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Ligne de risque

D 22 novembre 2006     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



La revue Ligne de risque a été fondée en 1997. François Meyronnis et Yannick Haenel en sont, avec Frédéric Badré, les animateurs. Dès le début, une exigence radicale : penser le nihilisme, penser le néant. Une rencontre essentielle : Philippe Sollers. Des expériences, des pratiques différentes, singulières, irréductibles, mais des références communes dont une, fondamentale : Lautréamont (comme déjà : les surréalistes, Guy Debord, Marcelin Pleynet, Tel Quel).

Les entretiens que Sollers a donnés à Ligne de risque ont été repris dans un livre Poker. Les entretiens entre Ligne de risque et d’autres penseurs (écrivains, philosophes, historiens...) ont été publiés sous le titre Ligne de risque. 1997-2005. Collection L’Infini.
Sollers a par ailleurs publié Ma tête en liberté et L’axe du néant de François Meyronnis, Introduction à la mort française, Evoluer parmi les avalanches de Yannick Haenel, et L’avenir de la littérature de Frédéric Badré.
Des extraits des prochains romans de Meyronnis et Haenel ont parus dans le numéro 96 de la revue L’Infini (automne 2006).

On lira ci-dessous pourquoi des écrivains "scissionnistes" ont rencontré régulièrement, pendant neuf ans, Philippe Sollers.


1. Entretien avec Frédéric Badré et François Meyronnis

2 juin 2004

Vous n’êtes que trois ou vous appartenez à un réseau plus large ?

Il y a un réseau plus large, avec d’autres gens qui interviennent régulièrement. Depuis le début, nous sommes en réalité quatre, puisqu’il y a Philippe Sollers. Sollers est une des composantes de Ligne de Risque. Pas du tout quelqu’un qui interviendrait comme un parrain extérieur, mais de fait, il participe à chaque livraison.

SOLLERS : LE PARRAIN ?

Est-ce que ça vous gêne, le rapprochement avec Sollers ?

Aucunement. C’est un jeune homme. Je l’envisage comme un jeune homme.

On a pourtant l’impression que vous ne l’assumez pas entièrement.

Frédéric Badré : C’est-à-dire ?

Vous n’assumez pas forcément cette allégeance.

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François Meyronnis

François Meyronnis : Il n’y a pas d’allégeance.

Ah bon ?

Il n’y a aucune allégeance.
Sollers a une oeuvre, c’est une chose, il a une visibilité médiatique, c’en est une autre. Et on n’y est assez peu sensible. Cette visibilité médiatique l’amène à prendre des positions qui sont de l’ordre de la falsification. C’est normal.

Et ça, ça ne vous dérange pas qu’il aille chez Ruquier ou s’affiche avec Loana ?

Ce que je fais est ce que je fais, ce qu’il fait est ce qu’il fait. En quoi cela me poserait-il un problème moral ? Je n’ai pas à lui demander d’être moral à ma place ! Il a sa stratégie, elle a un sens par rapport à lui. Il est d’une autre génération. Il a une notoriété qu’on pourrait dire « antéspectaculaire » : il a choisi de sur-apparaître dans les médias pour mieux s’en prémunir. Chacun peut être libre de dire s’il y arrive ou pas. Il se trouve, et c’est extraordinaire dans son cas, que tous les gens qui s’accommodent à la sauce média sont dissous par le média. Et pas lui, parce qu’il continue à penser. Et c’est ça qui nous intéresse. Il a toujours un rapport avec la pensée, et chaque livraison de Ligne de Risque peut en attester. Si on sait lire, on peut le vérifier.

Est-ce que Sollers est pour vous quelqu’un que l’on peut suivre afin de reconstruire ?

Il ne faut pas le suivre. Il est l’une des composantes de Ligne de Risque, pas plus, pas moins. Nous avons l’initiative des sommaires, il répond. Contrairement à nous trois, il a participé à un moment de l’histoire littéraire qu’il a lui-même théorisé comme étant la fin du littéraire, à travers Tel quel. Il a représenté le dernier mouvement de l’avant-garde, qui s’est achevé en 1982. (...)


