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Marc Pautrel « Un merveilleux souvenir » ou le comble pour un écrivain…

Une sombre affaire de famille

D 3 février 2023     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Quel est le comble pour un écrivain ?
- C’est de réussir à écrire un livre sur un livre impubliable
... Et c’est la gageure de ce livre !


On pourrait presque dire un antilivre comme on dit d’une phrase que c’est une antiphrase. Et c‘est le challenge de ce nouveau livre de Marc Pautrel, « Un merveilleux souvenir », à paraître le 9 février aux éditions Gallimard dans la collection l’Infini de Philippe Sollers.

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le livre sur amazon.fr
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Comment y réussit-on ? C’est notre propre défi que tenter d’y répondre quand le livre impubliable a pour sujet « une sombre histoire familiale, et trop difficile à lire, trop triste, cela affligerait les lecteurs, et d’ailleurs cela ne les intéresserait tout simplement pas, c’est ma famille, tout le monde s’en fiche. »

Eh bien, notre auteur commence par choisir une antiphrase comme titre du livre impubliable, réécrit pour être publié. Le récit de la sombre histoire familiale deviendra « Un merveilleux souvenir ». Qui dit mieux ?

L’auteur continue en prenant un biais, le récit de sa remise du manuscrit impubliable à son éditeur, de la relation auteur-éditeur qui la prolonge, un éditeur qui bien que pas nommé est introduit par cet éloge : « J’ai la chance de travailler avec l’un des plus grands romanciers vivants, tout à la fois auteur et éditeur depuis soixante ans, [...] , un homme de si précieux conseils pour moi, depuis une quinzaine d’années que nous nous connaissons »

Si vous fréquentez un peu ce site ou si vous êtes un peu familier de Marc Pautrel vous aurez reconnu Philippe Sollers. Vous allez découvrir l’homme et l’éditeur, coach provocateur et stratège chinois, un adepte de Sun Tsu et Clausewitz.

L’auteur consacre une part importante au récit de cette relation auteur-éditeur dans le contexte de la gestation de cet antilivre - cette réécriture du livre impubliable - et notre première section sera dédiée à cette relation, ce récit dans le récit.

Nous présenterons ensuite des extraits relatifs à l’intrigue proprement dite, le corps du sujet à travers les trois personnages du roman : sa sœur adorée, sa grand-mère et son grand-père.

Puis, nous consacrerons une section au style de l’écrivain. Comment tout ceci est-il écrit ?

Enfin, dans une section finale, compte tenu du tropisme de ce site, nous ne manquerons pas de vous présenter le portrait de Philippe Sollers vu par Marc Pautrel.

La relation auteur – éditeur


(photo Francesca Mantovani / Gallimard)
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Acte 1. Quand l’auteur doute de son texte sur sa sombre histoire familiale : « …c’est ma famille, tout le monde s’en fiche » l’éditeur le rassure » :

« Pas du tout répond-il, au contraire ; les histoires de famille, c’est ce qu’il y a de meilleur, tous les auteurs les cachent [1], alors qu’il faut les mettre au jour, il faut les publier, elles démontent les rouages de la société. »

« Mais si, mais si, envoyez moi ça, envoyez ! Attaquez la famille, attaquez la famille ! insiste-t-il en riant, ravi de sa provocation. »

Acte 2. L’éditeur a lu le manuscrit : « C’est parfait, c’est excellent, dit-il. Mais voilà, ce n’est pas publiable. Impossible. Sinon, on va droit à la procédure, on sera traînés en justice.
La situation est bloquée, ajoute-t-il il n’y a rien à faire. Vous vous êtes bloqué tout seul, en quelque sorte, dit-il encore en riant »

Et là, une première remarque sur le portrait personnel que l’auteur nous fait de Sollers, nous dressons l’oreille, ou plus justement nous ajustons nos lunettes : « Mon éditeur rit souvent, sans aucune méchanceté, par simple réaction naturelle devant des situations comiques »

Acte 3 . L’auteur tente un contournement : « Et si nous publiions sous pseudonyme, un jeune auteur qui signerait son premier livre ? Il répond : Votre style est inimitable, on vous reconnaîtra tout de suite, et de nouveau : procédure. »

Tiens donc, voilà une nouvelle entrée pour notre chronique : Le style de Marc Pautrel.

