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Houellebecq sur Sollers suivi de Sollers sur Houellebecq

D 16 juillet 2015     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Eté 2015, lecture intégrale des Particules élémentaires de Houellebecq, son roman de 1998. Une occasion de compléter notre court article initial du 28 octobre 2005 par de plus larges extraits où il évoque Sollers, et en contrepoint d’ajouter le point de vue de Sollers. L’article a aussi été actualisé.

Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires. Catastrophe du libéralisme, misère sexuelle et désenchantement du monde : dans le second roman de Michel Houellebecq, l’humanité ne trouve son salut que dans sa disparition au profit d’un clonage génétiquement parfait.
écrivait Antoine de Gaudemar dans Libération du 27 août 1998.

Le monde a-t-il vraiment changé depuis ce diagnostic ?

…Mots croisés donc, de Houellebecq sur Sollers dans Les particules élémentaires (1998) et de Sollers sur Houellebecq dans Une vie divine (2006).

Sollers a par ailleurs accueilli Houellebecq au début de son parcours littéraire dans les colonnes de sa revue l’Infini :
- Dans le numéro 52, hiver 1995 avec un article intitulé « Propos dans un camping mystique »
que l’on retrouvera dans Les particules élémentaires sous l’enseigne « le lieu du changement », nouveau nom changé par l’éditeur lors de la deuxième édition suite à un procès du propriétaire du camping, un des hauts-lieux du roman. Il figurait et figure toujours sous son vrai nom dans cet article de 1995.

- Dans le numéro 59, Automne 1997, sur le thème de « La question pédophile ».

Notons, en outre que Philippe Sollers, parmi d’autres notamment Arrabal est venu témoigner en faveur de Houellebecq poursuivi en justice pour outrage à l’Islam. L’Infini N°81, 2002 en rendra compte, c’est ici.

*

Houellebecq sur Sollers

dans les Particules élémentaires

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Michel Houellebecq avec Philippe Sollers, le 12 novembre 1998
A l’occasion de l’attribution du Prix Décembre pour "Les particules élémentaires". (Photo : JACQUES DEMARTHON / AFP).

La semaine suivante il se décida à montrer ses textes à un collègue – un enseignant en lettres d’une cinquantaine d’années, marxiste, très fin, qui avait la réputation d’être homosexuel. Fajardie fut agréablement surpris. « Une influence de Claudel… ou peut-être plutôt Péguy, le Péguy des vers libres… Mais justement c’est original, c’est une chose qu’on ne rencontre plus tellement. » Sur les démarches à effectuer, il n’avait aucun doute : «  L’Infini. C’est là que se fait la littérature d’aujourd’hui. Il faut envoyer vos textes à Sollers. » Un peu surpris Bruno se fit répéter le nom – s’aperçut qu’il confondait avec une marque de matelas, puis envoya ses textes. Trois semaines plus tard il téléphona chez Denoël ; à sa grande surprise Sollers lui répondit, proposa un rendez-vous. Il n’avait pas cours le mercredi, c’était facile de faire l’aller-retour dans la journée. Dans le train il tenta de se plonger dans Une curieuse solitude, renonça assez vite, réussit quand même à lire quelques pages de Femmes – surtout les passages de cul. Ils avaient rendez-vous dans un café de la rue de l’Université. L’éditeur arriva avec dix minutes de retard, brandissant le fume-cigarettes qui devait faire sa célébrité : « Vous êtes en province ? Mauvais, ça. Il faut venir à Paris, tout de suite. Vous avez du talent. » Il annonça à Bruno qu’il allait publier le texte sur Jean-Paul Il dans le prochain numéro de L’Infini. Bruno en demeura stupéfait ; il ignorait que Sollers était en pleine période « contre-réforme catholique », et multipliait les déclarations enthousiastes en faveur du pape. « Péguy, ça m’éclate ! fit l’éditeur avec élan. Et Sade ! Sade ! Lisez Sade, surtout !…
- Mon texte sur les familles…
- Oui, très bien aussi. Vous êtes réactionnaire, c’est bien. Tous les grands écrivains sont réactionnaires. Balzac, Flaubert, Baudelaire, Dostoïevski : que des réactionnaires. Mais il faut baiser, aussi, hein ? Il faut partouzer. C’est important. »

