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Rallumez les Lumières !

suivi de Mystérieux Voltaire.

D 23 décembre 2006     A par Albert Gauvin - C 8 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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"Le sang innocent crie et, moi, je crie aussi..."

Un dossier très intéressant du Nouvel Observateur consacré au Siècle des Lumières sous la direction de Sylvain Courage.

En introduction, dans sa chronique, Jacques Julliard écrit : « L’Ancien régime intellectuel n’a pas pris fin en 1789 mais en 1715. Dans les trente-cinq années qui précèdent la mort de Louis XVI, remarque Paul Hazard dans un livre classique, on assiste à un basculement sans précédent par sa radicalité et sa rapidité de toutes nos manières de penser. Tout à coup, la hiérarchie, la discipline, l’ordre, l’autorité, les dogmes s’effacent devant des valeurs nouvelles qui se nomment science, raison, liberté de conscience. C’est sans doute dans le domaine religieux que le bouleversement est le plus profond, au moins pour les classes dirigeantes. Le droit divin cède le pas au droit naturel. La grande vaincue, avant la monarchie, c’est l’Église catholique. "La majorité des Français pensait comme Bossuet, tout d’un coup, les Français pensent comme Voltaire : c’est une révolution". »

On lira ci-dessous le texte de Sollers — qui ouvre le dossier — Rallumez les Lumières, prolongement d’un précédent article Rallumons les lumières et de bien d’autres.


 Rallumez les Lumières 

Quentin de La Tour, Portraits de Voltaire.
A gauche, la préparation au portrait de Voltaire vendue par Christie’s à Paris le 8 mars 2004
(lot 257, repr., 33,7 x 25,6 cm). Travail de copiste.
A droite, Préparation au Portrait de Voltaire. Pastel sur papier brun ;
composition agrandie en bas d’une feuille de papier gris-bleu, 36 x 28,5 cm (avec agrandissement). Musée Lécuyer.

Je pense à l’actualité massacrante et confuse, j’ouvre le « Dictionnaire philosophique », je vais droit à l’article « Fanatisme », je tâche de comprendre pourquoi il s’agit d’une maladie endémique et épidémique qui, gangrenant les cerveaux, est presque incurable. « Dès que ce mal fait des progrès, dit Voltaire, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. » Il ajoute : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »

Bonne question, et qui se repose sans cesse (on se croirait aujourd’hui à Bagdad ou au Proche-Orient). Le fanatisme serait donc éternel, comme les dévots en tout genre, il s’agirait d’une pathologie génétique sur fond de sauvagerie, réclamant sans cesse sa ration de sang, véritable histoire de vampires. Nous avons été payés pour le constater depuis deux siècles, et ça continue de plus belle, n’est-ce pas, inutile de s’appesantir.

Je vais maintenant, avec curiosité, à l’article « Egalité », et je lis : « Chaque homme, dans le fond de son coeur, a le droit de se croire entièrement égal aux autres hommes ; il ne s’ensuit pas de là que le cuisinier d’un cardinal doive ordonner à son maître de lui faire à dîner, mais le cuisinier peut dire : « Je suis homme comme mon maître, je suis né comme lui en pleurant ; il mourra comme moi dans les mêmes angoisses et les mêmes cérémonies. Nous faisons tous les deux les mêmes fonctions animales. Si les Turcs s’emparent de Rome, et si alors je suis cardinal et mon maître, cuisinier, je le prendrai à mon service. » Tout ce discours est raisonnable et juste ; mais en attendant que le Grand Turc s’empare de Rome, le cuisinier doit faire son devoir, ou toute société humaine est pervertie. »

Le plus étonnant, avec Voltaire et les autres, c’est la sensation de présence intense et mouvante que leur voix dégage en vous éclairant. Immédiateté, netteté, simplicité, drôlerie, art du récit concentré et de la maxime. On est devant des corps en action, et ces corps sont eux-mêmes une aventure permanente où rien n’est jamais arrêté ni acquis.


