le médiocre que le bon - aime à le faire avec les indésirables. C’est que, pour Basquin comme pour quelques-uns de ses afficionados, la guerre en Ukraine est la faute aux... Américains. Je suis le dernier à me faire des illusions sur la démocratie américaine et le pouvoir macronien (ne l’ai-je pas suffisamment dit ? N’ai-je pas suffisamment écrit sur le Gestell, le dispositif, sur Mabuse ?), mais ignorer la malfaisance spécifique du pouvoir russe me paraît quand même, comment dire, un peu léger ! Je n’ai rien à retirer de ce que je mettais en ligne dès le 21 février dans Retour de la guerre.
Mais je suis finalement rassuré : comme j’avais "liké" le post de Claire F. sus-cité (je me renie rarement), Basquin, se souvenant sans doute que j’avais été le premier à publier un extrait de son Histoire splendide dès mai 2020 et fait une critique plutôt sympathique des derniers Cahiers de Tinbad, m’a fait part sur Messenger, amicalement je tiens à le préciser, de son nouveau projet : réécrire... Les Possédés, à la lumière de sa perception - mi visionnaire, mi complotiste - de la réalité mondiale actuelle. Comme Claire F., même si l’on m’agresse, je ne suis pas sujet au ressentiment (plutôt à l’éclat de rire, voire au fou-rire), j’attends donc impatiemment la suite. A bon entendeur, salut !
PS : je précise que je ne rapporte là que des propos publics, à l’exception de tel message privé auquel je fais allusion et dont je ne rapporterai pas le contenu complet, plutôt émouvant d’ailleurs.
Traversée
C’est à une traversée que nous convie Guillaume Basquin, avec L’Histoire splendide, dont j’ai partagé la compagnie à la fois esthétique et factuelle une partie de l’été. Ce livre prend racine dans les années de confinement, que nous avons tous subies, et qui tout compte fait laissent interrogateur (que l’on soit complotiste ou non).
Et même si l’ouvrage est par nature un livre de circonstance, le lecteur ne s’arrête pas avec exactitude aux faits tant la pensée du texte se montre à lui. Il s’agit davantage d’un livre sur la politique, sur l’art d’écrire et sur une forme de rébellion dont la colère n’est pas loin, activant de la pensée, n’évitant pas les confidences importantes, et dont la forme est en un sens une vraie aventure littéraire.
Plaisir double donc, recherche de la beauté et intérêt pour l’intellection, grâce à un art de la prosodie, qui revient tout simplement au goût partagé de la langue. Du reste, cela facilite la compréhension de ce voyage dans le domaine des idées, de la chose politique, de la croyance, de l’homme en général. Il y a plaisir à s’étonner, à philosopher un instant avec l’auteur.
Cette histoire splendide est avant tout une histoire de relation, donc un texte qui dit et qui lie. Car cette description du confinement lié au Covid 19 — dont on ne connaît toujours pas aujourd’hui les limites ni le degré de morbidité -, ici base de l’énonciation, serait sans effet si la force de l’écriture ne nous invitait pas à une espèce de hors-champ du livre, dans ce qu’il tait — ou qu’il souligne a posteriori.
Quant à moi, ce que j’aime dans la lecture, c’est apercevoir l’écrivain, sa vérité — qui rend le style tributaire du tempérament de celui qui écrit. Parfois, apparaît donc Guillaume Basquin. Son travail de pilote, son goût pour l’Île de Ré, son humeur, sa culture qui en passe beaucoup par la musique ou le cinéma.
j’écris parce que je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour me débarrasser de mes pensées — bonnes ou mauvaises — le chant seul décharge l’individu d’une démesure quelconque — entende qui a des oreilles !
Pour résumer le déroulé complexe de ce recueil de fragments — où l’on devine une tendance très contemporaine pour les éclats et les impressions de cut — sans amoindrir le progrès (work in progress ?) de cette espèce de journal, je dirais que nous avons affaire à un écrivain en son miroir, mais nullement devant son image narcissique.
Plutôt devant des fractures, des bouts, des corpuscules de textes, des angles, des divisions, qui pourraient correspondre aux morceaux d’un miroir brisé lequel, pour finir, permettrait la construction d’une œuvre par bouts, par extraits, par reflets aléatoires dans un miroir en pièce. Ici un livre-miroir, un livre éclaté, touchant à différentes notions, thèmes, inspirations. Ce qui unit, c’est la pensée qui ne cesse de se manifester et de produire du texte.
