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Gérard Chaliand, Vers un nouvel ordre du monde

D 12 juin 2013     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le déclin relatif de ce qu’on appelle l’Occident est désormais un fait qui ne semble plus discutable. La crise actuelle, jointe à la montée très dynamique de l’Asie, Chine en tête, est à l’origine de la fracture et de la recomposition géopolitique en cours.
Contrairement à certaines idées toutes faites, la période que nous traversons n’a pas commencé avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide, mais trouve sa source en 1979 : à cette date, les questions coloniales sont à peu près réglées, le déclin du communisme s’accélère, mais l’année est surtout marquée par deux faits majeurs, la révolution khomeyniste et le grand tournant initié par Deng Xiaoping.
Aujourd’hui, la fracture géopolitique que révèle ce livre provient de deux bouleversements essentiels : l’évolution de la dimension démographique globale, où l’Occident ne cesse de reculer par rapport au reste de la planète, et la crise économique mondialisée, qui a vu l’accès aux premiers rangs des pays dits émergents, et qui sont pour la plupart des pays "réémergents". En analysant le parcours et les évolutions des grandes puissances actuelles (Etats-Unis, Europe, Chine, Inde, Turquie et Moyen-Orient...), cet ouvrage s’interroge également sur l’avenir géopolitique mondial, et les destins possibles de l’Europe.
Il dessine les contours du monde de demain.

Gérard Chaliand, historien, poète, traducteur et géostratège, est aujourd’hui l’un des plus éminents spécialistes des conflits internationaux, auteur d’une vingtaine d’études comme Anthologie mondiale de la stratégie (Robert Laffont, 1990), Voyage dans quarante ans de guérillas (Lignes de Repères, 2006), Les guerres irrégulières (Folio Actuel, 2008)… sans oublier de nombreux titres au Seuil. Il est également conseiller auprès du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères français depuis 1984.

Michel Jan, sinologue réputé, membre du groupe de réflexion Asie 21 auteur d’une dizaine d’ouvrages sur la Chine et sur l’Asie centrale dont La grande muraille de Chine (Imprimerie Nationale, 2000), a écrit les chapitres consacrés à la Chine.

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Gérard Chaliand est l’invité de Gauthier Rybinski. Il soutient qu’un nouvel ordre du monde est en train de se dessiner et que la crise actuelle, jointe à l’essor de l’Asie, en révèle les traits.


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Gérard Chaliand répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Vous expliquez dans votre ouvrage que la première mondialisation a été réalisée par les musulmans. C’est-à-dire ?

Si l’on entend bien par mondialisation celle des échanges, il ne fait pas de doute que la pleine mondialisation du monde connu entre le 8e siècle et la fin du 15e siècle a bien été réalisée par les musulmans comme conséquence de leurs conquêtes premières, de l’Espagne aux confins de l’Inde et de l’Asie centrale dans un premier temps, puis la conquête graduelle de l’Inde dès le 10e siècle suivi par l’investissement de l’Insuline. L’océan majeur durant cette période est l’océan indien de l’Hadramaout à Malâcca et jusqu’aux sultanats de Java et à Aceh, sans oublier les côtes de l’Afrique orientale, pour l’esclavage. On atteignait ainsi les ports de la Chine du Sud. Les routes dites de la soie étaient surtout empruntées par les caravanes musulmanes et l’on retrouve des mosquées jusqu’à Xian. Les Portugais au 16e siècle vont mettre en cause ce monopole.

Vous mettez en cause l’affirmation selon laquelle la Chine n’a pas de tradition expansionniste. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La perception qui est véhiculée sur la Chine est qu’elle n’aurait pas, contrairement à d’autres Etats importants au cours de l’histoire, de tradition expansionniste. Cela est parfaitement exact si l’on considère la frontière Nord. C’est celle des menaces nomades qui ont été durant deux millénaires le problème militaire majeur de la Chine. Les dynasties fortes lançaient des contre-offensives et plus souvent des incursions mais n’ont jamais occupé le terrain. Afin de contrer les nomades, il est apparu plus judicieux de chercher à contrôler les oasis dites de la route de la soie. Mais si l’on feuillette un atlas historique, on constate que la Chine des 19 provinces proprement chinoises ne représente qu’un quart tout au plus du territoire actuel. La Chine s’est étendue vers le sud et a englobé le Vietnam (Tonkin) durant près d’un millénaire et elle s’est très vigoureusement avancée vers l’ouest. En 751, la Chine expansionniste des Tang se heurte aux Arabes et à leurs supplétifs musulmans à Talas, en Asie centrale. Le Szechuan et par la suite le Xinjiang sont investis. Sous la dynastie étrangère des Qin (Mandchous), qui est sinisée, l’expansion atteint son zénith. Elle sera repoussée par l’avancée des Russes vers 1860. Les Chinois perdent 2,5 millions de kilomètres carrés. Mais la Chine n’est pas seulement expansionniste, elle est impérialiste. Elle exerce chaque fois qu’elle a une dynastie puissante un impérium : les Etats voisins sont des tributaires. C’est le cas de la Corée, du Vietnam et de bien d’autres. L’image rassurante d’elle-même qu’elle a cherché à donner jusqu’à récemment fait partie de sa stratégie fondée sur le gant de velours.

