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François Cheng, Cinq méditations sur la mort

D 15 octobre 2013     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

A lire absolument.

Comme ses Cinq méditations sur la beauté, ce texte de François Cheng est né d’échanges avec ses amis, auxquels le lecteur est invité à devenir partie prenante. Il entendra ainsi le poète, au soir de sa vie, s’exprimer sur un sujet que beaucoup préfèrent éviter. Le voici se livrant comme il ne l’avait peut-être jamais fait, et transmettant une parole à la fois humble et hardie.

Il n’a pas la prétention de délivrer un « message » sur l’après-vie, ni d’élaborer un discours dogmatique, mais il témoigne d’une vision de la « vie ouverte ». Une vision en mouvement ascendant qui renverse notre perception de l’existence humaine, et nous invite à envisager la vie à la lumière de notre propre mort. Celle-ci, transformant chaque vie en destin singulier, la fait participer à une grande Aventure en devenir.

Lire un extrait :

Albin Michel.

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Alain Veinstein reçoit François Cheng

Du jour au lendemain, 12 février 2014

L’âme et l’esprit.
La mort et la vie.
Le Tao, la voie.

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François Cheng - La Grande Librairie du 28 novembre 2013

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Partir de la fin

par Bruno Frappat

Chaque phrase de François Cheng, chaque poète dont il cite les oeuvres, de Shelley à Rilke, soutient une méditation apaisante, à lire au grand calme du soir.

La mort est le seul sujet qui nous taraude tous. Car nul n’y échappera et nul ne peut s’abstraire d’y réfléchir. Notre mort, qui viendra à son heure, cette certitude au calendrier aléatoire. Celle des autres, qui nous plonge dans l’affliction et dont il faut nous relever (« faire son deuil »). La mort, même, de l’univers entier, car le cosmos où nous ne sommes, comme disait Pascal, qu’un « ciron », finira dans une écrasante apocalypse de lumière. Ainsi que toute notre oeuvre, et tout le tremblement de nos pauvres « créations » temporaires. Dans une annulation de tout souvenir de nos vies éphémères.

Sauf les buses matérialistes qui ne voient la vie que du côté des plaisirs, des moments d’excitation, des soucis de domination et d’accumulation, aucun être humain, dès lors qu’il est né, n’est en mesure de passer à côté du sujet. Depuis que les hommes sont là, donc depuis qu’ils se savent mortels, ils s’interrogent. Ils se demandent comment surmonter le mystère de cette disparition finale. Ils tentent de deviner l’après  : néant ou éternité  ? Nul défunt ne peut les y aider car personne n’est jamais revenu de l’autre côté du rideau pour raconter comment cela se passe.

Restent, pour nous accompagner sur le chemin des doutes et des questions, les philosophes, les poètes, les mystiques, les religions. Point de réponse définitive, qui fasse l’accord de tous. Cela se saurait  ! Mais des tentatives, des approches, des méditations, des flottements de l’esprit et des frôlements de l’âme. C’est que la mort n’a pas à se démontrer ni à se démonter, comme un mécanisme d’horlogerie. Elle est là... de toute éternité. S’en détourner serait vaine magie, s’affoler de son caractère inéluctable serait paralysant. Il faut penser la mort. Sans s’imaginer que nous lèverons totalement les doutes.

Le dernier petit livre de François Cheng, qui nous avait donné il y a quelques années le magnifique essai intitulé Cinq méditations sur la beauté, succès de librairie considérable, s’attaque cette fois à partie encore plus redoutable avec ses Cinq méditations sur la mort. Il le fait à sa manière habituelle qui est de conversation plus que de cours magistral, de succession de remarques de bon sens, de citations ou de sensations. Cela donne un livre d’une incroyable profondeur, sans pour autant que l’auteur ait la prétention de faire le tour d’un sujet qui épuise assez vite les ambitions de la connaissance humaine.

L’originalité de François Cheng — qui sait bien qu’il n’est pas le premier à avoir choisi ce redoutable sujet de méditation — est double. D’abord dans la manière d’aborder la question, en retournant la réflexion, en partant de la fin, de la mort, pour y lire une manière d’éclairer ce qui l’a précédée, à savoir la vie. La mort envisagée — « dévisagée », écrit-il —, dans son rapport à la vie, comme élément de celle-ci, moment de celle-ci, dans un continuum d’existence. Il n’y a pas de sa part lecture désespérée de l’« absurde » ou du « scandale » mais positionnement serein de la mort dans un processus de continuité, en somme d’éternité de la vie. La mort valorise la vie, don suprême.

Pour l’aider dans cette sagesse, car François Cheng, à l’âge qui est aujourd’hui le sien (il est né en 1929), est en mesure de savoir que les échéances se profilent à l’horizon, pour l’aider, donc, il bénéficie de la double culture qui est la sienne entre la sagesse chinoise de la voie, par le taoïsme, puis le bouddhisme, associée à la culture judéo-chrétienne et « christique » qui est la sienne depuis son installation en France il y a quatre décennies. Ces cultures ont en commun de tracer un sens, à la vie comme à la mort. Toute vie est comme un fruit qui, ayant mûri, finit par tomber sur le sol où il va devenir l’agent d’une renaissance, d’une résurrection. Rien ne s’achève donc.

Chaque phrase de François Cheng, chaque poète dont il cite les oeuvres, de Shelley à Rilke, soutient une méditation apaisante, à lire au grand calme du soir. Quand le lecteur s’arme d’un crayon pour cocher les formules qui lui agréent, le font rêver ou espérer, il ne tarde pas à se rendre compte qu’il pourrait tout souligner  ! C’est le propre d’un grand livre (même si petit par la taille) d’entraîner le lecteur dans les chemins de l’évidence  : mais oui, c’est bien à cela que je crois, c’est bien cela que je ressentais confusément. Il éclaire notre route, notre destin « illisible » avec des notations sans prétention, comme autant de falots secoués par la tempête de l’existence.

Tout vivant (tout « mortel »...) devrait lire ce superbe ouvrage en y mettant son coeur, son esprit et son âme. Une leçon d’une grande modestie et d’une vraie profondeur. Cela nous change de tant de livres qui paraissent obsédés par l’idée de durer une « saison » quand celui-là est fait pour illuminer toute une vie.

Bruno Frappat, La Croix du 02-10-13.