écrire par montage / c’est comme tenir dans sa main deux pierres de silex & les frotter l’une contre l’autre sans cesse — que d’incendies alors ! — feux sol-air
J’ajoute que j’ai trouvé dans ce recueil de brisures un idéalisme philosophique, un idéalisme métaphysique devrais-je mieux dire. L’auteur fait confiance au livre, ne le livre pas au soupçon, et dès lors, donne confiance en lui.
Capacité du langage à sauver, à ne pas trahir l’homme dans l’homme, à véhiculer une haute idée de la littérature, à croire en son pouvoir performatif.
L’entreprise de G. Basquin est d’étoffer le monde grâce au texte, lequel permet d’agrandir et d’engendrer une réalité, sorte de conscience — chère à Teilhard de Chardin — et de foi dans l’intelligence, dans l’art tout bonnement. L’on peut se confier, l’on peut décrire et démontrer, tout cela reste le pouvoir de l’écrit.
dans mon apparente dérive aléatoire je suis soumis aux ballottements & aux roulements des nuages je cherche le passage je trouve le parcours le plus bref le raccourci : je passe (& ne trépasse pas) traverse perfore transperce trouve la faille la fente : les silences & les blancs de la lecture séparant les mots apparemment collés les uns aux autres dans une écriture compact’ : le Kairos est avec moi
En matière musicale, je crois que l’on va de récitatifs en arias, peut-être vers une forme écrite d’un sprechgesang tout à fait harmonieux, légèrement fluide, éthéré parfois, œuvre dodécaphonique peut-être ? Ce qui ne nuit nullement à l’hétérogénéité, aux différentes phases qui se succèdent et font une partition chorale.
Cette expression demeure originale, et m’a beaucoup touché, m’a concerné (même si je n’aime pas trop ce mot, mais ici il est indispensable pour caractériser ce que j’ai ressenti).
je suis toutes les formes à la fois : musicale peinte cinématographiée composée montée sculptée & enfin calligraphiée : c’est une suite de minuscules poèmes où les mots se touchent & s’é c a r t e n t
L’image du poète — ou peut-être l’imagination poétique de l’écrivain, son portrait -, se définit et se conçoit dans un champ verbal, champ verbal qui a son hors champ bien sûr, nous conduisant aux idées. Est-ce là socratique ?
Je le pense, car ce qui prime dans la représentation du sujet c’est sa définition dans le monde éternel des objets.
J’ai lu ce livre à l’écriture épique, comme un poème de la relation, objet nécessitant un sujet pour le justifier, donc absolument pas d’un point de vue matérialiste. Et s’il faut que la littérature s’adosse à un concept, je choisirais l’idea capable de montrer la vérité. Pour conclure j’ajouterai que de cette Histoire splendide il reste une clarté du propos qui montre par transparence par exemple, la rhinocérite venue de Rhinocéros, la pièce d’Eugène Ionesco, ou sinon l’idée marquante d’une odyssée joycienne qui ne veut s’achever, ayant une relation avec les grands textes (Homère, La Bible…), de l’acabit d’un récit infini, comme le temps qui ne cesse de passer.
Et ici, c’est plus l’angoisse de l’enrôlement, de la contamination des idées fascistes — notre monde politique baigne bel et bien dans ce jus noirâtre -, et aussi du monde métaphorique de la peur politique (que l’on soit conspirationniste ou non), qui retiennent souvent le souffle du liseur, de son travail, de sa puissance face à lui-même. L’ouvrage donne puissance.
Quittons-nous sur cette dernière citation de l’auteur :
ces pages ne sont centrales que si l’on retient la notion de volume sphérique tournant autour d’un point absent — cette conviction seule est à même de tenir un tel centre pour indéfiniment déplacé & non seulement déplacé mais encore emporté dans le grand mouvement cosmique interstellaire lui-même : ô stella stellae !
didier ayres, le 12 août 2022.
Un épique chant anti-confinement
par Steven Sampson
L’Histoire splendide, de Guillaume Basquin, s’inscrivant dans la tradition des textes prophétiques, se livre à une dénonciation de la cité, personnifiée ici par Emmanuel Macron, fustigé à cause de sa politique sanitaire.
La haine peut-elle engendrer le beau ? Maldoror dit : « Lecteur, c’est peut-être la haine que tu veux que j’invoque dans le commencement de cet ouvrage ! » Lautréamont débute donc en signalant le « museau hideux » et les « rouges émanations » du lecteur ; chez Guillaume Basquin, les émissions sont matérielles : « au commencement était le foutre ! que diable ! & le foutre était en l’hom’ ! comment ça le foutre ! le sperme ? oui ! ». Quel commencement hard ! C’est normal : Basquin a attendu six ans depuis son précédent livre avant de s’ériger en romancier, une attente infernale, si on réfléchit sur la valeur du chiffre six (ici la numérologie compte).