Qui a peur des Lumières ? Tout le monde, à commencer par ceux qui s’en sont proclamés les propriétaires ou les notaires, transformant un mouvement minoritaire à haut risque en catéchisme de clichés, en boutique petite-bourgeoise de prêt-à-penser. Ces gêneurs lumineux sont sans cesse en procès. Les religieux s’en méfient, et à juste titre, mais aussi les philosophes, ces « prêtres masqués » (Nietzsche), les professeurs, les politiques, les intellectuels, les marchands d’opium pornographique ou publicitaire. Un nouveau clergé est venu se greffer sur l’ancien, une nouvelle lourdeur physique et morale organise l’ignorance et ses intérêts. Laideur, bêtise, conformisme, résignation, servilité, violence, mensonge, cupidité, voilà l’éternel programme de l’Obscurantisme, ce beau mot doit être repris et précisément appliqué avec l’ironie qui convient, l’Ironie, grande arme des Lumières contre le faux sérieux, cul de plomb de l’esprit grégaire.

L’essentiel est là : la révolte de quelques individus (« le petit troupeau », dit Voltaire) contre les injustices hurlantes ou les préjugés de leur temps et de tous les temps. Solitude des Lumières, oui, voilà ce qu’on ne dit pas et que tout s’emploie à cacher. Dieu est mort, dit-on, mais son agonie n’en finit pas d’empuantir l’atmosphère, le Collectif règne, alors qu’il suffirait d’être douze pour changer d’air. J’allume une bougie, je sors en plein jour dans la rue, je cherche un partisan des Lumières, et je ne trouve que des douteurs ou des névrosés plus ou moins décérébrés. Les Lumières ? Elles sont désormais introuvables, me dit l’un, elles se sont aveuglées, reprend un autre, elles sont dépassées et ringardes, affirme un troisième, elles ont préparé les totalitarismes, ajoute le plus effronté. Voltaire ? Vous plaisantez, son programme est nul. D’ailleurs, il est mort riche (péché mortel pour la gauche), il se moque de tout (condamnation à droite), il était anglophile, sinophile et peu républicain (huée générale). On l’a surnommé « l’aubergiste de l’Europe » ? Vous voyez bien, il n’est pas de chez nous.

Des écrivains, soudain, se mettent à penser. Ils ne demandent pas la permission, ils n’enseignent pas à l’université, ils sentent que la situation est urgente, qu’une grande mutation est en cours, d’où rassemblement clair de mémoire, obsession de la transmission, lutte contre l’amnésie et l’absence de goût, nécessité d’une refondation encyclopédique, interventions en tout genre (lettres, journaux, romans, essais, libelles, dictionnaires, recherches historiques, passion des bibliothèques). Ce sont tous d’immenses lecteurs, et d’autant plus qu’ils redoutent par-dessus tout la disparition de l’art de lire, le coup du livre unique (Bible, Coran), et peut-être même, un jour ou l’autre, l’extinction de la lecture elle-même, c’est-à-dire la fin de l’esprit critique et de la liberté de penser (nous y sommes presque).

Les Lumières ? Des surréalistes, des professionnels de l’intervention. Ils sont transversaux, ils détestent la séparation, ils se mêlent de tout en se jouant, ils sont médiatiques. Regardez Diderot peint par Fragonard : l’éveil, la fraîcheur, l’inspiration mêmes [1]. Il sort de ses papiers comme un oiseau, on croirait entendre Mozart. Vous allez le rencontrer vers 5 heures du soir au Palais-Royal, Diderot. Il suit « la première idée sage ou folle qui se présente », il « abandonne son esprit à tout son libertinage ». Comme par hasard, il y a là des courtisanes « à l’air éventé, au visage riant, à l’oeil vif, au nez retroussé ». Vous connaissez ce mot célèbre et scandaleux : « Mes pensées, ce sont mes catins. » Voilà un bon sujet de dissertation : expliquez ce que Diderot a voulu dire dans cette formule étrange.

