4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » ILS / ELLES ONT DIT » Delphine Horvilleur : Comment ça va pas ?...
  • > ILS / ELLES ONT DIT
Delphine Horvilleur : Comment ça va pas ?...

Suivi de « Le Kafka de Primo Levi » et « Etre juif, en France, aujourd’hui »

D 30 avril 2024     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Cet article est né de la collision fortuite du visionnage de l’entretien de Delphine Horvilleur sur son dernier livre « Comment ça va pas ? » dans l’émission C à Vous et de la lecture d’un intéressant dossier « A qui appartient KAFKA ? » dans « Quinzaines / Lettres, Arts et Idées’ » N°1259, avec entre autres cet article « Le Kafka de Primo Lévi ».

Ce qui me frappait : Trois personnes juives, à des époques différentes, dans des lieux différents donnaient chacun une vision de ce qu’était être juif dans leur époque et leur environnement : Delphine Horvilleur, femme et rabin, en France à notre époque, Primo Lévi en Italie, rescapé d’Auschwitz et traducteur (à reculons) du livre de Kafka, « Le Procès ». Joseph K. le personnage central du livre ne savait pas de quoi il était accusé : pourquoi lui et pas un autre ? Lévi, lui, ne savait pas pourquoi il avait survécu : pourquoi lui et pas un autre.

Franz Kafka, juif lui aussi, de langue allemande a vécu à Prague au début du XXe siècle avant la Shoah. Bien que membre d’une minorité plutôt bien intégrée, où s’exerçait un antisémitisme « ordinaire » venant d’une longue tradition ancestrale.

Confrontation de trois voix, disant chacune à leur façon : « Comment ça va pas ? » et cette question lancinante : « Pourquoi ? »

Sur le thème : « Etre juif aujourd’hui », ajout en final, suite aux manifestations propalestiniennes à Science Po et à la Sorbonne des réactions de trois autres figures juives d’aujourd’hui : Elisabeth Badinter, Anne Sinclair dont l’entretien pondéré mérite d’être écouté dans toutes ses dimensions, et Yvan Attal.

GIF

Delphine Horvilleur. Comment ça va pas ?


Grasset
21/02/2024
Broché ‏ : ‎ 160 pages
le livre sur amazon.fr

Fracassée comme tant d’autres après le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, l’auteur voit son monde s’effondrer. Elle dont la mission consiste à porter la souffrance des autres sur ses épaules et à la soulager par ses mots, se trouve soudain en état de sidération, impuissante et aphasique.

Dans la fièvre, elle écrit alors ce petit traité de survie, comme une tranche d’auto-analyse qui la fait revenir sur ses fondements existentiels.
Le texte est composé de dix conversations réelles ou imaginaires.

Ce livre entre en résonnance avec Vivre avec nos morts (puisqu’il s’agit ici, a contrario, de l’angoisse de mourir avec les vivants), avec Réflexions sur la question antisémite (puisque c’est le pendant personnel, intime et douloureux à l’essai plus intellectuel et réflexif) et à Il n’y a pas de Ajar (puisque la musique, le ton, la manière des dialogues oraux font écho à ceux du monologue théâtral).

Comme toujours avec l’auteur, le va et vient entre l’intime et l’universel, entre l’exégèse des textes sacrés et l’analyse de la société actuelle, entre la gravité du propos et l’humour comme politesse du désespoir, parvient à transformer le déchirement en réparation, l’inconfort en force, l’inquiétude en réassurance et le doute en savoir.

Delphine Horvilleur dans l’émission C à Vous

Delppine Horvilleur est une belle personne au physique et dans sa vie. : elle est juive, elle est rabin, a toujours œuvré pour le dialogue interreligieux et interculturel, son livre dit sa sidération et la difficulté d’être juif aujourd’hui, en France.

Delphine Horvilleur dans un entretien avec RCF Nice

Par Stèvelan Chaizy-Gostovitch
17 avril 2024, RCF Nice :

Pourquoi ce titre, "Comment ça va pas ?" pour votre ouvrage ?