2. Entretien avec François Meyronnis et Yannick Haenel

16 juin 2005

Dans l’un des entretiens qu’il vous a accordés, Sollers dit ceci : « Si la police, dans l’horizon de la subjectivité absolue, s’apercevait que, ici ou là, à L’Infini ou à Ligne de risque par exemple, le Néant se pense, alors la répression serait violente ». Franchement, pensez-vous réellement que la police puisse vraiment s’inquiéter de vos activités ?

François Meyronnis : (Rires) Non, bien sûr, mais ça dépend de ce qu’on appelle la police. Il y a des policiers qui s’intéressent furieusement à ce qu’on fait, qui suivent ça de manière convulsive. Ils sont plus ou moins cérébralement outillés. Ils ne sont pas dans les préfectures mais dans les maisons d’édition ou dans les rédactions.

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Yannick Haenel

Yannick Haenel : Dans les romans les plus vulgaires, nos noms ressurgissent parfois pour être stigmatisés comme ceux de l’ennemi. Je crois me souvenir que dans Partouz de Yann Moix, que nous n’avons jamais rencontré, il s’en prend de manière hystérique à notre sexualité. Il nous imagine lisant Joyce toute la journée au lieu d’aller coucher avec des filles. Le pauvre ignore qu’effectivement, quand on lit Finnegans wake, on atteint précisément à un corps irrésistible.

Vous êtes dans un rapport sans compromis avec le milieu littéraire. En quoi celui-ci est-il néfaste pour la "vraie" littérature ?

F.M. : Le milieu littéraire n’est même plus le milieu littéraire. Disons, en gros, que la société a absorbé la littérature : les institutions littéraires, aujourd’hui, sont totalement aux ordres de la marchandise. Et les gens qui les animent se remarquent par leur décérébration. Je me demande même si ce n’est pas devenu un critère de recrutement. Il n’y a même plus de "sociabilité" littéraire au sens où il y avait jadis une avant-garde et un académisme. C’est un milieu complètement disparate et contrôlé en dernier ressort par les médiatiseurs, qui sont aussi des pourrisseurs.

Y.H. : C’est vrai que c’est un milieu entièrement fondé sur la décomposition. Raoul Vaneigem, le complice de Debord, parlant de certains révolutionnaires qui n’avaient pas pris en compte le fait qu’un révolutionnaire est avant tout quelqu’un qui engage son langage, disait : "Ces gens-là ont un cadavre dans la bouche".

F.M. : Un vieil homme de lettres comme Dominique Noguez est par excellence quelqu’un qui a un cadavre dans la bouche. Noguez, en se mettant aux ordres d’une littérature calibrée de manière un peu nerveuse et très nihiliste comme celle de Houellebecq, montre comment un certain milieu littéraire classique accepte de se mettre au service de quelque chose qui est en train d’émerger pour le liquider. Ces gens-là acceptent leur mort et vont au-devant d’elle comme s’il s’agissait d’une libération.

Et vous vous continuez de penser que Sollers, lui, parvient, tout en étant complètement intégré dans ce milieu littéraire, à continuer à faire de la littérature...

F.M. : Voilà. C’est une tête de Janus. Il est toujours animé par un certain rapport avec la pensée. C’est très rare parmi les écrivains, aujourd’hui. Il y a très peu de têtes qui nous donnent envie d’aller les voir et de parler avec elles, dans le milieu littéraire.

Y.H. : Je pense effectivement qu’il n’y a rien à attendre des gens du milieu littéraire. On n’en a d’ailleurs jamais rien attendu, et on avait choisi très délibérément, François et moi, d’aller voir la seule personne qui nous semblait vivante : Philippe Sollers. A cause de Tel quel, nous pensions que la force insurrectionnelle qu’il avait eue en lui et qui l’avait amené à être le dernier moment des avant-gardes dans la littérature française, prouvait qu’il y avait encore quelque chose à faire avec quelqu’un comme lui. D’où nos rencontres régulières, d’où le livre qui récapitule tout ça : Poker. Mais à part lui, j’avoue fuir comme la peste ces gens-là, qui jouissent de leur propre ruine, évoluent dans les décombres et me répugnent.

F.M. : Ils sont pathétiques, et ennuyeux en plus. Les fréquenter est un calvaire.(...)