Voltaire et les « affaires » (Calas, chevalier de La Barre) : «  Le sang innocent crie et, moi, je crie aussi ; et je crierai jusqu’à ma mort. » Et puis, sans cesse, ces fusées : « Comme je suis fort insolent, j’en impose un peu, et cela contient les sots. » Ou bien : « J’ai un petit malheur, c’est que je n’écris pas une ligne qui ne coure l’Europe. » Ou bien : « Je suis d’un caractère que rien ne peut faire plier, inébranlable dans l’amitié et dans mes sentiments, et ne craignant rien, ni dans ce monde-ci ni dans l’autre. » Ou bien : « Je vais vite parce que la vie est courte et que j’ai bien des choses à faire. » Ou encore : « Je crois que j’étais né plaisant, et que c’est dommage que je me sois adonné parfois au sérieux. »

Solitude terrible de Voltaire, comme dans cette lettre de 1768 à d’Argental : « Cinquante ans de travaux ne m’ont fait que cinquante ennemis de plus, et je suis toujours prêt à aller rechercher ailleurs, non pas le repos, mais la sécurité. Si la nature ne m’avait pas donné deux antidotes excellents, l’amour du travail et la gaieté, il y a longtemps que je serais mort de désespoir. »

Les Français n’aiment pas qu’on leur rappelle le rôle joué par les Anglais dans l’étude de l’oeuvre et de la vie de Voltaire. Ils n’aiment pas non plus se souvenir que sa bibliothèque se trouve à Saint-Pétersbourg, 6 814 titres, classement des marginalia qui n’en est qu’à la lettre M. On a mis son jeune vieux coeur infatigable d’abord, avec ses restes, au Panthéon, puis, après des péripéties incroyables, dans le socle du modèle en plâtre de la statue de Houdon, « Voltaire assis », qu’on peut voir à la Bibliothèque nationale de France. Peu de visiteurs l’entendent battre encore en ce lieu. Maintenant, nous sommes le 18 février 1778, et Voltaire écrit : «  Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. » Sa main ne semble pas trembler en traçant ses lignes.

Philippe Sollers



Voir : Oeuvres complètes de Voltaire

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 Mystérieux Voltaire

Auto-ironie piégée, fausse modestie, immédiateté du propos, prestesse du geste : chaque lettre est un plaisir d’instinct. Correspondance de Voltaire, Tome XIII. Ed. établie par Théodore Besterman, avec l’index des treize volumes par Michel Léturmy, Gallimard, " Bibliothèque de la Pléiade ", 1 204 p.

Vous êtes déprimé, vous avez envie d’y voir clair. Vous trouvez l’époque confuse, grégaire, corrompue, bassement commerciale, lâche, fade, criminelle, nulle, absurde. Vous allez à la bibliothèque, vous choisissez des livres de la "Pléiade", vous emportez avec vous treize tomes de la Correspondance de Voltaire et un volume de ses Contes. Vous ajoutez un Rabelais, un Montaigne, un cardinal de Retz, un Pascal, un La Bruyère, un La Fontaine, deux Molière, un Bossuet, trois Sévigné, deux Montesquieu, huit Saint-Simon, un Diderot, un Sade, deux Chateaubriand, deux Stendhal, quatre Proust, trois, et bientôt quatre Céline. En tout, cinquante volumes. Quoi, uniquement des auteurs français ? N’êtes-vous pas suspect de sympathies nationalistes réactionnaires ? Vous ignorez l’objection. Vous disparaissez le temps qu’il faut, vous vivez modestement en zappant ferme votre télévision, vous ne cessez pas de lire. Puis vous revenez : la cure a été sévère, mais la France vous paraît maintenant un paradis méconnu. Vous être guéri, souple, léger, insoupçonnable. Le bruit, la vulgarité, la bêtise vous laissent de marbre. Tout est pour le mieux dans le pire des mondes possibles.

Vous êtes étonné, par exemple, que Voltaire, à propos de qui vous avez entendu tant de lieux communs, tienne si bien le coup. Pas une ride, une énergie constante. Dans le treizième et dernier tome de sa Correspondance, vous avez consulté l’index général des personnes et des personnages, environ quatorze mille noms. Quel roman ! Quel tissu animé ! quelle comédie humaine (tiens, vous auriez pu emporter aussi une douzaine de Balzac) ! Quelle vie de bizarre saint rusé ironique ! Quelle leçon de style endiablée ! Si votre pays a disparu en apparence, du moins vivez-vous intensément dans sa langue qui est, à elle seule, un immense pays dans le temps, un continent immortel.