Delphine Horvilleur : Et pourquoi pas ? (sourire). C’est un petit clin d’oeil à une blague juive. Une blague qui résume, avec humour, le tragique de l’existence. cette blague raconte ce qui nous est arrivé. Ce sont deux personnes qui se disent comment ça va ? - En deux mots ? - Ça va. - En trois mots ? -Ça va pas.

La vérité c’est que j’avais très mal après le 7 octobre. Ce que vous avez entre les mains n’était pas un livre au départ. Ne pouvant plus dormir la nuit, j’ai écrit un journal intime. Le langage était devenu impossible et j’ai écrit frénétiquement comme on cherche à s’appuyer sur un sol qui s’est dérobé. Et c’est devenu un livre. C’était pas du tout dans l’idée d’en faire un livre. Aucun autre titre ne collait à la fin.

S C-G : Vous ouvrez ce livre avec les mots d’un poète palestinien et vous le refermez avec les mots d’un poète israélien. Quel symbole !

D. H : Parce que les conversations me semblaient être devenues impossibles. J’ai écrit dix conversations les unes derrières les autres. Je n’ai aucune idée sur la rencontre de ces deux poètes de leurs vivants. Mais ce livre est le support de leur rencontre en un moment ou tellement de gens veulent nous faire croire que l’on a plus rien à se dire, que l’on est plus capable de se mettre à la place de l’autre.

Ce qui n’est pas faux ! Il y a tellement de gens qui ne sont plus capables de se mettre à la place de l’autre. Particulièrement là-bas, et je le comprends très bien. je parle au quotidien avec des gens sur place, des amis israéliens et palestiniens qui au cœur de cette guerre et de ces ravages n’arrivent plus à se mettre à la place de l’autre. Le temps n’est pas à l’empathie et je ne les jugent pas. Beaucoup d’entre vous ont vécu des deuils, on est alors dans un tel temps de dévastation que l’on ne peut pas sortir de son corps et se mettre à la place d’un autre.

Et si l’on aspirait à être une bougie dans le noir ?

j’ai donc voulu envelopper le livre des mots de ces deux poètes (Mahmoud Darwich et Yehuda Amichaï) pour créer un dialogue. Ces deux poèmes ont quelque chose à voir avec cette capacité à déplacer le regard, à se mettre à la place de l’autre. Mahmoud Darwich dit : "si seulement je pouvais être une bougie dans le noir" et je trouve que c’est une belle injonction : et si l’on aspirait à être une bougie dans le noir ? De son côté, Yehuda Amichaï recentre son regard sur l’humain. Il y a une invitation très poétique à la résolution de conflits.


ZOOM : cliquer l’image

 :

S C-G : Vous vous intéressez beaucoup aux mots...

D. H : Oui, cela me renvoie à un problème que j’ai entendu tellement souvent ces derniers mois avec certains mots de la langue française, comme par exemple... la conjonction de coordination "mais" que les gens utilisent de façon totalement abjecte. Exemple : "Oui, le 7 octobre, il y a eu un massacre terrible, mais..." "des enfants meurent à Gaza, mais..." "des roquettes pleuvent sur Israël depuis l’Iran, mais..."

Mais qu’est ce que c’est que c’est "mais" ? Pour dédramatiser, relativiser... c’est comme s’il fallait prendre l’habitude de remplacer un "mais" par un "et" : il y a la souffrance des uns et la souffrance des autres. Il n’y a pas de blancs et de noirs et de gentils et de méchants. Il y a des gens avec qui il faudra construire des ponts et ceux avec qui on ne parlera pas aujourd’hui ni jamais. mais les mots, c’est ce qui va nous permettre de grandir.

S C-G : Votre famille est omniprésente. Vous vous appuyez beaucoup sur elle ?