Acte 4  : C’est au tour de l’éditeur de relancer le jeu en proposant un contournement :

« Peut-être que vous trouverez une issue malgré tout, romancer davantage, utiliser la troisième personne, changer toutes les dates, tous les lieux, tous les âges qui sait ? »

C’est ainsi que de page en page, l’auteur relance le jeu, maintenant une tension qui fait que le livre se lit d’une traite, comme une intrigue psychologique ou policière.

« Cet éditeur me protège […] Vous ne pouvez raconter ce que cette personne a fait et qui elle est vraiment, parce que si elle est identifiable et elle le sera, vous serez lourdement condamné, et vous devez l’éviter parce que votre temps et votre énergie sont précieux. Cherchez une autre voie et vous trouverez » conclut la section suivante.

Et l’auteur mû par les conseils de son éditeur-coach-stratège chinois cherche à résoudre la quadrature du cercle– l’art du contournement comme à la guerre :

« Oui je peux encercler la chose sans jamais la décrire, tourner autour de la personne sans jamais la nommer ou permettre de l’identifier.
Je ne peux pas parler des causes, alors je parlerai des conséquences, de tout ce qu’on m’a volé. »

Au coeur du roman proprement dit

L’auteur déploie son antilivre autour de trois personnages : sa sœur adorée dans son adolescence, sa grand-mère et son grand-père. Sa mère et son père n’en font pas partie. Saurons nous pourquoi ? Directement ou indirectement ? La tension du livre repose sur l’allusif et le non-dit. L’auteur en joue avec brio.

Je me souviens de ma sœur adorée

C’est ainsi que commence la section 7 page 26 de ce court roman qui en compte 83 et se termine par une dernière phrase désabusée et justifiant à la fois le titre du livre :

« La famille n’est pas faite pour se frotter à la société, elle n’est pas faite pour grandir, sa durée de vie est limitée à une vingtaine d’années, ensuite cette famille n’est plus qu’un merveilleux souvenir. »

Et puis plus loin : « Je suis seul à présent, je n’approche plus jamais de ma sœur, et je dois déployer certains stratagèmes, quand je veux voir mon grand-père et ma grand-mère, pour ne pas la croiser. »

Pourquoi ? Suspens….

Je me souviens de mes grands parents

Puis nous faisons la connaissance des grands parents, de leur maison près de la plage qui sera détruite. Lourd mystère autour de cet événement, à la suite duquel, les grands parents s’installeront dans ces lieux de fin de vie que sont les établissements spécialisés, ces endroits dont l’actualité de l’année passée a mis à nu, le sordide qui peut s’y développer.

On traverse aussi le confinement décrété en France pour cause de pandémie, toile de fond sociétale, mais aussi repère temporel, et à l’image de ce que vit le narrateur : « c’est exactement comme un confinement : la solitude à l’intérieur du bonheur, un immense manque, quelque chose qu’on aurait oublié, et qu’on saurait avoir oublié, mais sans plus savoir de quoi il s’agit. […] J’appelle et personne ne répond, parce que là où je me trouve il n’y a plus que moi. »

Toute la fin du livre sera consacrée à ce grand-père et cette grand-mère chéris, les souvenirs heureux en toile de fond d’une confidence en forme de remord : « Je n’ai pas su protéger mon grand-père ni ma grand-mère, je n’ai rien vu venir, je n’avais pas le temps libre, ni les moyens financiers, pas la possibilité de lancer des avocats aux trousses de l’adversaire. Mes grands- parents étaient piégés, et donc j’étais piégé, je ne pouvais rien faire d’autre que me protéger et m’enfuir, abandonner le territoire à l’ennemi, admettre l’amputation pour survivre. »

Lourd aveu de l’auteur : « j’ai fui ! »

Sur le style de Marc Pautrel. Comment tout ceci est-il écrit ?

