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Ludivine Sereni : « La rose dans la croix du présent »

Série Témoignages

D 18 mai 2023     A par Ludivine Sereni (Lu Di) - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Témoignage intimiste de Ludivine Sereni, une amie de pileface à ses débuts, qui nous dit, avec ses mots choisis et sa sensibilité propre, combien la lecture de Sollers a été "initiatique" pour elle.
V.K
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Bonjour Viktor,

C’est la roseraie éclatante et frissonnante du parc qui m’invita, vendredi dernier, à vous écrire. Portés par le vent de la mer [1], les mouettes planaient dans le bleu du ciel et les passereaux bondissaient dans les pittospores de Chine. Ils célébraient la beauté du fleurissement. Là, la rose avait son pourquoi.

À mon retour, avant de les laisser reposer dans le sel de l’encre quelques jours, j’écrivis ces quelques phrases. Moment de flottement… Que pouvais-je bien vous dire qui fût en mesure d’exprimer tout ce que les livres, l’esprit, la voix de Philippe Sollers ont été pour moi, et ce qu’ils continuent d’être ?

Jusqu’ici, je n’ai pu apprécier que le silence, le profond silence du recueillement. Je me suis recueillie dans ses livres, la réécoute de certains enregistrements, « Déroulement du Dao »,

« Écoute de Nietzsche ». La voix enveloppe et porte. Tessiture incomparable, corps dans la voix. Il apparaît aussitôt, ce corps, doté de certaines qualités : impassibilité, clarté, agilité, subtilité.

La veille de l’annonce de l’événement, je relisais Médium et notais, une fois encore, désirant l’approfondir, cette formule dans la formule, que vous retrouverez dans le chapitre « Ondes courtes » :

« Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre un jour, sur Médium, cette formule de Pascal :

« Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel. »

Cette formule, à apprendre par cœur, vous donne, en effet, la vive sensation du mouvement perpétuel. C’est un secret, c’est un point, un point dans un secret, un secret dans un point. »

Le lendemain, toujours sur ondes ultracourtes, je regarde, via la chaîne BBC News, la retransmission en direct du couronnement de Charles III. Bach, Haendel, Purcell, Byrd, Boyce résonnent au sein de l’abbaye de Westminster. Parfait. Cette coïncidence, ce surgissement du temps m’intéresse. Au-delà de toute considération politique, le couronnement, sorte de condensation de la Traumdeutung, de surimpression des signifiants, fait signe. Le royaume de Sollers était et est encore en ce monde ; il s’y abrite en retrait pour y surgir en son temps. Quelle meilleure couverture en effet pour cet agent secret que ce dernier, malade, qui ne voit, ne sent ni rien n’entend ? Le gros animal ignore donc tout du trésor. Coïncidence des opposés, de plus en plus visible, de plus en plus caché, Sollers, bienheureux souverain, sans disciples ni sujets, a su opérer le dégagement rêvé. Au grand dam des Parasites qui pullulent et prolifèrent, mais n’y comprennent toujours rien, Sollers est, c’est-à-dire : a été et sera . Il y a des choses que le temps efface, d’autres que le temps imprime de plus en plus, « la lumière du Graal est immortelle. Elle brille jusque dans les ténèbres, mais les ténèbres ne peuvent pas la saisir ».

Depuis et sans grande surprise, la pétaudière médiatique bat son plein, la dévastation est à l’œuvre, et, pendant ce temps, fatalement, ainsi que le souligne Yannick Haenel dans son dernier article, le malentendu règne. Sollers dérange, rebute, intrigue, prête à confusion. L’ironie, qui ne saurait se réduire à l’usage de l’antiphrase, atteint avec lui un nouveau degré d’adresse et de subtilité. Il le sait, ce ton fondamental, qui joue et se joue du Spectacle, le rend méconnaissable. Aussi, La Guerre du Goût aura lieu : « Il suffit d’ailleurs de demander de quoi parlent des romans comme Portrait du Joueur, Le Cœur Absolu, Les Folies Françaises, Le lys d’or, La Fête à Venise, Le Secret. De quoi exactement, que l’on ne trouve pas ailleurs ? Bonne question, que l’auteur laisse retomber dans le silence maussade. Ce silence ne sera pas éternel : une histoire est finie, une autre commence, ou plutôt une autre médiation de l’histoire attend ses acteurs. Ils sont à peu près en train de naître : laissons-les venir. Stendhal, mort en 1842, pensait être lu en 1934, il aurait pu ajouter un ou deux siècles. Il ne lui serait pas venu à l’idée de se demander si quelqu’un saurait encore lire d’ici là. »

