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Les sagesses chinoises

D 24 juillet 2011     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Un peu de pub. Le Monde des religions n°48, juillet-août 2001.

Trois questions à Jean-Gérard Burzstein, psychanalyste

« L’acmé de la sagesse est la même dans toutes les pensées »

Formé à partir de la pensée de Lacan, étudiant la Bible hébraïque, comment avez-vous découvert les sagesses chinoises ?

J’enseigne la psychanalyse en Chine. J’ai donc commencé à me faire expliquer les textes de philosophie chinoise et à les étudier. De mon point de vue, il n’y a pas « des » sagesses chinoises mais une grande unité de pensée. Or, route pensée est liée à une spatialité que j’appelle topologie. La culture chinoise se fonde là-dessus aussi. Vous ne pouvez pas comprendre le Tao sans saisir qu’il est lié à un plan projectif. Et cette conception de l’espace se retrouve dans routes les grandes pensées de l’humanité et notamment la psychanalyse. Chaque partie des grandes sagesses chinoises (confucianisme, taoïsme, bouddhisme) développe certains aspects de cette grande pensée unitaire.

En quoi la pensée chinoise est-elle universelle ?


Idéogramme signifiant la « piété filiale » Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Plusieurs idées présentes dans la sagesse chinoise se retrouvent dans le judaïsme et dans pratiquement routes les pensées. Cela est lié à la subjectivité humaine. La psychanalyse montre qu’il existe une structure de la subjectivité. Cette dernière comporte trois dimensions : réelle, symbolique et enfin imaginaire. Les trois forment toujours un n ?ud qui fonde le réel de la subjectivité. C’est cela que l’on retrouve dans routes les pensées sous différentes métaphores : dans la Torah, sous le n ?ud des trois noms hébraïques inscrivant la fonction paternelle (Adonaï, YHWH, Elohim) ; dans la pensée chinoise, avec la grande structure composée par le n ?ud (du ciel, de la terre et de l’être humain entre- deux) ; ou encore dans la psychanalyse, par la structure « réel, symbolique et imaginaire ». L’acmé de la sagesse est, qui plus est, la même dans le Talmud et dans la sagesse confucéenne : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse. » Cela prend chez Confucius la forme de la vertu d’humanité. Dans la Torah, de la même manière, toute obéissance de la loi est là pour savoir comment vivre. Pour vous « circoncire » de la graisse de la vanité qui enrobe votre c ?ur, pour que vous ayez un c ?ur ouvert à l’autre.

Au-delà de cette règle d’or, quelles sont les clés du savoir-vivre ?

Il faut différencier la pensée de la Torah de la religion juive, car cette dernière est devenue beaucoup plus idéaliste avec le temps. Mais dans l’Antiquité, la pensée juive ne distinguait pas deux mondes, celui des vivants et des morts. Dans mes études sur la Bible hébraïque, je montre qu’il n’y a pas de vie après la mort dans le judaïsme. L’idée profonde consiste à vivre cette vie, à suivre la loi pour revivre la vie de façon désirante. Car on est mort quand on n’est pas désirant. Pratiquer la Loi juive consiste donc à effectuer une sorte de rédemption personnelle, de voir ses fautes et son abjection jusqu’au point d’en souffrir dans ce que la tradition appelle le c ?ur. Une fois le c ?ur brisé, on commence à vivre d’une autre façon. On devient désirant. La même chose se produit dans la sagesse chinoise, le sujet dans cette sagesse trouve comment incarner le mandat du ciel. Lacan reprend à saint Paul cette idée très puissante : le désir et la loi sont la même chose. À partir du moment où un objet est interdit (par exemple la mère), il devient l’objet de la convoitise. Cela est structural : lorsqu’il y a interdit, il y a objet de convoitise et obligation du renoncement à cet objet de convoitise. Cela crée en nous un manque et ce manque est le désir. Ainsi, plus on observe une loi, plus on est en manque et plus on est un être de désir. C’est la différence entre la loi et la morale. Le judaïsme appelle cette démarche « réduction de la vanité du moi », « circoncision du c ?ur », la sagesse chinoise la nomme « modestie », tandis que la psychanalyse la nomme « castration symbolique ». Je pense que toutes les pensées profondes vivent cette pratique, qui est la clé du savoir-vivre avec les autres.

Propos recueillis par Jennifer Schwarz

Le Monde des religions. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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