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Karl Payer : Lettre ouverte au professeur Peter Trawny

D 10 juin 2015     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le site Agoravox publie sous le titre « Etude des “cahiers noirs” » de « Heidegger » la traduction par Joseph Plichart de

Karl Payer : Lettre ouverte au professeur Peter Trawny, éditeur des Réflexions II-XV (Cahiers noirs 1931-1941) de Martin Heidegger et auteur du livre Heidegger et l’antisémitisme.

Cher monsieur Trawny !

C’est avec beaucoup d’intérêt mais aussi un grand saisissement que j’ai lu votre livre Heidegger et l’antisémitisme. De même ce que vous avez écrit sur „Heidegger et les Juifs“ dans les deux postfaces aux tomes 95 et 96 de l’œuvre intégrale de Heidegger que vous venez d’éditer („Réflexions VII-XI“ et „Réflexions XII-XV“) m’a plongé dans la stupéfaction.

Heidegger est depuis longtemps suspecté d’avoir été jusqu’au bout national-socialiste et d’avoir eu une pensée national-socialiste. Ce qu’il a lui-même dit et écrit à ce sujet, on n’y accorde aucun crédit. Avec la publication des Réflexions, cette suspicion n’a plus guère lieu d’être. Pourtant elle persiste – inconsciemment tout au moins – comme le montre dans votre postface aux carnets noirs de 1938/39 la juxtaposition des expressions „déclarations sur le judaïsme“ et „interprétation de la vie quotidienne sous le national-socialisme“. Je vous cite : „L’arrière-plan de ces déclarations sur le judaïsme et de l’interprétation de la vie quotidienne sous le national-socialisme est de toute évidence constitué par toutes ces pensées que nous connaissons grâce aux traités sur l’histoire de l’être que Heidegger rédige à la même époque (…)“[1] – Comme si les propos de Heidegger sur le national-socialisme n’étaient qu’une critique superficielle des manifestations quotidiennes de celui-ci et ne témoignaient pas d’une opposition fondamentale au national-socialisme lui-même, c’est-à-dire à son essence.

Quand l’éditeur scientifique des Réflexions de Heidegger „détecte“ dans celles-ci des pensées antisémites, réelles ou supposées, et présente au grand public – lequel n’a, en général, lu aucun ouvrage de Heidegger – comme „antisémites“ des phrases sorties de leur contexte (et de la „réflexion“ qu’elles requièrent), et va même pour cela jusqu’à forger sa propre terminologie (p. ex. „antisémitisme inscrit dans l’histoire de l’être“), alors le débat autour de Heidegger comme homme et comme philosophe prend une nouvelle dimension.[2]

C’est pourquoi j’aimerais dans le cadre de ma confrontation personnelle avec l’œuvre de Heidegger prendre position par rapport aux thèses que vous énoncez et les mettre en parallèle avec mes propres réflexions.

La question qui nous préoccupe ici est de savoir d’une part si la manière dont vous présentez et interprétez la pensée heideggérienne est conforme à celle-ci ou bien si elle n’est qu’un procès d’intention – et d’autre part si mes considérations introduisent dans sa pensée quelque chose qui ne s’y trouve pas du tout ou bien si elles y sont conformes. Autrement dit : mon propos est de savoir si votre présentation doit s’entendre comme une destruction ou une déconstruction. Dans le premier cas, Heidegger serait effectivement un antisémite, dans l’autre ce que vous appelez antisémitisme inscrit dans l’histoire de l’être serait quelque chose que vous avez „inventé“ à l’occasion de votre confrontation avec Heidegger, tout comme Heidegger a „inventé“ sa pensée historiale en se confrontant aux œuvres des grands philosophes et à Hölderlin.[3] Il y a bien sûr la possibilité qu’aussi bien mon interprétation que la vôtre soient aux antipodes de sa pensée. Il se peut que nous contaminions tous deux cette pensée avec des idées qui lui sont étrangères. Lire la suite...

La lettre ouverte de Karl Payer en pdf (version corrigée que Joseph Plichart a envoyé à Pileface).