Que d’intrigues on vous cache ! Comme on vous ment tous les jours ! Mallarmé avait raison : une fois évacuées les tragédies illisibles (à part Mahomet qu’il faudrait remonter ces temps-ci en plein Paris en hommage à Rushdie), on doit placer les lettre et les contes de Voltaire au "tabernacle pur des livres français". Tabernacle ? Quel mot ! Mais encore Mallarmé : « Le concis, ou le dégagé, égale, dans tel billet, la grâce du mobilier bref de l’autre siècle, ou les accords de Haydn. Jeu (avec miracle, n’est-ce pas ?) résumé, départ de flèche et vibration de corde, dans le nom idéal de "Voltaire." » "Tabernacle" ? "Miracle" ? N’insistons pas.

Faut-il que le dix-neuvième siècle (et le vingtième, donc !) ait été décevant, meurtrier, morbide et gluant pour que Mallarmé ait rêvé de Voltaire ! Mais il n’est pas le seul. En 1878, Nietzsche dédie Humain, trop humain à "l’un des plus grands libérateurs de l’esprit". Il est encore plus explicite et violent, contre Wagner et la religiosité pangermanique ambiante dans Ecce Homo : "Voltaire était avant tout, au contraire de tout ce qui a tenu la plume après lui, un grand seigneur de l’intelligence : juste ce que je suis aussi. Le nom de Voltaire sur un de mes écrits, c’était vraiment un progrès... vers moi-même."

Pourquoi cette passion et cette nostalgie de la part de deux exceptions aussi marquantes ? Il y a donc eu un temps où l’Europe était française ? Les Français, aujourd’hui, seraient les derniers à en être conscients ? Drôle d’histoire. Les Français ? Des Welches, dit Voltaire, c’est-à-dire des ignorants prétentieux et apathiques, frivoles, méprisant les lettres, bornés, égoïstes, superstitieux. On devra redouter le pire d’un front national welche. Mais, de toute façon, un écrivain français n’a rien de bon à attendre de ses compatriotes, seulement des cabales, des malveillances ou des calomnies. Dans le monde littéraire, c’est le règne de "l’immense canaille des écrivains subalternes". Il vaut mieux s’y habituer, c’est ainsi.

Diversité des correspondants, mobilité et variété des tons, conscience aigüe de soi et des destinataires, art de la relativité et des situations, auto-ironie piégée, fausse modestie, immédiateté du propos, prestesse du geste : chaque lettre de Voltaire, même la plus fonctionnelle, est un plaisir d’instinct. C’est une forme en soi, une enveloppe rapide, issue d’une tradition de conversation comme il n’y en a jamais eu. Comme l’écrit René Pomeau, l’admirable biographe de Voltaire : "Ceux qui se délectent dans les moiteurs de l’âme ne peuvent pas aimer cette vivacité décharnée."

Le sentimentalisme et la cruauté cynique sont la majorité ? Voltaire est tout le contraire : sècheresse feinte, sensibilité cachée. Son grand ennemi, dans tous les domaines, le Faux, l’Infâme, n’est rien d’autre que l’esprit d’inertie, de sommeil, de retard, d’indifférence, d’emphase creuse, de bigoterie. Il veut, lui, "donner à son âme toutes les formes possibles". Il sait que "le monde est rempli d’automates qui ne méritent pas qu’on leur parle".

Sa polémique acharnée contre un christianisme ensablé est-elle irréversible ? Sans doute, mais quelqu’un comme Renan a raison de se méfier. Il y a, dit-il, plus d’affinités qu’on ne croit entre le catholicisme et Voltaire. Finalement, dans la ligne Rousseau, l’avenir devrait être plutôt le protestantisme libéral qui, en Allemagne, à travers Herder ou Fichte, a connu une "merveilleuse éclosion." Renan ou Nietzsche ? Kant ou Voltaire ? On devine l’enjeu pour la suite. En vérité, nous en sommes toujours là.

Regardons Voltaire dans ses deux dernières années, 1777 et 1778. Ce qui saute aux yeux, c’est sa lucidité, son pessimisme, la constante précision de sa présence physique. A Condorcet : "Je vous aime et vous respecte en esprit et en vérité. Je me meurs, mais il n’y a pas grand mal." A d’Alembert : "Les charlatans en tout genre débiteront toujours leur orviétan. Les sages en petit nombre s’en moqueront. Les fripons adroits feront leur fortune. On brûlera de temps en temps un apôtre indiscret. Le monde ira comme il est toujours allé ; mais conservez-moi votre amitié mon très cher philosophe."

