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Robert Carsen : « La quête d’identité est au cœur du Rigoletto de Verdi »

D 13 juillet 2013     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Chacun se souvient de l’éblouissant Don Giovanni de Mozart mis en scène par Robert Carsen à La Scala de Milan en décembre 2011 [1]. Le metteur en scène canadien est sans doute l’un des plus intéressants et des plus libres metteurs en scène d’opéra actuels. Le Rigoletto de Verdi qu’Arte nous a offert le 12 juillet en est un bel exemple.

Direction musicale : Gianandrea Noseda
La distribution.

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Entretien avec Robert Carsen

La Croix du 10 juillet 2013

Pour son retour au festival d’Aix après 17 ans d’absence, le metteur en scène canadien a transposé Rigoletto de Verdi dans l’univers du cirque.

Familier de Verdi, il souligne la puissance dramatique de sa musique et l’intensité psychologique de ses personnages, touchants, antipathiques, complexes…

Vous abordez pour la première fois Rigoletto pour votre retour au festival d’Aix-en-Provence. Est-ce un ouvrage auquel vous pensiez depuis longtemps  ?

Robert Carsen  : Rigoletto est le 8e opéra de Verdi [2] que je mets en scène –- je viens de monter Falstaff à la Scala. Un compositeur que j’aime et commence à bien connaître. Pourtant, je résistais à Rigoletto qui me semblait particulièrement difficile avec son rythme ininterrompu, passant d’un air à un duo, suivi aussitôt d’un ensemble avec chœur…

Si cet opéra recèle de véritables "tubes" que le public attend, comme " La donna e mobile" que chante le Duc à l’acte III, il possède avant tout une irrésistible force dramatique. Je ne voulais pas me contenter de raconter l’histoire terrible d’une fille déshonorée et d’un père désespéré mais parvenir à donner vie au côté glauque des personnages et des situations. C’est vraiment le festival d’Aix qui m’a incité à franchir le pas…

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George Gagnidze est Rigoletto

Présentez-nous les personnages tels que vous les envisagez…

R.C.  : Rigoletto est l’anti-héros par excellence. On ne peut ni l’aimer ni l’admirer même si Verdi et son librettiste Piave parviennent à le rendre extrêmement émouvant. De manière très différente, il m’évoque Macbeth qui aurait pu être un grand roi si l’ambition et la démesure ne l’avaient perverti. La difformité physique de Rigoletto (sa bosse) est la manifestation de sa déformation morale, de sa noirceur. Il amuse des courtisans qu’il méprise, se moque du malheur d’autrui sans savoir qu’il sera bientôt confronté lui aussi à une immense douleur. Même son amour pour sa fille est égoïste  : il la séquestre, il la veut pour lui. La passion de Gilda pour le Duc lui fait horreur, non seulement parce que le jeune homme est un débauché mais plus encore parce qu’elle signifie la fin de l’enfance  : Gilda devient une femme.

Selon moi, cette dernière n’est pas du tout une oie blanche mais un caractère libre qui choisit, par amour, de se sacrifier. C’est délibérément, sciemment, qu’elle s’offre à la mort à la place de celui qu’elle aime. Bien entendu, il est indigne d’elle mais, pour autant, on ne peut se contenter de voir dans le Duc un être détestable. Même si, nous, spectateurs, sommes révoltés par son inconstance et sa brutalité, force est de constater que les femmes l’adorent, y compris la prostituée Magdalena qui, pourtant en a vu d’autres  ! Il faut faire crédit à cet aspect fascinant du personnage que Verdi illumine d’une musique conquérante, brillante, insouciante. Excepté, un bref aparté au début de l’acte II, le Duc se confie peu, il reste émotionnellement assez opaque.

Pourquoi avoir choisi de transposer l’intrigue de la cour de Mantoue à l’univers d’un cirque des années 1900  ?

R.C.  : Je crois qu’avec Verdi, il faut éviter un réalisme trop "basique" qui peut plomber l’action et masquer la psychologie des personnages qui est toujours remarquable chez lui. Il faut trouver la clef des caractères. Le cirque, fermé sur lui-même, avec son rire et ses larmes, sa fièvre et son danger, me paraissait en accord avec l’ouvrage. Et puis, comme le théâtre, le cirque est un monde où l’on se déguise  : or, le masque et l’identité cachée sont au cœur de Rigoletto. Gilda ne sait pas vraiment qui elle est et interroge vainement son père qui élude la question. Rigoletto n’est évidemment pas son vrai nom. Le Duc se fait passer pour un étudiant afin de séduire la jeune fille  ; cette dernière se déguise en homme à la fin de l’ouvrage, etc.

Rigoletto est adapté du Roi s’amuse que Victor Hugo avait situé à la cour de François Ier, attirant aussitôt les foudres de la censure française [3]. Verdi et Piave durent transposer l’intrigue vers le duché de Mantoue pour, à leur tour, éviter une interdiction (même si Verdi aimait assez se colleter avec les censeurs…). Je trouve intéressant de mettre en scène toutes ces strates… en y ajoutant la mienne qui, je l’espère, éclaire et fait vibrer cette formidable histoire auprès du public de 2013  ! En outre, Rigoletto est fréquemment monté dans les maisons d’opéra  : ma proposition n’en est qu’une parmi bien d’autres…

Comment avez-vous travaillé avec le chef d’orchestre Gianandrea Noseda  ?

R.C.  : Nous nous connaissions déjà avec Gianandrea. Nous avions déjà collaboré pour Salomé de Richard Strauss à l’Opéra de Turin. C’est un ami, nous sommes régulièrement en contact, ce qui a beaucoup facilité nos échanges. Gianandrea est un excellent chef lyrique, plein d’énergie et toujours intéressé par ce qui se passe sur la scène. Il recherche une osmose entre fosse et plateau ce qui, notamment chez Verdi, est indispensable.

Pensez-vous déjà à monter un autre ouvrage de Verdi  ?

R.C.  : Comme je vous le disais, Rigoletto est ma 8e incursion dans l’univers de Verdi. C’est un immense compositeur dont je me suis nourri mais, là encore je me répète, très exigeant à mettre en scène. Donc, pour le moment, pas de nouveau Verdi au programme  !

Recueilli par Emmanuelle Giuliani, La Croix, 10-07-13.

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L’atelier de Robert Carsen

France Inter, Vincent Josse, 22 juin 2013

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