4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » THEMATIQUES » Sollers et le roman » Lire Joyce, tel quel
  • > Sollers et le roman
Lire Joyce, tel quel

Libération du 7 février 1982

D 8 juillet 2008     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


JPEG - 60.6 ko
Libération du 7 février 1982

L’église catholique a perdu un terrain substantiel avec Galilée qu’elle réhabilite d’ailleurs ces temps-ci avec l’humour énorme qui la caractérise ; elle a regagné tout le temps perdu grâce à Joyce.

Le phénomène a été immédiatement ressenti, il l’est de plus en plus, les choses vont s’aggraver, sacré paradoxe.

Le langage tourne. Et, contrairement à ce qu’on aura cru pendant deux mille ans, les corps gravitent en lui en s’imaginant qu’il est dans leurs têtes.

Pas du tout.

C’est Freud qui a quand même osé dire que sa petite découverte était à situer dans la dimension de Copernic. Joyce-Galilée fait le reste.

Que j’ai réussi à convaincre Lacan de se rallier à Joyce, lui qui traînait encore dans les vieilleries littéraires, n’est pas ma moindre satisfaction. Je n’ai pas eu le temps de lui expliquer Vico, mais peu importe, la science nouvelle est en marche, rien ne l’arrêtra plus.

" Toute l’écriture est de la cochonnerie ", disait Artaud, non sans raison pour un cinglé de son envergure.

Toute la cochonnerie du monde ne résiste pas à un truc tordu d’écriture, semble répondre Joyce, dont la folie furieuse s’est toujours impeccablement cachée derrière la plus impassible raison.

Il est de plus en plus comiquement évident que nous sommes dans la cochonnerie jusqu’à l’os. Comment l’utiliser, la relancer, la censurer, l’embellir, la nier, l’endiabler, l’alléger, voilà, en somme, les affaires humaines.

Joyce, lui, a choisi le court-circuit à la base. Qu’est-ce que la source de la cochonnerie, sinon l’incroyable prétention à l’idéaliser ou, à l’envers, mais ça revient au même, à l’imposer comme horizon indépassable ?

A pervers, pervers et demi. Joyce a poussé jusqu’au trois quart. Du coup, révolution intégrale. Le sexe ne tient pas dans la parole, on peut, en parlant, assister à son effondrement conséquent. C’est hilarant.

Sade, ce n’était pas mal pour en finir avec l’infâme hypocrisie de la représentation. Mais enfin, bon, ça va, on a compris. Joyce pousse plus loin dans l’esprit du mot. Ne pas oublier que Wake ne veut pas eulement dire " réveil " mais " sillage ". La queue de la comète à syllabes zèbre la nuit des langues et illumine, le temps d’ouvrir les yeux comme les oreilles, le sommeil de mort qu’on appelle la vie.

Note au vol. Le rêve qui vient d’avoir lieu. Les lapsus du jour. Cet accent-là dans la voix. Ce nom-là. En anglais, italien, allemand, espagnol, danois ou chinois. Le langage n’arrête pas de tourner, et bien entendu l’histoire tourne en lui malgré les militaires de service. " L’histoire est un cauchemar dont j’essaie de m’éveiller ", laisse tomber Joyce, toujours élégant et intransigeant. C’est lui qui a posé les conditions et, comme de juste, à coup d’argent. " Sans Saint Patrick, je ne serai jamais aller jusqu’au bout ", dit-il encore. Tout le monde le regarde avec des yeux ronds.

Ulysse s’écrit seize heures par jour. Finnegans Wake, 24 sur 24. Le marché littéraire continue ? Aucune importance. Où se trouve la banque centrale, ça finit quand même par se savoir.

Alors, " au commencement était le verbe ", et patati et patata ? Tout ça pour en arriver là ? Don des langues ? Pentecôte ? Résurrection ? Toute la gomme ? Ne vous crispez pas. Considérez votre voix.

Joyce n’a pas cent ans.

Il est sans temps.

Phillipe Sollers, Libération du 6 février 1982.

JPEG - 125 ko
Document photographié à partir des " James Joyce archives " dont la publication a été réalisée en 1978 par Garland Publishing (New York and London)

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


1 Messages

  • A.G. | 2 mai 2012 - 19:51 1

    Batailles autour des manuscrits de James Joyce

    Les oeuvres de James Joyce sont tombées dans le domaine public en ce début d’année 2012. Mais la question des manuscrits de l’écrivain est encore loin d’être résolue. Aujourd’hui, la bibliothèque nationale d’Irlande et l’éditeur Dany Rose se disputent les droits autour de ces manuscrits. Cf. actualitte.com.