Sollers quitta Bruno au bout de cinq minutes, le laissant dans un état de légère ivresse narcissique. Il se calma peu à peu au cours du trajet de retour. Philippe Sollers semblait être un écrivain connu ; pourtant, la lecture de Femmes le montrait avec évidence, il ne réussissait à tringler que de vieilles putes appartenant aux milieux culturels ; les minettes, visiblement, préféraient les chanteurs. Dans ces conditions, à quoi bon publier des poèmes à la con dans une revue merdique ?

« Au moment de la parution, poursuivit Bruno, j’ai quand même acheté cinq numéros de L’Infini. Heureusement, ils n’avaient pas publié le texte sur Jean-Paul Il. Il soupira. C’était vraiment un mauvais texte… Il te reste du vin ? - Juste une bouteille. » Michel marcha jusqu’à la cuisine, ramena la sixième et dernière bouteille du pack de Vieux Papes ; il commençait à se sentir réellement fatigué.

Je regardais Ben : il se grattait la tête, il se grattait les couilles, il mastiquait son chewing-gum. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y comprendre, ce grand singe ? […]

Le printemps, la chaleur, toutes ces petites nanas excitantes ; et moi qui lisais : Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : Une atmosphère obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci. Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici… J’ai marqué une pause. Elles étaient sensibles à ce poème, je le sentais bien, le silence était total. C’était la dernière heure de cours ; dans une demi-heure j’allais reprendre le train, et plus tard retrouver ma femme. Tout à coup, venant du fond de la salle, j’ai entendu voix de Ben : "T’as le principe de la mort dans ta tête ho, vieux !…" Il avait parlé fort mais ce n’était pas vraiment une insolence, son ton avait même quelque chose d’un peu admiratif. Je n’ai jamais tout à fait compris s’il s’adressait à Baudelaire ou à moi ; au fond, comme commentaire de texte, ce n’était pas si mal. Il n’empêche que je devais intervenir. J’ai simplement dit : "Sortez." Il n’a pas bougé. J’ai attendu trente secondes, je transpirais de trouille, j’ai vu le moment où je n’allais plus pouvoir parler ; mais j’ai quand même eu la force de répéter : "Sortez." Il s’est levé, a rassemblé très lentement ses affaires, il s’est avancé vers moi. Dans toute confrontation violente il y a comme un instant de grâce, une seconde magique où les pouvoirs suspendus s’équilibrent. Il s’est arrêté à ma hauteur, il me dépassait d’une bonne tête, j’ai bien cru qu’il allait me mettre un pain, mais finalement non, il s’est juste dirigé vers la porte. J’avais remporté ma victoire. Petite victoire : il est revenu en cours dès le lendemain. Il semblait avoir compris quelque chose, saisi un de mes regards, parce qu’il s’est mis à peloter sa petite copine pendant les cours. Il retroussait sa jupe, posait sa main le plus haut possible, très haut sur les cuisses ; puis il me regardait en souriant, très cool. Je désirais cette nana à un point atroce. J’ai passé le week-end à rédiger un pamphlet raciste, dans un état d’érection quasi constante ; le lundi j’ai téléphoné à L’Infini. Cette fois, Sollers m’a reçu dans son bureau. Il était guilleret, malicieux, comme à la télé – mieux qu’à la télé, même. "Vous êtes authentiquement raciste, ça se sent, ça vous porte, c’est bien. Boum boum !" Il a fait un petit mouvement de main très gracieux, a sorti une page, il avait souligné un passage dans la marge : "Nous envions et nous admirons les nègres parce que nous souhaitons à leur exemple redevenir des animaux, des animaux dotés d’une grosse bite et d’un tout petit cerveau reptilien, annexe de leur bite." Il a secoué la feuille avec enjouement. "C’est corsé, enlevé, très talon rouge. Vous avez du talent. Des facilités parfois, j’ai moins aimé le sous-titre : On ne naît pas raciste, on le devient. Le détournement, le second degré, c’est toujours un peu… Hmm…"Son visage s’est rembruni, mais il a refait une pirouette avec son fume-cigarettes, il a souri de nouveau. Un vrai clown – gentil comme tout. "Pas trop d’influences, en plus, rien d’écrasant. Par exemple, vous n’êtes pas antisémite !" Il a sorti un autre passage : "Seuls les Juifs échappent au regret de ne pas être nègres, car ils ont choisi depuis longtemps la voie de l’intelligence, de la culpabilité et de la honte. Rien dans la culture occidentale ne peut égaler ni même approcher ce que les Juifs sont parvenus à faire à partir de la culpabilité et de la honte ; c’est pourquoi les nègres les haïssent tout particulièrement." L’air tout heureux il s’est renfoncé dans son siège, a croisé les mains derrière la tête ; j’ai cru un instant qu’il allait poser les pieds sur son bureau, mais finalement non. Il s’est repenché en avant, il ne tenait pas en place.

"Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Je ne sais pas, vous pourriez publier mon texte.

Ouh là là ! il s’est esclaffé comme si j’avais fait une bonne farce. Une publication dans L’Infini ? Mais, petit bonhomme, vous ne vous rendez pas compte… Nous ne sommes plus au temps de Céline, vous savez. On n’écrit plus ce qu’on veut, aujourd’hui, sur certains sujets… un texte pareil pourrait me valoir réellement des ennuis. Vous croyez que je n’ai pas assez d’ennuis ? Parce que je suis chez Gallimard, vous croyez que je peux faire ce que je veux ? On me surveille, vous savez. On guette la faute. Non non, ça va être difficile. Qu’est-ce que vous avez d’autre ?" Il a paru réellement surpris que je n’aie pas apporté d’autre texte. Moi j’étais désolé de le décevoir, j’aurais bien aimé être son petit bonhomme, et qu’il m’emmène danser, qu’il m’offre des whiskies au Pont-Royal.

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En sortant, sur le trottoir, j’ai eu un moment de désespoir extrêmement vif. Des femmes passaient boulevard Saint-Germain, la fin d’après-midi était chaude et j’ai compris que je ne deviendrais jamais écrivain ; j’ai également compris que je m’en foutais. Mais alors quoi ? Le sexe me coûtait déjà la moitié de mon salaire, il était incompréhensible qu’Anne ne se soit encore rendu compte de rien. J’aurais pu adhérer au Front national, mais à quoi bon manger de la choucroute avec des cons ? De toute façon les femmes de droite n’existent pas, et elles baisent avec des parachutistes. Ce texte était une absurdité, je l’ai jeté dans la première poubelle venue.


Sollers sur Houellebecq

GIF dans Une vie divine

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Extrait d’une émission de Thierry Ardison qui accueillait Philippe Sollers à l’occasion de la publication de son livre « Une vie divine » dédié à Nietzsche, en compagnie des invités du plateau Lio, Arno Klarsfeld, Alévêque, Baffie.
Allusion au personnage de Daniel, calqué sur Houellebecq.
Sollers :

"Houellebecq est un écrivain important de notre époque parce qu’il décrit exactement la misère sexuelle de notre époque." Brèves tensions sur le plateau à propos de Houellebecq.
Sollers reprend : " y’a un romancier important d’aujourd’hui qui s’appelle Michel Houellebecq ; pas la peine de faire comme s’il n’existait pas.... et qui décrit de façon très précise et pertinente la misère sexuelle dans laquelle se trouve le monde contemporain ; si vous voulez faire semblant d’être en dehors de la misère sexuelle, il faut venir nous le prouver, avec vos résultats, l’écrire et le publier ; il faut que chacun parle de sa vie privée, il faut que chacun ose dire la façon dont il vit ; est-ce que ça va, est-ce que ça ne va pas ; est-ce que vous frimez, est-ce que vous inventez....... le monde où nous vivons, un monde où le faux bonheur rutile de partout et où les masses frustrées, résignées peuvent allumer des bagnoles en banlieue ou bien se déprimer chez eux en se branlant sur n’importe quoi sans jouir.