D. H : Je rencontre des trucs très personnels en effet. Ma famille était très présente à la fois les présents et les absents. Les fantômes et particulièrement mes grands-parents s’expriment. j’ai dans mon entourage, beaucoup de gens qui avaient une conversation avec leurs grands-parents et d’un coup surgissait ce que l’on voulait faire taire dans notre histoire familiale. La voix de ma grand-mère est devenue très forte après le 7 octobre. Quand on se sent menacé on a tendance à se replier sur les siens : c’est un drame politique. Les conversations familiales sont essentielles : je parle de comment je voulais préserver mes enfants, ne pas pleurer devant eux.

J’ai pris des pseudos pour réserver des taxis

Mon fils m’envoie une petite vidéo au foot. Il marque un but, il est super fier. Et moi je vois sur cette vidéo, son étoile de David qui virevolte à son cou. Il rentre à la maison, et je lui dis "je voudrais que tu l’enlèves pendant un petit temps" et il m’a pris dans les bras et il m’a dit "non, pas question" mais je me suis dit que ma génération n’aurait pas à vivre ça : j’ai grandi dans l’idée que le monde avait compris. J’ai pris des pseudos pour réserver des taxis ou au restaurant.

S C-G  : Quel avenir est promis à cet ouvrage ?

Je suis très touché de voir qu’il passe déjà largement de mains en mains bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. je pars bientôt au Proche-Orient, j’aurais l’occasion d’en parler avec les uns et les autres. Mais précisément parce qu’ils ne sont pas en état de se reparler, on a, à modeler, une capacité empathique. Il serait sympa d’avoir une émission ou l’on droit défendre l’argument de l’autre. Ce serait intéressant si c’est fait avec bonne foi.

Comment ça va pas ? - Conversations après le 7 Octobre - Delphine Horvilleur - Grasset

A propos de l’auteure

Femme rabbin appartenant à l’organisation juive libérale Judaïsme en mouvement, directrice de rédaction de la revue Tenou’a, Delphine Horvilleur est auteur chez Grasset de En tenue d’Eve : féminin, pudeur et judaïsme (2013), Comment les rabbins font des enfants : sexe, transmission et identité dans le judaïsme (2015), Réflexions sur la question antisémite (2019), Vivre avec nos morts (2021), Il n’y a pas de Ajar : monologue contre l’identité (2022)

GIF

Le Kafka de Primo Lévi

Extrait du dossier Kafka, Quinzaines, n° 1259 (25 mars 2024)

Lorsque-Kafka lisait""ses textes à voix haute, ses amis, hilares, se demandaient comment il avait pu inventer pareilles choses. Où diable était-il allé chercher ces histoires d’hommes-cafards jetés aux ordures ? Comment avait-il pu imaginer une cruauté aussi imbécile, aussi improbable ? En 194 7, lorsque Primo Levi publie le récit de sa détention à Auschwitz, Si c’est un homme, il clôt son introduction par cette phrase ironique : « Il me semble inutile d’ajouter qu’aucun des faits n’y est inventé ». Kafka par sa fiction et son traducteur Primo Levi par son récit se sont tous deux heurtés au même obstacle : l’incrédulité de leur public. Peut-être Levi craignait-il que ses lecteurs ne réagissent comme ceux de Kafka trente ans auparavant. Et que, faute de pouvoir imaginer « ce que l’homme, à Auschwitz, [avait] pu faire d’un autre homme », ils considèrent son récit comme une élucubration insensée .

Kafka semblait avoir traduit Levi par anticipation. On attendait qu’il lui rende la pareille en le traduisant à son tour

Kafka avait certes inventé ses récits de toutes pièces, mais son public le soupçonnait de verser dans l’ exagérément bizarre. Levi, qui, lui, n’avait rien inventé, était pareillement soupçonné d’ exagération. Les messieurs du Troisième Reich avaient doublement atteint leur objectif : la déshumanisation d’abord, la discréditation ensuite. Comme l’analysait Arendt, les nazis savaient que le succès de leur entreprise meurtrière résiderait dans le fait que « personne, à l’extérieur, ne pourrait y croire ». Le crime était parfait, car il fut conçu de telle sorte qu’il devienne inconcevable.

