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La Présidente tome 3 : La Vague

D 30 mars 2017     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

« L’autre jour, j’entendais un type qui a fait une BD consacrée à Marine Le Pen devenue présidente. Il paraît que ça choque beaucoup. On l’interroge, tout le monde, on lui demande s’il ne pense pas qu’on parle trop du Front National, et lui répond simplement : "Je vous parle juste de ce qui est en train d’arriver". »

Ph. Sollers, Contre-attaque, Grasset, 2016, p. 102.

François Durpaire
Farid Boudjellal

ISBN : 2352045886
Éditeur : Les Arènes (22/03/2017)

Donald Trump, Brexit, affaire Fillon, marasme économique et risque d’abstention : jamais le contexte n’a été aussi favorable à Marine Le Pen. Les sondages la donnent perdante au second tour ? Rien n’est moins sûr. Car ce sont ceux-là même qui, il y a peu de temps, voyaient Clinton, Juppé et Valls vainqueurs. À quelques jours d’une élection décisive pour la France, les auteurs du best-seller La Présidente proposent un troisième tome qui envisage les moyens de résister à la vague nationaliste qui menace les sociétés occidentales. Sortir du déni d’une victoire possible de Marine Le Pen, envisager lucidement les conséquences de cet événement pour la France, l’Europe et le monde, sont les objectifs de cette science-fiction civique qui a déjà touché 500 000 lecteurs.

Interview de l’historien François Durpaire.

France Culture, 30 mars 2017.

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« La Présidente » tome 3 :
faut-il attendre le reflux d’une vague humaniste ?

Dans une campagne présidentielle où les affaires ne sont que l’iceberg d’un système politique sclérosé et à quelques jours de l’élection présidentielle française, l’universitaire François Durpaire, le dessinateur Farid Boudjellal et leur éditeur Laurent Muller, véritables lanceurs d’alerte, publient aux éditions Arènes BD-Démopolis le tome 3 de La Présidente. Une BD, plus exactement un livre graphique intitulé « La vague ». Le succès de tome 1 et 2 – « La Présidente » et « Totalitaire » – diffusés à plus de 500 000 lecteurs nous éclaire sur l’inquiétude collective face à une élection présidentielle 2017 dont l’issue est rien moins qu’incertaine.

Depuis ces deux publications, tandis les évènements se sont précipités et que nos démocraties ploient sous le double choc des attentats terroristes et de la gestion sécuritaire du vivre-ensemble, les affaires secouent la campagne et obèrent toute réflexion. Nous n’avons jamais tant eu besoin de démocratie participative. Dans un contexte de mondialisation, « la peur est le chantage du pouvoir », selon la formule de Bernard Lavilliers dans son dernier album Pouvoirs. Allons-nous entendre la politique-fiction que les auteurs proposent à notre réflexion ?

L’originalité de cette bande dessinée d’un genre nouveau – une sorte d’histoire du temps futur – est d’appliquer une méthodologie historique puis de mettre l’imagination en action. La mécanique est bien rodée et les ressources sont connues : une enquête dense, une connaissance approfondie des mécanismes de pouvoir au sein du front national, une bonne connaissance des mécanismes médiatiques et géopolitiques. Le projet est de faire une pause et de penser le monde contre l’immédiateté des médias et d’un flux d’informations constant.

Une déflagration sans précédent

Dans le tome 1 de ce récit de politique-fiction, les auteurs imaginaient que le 7 mai 2017 Marine Le Pen devienne la huitième présidente de la Ve République. Le dessin très réaliste et la plume acérée de l’analyste du monde politique faisaient mouche : ils déroulaient pas à pas les conséquences potentielles de cette élection. Ce qui semblait politiquement inimaginable lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 devait être aujourd’hui non pas envisagé – ce serait performatif et « normaliserait » la possibilité – mais affronté avec des arguments. Cette victoire d’une candidate, incarnant le repli monoculturel et la peur de la différence, aurait des conséquences économiques, diplomatiques, politiques, etc.