Puis, éloge sulfureux du baiser par Sollers. ("on aspire l’âme de l’autre"). " Une femme qui ne vous embrasse pas vraiment ne vous aime pas". Images d’archive INA.
Institut National de l’Audiovisuel

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Extrait de Une vie divine

Sous le prénom de Daniel, Sollers brosse un portrait au vitriol de Michel Houellebecq dans "Une vie divine". Cryptage transparent : même finale du prénom, la secte de Raël favorable au clonage devient l’EVU (Eglise de la Vie Universelle), idées pour lesquelles Daniel-Michel a quelque sympathie.

Une fois à Paris, j’ai rendez-vous, en fin d’après-midi, au bar du Lutétia, avec mon vieil ami Daniel, cinéaste désormais mondialement célèbre, comme le prouve son dernier grand entretien dans Destroy. Il a l’air à la fois en pleine forme et très déprimé, résultat probable des tranquillisants et des somnifères qu’il absorbe à haute dose. Il boit des alexandras, parle peu, savoure le triomphe de son dernier film, La Vie éternelle (accueil mitigé en Asie, gros succès, en revanche, à Berlin, Madrid, San Francisco et Toulouse). Il glisse, les larmes aux yeux, sur la mort de son chien adoré, Trott, le seul grand amour de sa vie. Daniel est le type même du nihiliste actif et professionnel d’aujourd’hui, pornographe et sentimental. Il reste obsédé par la baise, frémit à la vue de la moindre jeune salope locale, a peur de vieillir, poursuit un rêve d’immortalité génétique, et a même donné son ADN, pour être cloné, à l’Eglise de la Vie Universelle (l’EVU), laquelle est partie à l’assaut des comptes en banque des déprimés du monde entier, tentés par le suicide et la réincarnation corporelle. La vie humaine, on le sait, n’est qu’une vallée de larmes, et la science en a établi la vérité fatale. La chair, pour finir, est triste, les livres sont inutiles, on ne peut fuir nulle part dans un horizon bouché, l’argent permet de vérifier tout cela, et le cinéma, lui-même inutile, l’exprime. Où sont passés Dieu, l’espoir d’une vie éternelle, toute la salade de jadis ? Les religions sont balayées, vous qui entrez laissez toute espérance, faites-vous prélever pour plus tard, mais sans garantie absolue, car il se pourrait bien que le vieux Dieu demi-mort irascible, qui a déjà confondu les langues au moment de la Tour de Babel, reprenne du poil de la bête, et utilise un jour des terroristes pour foutre le bordel dans les laboratoires, mélanger et brouiller les codes sinistres tarés du futur.

Daniel souffre, et il lui sera donc beaucoup pardonné socialement (c’est-à-dire fémininement), « à la chrétienne », comme d’habitude. Nous n’allons pas recommencer notre ancienne polémique vaseuse pour savoir s’il faut préférer Schopenhauer (lui) ou Nietzsche (moi). De toute façon, la question est réglée : Schopenhauer a vaincu, Nietzsche est définitivement marginal. Il me demande quand même si je crois à la vie éternelle, et il sait que je vais lui répondre bof, que c’est là encore un fantasme humain, trop humain, que l’éternel retour est tout autre chose, qu’il vaudrait mieux parler d’éternité vécue. Il me jette un drôle de regard, à la fois plombé, apeuré, vide. Je ne suis même pas digne d’être un chien, pense-t-il comme un banal humaniste, non, je ne suis même pas digne d’être un chien, et il n’a pas tort. Allez, encore un alexandra pour lui, un whisky pour moi[2], et basta. On ne parle même pas de l’objet du rendez-vous pris par son agent : une petite évaluation philosophique de son oeuvre, par mes soins, mais sous pseudonyme, dans une revue confidentielle et radicale, douze lecteurs pointus, un record[3]. Il est vrai que la pige aurait été misérable. Il est vrai aussi que je n’en ai pas envie. J’ai été content de revoir Daniel, son courage et sa détestation provocatrice, glauque, drôle et fanatique du genre humain. Mais précisément : humain, trop humain...


Une vie divine, Plon, 2006, p. 348-350.