Aussi la première édition de Si c’est un homme, parue chez le petit éditeur turinois Da Silva, connut-elle les mêmes infortunes commerciales que les premiers écrits de Kafka : elle s’écoula à moins de deux mille exemplaires. Le témoignage de Levi et les écrits de Kafka avaient ceci de commun - et ainsi de dérangeant - qu’ils ne dépeignaient pas les machines à torturer, les condamnations et les exécutions nocturnes comme le contraire de la civilisation, mais comme son aboutissement.

Les ressemblances biographiques et bibliographiques étaient visibles mais agissaient sur Levi comme un repoussoir. En 1981, un an avant qu’il ne traduise Le Procès de Kafka en italien, Levi compile, à la demande d’un éditeur, une anthologie personnelle de tous les livres qui lui avaient appris « à dire je » Intitulé « La recherche des Racines » (La ricerca delle radici), le recueil fit mention de Conrad, Saint Exupéry, Rabelais. Pas une seule référence à Kafka. Au journaliste qui osa s’en étonner, Levi répondit que cet écrivain ne lui inspirait rien de plus qu’ « une répulsion ». Certes, Levi était juif, comme Kafka. Certes, il venait comme lui d’une famille assimilée et bourgeoise. Certes, la carrière de Joseph K., comme celle de Levi, fut interrompue par une arrestation arbitraire. Mais Levi n’en démordit pas : « [Kafka] écrit d’une façon qui m’est complètement étrangère ».

Un an après ces déclarations kafkosceptiques, soit en 1982, Italo Calvino, éditeur de la maison Einaudi, lui proposa de retraduire Le Procès. Retraduire, oui, car Levi ne serait pas le premier traducteur de Kafka en italien, mais le troisième. Une première traduction fut réalisée par Albert Spaini, en 1933, et publiée par l’éditeur Franco Antonicelli. Le même Antonicelli, propriétaire de la maison Da Silva, qui publia la première édition de Si c’est un homme en 1947. Cette première parution du Procès passa quasi inaperçue. Il faut dire qu’en 1933, le moment était mal choisi. Une deuxième traduction avait été signée par Giorgio Zampa en 1973.
Quel besoin y avait-il de commander une troi¬sième traduction ? Plusieurs. L’opportunisme, d’abord. Calvino inaugurait avec ce projet une nouvelle collection chez Einaudi : Scrittori tradotti da scrittori ( des écrivains traduits par des écrivains). Les tandems, prestigieux, étaient présentés comme des évidences : Levi traduirait Kafka, Magris traduirait Schnitzler, Tabucchi traduirait Pessoa ; Pasolini traduirait Eschyle et Umberto Eco traduirait Nerval. Chaque traduction avait le potentiel de saisir l ’œuvre originale comme jamais elle ne l’avait été auparavant. La proposition de Calvino permettait aussi de se rattraper de la faute commise par la maison Einaudi qui, trente-cinq ans plus tôt, avait refusé le manuscrit de Si c’est un homme en 1947.

Les problèmes d’identité de Kafka et l’antisémitisme

Kafka est un écrivain austro-hongrois de langue allemande et de religion juive, d’origine bourgeoise et plutôt bien intégré dans la société pragoise de son temps. A-t-il souffert de l’antisémitisme « ordinaire » alors en vigueur ? Le point de vue de Reiner Stack, son biographe le plus éminent :

