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Insula Rhéa (VI) - Epilogue avec Anton Webern

Le roman de l’été

D 25 août 2008     A par D. Brouttelande - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Alors que l’ouvrage de Carl E. Schorske Vienne fin de siècle venait de paraître et deux ans avant l’exposition Vienne 1880-1938, naissance d’un siècle au Centre Georges Pompidou, la revue art press consacrait son Hors Série N° 3 (premier trimestre 1984) à Vienne, présenté par Guy Scarpetta.

Philippe Sollers, sollicité par la revue, choisissait d’évoquer Webern (on fêtait le centenaire de sa naissance) et donnait un extrait de son journal.

Août 83

J’ai écouté dans la nuit la Symphonie opus 21 de Webern.

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Assis dehors, dans le jardin, marée haute.

Blocs de nuages dans le silence, chaque parcelle du paysage brusquement chargée. Le thème de la méditation était : après la conflagration, méditation dans le vide. Emotion cassée, soutenue, libre. Je voyais la combinaison des éléments. Douze sons ? Les quatre éléments au cube. L’air solide, l’eau aérienne, la terre changée en respiration, le liquide en feu. J’ai commencé à pleurer. La musique de Webern exige qu’on pleure ? Ça m’est arrivé dès les premières auditions, il y a longtemps, je retrouve chaque fois le même point de rupture. Je peux difficilement en parler. Je suis très gêné de constater que quelqu’un n’est pas bouleversé par Webern. Toujours l’écran psychologie, la sale misère romantique. La concentration morale de W. est tellement haute qu’elle vous prend, debout, à l’extrême limite. La douleur, la joie, la douleur encore. Affirmation quand même ? Oui. Mais de quoi ? De rien. On verra plus tard. Il faut simplement passer.

Il passe. Il est passé. 23 février 1944, lettre à Willi Reich à propos de Hölderlin. « Vivre, c’est défendre une forme ».La création de la beauté, non pas l’impression qu’elle fait. Le geste jusqu’au bout d’ ?dipe. Mais oui, les yeux crevés, l’oreille multipliée par le hurlement de la reine, la fille bien découpée dans le secret, le bois où l’on sombre. Il disparaît tout entier. Le son est autour de lui. Anecdote ridicule : « heideggerienne » qui ne peut pas écouter Webern. La main d’Hölderlin sur l’archet.

Attaque du quatuor opus 28. Message radio dans la nouvelle guerre mondiale. Valeur et signe universel « civilisation ». Comme La Flûte Enchantée. Vérité Viennoise au temps des missiles. Plus que Schoenberg, mieux que Berg, encore liés au pathos dix-neuvième. Bien mieux que Stravinsky ballets russes. Le soir, au Parthénon, Cariatides de l’Erechtéion.

Comme le ciel aime Webern, là, bleu-sombre, attentif.

Quand j’ai commencé H , en pleine crise, je l’ai appelé d’abord  Das Augenlicht . Le Paradis était encore loin, c’était la direction, dans les ténèbres. Je savais que j’y parviendrais.

Sa fille ? Son Antigone ? Hildegard Jone. Seul avec elle, ses mots. Lui ne parle plus depuis longtemps. Il attend la balle perdue qui le vise. Le hasard dans la mort. Ne dites pas que ce n’est pas écrit dans les notes, cette détonation dont il ne pouvait rien savoir. Vous ne l’entendez pas ? L’artiste meurt dans le chaos sans signification du monde. Pas d’histoire, il signe l’instant.

Cantate N° 2, opus 31 (1943).

« Bien qu’il soit calme, le monde a toute sa couleur quand tombe le baiser de la lumière... »

Dessous, dessous, toujours plus dessous, par-dessous...

« Sehr tiefverhalten innerst Leben singt... »

La charité ? Oui.

« Freundselig ist das Wort... »

Le corps sanglant sur le trottoir.

« Gelockert aus dem Schosse in Gottes Frühlingsraum... »

Choeur de femmes, tourbillon des feuilles. La basse grave, articulée, désinvolte ; elles apparaissent, là-haut, elles portent le dépouillement.

C’est la guerre. Notre guerre.

Crédit : artpress

Anton Webern : Im Sommerwind (Dans le vent d’été) par l’Orchestre national de France

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1 Messages

  • A.G. | 11 septembre 2008 - 21:12 1

    Dans le numéro 51 de Tel Quel (automne 1972) Sollers publiait un long extrait d’un " travail en cours " - il s’agit de son roman H - sous le titre Das Augenlicht. Allusion à une composition d’Anton Webern sur laquelle il reviendra, au moment de la publication du livre, dans un entretien avec Jacques Henric publié dans art press n°3 de mars 1973 :

    « Le texte se déploie comme une cantate (je pensais aux cantates de Webern, par exemple Das Augenlicht) où les blocs de voix, percutantes, s’enlèvent au-dessus d’un passage à vide, pulsion continue. »

    Voici Das Augenlicht — " Durch unsere offnen Augen " (direction : Pierre Boulez) :

    [mp3]

    Pour démarrer l’écoute, cliquez deux fois sur la flèche verte

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