Qu’est-ce qui a fait décoller cet homme polyvalent – pilote de ligne à Air France ; éditeur de la revue Les Cahiers de Tinbad ; directeur d’une maison d’édition portant, elle aussi, un nom renvoyant au Tinbad the tailor de Joyce ; collaborateur de nombreuses revues ; et, surtout, poète –, le poussant à s’épandre dans un format expansif ? En un mot, c’est le confinement. Être cloué au sol à Paris intra-muros, incarcéré entre ses propres murs, a fait flipper pas mal d’esprits au printemps 2020. L’épreuve était d’autant plus insupportable pour les navigants, ces cosmopolites itinérants, habitués à se moquer des frontières, sauf de celle séparant la troposphère de la stratosphère.
Basquin a dû s’adapter à son éloignement du firmament : au lieu de côtoyer les nuages, de voir les cieux de près, il s’est rabattu sur l’ouïe, afin d’entendre la voix venant d’en haut, celle de « Yhwh ». La transcription hébraïsante en dit long sur ses ambitions d’intégrer le canon, candidature renforcée par la division du texte en cinq parties, à l’instar du Pentateuque : « Au Commencement », « Mille Romans », « Terreur », « Entracte » et « Journal De CONfinement ».
L’Ancien Testament garde-t-il sa pertinence ? C’est le socle du testament d’après, il prépare l’éruption de l’équivalence phallus = parole, foutre = verbe, une identité qui « coule de source ». Le poète se trouve à ladite source, il prend le monde sous sa langue, l’exposant dans un volume intitulé L’Histoire splendide. La petite rondelle qu’est l’hostie sert-elle de modèle ? Non : l’auteur a déjà expérimenté cette forme avec (L)ivre du papier (2016), donc il se contente maintenant d’une figure différente, la roue carrée, adaptation de l’archétype précédent. C’est dire combien un texte se constitue à partir du tissage génétique des aïeux, la semence primordiale. Dont celle même de l’auteur : l’auto-génération.
Kundera prétend qu’un roman transmet une vision implicite de l’histoire du roman. Basquin l’explicite : « Le roman-roman tel que le conçoivent la quasi-totalité de mes confrères […] est un genre moribond & usé par les redites – sans intérêt pour moi – fi de l’intrigue traditionnelle ! – il faut plutôt concentrer le pinceau sur un seul personnage important : moi-même ». Dans Corpus Rothi II, essai sur Philip Roth, j’avais appelé ce schéma « monofiction » (monothéisme ?) : l’œuvre construite autour d’un unique personnage prophétique. Peu importe les « masques » qu’il revêt, l’intérêt réside dans son rapport à ses fidèles et à soi en tant qu’incarnation du Verbe.
L’Histoire splendide se positionne vis-à-vis des prophéties antérieures : « Voici l’histoire de Guillaume : dans (L)ivre de papier livre deutérocanonique je m’installai avec l’intention méritoire de me refaire l’esprit au contact d’autres esprits cela personne ne l’a vraiment compris à 3 ou 4 exceptions près… » Être un oracle, c’est braver l’incompréhension, en suivant le sillage des patriarches, tel le créateur de Paradis : « la machine de guerre textuelle implique le dégagement d’un nouveau vecteur vitesse-verbale & c’est l’écriture percurrente pour la première fois théorisée par Philippe Joyaux dit Philippe Sollers en son Paradis I & 2… ».
« Vecteur vitesse-verbale » : allitération alléchante ! Elle explique l’esthétique de Basquin, la rage, l’empressement, le vertige. Rien n’est à inventer, il est simplement question de ranimer le monde endormi : « Les cloisons & les divisions ? foutre ! – je n’admets plus que les multiplications : Le Livre des Passages x Femmes x Paradis x (L)ivre de papier – y a-t-il d’autres influences ? ma foi non : tout y est déjà inscrit en creux / y a plus qu’à fouiller / déterrer / déplacer & développer. » Développer, ça implique apprendre et répéter, en ayant recours à l’écriture automatique, à une « longue suite d’onomatopées ». Basquin cherche à déconstruire les mots, pour en trouver les composants de base : « ma lalangue contrairement à la novlangue ne passera pas tralala ! » À partir de cet idiome intime, il va bâtir un « delldale », un « babelivre », un « globe hiéroglyphique ». Pour lui, comme pour Hölderlin, tout se résume au rythme : celui-ci, depuis Joyce, appartient à la prose. Pourquoi ne pas s’inspirer de Werner Nekes, cinéaste allemand et inventeur de la notion de kinème, l’équivalent du phonème en linguistique ? C’est la voie royale vers le ciel.