[…] Tout indique dans ses journaux qu’il a rencontré assez tôt des problèmes d’identité, et ce problème provient très certainement de la position précaire des Juifs. Tout le monde savait – ou pensait savoir – ce que cela voulait dire que d’être un “Allemand” ou un “Tchèque”, mais un Juif ? Il y avait des Juifs de l’Est et de l’Ouest, des orthodoxes, des libéraux et des sionistes, et même parmi ces derniers, il y avait plusieurs factions. Kafka ne savait tout simplement pas à quoi il appartenait. C’est aussi la raison pour laquelle il s’intéressait tout le temps aux biographies et aux autobiographies : il voulait savoir de quelle façon les autres résolvaient cette question. C’est seulement vers la fin de sa vie, quand les Tchèques sont devenus de plus en plus agressifs envers les Juifs allemands, que Kafka s’est profondément impliqué du côté de la culture et de la langue juives, en réaction donc à l’antisémitisme. Mais il était déjà trop tard pour émigrer en Palestine, ce à quoi il avait pensé un certain temps. Sa tuberculose était déjà trop avancée.
Reiner Stack
Les Inrocks, 3/11/2023

Le casting, ensuite. Levi menait une réflexion sur la traduction depuis des décennies. À Auschwitz, qu’il décrivait comme un enfer babélien à ciel ouvert, il traduisait pour les détenus qui ne comprenaient ni l’allemand ni les ordres beuglés. Au retour d’Auschwitz, Levi s’était appliqué à traduire l’indicible monde concentrationnaire. Dans les années 1960, il avait collaboré avec son traducteur allemand sur l’édition de Si c’est un homme en allemand. Levi était l’homme de la situation, pensait-on chez Einaudi, car, en dépit de son hostilité, il semblait avoir vécu, et survécu à un monde entrevu par lui. Kafka semblait avoir traduit Levi par anticipation. On attendait qu’il lui rende la pareille en le traduisant à son tour. Levi accepta la proposition.

Il s’attela à la traduction du Procès pendant un an, à partir de l’été 1982. Un traducteur, écrit-il dans son essai consacré à la traduction (Le Métier des Autres), « est celui qui essaie de limiter les dégâts de la malédiction de Babel ». Autrement dit, le traducteur ne fuit pas devant l’étrangeté : il l’apprivoise.

Or, en traduisant les péripéties de Josef K., Levi ne rencontra pas un étranger, mais lui-même. Son double, en somme. Un double qui le suivait pas à pas, page à page, et mot à mot.

Un mot, en particulier, revient à la bouche de Joseph K. tout au long de son procès et à celle de Primo Levi tout au long de sa captivité : « pourquoi ». A chaque « pourquoi », les deux hommes reçoivent immanquablement cette même réponse de la part de leurs geôliers : « Ici, il n’y a pas de pourquoi ». Le pourquoi du scientifique se confondait chez Levi avec le pourquoi de Job. Chez Kafka, le pourquoi du juriste se confondait aux pourquoi qu’un enfant ahuri adresse à ses parents. Joseph K. ne savait pas de quoi il était accusé : pourquoi lui, et pas un autre ? Levi, lui, ne savait pas pourquoi il avait survécu : pourquoi lui, et pas un autre ?

La traduction fut éprouvante, comme on le dit d’une longue maladie. « C’est un livre pathogène », répétait-il aux journalistes lors de la parution. Levi comprit pendant la traduction, ou grâce à elle, la raison de son hostilité initiale vis-à-vis de Kafka. Celle-ci n’était pas d’ordre littéraire ou esthétique, mais physique. « Mes défenses se sont écroulées en le traduisant », avoua-t-il. Le tête-à-tête avec Kafka avait fait s’écrouler les cloisons que Levi avait érigées entre Turin et Auschwitz ; entre sa vie d’homme et sa vie de non-homme. Cet écroulement le replongea dans une profonde dépression dont il ne parvint plus à s’extirper. Il mit fin à ses jours le 11 avril 1987.

Joseph K. ne savait pas de quoi il était accusé : pourquoi lui, et pas un autre ? Levi, lui, ne savait pas pourquoi il avait survécu : pourquoi lui, et pas un autre ? -

A propos de l’auteure
Diplômée de l’université de Cambridge, Maïa Hruska publiera Dix versions de Kafka, son premier essai, en septembre 2024 aux éditions Grasset.