Comment ne pas être ahuri en lisant, par exemple : "J’ai été longtemps sur le point de passer du règne animal au règne végétal. Mon vieux et faible corps a été tout près de faire pousser les herbes de mon cimetière ; sans cela, je vous aurai remercié plus tôt." Ou encore, quelques jours avant sa mort (à d’Alembert) : "Je voulais courir à l’Académie. Deux maladies cruelles me retiennent. Je vous recommande, à vous et à mes respectables confrères, les vingt-quatre lettres de l’alphabet."

Philippe Sollers, La guerre du goût (initialement, Le Monde du 19.02.93).

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8 Messages

  • Albert Gauvin | 22 janvier 2023 - 18:30 1

    Tout lecteur de Sollers connaît son attachement au XVIIIe siècle dit "siècle des Lumières", et à Voltaire en particulier (Voltaire l’auteur de Candide ou l’optimisme que Nietzsche admirait). Pileface en porte les nombreux témoignages (cf. Index Lumières). C’est sans doute un des traits majeurs — pas le seul — qui distingue Sollers de bien des écrivains contemporains, y compris de ceux qui, parfois s’en réclament.
    En décembre 2022, D.B. nous signalait que l’historien Antoine Lilti, auteur de "L’Héritage des Lumières", allait occuper la chaire "Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle" au Collège de France. Le 8 décembre, Lilti donnait sa leçon inaugurale (à écouter ici). Dans un entretien, il disait : "Tout l’effort des Lumières consiste à penser les contradictions et les ambivalences de la modernité" (à lire ici). Alors que l’obscurantisme fait un retour massif, souvent sous le couvert de la science ou du progrès, je citerai un extrait :

    Le XVIIIe siècle, comme notre monde contemporain, est une période de profonde mutation. Le monde change très vite. L’Église perd progressivement son emprise sur les croyances et les mœurs ; les sociétés traditionnelles entrent dans la modernité avec l’essor des villes, du commerce, de la consommation ; les livres et les journaux deviennent des objets plus répandus ; enfin, les Européens accentuent leur emprise sur les autres continents. Les philosophes, les savants, les écrivains ont conscience de vivre une époque nouvelle, une véritable révolution sociale, économique et culturelle. Tout l’effort des Lumières consiste justement à rendre compte de ces transformations, à penser les contradictions et les ambivalences de la modernité.
    Bien sûr, notre situation est différente. Nous n’avons ni les mêmes outils, ni les mêmes expériences, ni les mêmes illusions. Pourtant, sur certains plans, nos inquiétudes contemporaines ne sont pas si différentes. Par exemple, nous croyons souvent que les philosophes du XVIIIe siècle étaient optimistes, qu’ils voyaient l’avenir comme une ère de progrès indéfinis. En réalité, ils étaient aussi inquiets. Ils croyaient aux vertus de la connaissance, ce qu’ils appelaient justement les « lumières », mais ils se demandaient comment faire en sorte que le progrès du savoir s’accompagne d’un progrès moral des sociétés et permette aux gens d’être heureux. En ce sens, nous avons beaucoup à apprendre des débats des Lumières, lorsque le progrès était encore une question, pas une religion.

    Antoine Lilti était l’invité de l’émission Le temps du débat le 12 janvier sur le thème Qui se réclame encore de l’universalisme des Lumières ?.


  • D.B. | 9 décembre 2022 - 17:06 2

    L’historien Antoine Lilti, auteur notamment de "L’Héritage des Lumières", désormais professeur au Collège de France où il s’occupera de la chaire "Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle".


  • Albert Gauvin | 11 janvier 2020 - 16:34 3

    L’héritage des Lumières

    Qu’est ce qu’être un homme des Lumières, aujourd’hui ? Alain Finkielkraut en débat avec ses deux invités Antoine Lilti et Roger Pol Droit.
    Comme le montrent Antoine Lilti dans son essai « L’héritage des Lumières » et Roger-Pol Droit dans son roman « Monsieur, je ne vous aime point », les Lumières n’ont pas d’unité doctrinale. Elles sont la scène de débats et d’interrogations. VOIR ICI.


  • Albert Gauvin | 29 décembre 2019 - 16:21 4

    En ces temps obscurs, écoutez :

    La critique des Lumières

    Signes des temps par Marc Weitzmann, 29-12-2019.