Nota : C’est Saneptia sur le blog être vivant qui a attiré mon attention sur le rapprochement Michel-Daniel. Vous recommande vivement ce blog littéraire qui contient de nombreux autres extraits de Une vie divine, mais pas l’extrait des pages 356-357 qui suivent où l’on retrouve le personnage de Daniel :

Je repense à Daniel, son cas est révélateur. Mauvaise enfance, corps peu désirable, intenses masturbations, premières relations féminines peu enthousiasmantes, découverte tardive de partenaires plus jeunes attirées par sa célébrité et son argent et, à ce moment-là, sentiment de vieillissement, satisfactions combattues par la jalousie et le manque - donc douleur. Dans ces histoires, il faut commencer très tôt, enfance vicieuse, action dualisée vers 13-14 ans avec des professionnelles de 30 ans[4] ,connaissance approfondie de la chose (putes, partouzes, énamorations, illusions magiques et désillusions), bref être immunisé à 35-40 ans, blindé à 50, dégagé ensuite. On est sur la rive, on regarde les
bateaux appareiller[5] , pavoiser, faire la fête, se mélanger,
pavoiser, se saborder, couler. Être fasciné par la jeunesse, vouloir la posséder, la poursuivre, est un fantasme de vieux qui a toujours été vieux. On peut mettre ici dans même sac pédophiles, homos, nymphomanes frigides,
séniles coureurs, c’est-à-dire un fonds de population
indéfiniment renouvelable, obsédé par la jenèse non vécue à temps. Un petit Bédouin affole les uns, la jeune salope en fleur terrasse les autres, le bétail s’agite et se vend, changements d’acteurs et d’actrices, disparition vers la Vallée de Larmes. Heureusement, j’ai mon chien, il comprend tout, il est innocent et fidèle, sa mort me bouleverse davantage que celle d’aucun être humain.


Une vie divine, Plon, 2006, p. 356-357

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Michel Houellebecq et son chien à Dublin, en 2002
(Peter Marlow/Magnum Photos)

GIF Dans l’Année du Tigre

Dans L’année du Tigre (Journal de l’année 1998), Sollers relate un déjeuner avec Houellebecq, un mois avant la parution par Le Nouvel Observateur d’un face à face Houellebecq-Sollers pour recueillir les réactions de Sollers face au portrait qu’en trace Hoellebecq dans Les particules élémentaires et celles de Houellebecq par rapport à ce qu’il a écrit. Un déjeuner préparatoire ? [1]

Mercredi 9 septembre

Déjeuner avec Houellebecq. Type concave, faux doux, il sait ce qu’il dit. Lui aussi a tendance à penser par « générations », mais il a quand même l’air de douter du concept (génération/corruption). Curieux mélange de lucidité expérimentale et de connaissances dispersées. Il a conscience de cela, il faudra beaucoup lire (par exemple Melville, qu’il ne connaît pas). Point positif : ne fait pas semblant de savoir quand il ne sait pas.

Il a son livre dans son sac, le sort pour me souligner des passages ; a un petit carnet de notes ; me montre la photo d’une fille de 13 ans, sa belle-fille je crois, qu’il trouve éblouissante. La « beauté » de la jeunesse à l’air de le fasciner et de l’accabler. Il s’étonne qu’il n’en soit pas de même pour moi.

Me dit qu’il a recommencé à boire. Mange une douzaine d’huîtres et demande un graves blanc. Propose de partager l’addition. Mais non, voyons.

En somme, sympathique, sérieux. On n’a parlé que littérature. Bonne chance dans la durée de l’enfer social. [...]

L’Année du Tigre - Journal de l’année 1998, p195-196, Editions du Seuil

Lire aussi : Houellebecq face à Sollers dans Libération du 08/10/1998.



