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Disparition de Benoît XVI / L’héritage d’un pape incompris

Qui était Benoît XVI

D 31 décembre 2022     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Par Jean-Marie Guénois

DISPARITION - Il s’était retiré le 13 mai 2013 pour finir ses jours dans la prière, à l’ombre de la basilique Saint-Pierre. Le pape émérite Benoît XVI est mort ce samedi à l’âge de 95 ans. Exceptionnellement, cet enterrement pontifical ne sera pas suivi d’un conclave

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Le pape Benoît XVI, en 2015. Vincenzo PINTO / AFP
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Comme un cierge pascal, Benoît XVI s’est éteint ce samedi matin. Il avait 95 ans. Le cierge pascal est celui que le prêtre allume dans la nuit de Pâques en signe de la résurrection du Christ depuis un grand feu allumé pour l’occasion dans la cour de l’église. Il est ensuite rallumé chaque dimanche jusqu’à épuisement de la cire.

Benoît XVI, en soutane blanche de pape émérite depuis le 11 février 2013, date de sa renonciation à la papauté, s’est ainsi consumé en prière. Lentement et surtout discrètement, selon son vœu le plus cher, même si l’actualité de l’Église a pu le rattraper parfois. Il vivait à l’abri des regards, comme un vieux sage ou plutôt comme le vieux moine qu’il avait toujours rêvé d’être, sortant seulement l’après-midi pour dire son chapelet. N’avait-il pas tenu à finir ses jours dans le silence, l’étude et la prière, et la soumission au pape régnant, retiré dans une petite maison à l’ombre de la coupole de Saint-Pierre, dans les jardins du Vatican ?

Il y vivait une vie très réglée, mais ne pouvait plus se déplacer depuis quelque temps, ni parler distinctement. Ceux qui le côtoyaient étaient frappés par son attention et sa lucidité intellectuelle, qu’il aura gardées intactes très longtemps, selon ces témoignages. Quant à sa santé, fragile, elle n’était pas si mauvaise, comme l’auront démontré sa longévité et sa résistance depuis sa démission, sans doute un trait de famille, puisque son frère aîné, Georg, prêtre également, est mort à 96 ans.

En avril 2022, juste avant le 95eanniversaire de Joseph Ratzinger, son secrétaire particulier, Georg Gänswein, expliquait par exemple qu’il était « physiquement faible » et que « son esprit fonctionn(ait) encore parfaitement bien ». Il ajoutait que Benoît XVI poursuivait sa vie à un rythme « méthodique », même si « ses mouvements (étaient) lents » et qu’il devait « se reposer davantage ». Mis à part un zona qui l’avait affecté lors de l’été 2020, Benoît XVI s’est effectivement consumé de vieillesse, et non d’une pathologie forte qui l’aurait usé, puis emporté.


Le pape émérite Benoît XVI en 2014.Stefano Rellandini / REUTERS
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Soumis à l’autorité de François, ce pape-moine à la retraite ne fit jamais toutefois vœu de silence comme certains l’affirmèrent. Il fit seulement vœu d’obéissance et sortit exceptionnellement de sa réserve à quatre reprises.

En mai 2017, pour soutenir le cardinal Sarah sur le dossier de la liturgie qui lui tenait particulièrement à cœur. En avril 2019, pour analyser les causes de la crise pédophile.

Et, de façon plus spectaculaire, en janvier 2020, pour prendre la défense du célibat sacerdotal, toujours avec le cardinal Sarah, dans un livre plaidoyer au retentissement mondial, Des profondeurs de nos cœurs (Fayard).

Enfin, en mars 2018, un épisode peu édifiant pour le Vatican mais démontrant la lucidité d’esprit que Benoît XVI garda très longtemps : le ministre de la communication du Vatican, Mgr Dario Vigano avait alors osé manipuler une lettre du pape émérite pour faire croire qu’il soutenait la publication d’une série de livres de théologie à la gloire du pape François, édités par le Vatican à l’occasion des 5 ans de pontificat. Parmi les signataires de ces livres : le théologien allemand Hünermann - disciple de Hans Küng -, opposant véhément des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Ce fut trop pour le pape émérite, très choqué du procédé. La supercherie avait consisté à publier une photo officielle de la collection de livres, avec la lettre de Benoît XVI, mais en floutant le paragraphe où ce dernier refusait précisément de soutenir cette initiative ! Lui, frêle vieillard, dut intervenir personnellement le 16 mars pour que le Vatican publie l’intégralité de son propos en menaçant de le faire lui-même. Mgr Dario Vigano perdit aussitôt son poste de ministre de la communication de François…

Enfin, sa mise en cause en janvier 2022- où il fut accusé, alors qu’il était archevêque de Munich de 1977 à 1982, d’avoir mal géré quatre cas de prêtres pédophiles - l’obligea à produire une défense publique et à récuser toute responsabilité sur ces dossiers, mais à reconnaître « la grande faute » de l’Église sur les abus sexuels, implorant sa « demande sincère de pardon » aux victimes, dont beaucoup, pourtant, continuèrent à l’accuser.

Au-delà des photos prises par des visiteurs qu’il recevait volontiers dans sa maison, même si le rythme s’était ralenti ces derniers temps, sa dernière apparition publique fut un voyage surprise personnel de quelques jours en Allemagne, le 18 juin 2020, pour se rendre au chevet de son frère aîné, Georg, mourant, et sur la tombe de ses parents et de sa sœur.