La Président, tome 1. Les Arènes.
Zoom : cliquez l’image.
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Tout électeur doit y réfléchir et pour cela, savoir ce qui se passerait si…

Le récit n’y était pas caricatural : il appliquait à la lettre le programme du Front national dont il cite d’ailleurs des extraits reproduits à l’identique. C’est là l’intérêt que de partir de ce qui était réellement proposé et de décrire les cent jours de Marine Le Pen à l’Élysée en mobilisant le substrat politique du FN, au travers de son histoire. La fiction est nourrie des conseils d’une équipe de spécialistes des questions politiques et économiques qui permettent d’extrapoler avec réalisme les enchaînements possibles de l’arrivée du Front national au pouvoir.

Mais le bilan virtuel du premier quinquennat Le Pen tient aussi, pour les deux auteurs, aux ouvertures sécuritaires que les quinquennats précédents ont offertes. Des bracelets électroniques et de la mise en résidence surveillée proposés pour tous les fichés S par Nicolas Sarkozy au décret du 6 avril 2016 autorisant le dispositif de reconnaissance faciale inauguré sous François Hollande, de l’état d’urgence prolongé aux centres de rétentions ou aux couvre-feux locaux, le terrain sécuritaire est déjà en place avant 2017.

Et les auteurs de conclure : « Maintenant vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas… » et d’égrener les conséquences économiques, politiques, géopolitiques des premières mesures : sortie de l’euro, expulsions massives, fichage des enfants maghrébins, mise en œuvre de la priorité nationale, surveillance généralisée via les nouveaux outils numériques

Faudra-t-il attendre deux quinquennats bleu marine ?


La Président, tome 2, « Totalitaire ».
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Dans le tome 2, nous voici à la fin du premier mandat, en 2022, après un quinquennat bleu marine et le lecteur de mesurer quel est alors l’état de la France et du monde. Quand la nouvelle campagne s’ouvre, un candidat-surprise issu de la société civile émergeait, autour duquel s’organisaient des résistances. Les sondages de ce candidat sont meilleurs que ceux de la Présidente. Mais pourrait-il seulement s’exprimer ? La France de 2022 serait-elle totalitaire ? Quelles modalités claniques d’exercice du pouvoir seraient mises en actes ? Comment Marion Maréchal-Le Pen s’opposerait-elle à sa tante ?

Aujourd’hui, le progrès des technologies de surveillance offre des moyens inégalés de contrôle : systèmes de surveillance électronique, puces intégrées dans tous les objets connectés, robots, système de géolocalisation, contrôles automatisés de toutes nos communications. Nous sommes bien loin du 1984 d’Orwell et des totalitarismes du XXe siècle et ces moyens seraient utilisés à grande échelle.

Lors d’un débat télévisé avec Manuel Valls, en 2022, Marine Le Pen aura ce propos : « Vous me parlez de responsabilité, vous qui vous contentiez de faire voter des lois alors que moi je les applique. » Les évènements vont alors s’accélérer à l’échelle du monde, un nouveau président américain, de nouvelles alliances, une géopolitique mondiale explicite. À Paris, à Berlin, à Madrid, des places seront occupées, des villes de la fraternité émergeront, mais une nouvelle présidente veille qui veut éduquer « un citoyen nouveau ». Le candidat-surprise sera emprisonné et Marion Maréchal Le Pen élue à son tour.

Se mettra en place, dans le tome 3, un scénario national et international digne des thrillers les plus noirs d’alliances entre Trump, Poutine et Le Pen. Une vague humaniste prendra-t-elle le relais ? Telle est la question de ce dernier tome.

À quelques semaines d’une élection décisive pour la France, au moment où une vague nationaliste submerge les sociétés occidentales, ce tome 3, ultime volet de la série La Présidente, en appelle à une autre démocratie et à une citoyenneté étendue. Faudra-t-il vivre deux quinquennats totalitaires pour oser penser autrement ? Les digues sont fragiles, probablement aussi parce les murs sont en chacun de nous comme nous l’apprend Alexandro Jodorowky dans « la danse de la réalité ».

Plusieurs lectures de série de cette science-fiction graphique qui met au jour les ressorts cachés du politique sont possibles : la critique d’un totalitarisme en marche sous la montée du Front national, la montée des replis nationalistes, l’annonce de la fin d’une génération politique qui gouverne à courte vue, ou plus fondamentalement – lecture que je choisis – la mise au jour de l’échec d’un système où les professionnels de la politique professionnelle s’approprient les postes de pouvoir et les bénéfices induits sans laisser aucune place aux civilités infra- et supra-politiques qui fondent le Politique.

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