Sollers sait ce qu’il dit. Pas un discours du semblant, mais un discours sagace, net, fluide, précis… parfait. Il ne survole pas mais traverse et lit à fond l’œuvre des singularités dont il ouvre l’histoire et dévoile l’existence poétique à travers le roman, qu’il considère comme « la continuation de la pensée par d’autres moyens », seul en mesure d’enregistrer et de susciter, simultanément et en toute saison, une écoute : Hegel, Nietzsche, Diderot, Saint-Simon, Proust, Bataille, Lacan, Casanova, Voltaire, Poussin, Pascal, Céline, Kafka, Lautréamont, Joyce, Pound, Picasso, Cézanne, Shitao, Manet, Rimbaud, Ponge, Bach, Mozart, Baudelaire, Sade, Tchouang-Tseu, Heidegger, Hölderlin, Eckhart, Dante, Shakespeare… C’est d’ailleurs ce très pointu maniement qui a fait de lui un voyageur du Temps.

Je l’ai découvert il y a dix-huit ans, en 2006, avec Une vie divine, et ne l’ai plus quitté depuis. Dans une lecture constante, ses phrases m’accompagnent, le principe alchimique opère : dégel, souffle, cœur, connaissance, temps retrouvé à chaque instant, éclaircie, rythme, beauté, volupté, rire, poésie, musique, joie, beaucoup de joies.

J’entends dire que les derniers Sollers sont les plus accessibles, et que l’on pourrait finalement s’en contenter. Grossière erreur. Il faut en effet avoir tout lu de Sollers pour capter toutes les nuances, l’acuité et la profondeur de ses derniers romans ; car si simplicité il y a, il s’agit en réalité de la plus pointue, la plus resserrée, la plus soutenue. L’Unique Trait de Plume s’y exerce, il est un déploiement infini de la multiplicité dans l’unité : Une curieuse solitude (1958), Le Parc (1961), Drame (1965), Nombres (1968), Lois (1972), H (1973), Paradis (1981), Femmes (1983), Portrait du Joueur (1985), Théorie des Exceptions (1986), Paradis II (1986), Les Folies Françaises (1988), Le lys d’or (1989), La Fête à Venise (1991), Le Secret (1992), La Guerre du Goût (1994), Studio (1997), Passion fixe (2000), La Divine Comédie (2000), Éloge de l’Infini (2001), L’Étoile des Amants (2002), Illuminations (2003), Une vie divine (2006), Un vrai roman (2007), Les Voyageurs du Temps (2009), puis tout s’accélère prodigieusement, « le cercle s’élargit, le centre s’approfondit, avec, pour conséquence, une commotion des dates », Discours Parfait (2010), Trésor d’Amour (2011), L’Éclaircie (2012), Fugues (2012), Médium (2014), L’École du Mystère (2015), Mouvement (2016) , Beauté (2017), Sollers quitte peu à peu le cercle, rejoint le Centre (2018), « et là, d’un coup, le monde nouveau se déploie », Le Nouveau (2019), Désir (2020), Légende (2021), Graal (2022) . (Et je n’ai pas cité l’intégralité de ses essais).

Je considère, pour ma part, que la lecture de Sollers est initiatique. Elle déniaise, émeut, empreint comme un sceau, enthousiasme (au sens que Rabelais donne à ce verbe), ravive, nourrit, encourage, révèle, transforme. Expérience intérieure semblable à celle de Dante buvant l’eau fraîche du fleuve Eunoé au Purgatoire : « Je m’en reviens de l’onde sainte / régénéré comme une jeune plante / renouvelée de feuillage nouveau / pur et tout prêt à monter aux étoiles ». Mémoire du bien, sacre étoilé de l’instant — primavera sempiterna.

Oui, chaque instant est divin. Sollers ne laisse pas de le répéter : « L’existence se présente sous la forme de petits romans métaphysiques, où chaque instant compte. Jean a bien vu ce qu’il a vu, le tombeau est vide . »

Oui, le tombeau est vide. Je vois, je crois.

Salut de cœur.

Ludivine

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