    Après l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, le « Traité de la tolérance » de Voltaire et l’appel formulé par le philosophe des Lumières en 1763 avait trouvé un écho particulier.
    Zoom : cliquez sur l’image.
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    Que l’on y voie l’espoir d’une liberté tolérante, l’éclat terni d’un projet d’autonomie fondé sur la Raison, la lumière d’une démocratie à réinventer ou encore un système philosophique ayant accouché des pires excès d’un monde froid et calculateur, Les Lumières sont au coeur du débat.

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    En France plus qu’ailleurs - peut-être en raison de son rôle supposé dans la Révolution — ce que l’on appelle l’héritage des philosophes des Lumières joue un rôle majeur dans le débat public. Qu’il s’agisse des débats sur la laïcité, sur l’identité nationale ou sur la construction européenne, cet héritage est aujourd’hui invoqué par tout le monde. Pour s’en réclamer, comme les manifestants du 11 janvier 2015 qui firent grimper en flèche les ventes du Traité sur la tolérance de Voltaire, ou comme les partisans de l’Union Européenne qui voient dans le Parlement européen l’outil qui permettra la résurrection de l’esprit de Diderot et de Goethe. Ou pour l’attaquer, qu’il s’agisse des tenants des études post-coloniales, qui voient dans les Lumières le soft power du capitalisme et de l’impérialisme, des islamistes pour qui elles sont un "acide destructeur de la foi", ou des anti-modernes contemporains comme Michel Houellebecq qui, dans un entretien récent, considère la Renaissance et les Lumières comme autant de "catastrophes civilisationnelles."

    Devenues une sorte de mot de passe pour désigner les sources idéologiques de la modernité occidentale, Les Lumières sont donc et plus que jamais au cœur du débat.

    Mais "L’héritage des Lumières" est aussi le titre du livre de l’historien Antoine Lilti, exceptionnel par son ambition et par le regard qu’il pose sur l’air du temps aujourd’hui.


    L’Héritage des Lumières. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

    L’Héritage des Lumières
    Ambivalences de la modernité

    Antoine Lilti

    Les Lumières sont souvent invoquées dans l’espace public comme un combat contre l’obscurantisme, combat qu’il s’agirait seulement de réactualiser. Des lectures, totalisantes et souvent caricaturales, les associent au culte du Progrès, au libéralisme politique et à un universalisme désincarné.
    Or, comme le montre ici Antoine Lilti, les Lumières n’ont pas proposé une doctrine philosophique cohérente ou un projet politique commun. En confrontant des auteurs emblématiques et d’autres moins connus, il propose de rendre aux Lumières leur complexité historique et de repenser ce que nous leur devons : un ensemble de questions et de problèmes, bien plus qu’un prêt-à-penser rassurant.
    Les Lumières apparaissent dès lors comme une réponse collective au surgissement de la modernité, dont les ambivalences forment aujourd’hui encore notre horizon. Partant des interrogations de Voltaire sur le commerce colonial et l’esclavage pour arriver aux dernières réflexions de Michel Foucault, en passant par la critique postcoloniale et les dilemmes du philosophe face au public, L’Héritage des Lumières propose ainsi le tableau profondément renouvelé d’un mouvement qu’il nous faut redécouvrir car il ne cesse de nous parler.


  • A.G. | 20 février 2017 - 11:03 5

    On s’ennuie rarement en écoutant Les chemins de la philosophie sur France Culture.
    Aujourd’hui La Correspondance de Voltaire, première émission d’une série consacrée aux "Lumières en dialogue". L’invité est Alain Sager, auteur de Apprendre à philosopher avec Voltaire (Ellipses, 2012).


  • A.G. | 17 février 2008 - 22:35 6

    Bernard-Henri Lévy, philosophe

    Voltaire : la lumineuse noirceur d’un résistant lucide

    Quelle est la place de Voltaire et de son oeuvre dans votre itinéraire philosophique ?