Quand l’auteur émet l’hypothèse d’écrire sous pseudonyme pour publier son livre impubliable, il entend son éditeur répondre :

« Votre style est inimitable, on vous reconnaîtra tout de suite, et de nouveau : procédure. »

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En quoi consiste donc ce style ?
Des romans courts autour de 80 pages. C’est sa jauge !
Ici 83 pages, 20 sections soit une moyenne de 4 pages par section.
Des phrases courtes, un vocabulaire issu du français usuel.
C’est facile à lire ! Les phrases semblent arriver les unes après les autres naturellement, sans qu’il y ait trace d’un travail d’écriture, pourtant nous verrons, ci-après dans des extraits d’un entretien sur la façon dont il écrit ses livres, que ce qui nous semble très naturel et spontané est en fait très travaillé. Et l’auteur sait maintenir une tension dans le roman, à l’intérieur de chaque section pour relancer l’intérêt et inciter le lecteur à lire la section suivante.

Une écriture efficace et une écriture à l’économie : Pas de gaspillage de mots et chaque mot a sa juste place.

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Extraits d’entretiens avec l’auteur

Comment travaille… Marc Pautrel ? - L’Art d’Ecrire…

STYLE

« Même quand le lecteur croit lire une phrase banale, si cette phrase le touche, il peut être certain que l’écrivain l’aura pensée telle et aura fait faire à la grammaire des prodiges secrets que lui seul connaît. »
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Etes-vous adepte du style, ou préférez-vous laisser la place à l’histoire ? Comment définissez-vous votre style, si vous pensez en avoir ?

On ne peut pas raconter une histoire sans style. C’est la langue qui prime toujours, même quand le lecteur croit lire une phrase banale, si cette phrase le touche, il peut être certain que l’écrivain l’aura pensée telle et aura fait faire à la grammaire des prodiges secrets que lui seul connaît. Je ne sais pas comment définir mon style, certains disent que j’écris avec sobriété, ou « au scalpel » comme on a dit pour mon nouveau roman Un voyage humain. J’essaye de varier les effets pour faire vibrer une corde sensible chez le lecteur. Je veux bien être vu comme un acuponcteur du langage, je plante des petites aiguilles sur les points d’énergies du lecteur afin de lui communiquer une pensée. […]
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« Même si je retravaille beaucoup les phrases, la plupart du temps le style est déjà inclus dans le premier jet. Bizarrement, je me corrige beaucoup pour revenir à la fin au premier choix »

Concernant votre style, vient-il naturellement, ou le travaillez-vous en réécrivant les phrases ?

Même si je retravaille beaucoup les phrases, la plupart du temps le style est déjà inclus dans le premier jet. Bizarrement, je me corrige beaucoup pour revenir à la fin au premier choix, comme un scientifique qui devrait faire ses vérifications expérimentales pour confirmer la découverte faite dans la première version.

Ecrivez-vous à la première, deuxième, troisième personne, et pourquoi ?

J’écris la plupart du temps à la première personne parce que c’est la meilleure façon de communiquer la part la plus intime de soi, et d’être reçu comme tel par le lecteur. On ne témoigne pas en disant « Il ». Quand je fais un portrait et que je raconte une vie, j’emploie le « Il » ou le « Elle » pour parler du personnage, mais en m’appuyant toujours sur une source incontestable : le « Je », en tant que témoin, soit qui a côtoyé la personne, soit qui a vu les lieux ou recueilli le témoignage d’une personne ayant connu le personnage.

RE-ECRITURE

Est-ce que vous réécrivez beaucoup, ou la première version vous satisfait-elle généralement ?

Je ne modifie pas beaucoup la première version mais je passe pourtant des mois dessus, c’est-à-dire que j’essaie de corriger, d’améliorer le moindre petit détail, la précision, la ponctuation, et même la métrique des phrases pour qu’elles tombent juste. Et je suis rarement satisfait de ce que j’ai écrit.

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 » Je corrige directement le texte sur l’ordinateur, en prenant soin de garder une copie quotidienne de la version corrigée, pour pouvoir toujours revenir en arrière. »
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Si vous ré-écrivez, le faites-vous durant l’écriture du roman, et/ou une fois que vous l’avez terminé ?