On réalise l’ascension par l’intermédiaire de la Vierge Marie, assimilée à un « ascenseur / trou dans l’univers ! sortie / point de fuite ! ». Un trou sublime ne supporte aucune obstruction, donc Basquin s’interdit la ponctuation, outil profane : « Pourquoi exiger / mon lecteur / dans ce volume tout à fait céleste virgules points-virgules & autres signaux annonciateurs de ralentissement de la lecture ? » Cela n’empêche pas que le deuxième chapitre, « Mille Romans » (un clin d’œil à Deleuze et Guattari), soit divisé en autant de paragraphes, histoire de laisser au lecteur le temps d’intégrer de denses paradoxes, de prendre sa respiration.
À la fin, on en aura besoin. « Journal De CONfinement », ultime chapitre, est une tirade contre la politique sanitaire du gouvernement, responsable de la « peste » actuelle, reliée par l’auteur à celle des temps bibliques. Citant Fabrice Hadjadj, il affirme que, dans le Livre de Samuel, elle a été déclenchée par le roi David en vue d’un dénombrement de la population : « David est puni d’avoir réduit son peuple à des chiffres manipulables ». Ah, comme elle a bon dos, la « Volonté de Technique » ! Si justifiée que soit cette méfiance à l’égard de la science, on ne suit pas forcément les arguments de l’auteur sur le port du masque, l’incarcération volontaire ou le professeur Raoult. Sans doute ces prises de position extrêmes dynamisent-elles la verve de Basquin : c’est grisant de croire qu’il y a un sens à l’Histoire. Une telle croyance peut engendrer – pardi ! – de très belles formules. Mais, lorsqu’on s’aventure sur le terrain de la santé publique, la haine ne suffit pas pour démentir ; on a beau conspuer Oliver Véran, jusqu’à preuve du contraire il faut lui accorder le bénéfice du doute, le souci d’éviter des conséquences mortelles.
Que le terme « religion » vienne de « relire » ou de « relier » (querelle philologique), son étymologie convient à Basquin, grand lecteur de « Dante Sade Rimbaud Lautréamont Mallarmé Pound Joyce Sollers Haroldo de Campos : ça vous va messieurs ? ». Liées par des relectures et par le fil conducteur d’une métaphore magnifique (selon l’auteur, chaque poète désire écrire son propre Livre de la Genèse), ces pages confirment l’auto-proclamation : « ce livre est du soleil-langage enfermé dans un volume qui est un dé-tambour ». Heureusement, l’auteur n’a pas suivi l’exemple de Rimbaud, pour qui, selon Sollers, L’Histoire splendide fut le titre d’un projet de livre abandonné. Basquin, lui, a achevé son ouvrage, pour survivre en temps de peste, et continuer – on l’espère ! – à pester.
En attendant Nadeau, 11 mai 2022.
Ajouter au désordre du monde
« Je voudrais entreprendre un ouvrage en livraisons, avec titre L’Histoire splendide », écrivait Arthur Rimbaud, le 16 avril 1874, depuis Londres, à l’éditeur Jules Andrieu. Mais le poète n’ayant jamais mené à bien ce projet, c’est ce même titre qu’a choisi d’adopter aujourd’hui Guillaume Basquin pour son nouveau livre. Celui-ci, divisé en cinq parties d’inégale longueur, adopte une ponctuation minimale et se veut une sorte de Bible en état d’ébriété ; plagiant et pastichant à tout va...
Les lettres françaises, avril 2022.
ZOOM : cliquer sur l’image.
Pascal Payen-Appenzeller reçoit : Guillaume Basquin, écrivain, éditeur, pilote de ligne.
Thème : “Un écrivain à l’aventure”. RC, 15 avril 2022.
Les pages que nous propose Guillaume Basquin sont assez éloignées de la quantité pléthorique de roman dont les maisons d’édition nous accablent, surtout à la rentrée d’automne. Leur nombre augmente d’année en année et leur qualité, elle, a tendance à décroître.
Gérard-Georges Lemaire, 31 mars 2022.
ZOOM : cliquer sur l’image.
