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Avec le départ de Donald Trump, la revue "America" a perdu sa raison de vivre et se fait hara-kiri.

D 26 janvier 2021     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

« AMERICA », QUATRE ANS ET PUIS S’EN VA

Fin de la publication de la revue trimestrielle lancée en mars 2017.


Donald Trump quittant la Maison Blanche, mercredi.Photo Brendan Mcdermid. Reuters<
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America,adieu. Le nouveau numéro est en même temps le dernier, comme prévu lorsque la revue trimestrielle a été lancée, en mars2017, par François Busnel et Eric Fottorino. Il s’agissait, rappelle l’animateur de laGrande Librairie dans son ultime éditorial, « de raconter l’histoire du mandat Trump jusqu’à ce que la Maison Blanche accueille un nouveau locataire. Puisque c’est chose faite, America perd sa justification ». Le numéro 16 est paru le jour de l’investiture de Joe Biden. Pour l’occasion, le tirage est monté à 77 000 exemplaires, « environ 15 000 de plus que d’habitude », indique le rédacteur en chef, Julien Bisson. Achete rAmerica aura été la modeste contribution anti-Trump des lecteurs français, qui se sont fait, par la même occasion, une idée de ce que la littérature américaine propose de meilleur aujourd’hui.

Comment remettre les conteurs à zéro ?

Tel est l’enjeu, à présent, pour les écrivains, dit en substance Colum McCann, longuement interviewé. Il dit qu’il ne sait plus quelle histoire raconter qui fasse« un peu bouger les choses ». L’entretien commence sur un constat pessimiste :« En quatre ans, l’atmosphère intellectuelle s’est incroyablement dégradée dans ce pays. » Il ne s’agit pas seulement des dégâts causés par Trump. « Il faut être lucide : nous vivons actuellement dans deux pays différents. L’un est rouge, républicain ; l’autre est bleu, démocrate. Ces deux pays ne se comprennent plus. Ils ne se parlent même plus. »Colum McCann espère de nouvelles écritures, de nouvelles voix, l’apparition de « quelqu’un qui vienne d’ailleurs, qui regarde ce pays et le revigore entièrement ». Il dit aussi « chercher la forme qui s’adaptera au désordre », non le désordre de l’anarchie, mais celui qui naît lorsque la jeunesse bouscule le pouvoir établi. Enfin Colum McCann, qui demeure « un écrivain irlandais », se méfie de ce que le romancier d’origine coréenne Chang-Rae Lee appelle plus loin dans ce numéro « l’identité américaine » : « Etre américain signifie, en ce moment, être tourné vers l’intérieur. »

Le tigre a-t-il ducœur ?

Voici dix pages de dessins. Confinée dans un studio mal chauffé, la géniale Emil Ferris s’est laissée tenter par une publicité, elle s’est procuré « un tigre androïde », superbe, très grand. N’hésitant pas à la dépense, elle a pris l’option « griffes rétractables »,les yeux qui s’allument dans le noir, et, surtout, elle a choisi le modèle qui parle. Chaque soir, ils lisent Harry Potter allongés sur le lit, et tout se passe bien, même si le tigre manque d’empathie : « Je suis désolé de ne pas pouvoir être désolé. » Un jour, Ferris entend du bruit dans la cuisine. Le tigre est tombé sur une machine à remonter le temps. Vous verrez, il est question de Trump.

Et maintenant ?

Aucune illusion à avoir. Il n’y aura pas de numéro 17. Mais on peut relire toute la collection, en commençant par la fin, par ce dernier tome à peu près inépuisable. Il comprend, entre autres textes, une lettre de J.M.G. Le Clézio et une nouvelle inédite d’Hemingway, un point de vue de Tiffany McDaniel (l’autrice de Betty), et un long récit (les Américains préfèrent parler d’« essai ») signé Richard Russo qui part du divorce de ses parents pour analyser la manière dont on raconte actuellement le divorce de la société américaine.

Claire Devarrieux
Libération-, 22 janvier 2021

Revue America
Hello… Goodbye America et le1, 218 pp., 19 €.