Les particules élémentaires

GIF Prix Décembre
Les particules élémentaires obtiendront le Prix Décembre 1998. L’indépendance d’esprit du jury de ce prix, souvent qualifié d’anti-Goncourt aura reconnu avant les autres, la naissance du phénomène Houellebecq, dont les livres, les uns après les autres constituent une magistrale fresque des grands travers de notre époque. Couchés sur le papier alors qu’ils sont encore "frais", comme les premières fresques étaient incrustées dans le plâtre "fresco", encore humide. Saisis sur le vif dans l’instantanéité du temps, tableau d’époque ou pièce à conviction pour les sociologues ou procureurs du futur. Dans le jury de ce prix : un certain Philippe Sollers.

GIF Le résumé du livre


Il s’agit d’un vaste roman, « balzacien », « sartrien », relatant le destin de deux demi-frères nés en France à la fin des années 50 et qu’apparemment tout oppose, à l’exception d’une mère commune les ayant abandonnés tout-petits pour la Californie des premières communautés hippies et d’un sentiment partagé de dévastation générale du monde. Bruno, l’aîné, est un écrivain raté et un obsédé sexuel, Michel, le cadet, un savant de laboratoire chaste comme un moine. Aussi désespéré que cynique, le premier cherche son karma dans l’expérience érotique tous azimuts ; le second, vivant dans un « vide sidéral » mais habité par sa passion scientifique, fait avant de mourir une énorme découverte : il prouve que tout code génétique peut être réécrit et que donc « toute espèce animale [...] pouvait être transformée en une espèce apparentée, reproductible par clonage, et immortelle ». Le roman s’achève au XXIe siècle tel une fable de science-fiction ¬ un genre que l’auteur a beaucoup lu adolescent : des politiciens se sont emparés de l’idée, et l’humanité s’est mise à organiser son clonage systématique, sans grande résistance : « On est même surpris de voir avec quelle douceur, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition. »

Habilement construit en récits alternés ¬ les deux frères se perdant et se retrouvant, et s’affrontant souvent, notamment sur le plan moral ou libidinal , les Particules élémentaires trouvent leur plénitude dans la métaphore finale : dans un monde en proie à une dépression vertigineuse, seule peut s’imposer l’utopie génétique aberrante d’un « homme » parfait. L’auteur a prévenu dès les premières pages : après l’apparition du christianisme et celle de la science moderne, la révolution génétique est « la troisième mutation métaphysique, à bien des égards la plus radicale, qui devait ouvrir une période nouvelle dans l’histoire du monde ». Dans cette perspective, et souvent avec un humour noir jubilatoire, Michel Houellebecq ne ménage pas ses considérations sur notre fin de siècle : on retrouve la plupart de ses thèses sur la nocivité du libéralisme occidental, ayant récupéré aux pires fins le libertarisme post-soixante-huitard. A travers ses deux héros qui sont comme deux figures du malheur masculin, il y ajoute une critique en règle des effets pervers du féminisme (notamment sur les hommes), de la dérive new age et de l’hédonisme sexuel. Pourtant, le roman n’est pas sans ambiguïté et procure un malaise certain, qui n’ira pas sans polémique : pas tant à cause du refus délibéré de son auteur d’être « politiquement correct » (au contraire) que du fait de raccourcis rapides ¬ ainsi les serial killers d’aujourd’hui seraient les « enfants naturels » des hippies, l’épuisement des jouissances sexuelles poussant des individus « libérés des contraintes morales ordinaires » vers les « jouissances de la cruauté » ¬ ou de sa fascination pour le génie génétique (même s’il a donné à son savant le nom de Djerzinski, le grand massacreur stalinien). C’est le paradoxe Houellebecq : tandis qu’il a tous les traits ¬ et le style ¬ d’un moraliste, il déroute par de brusques écarts en eaux troubles qu’un seul goût de la provocation ne suffit pas à expliquer. Ce n’est pas non plus une pose, mais plutôt l’expression d’un tourment intérieur, si glauque soit-il. En ce sens, il incarne l’époque, toute de pessimisme extrême mais aussi de confusion ¬ et pas que des sentiments.

Antoine de Gaudemar

Extrait de "Houellebecq mutant moderne", Libération, 27/08/1998.