L’écrit fait masse
Sous l’égide implicite de Sollers qui fait mention d’un projet abandonné par Rimbaud où celui-ci aurait écrit “la véritable Histoire, littéralement et dans tous les sens”, Guillaume Basquin saisit la balle au bond pour créer un livre masse dont il définit le programme : “raconter de façon la plus polyphonique qui soit les desseins réels de l’Histoire”.
Et ce, sur plus de quarante siècles jusqu’à l’accident global du Covid. Cet “incident” tient plus de 80 pages finales dans ce corpus conçu en 5 épisodes.
Le livre prouve combien il est temps de lever la voix et le voile et comment le faire. La part la plus importante de livre est titrée “mille romans”. Elle rassemble un corpus majeurs de 1000 segments. Ils introduisent de la pensée dans la littérature postmoderne qui en manque cruellement.
De même que le “Au commencement” qui ouvre le livre dans un texte confession magistral qui n’est pas sans rappeler le “paradis” de Sollers.
En libre parcours entre fiction et imaginaire, Basquin écrit pour rattraper ce qui lui échappe. Il fait de son livre comme le demande Novarina “un exercice d’idiotie”. Le tout programmée par une intelligence et un savoir qu’il s’agit de jeter aux orties afin que le texte devienne un champ d’action de force vive.
Se retrouvent le familier et l’étrange, la force des choses et le hasard, la rue et l’art, la douche et le bronzage. Bref, le texte devient de la méditation philosophique et de la fiction poétique. L’auteur y émet des prolégomènes face aux conneries aux morts et devant les sonneries aux morts.
Mais, quoiqu’en dise Basquin, ses “conciliabules” ne se limitent pas à exorciser ses propres cauchemars. Il y va de la vie du monde et de ses avatars là où l’écriture détourne ou dissuade de toute assise. La seule issue reste d’écrire en portant à faux et en emportant la possibilité du fondamental.
Car ce qui est trahi par l’écriture, c’est l’écriture même — flèche visant le vide, tombant toujours trop tôt ou trop tard. Mais qui permet à tout discours de se poursuivre.
jean-paul gavard-perret, lelitteraire.com.
Mais depuis 1939, l’Histoire s’est encore enrichie, ou alourdie, ou fumée d’actes et de formules politiques, scientifiques, littéraires. De drames. Un sens ? Ce n’est pas certain. S’est déposée en tout cas une masse d’expériences, jusqu’à celle des fake news et du Coronavirus. Alors se pose à nouveau la question des livres et du Livre (Guillaume Basquin est l’auteur du (L)ivre de papier, paru en 2016).
Mallarmé, dans une « époque de transition », mettait à l’abri dans le Livre ses poèmes qu’il retirait de la circulation générale ; pour Anatole son fils il mettait en chantier un Tombeau. Et Guillaume L. Basquin, fils de Marc ? Il dépose composés dans L’Histoire splendide (titre emprunté à Rimbaud annonçant un projet de feuilleton) cinq « livres » et un épilogue, chacun ayant sa tonalité particulière. Quand vous en êtes à la question du livre (nous y sommes, et aussi, crucialement aujourd’hui, quant à l’avenir de l’édition), deux voies semblent s’offrir, celle de l’épure et celle du thésaurus. Basquin a opté pour le livre-somme, la compilation, où son tempérament libertaire fait feu de toutes boissons (avec deux millésimes de choix : la Terreur révolutionnaire et la crise du Coronavirus). S’isole-t-il ? Page 142 : « l’île est comme un tapis de terre volant en silence – mais où atterrir ? »
L’ouvrage de Guillaume Basquin procède par montage de « coupes ». La coupe est pleine ? Souhaite-t-il parfois qu’elle soit de lui éloignée comme le demanda le Christ ? Nous sommes souvent emportés par sa verve, à quelques moments peut nous prendre le sentiment de contempler un champ de ruines plus que l’hourra (Hopkins) des moissonneurs.
Sitaudis, 8 mars 2022.
Voici un nouvel extrait de L’Histoire splendide à paraître aux éditions Tinbad en mars 2022. C’est la fin du chapitre 3, « Terreur ». L’Histoire splendide est une fiction (roman ? poème en prose ?) parsemée de thèses, comme telles discutables, mais qu’on ne saurait lire en faisant abstraction de leur trame formelle. Il faudra en démêler l’écheveau (à tous les sens de ce mot : cf. écheveau). J’essaierai de le faire à la sortie du livre.
Crédit : Bibliothèque turbulente, 19 décembre 2021
Un nouvel extrait inédit du premier chapitre du prochain livre de Guillaume Basquin. LIRE ICI.