Vous regrettez que la France se soit provincialisée notamment en négligeant l’Asie. Pourquoi et que préconisez-vous ?

Nous nous sommes provincialisés. Peut-être l’intérêt pour l’Asie s’est-il amenuisé après le retrait d’Indochine, peut-être est-ce lié au graduel déclin d’influence en dehors d’une périphérie qui englobe l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique jusqu’au Congo... En tout cas, contrairement aux Britanniques dont les moyens n’excèdent nullement les nôtres — sauf bien sûr grâce à la diffusion de l’anglais —, nous ne suivons plus avec attention et régularité l’Asie qui, de l’Inde au Japon, représente plus de quatre milliards d’habitants. Nous n’avons pas l’équivalent de The Economist dont le titre est trompeur. C’est d’abord le meilleur hebdomadaire politique sur le marché. Nous n’avons pas non plus la rigueur et l’ouverture de la BBC malgré des efforts. Et d’une façon générale nos informations télévisées sont d’un provincialisme navrant ponctué de faits divers. Heureusement, au Figaro comme au Monde on cherche à l’international, qui nous préoccupe ici, et à couvrir un champ plus ambitieux. Le franco-français tend à monopoliser l’information.

crédit : affaires-strategiques.info

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"La géopolitique classique a de l’avenir"
entretien avec Gérard Chaliand

Nonfiction.fr - Votre dernier ouvrage démarre sur le constat selon lequel, ce début de siècle verrait une parenthèse se clore : celle de la domination de l’Occident sur la scène mondiale. De ce point de vue, assistons-nous à un retour à la normale au regard du temps long de l’histoire ?

Gérard Chaliand - Nous sommes en train de retrouver la norme multipolaire qui a prévalu avant l’expansion occidentale. Pour bien l’appréhender, il est nécessaire de porter sur l’histoire longue un regard où l’Occident général et l’Europe en particulier n’occuperaient plus le premier rôle. A cet égard, quelques vérités utiles doivent être rappelées. L’essentiel de l’histoire humaine s’est joué sur la masse eurasiatique qui, traversée par les routes de la soies, est le véritable espace historique des échanges commerciaux et ce bien avant l’Atlantique. Avant même l’émergence du commerce triangulaire, la Méditerranée telle qu’elle est observée au prisme déformant de l’histoire occidentale prend une place excessive. C’est l’Océan Indien qui constitue l’espace maritime de la première mondialisation, mondialisation que l’on doit d’abord aux marchands musulmans qui circulent de l’Espagne à l’Asie centrale et jusqu’en Indonésie en passant par la côte orientale de l’Afrique. L’Europe est structurellement marginale sur le temps long. Si l’on jette un œil sur la carte politique du monde XVIIe siècle, on voit dans quatre états comptent dans l’espace européen : la France, l’Angleterre, l’Empire d’Autriche et la Russie qui n’a pas encore amorcé son expansion en Asie. Or l’essentiel de la puissance se trouve ailleurs. L’Empire de Chine arrive au faîte de son rayonnement sous la dynastie Qing. Du Bengale à l’Afrique du nord en passant l’Europe orientale, trois empires musulmans contigus – l’Empire moghol en Inde, la Perse et l’Empire ottoman – forment une immense continuum territorial irrigué par d’intenses relations commerciales, politiques et culturelles.

Le poids de l’Europe doit donc être relativisée ?