Je réécris après. D’abord, tout le premier jet. Ensuite, la dactylographie, ce qui prend à peu près le même temps que l’écriture manuscrite du premier jet. Et ensuite, je corrige la dactylographie. Il y a quelques années, j’imprimais et j’annotais le papier avant de porter ensuite les corrections sur le fichier informatique. Aujourd’hui je corrige directement le texte sur l’ordinateur, en prenant soin de garder une copie quotidienne de la version corrigée, pour pouvoir toujours revenir en arrière. Ce qui fait que je me retrouve avec sur mon ordinateur quelques deux ou trois cents versions successives de chaque manuscrit !

Sur le site L’Art d’Ecrire

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Rencontre avec Marc Pautrel : « Il vaut mieux rester dans son obsession »

par Claire Devarrieux, Envoyée spéciale à Bordeaux
Libération le 9 février 2018

EXTRAIT

Vous dites parfois « tenter d’écrire des livres »… Le premier jet, quand j’écris à la main, ça s’écrit tout seul, aussitôt je tape sur l’ordinateur, je relis, je corrige, je coupe. C’est pour ça que j’écris des petits livres. Un petit livre a une dynamique et se lit d’une traite, c’est l’influence des séries par rapport au cinéma, si je coupe des chapitres, ou à l’intérieur d’un paragraphe, il se crée une dynamique.

Philippe Sollers ne vous demande pas d’écrire plus long ? Sollers n’est pas du tout interventionniste. Il prend, ou il refuse, en bloc. Soit ça va aller dans la revue, soit ça va faire un livre. Je préfère cette manière de procéder, à un éditeur qui aurait des idées sur les sujets, ou sur la manière d’améliorer un texte. Il vaut mieux rester dans son obsession, travailler ses défauts.

Dans un montage serré, dans le choix d’écrire court, plus il y a des choses non détaillées, plus le lecteur est obligé d’inventer, de remplir les blancs. La lecture personnelle, en silence, est un processus qui n’a rien à voir avec le cinéma et la musique. C’est une construction mentale particulière. Le lecteur enrichit lui-même le texte. J’écris des textes courts aussi parce que je suis un lecteur de textes courts. J’adore Jean Echenoz, Pierre Michon. Dès que ça dépasse 200 pages, j’ai plus de mal. C’est comme quand on porte des paquets, on peut en porter un, deux, à un moment on ne peut pas en avoir davantage sur les bras. Je me sens comme ça avec un livre de 400 pages.

Ecrire : diriez-vous « bon qu’à ça » ? Non. Envie que de ça. C’est là qu’est la vie. On croisait encore récemment dans le hall de Gallimard Roger Grenier et J.-B. Pontalis, écrivains tous deux très âgés. Le fait d’écrire, de lire, d’être dans le travail, cette envie de langage les a tenus vivants.

Libération

Le Philippe Sollers de Marc Pautrel

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Quand je revois mon éditeur quelques mois plus tard, il me demande des nouvelles de ma grand-mère, dont je lui avais déjà dit combien elle était malade. Chaque fois que nous nous rencontrons, il prend des nouvelles de moi et de mes proches, il est très attentionné, sensible, le cas échéant touché par le malheur des autres, l’exact contraire des portraits médisants que font de lui la presse parisienne et les auteurs jaloux.

Je retrouve son minuscule bureau, paradoxalement l’un des plus petits de cette grande maison d’édition, une pièce tout en longueur, remplie de livres parfaitement rangés, biographie de Voltaire, affiches d’expositions de peinture, calligraphies chinoises, et une pièce si étroite que la table où il travaille a été disposée de biais parce qu’elle ne tenait pas dans le sens de la largeur. Je retrouve aussi, posés sur sa table, les objets orientaux, l’éléphant blanc, le dé, les dossiers, les manuscrits entourés d’élastiques, les cigarettes Camel préparées à côté du cendrier et du fume-cigarettes. Par la fenêtre, on voit les arbres du jardin de l’hôtel particulier et la rue, le VIIe arrondissement de Paris. Cette fois, je suis si préoccupé que je ne prends plus la peine, comme les fois précédentes, de détailler du regard tout ce qui m’entoure dans cette pièce électrique. J’entre, mon éditeur déclame aussitôt mon nom en guise de salut et il me tend la main.