    Histoire complexe. Car peu de place au commencement. Très très peu de place, dans l’itinéraire d’une génération formée au lacanisme, à l’althussérisme et aux règles austères de l’antihumanisme théorique. Demi-philosophe, pensions-nous. Métaphysicien du dimanche. Un écrivain immense, certes. Mais, justement, presque trop grand. Trop gigantesque. Eclipsé par l’énormité même de ce nom propre, devenu quasi- nom commun. Ah, la fatalité des oeuvres perçues, à tort ou à raison, comme moins éclatantes, moins intelligentes, que leurs auteurs ! Pauvre Voltaire... Et puis, au fil des ans, contre les clichés, les idées toutes faites, l’obscurité de cette gloire trop vaste, la conjuration des non-lisants, le hideux sourire, etc., la double découverte - pour moi, en tout cas, à la fin des années 1970 - d’une aventure de vie et de pensée qui va, soudain, beaucoup compter. Vie ? Mobilité. Lucidité. Energie indomptable. Courage physique et moral. Stratégie. Guerre.

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    Repères

    Né à Paris en 1694, mort en 1778 à Paris, François-Marie Arouet prit le nom de plume de Voltaire vers 24 ans, alors qu’il connaît déjà ses premiers grands succès au théâtre. Dès ses années de jeunesse, ce fils d’une famille relativement modeste se fit remarquer par son talent de versificateur et son sens de l’ironie. Sa vie est un roman aux péripéties multiples, où les revers de fortune ont d’abord souvent succédé aux coups d’éclat. C’est en exil à Londres, de 1726 à 1728, avec la lecture de Locke et de Newton, qu’il découvre la philosophie et la science nouvelles et va s’employer à les faire connaître à l’Europe entière au fil d’une multitude d’écrits.

    L’oeuvre de Voltaire, qui couvre plus d’une centaine de volumes, est l’une des plus diverses qui soient. Théâtre, contes, poèmes, traités, romans voisinent avec les pamphlets et avec l’immense correspondance entretenue avec tous les grands esprits de son époque. Installé à Ferney, aujourd’hui Ferney-Voltaire, près de la frontière suisse, couvert de gloire et fortune faite, la soixantaine passée, il aurait pu s’assagir. C’est au contraire à ce moment de son existence que Voltaire prend le plus de risques, mène les plus violents combats pour la justice, la tolérance et les libertés. Incarnation de la figure du philosophe des Lumières, Voltaire, que l’on a parfois caricaturé ou méprisé au XXe siècle, est, avant Zola, Sartre ou Foucault, l’inventeur de l’intellectuel engagé et des combats éthiques.

    Oui, le fait même d’exister et d’écrire conçu comme une guerre de tous les instants. "Je fais la guerre", dit-il à ceux qui lui reprochent de s’acharner contre le mauvais dramaturge Crébillon. Je suis une armée à moi tout seul. Je suis un parti. Un Etat. Je suis ce réseau d’amis, cette inavouable constellation d’alliés, d’émissaires ambigus et plus ou moins fidèles, je suis cette machine militaro-littéraire qui me permet de résister aux puissants et de les interpeller, de survivre et de contre-attaquer, de ruser sur l’accessoire et de ne rien céder sur l’essentiel. Un type d’homme, une physiologie, qui annoncent ce qui, bien plus tard, deviendra l’Intellectuel et que je retrouverai dans l’aventure et le cas de Sartre.

    Pensée ? Eh oui. La pensée de Voltaire. Son système. C’est-à-dire son pessimisme ; son antinaturalisme ; sa lumineuse noirceur ; sa conviction que la civilisation est un mince, très mince vernis, qu’abolira toujours un désastre de Lisbonne ; son refus des consolations, théodicées, enchantements, que fournissent les théologiens, mais que ne dédaignent pas, hélas, les philosophes patentés. Voltaire contre Leibniz. Voltaire contre la terrible illusion d’un Mal soluble dans le meilleur des mondes. Voltaire comme un formidable antidote à l’universelle volonté de guérir.

    Quel est le texte de Voltaire qui vous a le plus marqué, nourri, et pourquoi ?