Le livre sur amazon.fr

GIF D’autres citations à propos des Particules élémentaires

S’il reste une incertitude sur la date de naissance de l’homme (Houellebecq annonce 1958, certains biographes évoquent plutôt 1956), celle de la star ne fait aucun doute  : 1998. L’année des Particules élémentaires. « Pour tous les critiques, c’était quelque chose », se souvient Pierre Assouline, alors directeur du magazine Lire. À cette époque, Houellebecq a déjà publié un roman gorgé de sexualité contrariée (Extension du domaine de la lutte), un essai sur l’auteur de science-fiction Lovecraft, des poèmes, un manifeste (Rester vivant). Ce nouveau livre va le propulser dans une autre dimension. Philippe Sollers décrypte  :

« Si vous allez aux antipodes de Paris, vous savez où vous arrivez  : à Auckland. Eh bien, Houellebecq et moi sommes aux antipodes, c’est-à-dire que nous sommes le contraire l’un de l’autre sur tout. Il est Schopenhauer, je suis Nietzsche. »

_ Coincé dans une petite pièce entre son bureau et sa bibliothèque, au premier étage de l’immeuble de Gallimard, il commente avec bienveillance la réussite de son jumeau maléfique en manipulant son fameux porte-cigarette  :

« C’est un nihiliste. Son succès est simple à expliquer. Il est venu parler de son époque et de la misère sexuelle d’une façon tout à fait crue, précise. »

Et plus loin :

« Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, c’est fait, c’est archivé, il va rentrer dans les classiques. »


Philippe Sollers

Extrait d’un article de Thomas PITREL dans Vanity Fair , le 06/01/2015. Article très complet sur le parcours de Houellebecq titré « Mystère / Les absences de Michel Houellebecq » avec de nombreux témoignages et les dessous du transfert de l’auteur de Flammarion à Fayard.


Crédit : Vanity Fair
ZOOM... : Cliquez l’image.

Lien sur l’article de Vanity Fair ou archive pdf.


La carte et le territoire

Prix Goncourt

Le Goncourt sacre Michel Houellebecq en octobre 2010 pour son roman « La Carte et le Territoire », publié aux éditions Flammarion, prix pour lequel il était régulièrement cité depuis dix ans.

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L’écrivain Michel Houellebecq le 5 octobre 2008 à Paris.
(© AFP Olivier Laban-Mattei)
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L’écrivain semble aujourd’hui assagi, mûri, moins provocateur, sans toutefois perdre sa vision acide du monde ni son ironie. Dans La Carte et le Territoire, salué par une critique quasi-unanime, Houellebecq éreinte l’art, l’amour, l’argent, les « people » et met en scène son assassinat, particulièrement sanglant. Il se caricature avec jubilation : il « pue un peu moins qu’un cadavre » et ressemble « à une vieille tortue malade », écrit-il de son double littéraire.

DON POUR LES POLÉMIQUES

Pour Bernard-Henri Lévy, dont la correspondance avec Houellebecq a été publiée en 2008,« c’est quelqu’un de beaucoup moins mélancolique qu’on ne le croit, avec qui, moi, en tout cas, je ris beaucoup », affirme le philosophe.« Je m’inscris en faux contre son image de misanthrope. Il aime manger, il aime boire, il aime les femmes », assure BHL. « C’est un très grand écrivain qui veut juste avoir la paix », ajoute-t-il.

Né Michel Thomas le 26 février 1958 à La Réunion, selon sa biographie officielle, en 1956, selon d’autres sources, d’un père guide de haute montagne et d’une mère médecin, Michel Houellebecq est confié à six ans à sa grand-mère paternelle, dont il a adopté le nom. Il entretient un temps la fable de la mort de sa mère, Lucie Ceccaldi, qui, en 2008 dans L’Innocente (Scali), règle ses comptes avec lui. « Mon fils, qu’il aille se faire foutre par qui il veut, avec qui il veut, je n’en ai rien à cirer », écrivait cette femme à 83 ans. On comprend pourquoi les mères, et les femmes, n’ont jamais le beau rôle dans ses romans.

Crédit AFP

La Carte et le Territoire sur pileface


[1C’est une pratique que Sollers utilise aussi avec Kirk Douglas, préalablement à leur passage à Apostrophes ([voir article-186])

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