*



En 2003, dans L’avenir de la littérature, Frédéric Badré écrivait :

" Pourquoi Philippe Sollers tient-il cette place à Ligne de risque ? Si nous étions courageux, ou, pour le moins, cohérents avec nos positions "métaphysiques", il faudrait que nous rompions avec lui. Alors tout le monde nous ouvrirait les bras. C’es fou comme Ligne de risque serait fêtée, si nous nous en prenions à Sollers. Ce sont les axes qui comptent, répondons nous à chaque fois. Avez-vous lu les contributions de Sollers à Ligne de risque ? Par-dessus le marché, il est l’un des rares qui ait aujourd’hui un nom propre. Et nous en restons là avec un adversaire supplémentaire à notre actif. J’imagine, écrivant ces lignes, qu’il arrive que de son côté Sollers entende un discours du même genre. Mais que fabriquez-vous avec Ligne de risque ? Pourquoi soutenir des huluberlus pareils ? Pour les uns, nous sommes les valets de Sollers. Pour les autres, ses épigones légitimes. Sollers fait partie du complot Ligne de risque, moment lui-même de la conspiration qui va des Orphiques à Dada ; des mystiques taoïstes à l’IS ; des maîtres de la Kabbale à Tel Quel. Dans la mesure où quelque chose de mystérieux opère, alors tout le monde cherche à le détruire. Comme si le Grand Diviseur - diabolos en personne - avait passé ses consignes.

On verra un jour que les seules revues qui ont provoqué contre elles une telle malveillance au cours des quarante dernières années sont Tel Quel et Ligne de risque. Ce ne sont pas les engagements politiques qui déclenchent cette haine recuite, tenace, incessante. Ligne de risque n’est engagée nulle part, même si la dimension politique de ses énoncés n’échappe à personne. Le travail de sape de la bonne vieille taupe a toujours eu le don d’énerver les bons esprits. "

Voir aussi le bel article d’Alice Granger sur "Poker".

Et sur Pileface : Ligne de risque se manifeste sur tous les fronts

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3 Messages

  • A.G. | 23 septembre 2007 - 22:55 1

    Après Cercle de Yannick Haenel, François Meyronnis :
    De l’extermination considérée comme un des beaux-arts

    Editions Gallimard, « L’Infini », sortie le 27/09/2007.

    L’ouvrage
    « Le démoniaque va au plus simple. Il ne prend plus tant de détours. Il aurait tort, d’ailleurs. Plus sa méchanceté s’exhibe et mieux les humains se laissent mettre les menottes.
    Son programme s’affiche, il en fait étalage. Son dessein clignote : il apparaît en scintillant. L’anéantissement de la vie, voilà ce qu’il veut. Ou, ce qui revient au même, sa colonisation par la mort. Tantôt cela passe par l’agencement du massacre, tantôt par la grande herse de l’économie, ou par la capture des corps au plus intime. Une attaque filtre à travers des millions et des millions d’actes, de pensées, de gestes. »
    Cette force franchit la ligne de dévoilement avec les ?uvres de Littell et de Houellebecq. Tout le monde marche, et personne ne veut rien en savoir. On lit, mais dans la torpeur. Avec cynisme et innocence, ce livre prend le somnambulisme humain à revers. Dans le dos du Diable, il trouve la phrase de réveil.

    L’auteur
    François Meyronnis est né en 1961. Il coanime la revue Ligne de risque. Il a publié un roman, Ma tête en liberté, (L’Infini, 2000) et un essai, L’Axe du néant (L’Infini, 2003).

    Voir en ligne : Editions Gallimard


  • Gérard | 12 septembre 2007 - 13:48 2

    Peut-être se joue-t-il, autour de la ligne, plutôt au-delà, et dans le risque, un des élans littéraires porteur de nouveauté. Il suffit de lire les récits stupéfiants des écrivains fondateurs de la revue. Bravo

    http://poetaille.over-blog.fr

    Voir en ligne : Nulle part, par Haenel


  • Moshé | 23 novembre 2006 - 10:18 3

    Enorme bêtise mauvaise du journaliste. "Ah bon ?"

    On a pourtant l’impression que vous ne l’assumez pas entièrement.

    Frédéric Badré : C’est-à-dire ?

    Vous n’assumez pas forcément cette allégeance.

    François Meyronnis : Il n’y a pas d’allégeance.

    Ah bon ?

    Il n’y a aucune allégeance.