GIF

Etre juif aujourd’hui avec Elisabeth Badinter, Anne Sinclair, Yvan Attal

26 avril 2024. Blocus de Sciences-Po : « Une jeunesse déterminée à virer les sionistes »

RÉCIT. L’essayiste et journaliste Noémie Halioua s’est infiltrée parmi les étudiants de la rue Saint-Guillaume. Elle raconte les propos qu’elle a entendus, la haine antijuive qui s’y exprime et la mobilisation des députés de La France insoumise, venus s’opposer aux forces de l’ordre.

Noémie Halioua 27/04/2024


Blocage de Sciences Po vendredi 26 avril.

26 avril 2024, Paris, Quartier latin. C’est un vendredi frisquet où dénotent quelques rayons de soleil. Depuis plusieurs jours, une poignée d’étudiants de Sciences Po Paris usent de la réputation de la célèbre école de formation des élites pour engager une croisade contre Israël. L’établissement de la rue Saint-Guillaume est pris en otage par des militants virulents qui veulent importer la guerre Israël-Hamas qui coure depuis le pogrom du 7 octobre. Ils veulent notamment que l’école coupe ses partenariats en cours avec les universités israéliennes. Aidés par des « camarades » venus de l’extérieur, ils ont d’abord tenté d’investir durablement les locaux avant de bloquer les portes de l’établissement avec des poubelles et des sommiers de lit. Leur action est retransmise en direct sur les chaînes d’informations en continu que certains ne lâchent pas des yeux depuis leur téléphone. Les éditorialistes commentent quand les protagonistes se regardent agir en se disant peut-être : nous écrivons l’histoire.
Au cœur de l’après-midi, la militante franco-syrienne Rima Hassan débarque avec, comme toujours, le sourire belliqueux de celui qui croit en son destin. Elle est accueillie comme une rock star, aux cris de « Rima, Sciences Po est avec toi » et appelle sur Twitter le public à rejoindre ce « soulèvement », dans une publication vue plus de 800 000 fois.

Elle danse, rit en frappant des mains, reprend le slogan palestinien « From the river to the sea », « de la rivière à la mer », une injonction à jeter 6 millions de Juifs israéliens dans la Méditerranée.
Personne ne s’en émeut, les « sionistes » sont perçus comme le cancer de l’humanité traditionnellement dans le monde arabe, mais aussi ici, au cœur de Paris. J’entends une fille qui s’exaspère, elle n’en peut plus d’eux, il est urgent de combattre « les sionistes », usant de ce substitut de langage qui désigne les Juifs.

Le JDD

Elisabeth Badinter, Anne Sinclair, Yvan Attal

Ces trois figures publiques, toutes trois juives réagissent aux manifestations pro-palestiniennes, antisionistes en France
Elisabeth Badinter et Anne Sinclair dans l’emission C à Vous du 29 avril
Yvan Attal sur Radio J

Le 24 janvier dernier, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) indiquait que le nombre d’actes antisémites recensés en France a bondi à 1 676 lors de l’année 2023, contre 436 l’année précédente, avec une explosion depuis l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre.


« Face à ce qu’il se passe
je suis à la fois consternée
et en colère »

*

« Cet antisionisme est
une autre façon de dire antisémitisme »

Anne Sinclair
C à vous 29/04/2024

Le livre « 07 OCTOBRE » évoqué lors de l’entretien qui vient d’être publié chez Grasset.