Je lui raconte ce qu’il s’est passé depuis notre dernière rencontre. Les manœuvres et les développements, la chute violente de ma grand-mère, les mauvaises décisions jusqu’à la caricature. Il me répond d’un air désolé : « C’était prévisible. » Oui, il a parfaitement raison, vu de l’extérieur c’est un prolongement logique. Tout ce que l’ouragan rencontre sur sa route est détruit, réduit en miettes et dispersé. Il vaut mieux s’éloigner. Mon éditeur sourit, il écarte les bras, paumes vers le ciel, il veut signifier par ce geste que parfois il n’y a rien à faire, qu’on ne peut pas combattre, et qu’il faut fuir pour survivre.

[...]

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A propos de l’auteur

Marc Pautrel est né en 1967. Il a suivi des études de droit avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Il a publié dix romans aux Éditions Gallimard dans la collection L’Infini : L’homme pacifique (2009), Un voyage humain (2011), Polaire (2013), Orpheline (2014), Une jeunesse de Blaise Pascal (2016), La sainte réalité (2017), La vie princière (2018), L’éternel printemps (2019), Le peuple de Manet.
(2021) et ce dernier opus Un merveilleux souvenir (2023).

Marc Pautrel sur pileface

Le site de Marc Pautrel
Carnets de Marc Pautrel
Marc Pautrel sur le site Gallimard

oOo

[1Pas Houellebecq, à propos de sa mère (note pileface).

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 13 février 2023 - 13:26 1

    La critique du dernier livre de Marc Pautrel « Un merveilleux souvenir » par Fabien Ribéry :

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    Les secrets de famille et le rire de Sollers, par Marc Pautrel, écrivain
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    Autoportrait, 1643, Diego Velazquez

    « Lorsqu’un écrivain naît dans une famille, la famille est foutue. » (Philippe Roth)
    Marc Pautrel – Orpheline, Une jeunesse de Blaise Pascal, La sainte réalité, La vie princière, L’éternel printemps, Le peuple de Manet – est un maître des récits courts.

    Philippe Sollers, son éditeur, est un soutien indéfectible et attentif, qui lui refuse pourtant son dernier manuscrit jugé comme excellent : Vous comprenez, cher ami, publier ce texte vous exposerait trop et conduirait à des poursuites judiciaires, ce n’est pas possible, il faut trouver une autre façon de présenter les faits, mais vous trouverez, je ne suis pas inquiet.
    Un merveilleux souvenir – titre pour une grande part ironique – est le récit dévié d’un récit impossible se fondant sur un silence de plomb, laissant au lecteur le soin de deviner l’infâmie.

    Il faut être Diego Velazquez, peindre directement ce qui est, aller au vif des traits et dans la cruauté s’il le faut, mais l’époque, fonctionnant cependant sur la laideur et la vilénie morale, interdit qu’on en dise trop : « On ne me reproche rien, on ne me censure pas, mais on donne la possibilité au monde, en m’occurrence aux personnes qui ont croisé ma route, de nier le fait que je les ai croisées et que j’ai ressenti à leur contact un sentiment de désespoir ou de peur. Mon éditeur lui-même n’y peut rien, il navigue au milieu d’un monde éditorial bouleversé où l’Art est lentement remplacé par le pur commerce. Cet éditeur me protège contre la violence, et ici judiciaire. »
    Mais, au fait, de quoi s’agit-il ? Peut-on s’avancer quelque peu vers le cœur de l »ignominie ?

    Un merveilleux souvenir est l’histoire fantôme d’une perte, d’une ruine, d’un rapt, mais c’est aussi un éloge de l’amour, envers une sœur, des nièces et des grands-parents adorés – les souvenirs abondent -, et des lieux familiaux de rassemblement.