En effet, elle ne devient hégémonique que très tardivement. Encerclés du VIIIe au Xe siècle, les états européens ne projettent leur puissance vers l’extérieur que lors de la parenthèse des Croisades au XIIe et XIIIe siècles. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que l’Europe qui ne formait auparavant qu’un groupe de puissances parmi d’autres se distinguent progressivement grâce au faisceau d’innovations techniques et politiques qui l’on comprendra plus tard sous le vocable de modernité. La conquête de l’Amérique mise à part, leur expansion dans le monde eurasiatique se coule dans les canaux de la première mondialisation musulmane et se limite d’abord à l’ouverture de comptoirs sur les façades maritimes. Cela commence avec les Portugais qui investissent l’océan indien au début du XVIe siècle. Les hinterlands ne sont maîtrisés de manière plus progressive et l’occupation des terres n’est pas effective avant la toute fin du XIXe siècle. Cependant, à mesure que l’ordre colonial s’installe un profond changement des mentalités s’opère. Les idées occidentales se diffusent parmi les populations colonisées et en particulier le nationalisme. Leurs élites retourneront bientôt cette arme qui a déjà éliminé les vieux empires multinationaux comme l’Empire ottoman et l’Empire austro-hongrois, contre les Empires coloniaux européens.

L’Occident, par ce décalage de puissance, par l’hégémonie qui en résulte, crée donc, et de manière paradoxale, les conditions d’un rééquilibrage. Cependant, ce nationalisme ne peut s’appliquer en tout lieu de la même manière. L’usage généralisé qui a été fait, au XXe siècle, de ce concept issu d’une histoire des idées politiques singulière, celle de l’Europe occidentale, donne nécessairement lieu à de nouveau décalages…

En effet. Les Etats-nations issus de l’effondrement des empires, anciens ou modernes, furent souvent des constructions boiteuses où la construction d’identités communes ont nécessité l’occultation de pans entiers de l’histoire par les récits officiels, l’épuration ethnique ou religieuse et la sacralisation de frontière arbitraires. Le caractère précaire de certaines de ces constructions nous apparaît avec force et cruauté en Syrie mais les exemples tirés de l’histoire récente sont innombrables. Les frontières tardivement tracées sont souvent restées poreuses, surtout là où elles prétendaient pouvoir trancher au milieu d’ensemble démographiques et culturels cohérents. C’est le cas de la ligne Durand qui après avoir séparé l’Inde britannique de l’Afghanistan marque la frontière entre ce dernier et le Pakistan, en plein pays pashtoune, servant de centre de gravité à l’AfPak, un des foyer d’instabilité de l’espace mondial.

Avatar de la modernité politique, la suprématie de l’Etat nation est-elle donc vouée à prendre fin en même temps que la domination occidentale qui l’a consacrée ?

Les constructions stato-nationales sont bancales. Les Etats ne sont plus les seuls acteurs des relations internationales. Milices, mercenaires, réseaux intégristes, grand groupes industriels, financiers et criminels : une foule d’entités privés les concurrencent en jouant à plein des outils de la mondialisation. Cependant il ne faut pas sous-estimer les capacités de résilience des structures étatiques. Aussi artificielles soient-elles, elles profitent toujours à ceux qui les contrôlent et captent par elles des ressources. Mais plus encore, les Etats restent, sans qu’en face d’eux se présentent d’opposition sérieuse les véritables détenteurs de la puissance.

L’analyse classique des relations internationales qu’on a voulu enterrer un peu rapidement a donc de l’avenir ?

Absolument. Il n’y a qu’à voir le jeu qui se met aujourd’hui en place entre Washington et Pékin. Les Etats-Unis se sont repositionnés vers l’espace asiatique où la Chine est dominante. Ils peuvent compter dans leur stratégie sur des acteurs moins puissants qui redoutent l’hégémonie chinoise. Cela implique le Japon, allié devenu traditionnel qui est voué à se droitiser et à affirmer sa puissance de manière plus décidée sur le plan militaire mais également le Viêt-Nam qui est prêt à collaborer avec Washington malgré le poids de l’histoire ainsi que la Birmanie, en pleine transition qui ne veut plus être tributaire de Pékin. On retombe sur des structures finalement très classiques. Quand un acteur devient trop puissant ceux qui l’environnent cherchent le soutien d’une puissance extérieure pour le contrebalancer. Les relations internationales restent et seront toujours mues par l’intérêt des Etats. Le pragmatisme a donc de l’avenir et la géopolitique classique, de beaux jours devant elle.

nonfiction.fr

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