07 OCTOBRE

Lee YARON

Grasset
24/04/2024

368 pages
le livre sur amazon.fr

Le 7 octobre 2023, le Hamas lance une attaque sans précédent contre Israël. Des civils sont massacrés, torturés, violés, brûlés ou enlevés, lors de cette journée la plus meurtrière pour le peuple juif depuis la Seconde Guerre mondiale.
. Afin de donner un visage à ces femmes, ces hommes et ces enfants, Lee Yaron a écrit leur histoire. La journaliste israélienne recueille chaque détail de cette tragédie pour restituer la violence inouïe qui s’est déchaînée ce jour-là. S’appuyant sur des centaines d’entretiens, de transcriptions d’appels et de messages échangés – précédant parfois l’horreur de quelques secondes –, ce livre est la première grande enquête publiée sur cette journée noire., 7 octobre dresse un bouleversant mémorial pour les victimes de ce massacre.

Traduit par Colin Reingewirtz et Laurent Trèves.

Yvan Attal, dimanche 28 avril sur Radio J


Yvan Attal sur Radio J, le 28 avril 2024 © Capture d’écran - Radio J

« Depuis le 7 octobre, c’est une orgie d’antisémitisme dans les facs et de tous les côtés ». Selon lui, il est aujourd’hui « pesant d’être juif » : « Je ne peux plus partager des choses avec d’autres Français parce que je sais qu’à des endroits on veut me couper la tête.

oOo

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


2 Messages

  • Albert Gauvin | 2 mai 2024 - 23:44 1

    J’écoute la radio (France Culture ce matin), je regarde la télé (arte 28’ ce soir où s’exprimait une représentante excitée de "Révolution permanente") : on ne parle que de ça. La jeunesse des universités américaines, et maintenant françaises - les élites de demain ! - luttent contre le "génocide" (sic) des Palestiniens par l’Etat d’Israël et réclame le boycott de ses universités. J’ai suffisamment dit ce que je pensais - comme d’ailleurs des milliers d’Israéliens qui manifestent depuis des mois - de la politique réactionnaire du gouvernement Nétanyahou pour ne pas y revenir (voir, entre autres, article dans le lien ci-dessous). Mais : questions : où était-elle donc cette jeunesse "progressiste" occidentale lors des massacres perpétrés par l’Etat syrien d’Assad contre son propre peuple et alors que 160000 Palestiniens étaient contraints de fuir le pays (et 5000 délibérément torturés ou massacrés) ? Où est-elle lorsque la Russie poutinienne massacre les populations civiles en Ukraine (peut-être avec des armes chimiques, il est trop tôt pour le dire avec certitude) ? Qu’ont-il dit les leaders "progressistes" de LFI ? Qu’en pensent ceux qui ont voté pour eux (qui, parfois, se réclament de la pensée de Guy Debord, un comble) ? La réponse est simple. Elle est clairement exprimée par cette phrase du poète palestinien Mahmoud Darwich qui disait aux juifs : « Savez-vous pourquoi nous sommes célèbres, nous autres Palestiniens ? Parce que vous êtes nos ennemis [...] Si nous étions en guerre contre le Pakistan, personne n’aurait entendu parler de nous. » (cité par Delphine Horvilleur dans "Comment ça va pas", Grasset, p. 112). Et je repense à cette autre phrase de Ph. Sollers de janvier... 2004 : « Le phénomène actuel, c’est évidemment l’antisémitisme dû au conflit israélo-palestinien, relayé par ce qu’on appelle les idéologies progressistes. »

    LIRE : Que disait Sollers il y a vingt ans ?.


  • Albert Gauvin | 2 mai 2024 - 12:20 2

    Delphine Horvilleur et Kamel Daoud : en parler autrement

    La tragédie dans laquelle est plongé le Proche-Orient depuis le 7 octobre fracture notre société. Fidèle à sa mission de décryptage et de débat intellectuel, Sciences Po a invité la rabbin Delphine Horvilleur et l’écrivain Kamel Daoud à s’interroger sur les conditions du dialogue, à apporter leurs éclairages sur la place et le sens des mots et à échanger avec la communauté étudiante.

    Redécouvrez le replay vidéo de cette rencontre du 28 mars 2024, ainsi que les discours prononcés par nos deux invités.