    La suite sur le site de Fabien Ribery


  • Albert Gauvin | 13 février 2023 - 12:39 2

    Marc Pautrel, un manuscrit peut en cacher un autre

    Un désastre familial est au centre d’« Un merveilleux souvenir » qui débute en compagnie de Philippe Sollers.


    Refusé, et même détruit tant il est radioactif, le manuscrit peut-il être modifié ? USA, 2013 Issue de la série "I Wonder".
    Kyle Thompson / Agence VU (Kyle Thompson/Agence VU). ZOOM : cliquer sur l’image.
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    par Claire Devarrieux
    publié le 12 février 2023 à 11h50

    Marc Pautrel est un taxidermiste délicat. Manet, Chardin, Pascal, Armstrong l’astronaute, Ozu sont passés entre ses mains. Mais écrire ce qu’il appelle des « biofictions » (lire Libération du 9 février 2018) est presque trop facile pour lui. L’autre partie de son œuvre, autofictive, est plus aventureuse. Ce sont des romans très courts, saisissants de réalité. Comment Pautrel parvient-il à faire cet effet-là ? Il donne une clé dans Un merveilleux souvenir, qui commence en compagnie de Philippe Sollers (reconnaissable mais pas nommé) dans son rôle d’éditeur, directeur de « L’Infini », la collection et la revue, chez Gallimard.

    « Partout le chaos règne, mais ne vous en souciez pas, continuez d’écrire. Ce sont les propos de mon éditeur. » La scène se passe probablement dans le bureau de Sollers, décrit quelques pages plus loin. Marc Pautrel vient de terminer un récit, mais il préfère le garder pour lui. Il s’agit d’« une sombre intrigue familiale, et trop difficile à lire, trop triste, cela affligerait les lecteurs », il pense que ça n’intéresserait personne. « Pas du tout, me répond-il, au contraire : les histoires de famille, c’est ce qu’il y a de meilleur […] ». Sollers est ici un éditeur idéal, enjoué, mais aussi attentionné, présent tout en étant discret. En quinze ans, son soutien n’a jamais fait défaut à cet auteur dont les ventes sont loin d’être au top. Or, il se passe une chose inédite, toujours au début d’Un merveilleux souvenir : Philippe Sollers refuse le manuscrit que Marc Pautrel finit par lui apporter : « C’est parfait, c’est excellent, dit-il. Mais voilà, ce n’est pas publiable. Impossible. Sinon, on va droit à la procédure, on serait traînés en justice. »

    « Avec sa chair et son sang, ses os et ses muscles »

    Refusé, et même détruit tant il est radioactif, le manuscrit peut-il être modifié ? L’auteur sait qu’il ne peut pas. « Impossible de changer quoi que ce soit, de modifier la narration, de passer du “Je” au “Il”. Toute la force du texte vient précisément de la proximité de la confession. Le “Je” témoigne, c’est un corps qui était là et qui a tout vu, vous pouvez le croire, il a traversé ces choses avec sa chair et son sang, ses os et ses muscles, et c’est pourquoi il peut les décrire aujourd’hui. » Pour la première fois, Marc Pautrel a écrit sur « la méchanceté ». Un horrible personnage a ravagé sa famille, entraîné une « dévastation » à quoi personne n’était préparé. Comment faire pour sauver quelque chose de cette histoire, pour échapper à l’accusation d’« atteinte à la vie privée d’autrui » ? Le roman que nous lisons est la réponse. Les conséquences d’une action maléfique sont exposées, sans que le responsable soit désigné. La dernière maison de ses grands-parents où il venait se réfugier et écrire, ses grands-parents eux-mêmes, sa sœur, ses nièces : le narrateur a tout perdu.

    Une menace est à l’œuvre. Quelle est-elle ? Notre regard se porte vers les absents, mais c’est trop facile : aucune mention du beau-frère. Les parents sont à peine évoqués, le narrateur et sa sœur ayant été élevés par leurs grands-parents. Ils ont beaucoup déménagé. Est-ce une allégorie ? Où sont la roche et l’anguille ? La puissance d’évocation est telle que la sensation du malheur persiste une fois le livre refermé. C’est alors que surgit une possible interprétation, si triste qu’on espère se tromper.

    Libération.