    S’il faut en choisir vraiment un, un seul, et le recommander à qui n’aurait pas compris l’urgence qu’il peut y avoir à se plonger dans ce flot de mots dont, comme l’enfer selon saint Bonaventure, on ne sait jamais trop s’il est brûlant ou glacé, je prendrai un petit texte peu connu ou, plus exactement, oublié (l’édition critique proposée, il y a sept ans, par Roland Mortier aux éditions Voltaire Foundation est épuisée), mais qui eut, sur le moment, en 1766, un certain succès : Le Philosophe ignorant. C’est un livre très court. Quelques dizaines de pages à peine. Il est construit en 56 "questions", ou "ignorances", ou "doutes", qui ne font parfois que deux lignes - la "table des doutes", en fin de volume, est déjà, à soi seule, un régal d’ironie, de mordant, de style. Tout Voltaire est là. L’incrédulité. La haine de la sottise et du fanatisme. Les formes a priori de la sensibilité obscurantiste. Les catégories de l’entendement, et de la raison, terroristes. L’apologie de ce que nous appellerions, aujourd’hui, le libéralisme et qui trouverait, dans les mots de Voltaire, renforts et munitions. Un abrégé d’anti-Rousseau et, encore une fois, d’anti-Leibniz. Mais aussi cette autre idée qu’il y a un second combat à mener, parallèle en quelque sorte, symétrique et complémentaire, sur le front de ce qu’il nomme, ici, le "moderne spinozisme". Qui sont les modernes spinozistes ? Grimm. La Mettrie. Les athées professionnels. Les enragés de la haine de Dieu. Tous ces gens qui ne lui pardonnent pas sa théorie du "grand horloger".

    Tous ces acharnés contre l’idée même d’une "Lettre" dont il est certes le premier — mais justement ! La complexification, la reprise, n’en ont que plus de prix ! — à insulter, dans telles ou telles pages, insupportables, du Dictionnaire philosophique, l’éclatante généalogie. L’erreur, autrement dit, qui consiste à penser que la laïcité, la rupture du théologico-politique, le droit imprescriptible à l’incrédulité, à l’incroyance, devraient nécessairement impliquer un barrage contre la croyance pacifique, le testament de Dieu, le symbolique. Tout est là. Quelle leçon !

    Selon vous, où l’oeuvre de Voltaire trouve-t-elle aujourd’hui son actualité la plus intense ?

    Dans la lutte contre l’islamisme radical. Pas l’islam, l’islamisme. La folie meurtrière de ceux qui, comme les tortionnaires du Chevalier de la Barre, dans des termes finalement voisins des leurs, martyrisent et tuent au nom de Dieu. Voltaire a puissamment contribué à ce que soit écrasé l’infâme de son époque. Le même Voltaire nous aidera à terrasser l’infâme d’aujourd’hui - c’est-à-dire le parti, à la fois très vaste et indécis, de ceux qui voient dans le Coran un livre impeccable, intouchable, et dont les prescriptions seraient sans recours ni merci.

    Il a, ce voltairianisme contemporain, le visage de Salman Rushdie quand il réclame le droit à la fiction jusques et y compris dans sa lecture de la geste de Mahomet. Il a celui de l’écrivaine bangladeshie Taslima Nasreen revendiquant le droit, conquis par les héritiers des autres religions monothéistes, de quitter la foi de ses pères et de se choisir elle-même, librement, un destin. Et il a celui, enfin, d’Ayaan Hirsi Ali, cette jeune Hollandaise d’origine somalienne condamnée à mort par les islamistes, pourchassée, vouée à une impossible vie, parce qu’elle croit, premièrement, que l’on peut être né en islam mais ne pas vouloir y demeurer - et, deuxièmement, que l’on peut y rester mais sans s’interdire d’en réviser, moderniser, démocratiser, certaines prescriptions (mariages forcés, mutilations subies ou consenties, primat de la règle communautaire sur le désir des sujets, etc.). Ayaan Hirsi Ali n’est pas Voltaire. Mais c’est Voltaire qui l’inspire. C’est Voltaire qu’on veut assassiner à travers elle. Ils sont, ces assassins possibles, comme le pétainiste Abel Bonnard livrant aux nazis la statue de bronze de Voltaire afin qu’ils en fassent des obus. Défendre Rushdie, Nasreen ou Ayaan Hirsi Ali, c’est défendre la statue, la mémoire, l’héritage de Voltaire.

    Propos recueillis par Jean Birnbaum
    Article paru dans Le Monde des livres du 15.02.08.


  • dbrouttelande | 26 décembre 2006 - 18:25 8

    Voilà qui ne peut que nous inciter à retrouver le N° 25 de L’Infini (Printemps 1989) spécialement consacré à Voltaire...