Autre coutume à laquelle il ne dérogea jamais, il recevait toujours les nouveaux cardinaux le jour de leur « création », selon le terme usuel. C’est ainsi que le 27 août 2022, accompagné par le pape François, les vingt nouveaux cardinaux de l’Église catholique, dont MgrJean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, étaient « montés » chez le pape émérite, comme l’on dit à Rome en raison de la situation de sa maison, à flanc de colline, dans les jardins du Vatican. Une visite brève mais essentielle pour leur hôte, qui a toujours tenu, dès qu’il le pouvait, à marquer l’unité de l’Église.

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Benoît XVI, accueilli par les cardinaux à la basilique Saint-Pierre de Rome, en 2014. Max Rossi / REUTERS
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Sauf dispositions contraires qu’il aurait couchées dans un testament et qui pourraient être connues dans les heures qui viennent, Benoît XVI, en tant que pape émérite, devrait être enterré dans une des cryptes de la basilique Saint-Pierre avec tous les égards liturgiques dus à un pape. Et pourquoi pas là où le corps de Jean-Paul II fut, dans un premier temps, déposé, avant d’être remonté sous l’un des autels de la basilique, où il est honoré comme un saint de l’Église.

Spécificité inouïe de cette cérémonie d’obsèques dont on connaîtra très vite la date, elle sera présidée par son successeur élu, le pape François. Autre originalité, un conclave ne suivra pas cet enterrement pontifical.

L’hommage qui lui sera rendu pourrait compenser une certaine injustice subie par ce pape, grand théologien, homme droit, d’une humilité exemplaire, éloigné des calculs politiques…

Le climat en sera donc particulier. Il permettra peut-être de méditer sur qui fut véritablement Benoît XVI. Et l’hommage qui lui sera rendu pourrait compenser une certaine injustice subie par ce pape, grand théologien, homme droit, d’une humilité exemplaire, éloigné des calculs politiques… Une dernière occasion de saisir la portée de l’un des pontificats les plus incompris de l’époque moderne.

Les obsèques d’un pape peuvent ainsi refléter son impact et son influence sur les esprits et les cœurs d’une époque. Ce fut spectaculaire pour Jean-PaulI, en avril 2005. La mobilisation populaire et des têtes présidentielles et couronnées de toute la planète, venues personnellement lui rendre hommage, relevèrent l’abaissement et l’humiliation du pape grabataire des dernières années. Le monde était alors massé, ce jour-là, autour d’une boîte cercueil posée à même le sol. La fécondité spirituelle et le rayonnement planétaire de Jean-PaulII, canonisé en 2014, apparurent alors d’un seul coup en pleine lumière dans toute leur ampleur historique et géopolitique.

En sera-t-il ainsi pour Benoît XVI ? Les injustices à son égard ne sont pas minces. La première d’entre elles est l’incompréhension sur sa renonciation. Ceux qui n’ont pas partagé sa décision de partir avant l’heure ultime pourront peut-être manifester qu’ils n’en sont pas restés là, même s’ils n’ont cessé d’attribuer à Benoît XVI une part de responsabilité dans l’évolution actuelle de l’Église conduite par François, souvent à l’opposé de la marque imprimée par le pape théologien. L’élection du pape argentin fut pourtant une surprise totale pour le pape allemand. Ce dernier s’était refusé à tout calcul dans sa décision de renoncer. Et encore moins pour sa succession. Il est certain, à ce titre, que Benoît XVI restera dans l’histoire comme le pape du XXIe siècle qui aura osé renoncer à sa charge parce qu’il ne se sentait plus la force de l’accomplir. Cet acte salué mondialement, un geste historique, n’aura toutefois été que modérément apprécié par la majorité de ses plus fidèles soutiens et admirateurs.

Le ressentiment aura été alimenté par deux faits indiscutables : l’élection d’un successeur, François, très en rupture sur la question cruciale de la vision du concile Vatican II, plus « ouverte » chez le pape argentin, alors qu’elle était « traditionnelle » chez le pape allemand. Un dossier stratégique pour l’avenir de l’Église. Ce qui a généré un reproche implicite adressé à ce pape conservateur : ne pas avoir suffisamment assuré la transmission de son héritage ecclésial pourtant très fourni. Impression renforcée, second fait, par la longévité de Benoît XVI… Elle démontra aux yeux des nostalgiques qu’il aurait pu régner encore, même affaibli.

Pasteur timide, pape décisif

Autre injustice de taille, ce pasteur timide fut un pape décisif. Notamment sur les questions théologiques, dont bon nombre de ses textes resteront comme des classiques de l’Église. Mais aussi pour la lutte contre la pédophilie, où il fut le pape qui osa dire stop, dès son élection, à une culture du silence et de la compromission qui empoisonnait l’Église à tous les étages.

Tous salueront cependant le conservateur démissionnaire, celui qui aura eu la lucidité de penser l’impensable et qui aura eu le courage de rompre cette chape de la tradition. Depuis Grégoire XII, en 1415, tous les papes sont morts en service… Benoît XVI réussit donc à effacer une règle non écrite depuis six siècles ! La facilité consisterait à ne retenir que ce 11 février 2013, dernière journée ou presque d’un pontificat qui dura pourtant près de trois mille jours et qui fut très riche sur le plan ecclésial et théologique, même s’il fut souvent une agonie médiatique. À l’exception notable de l’apothéose télévisuelle de son départ du Vatican, en hélicoptère et au soleil couchant…

L’enseignement de Benoît XVI fut pourtant d’une autre portée que la cinématographie de la dernière semaine pontificale. Après le foisonnement de Jean-Paul II, il a accompli un travail de fond dans l’enclos catholique. Il n’était certes pas porté vers les «  périphéries  », comme son jésuite de successeur, mais il aura été un fondateur spirituel pour plusieurs générations. Ainsi des fruits portés par sa prestigieuse carrière théologique de professeur. Puis de l’éminent service de Joseph Ratzinger, cardinal, rendu à Jean-Paul II, dont il fut le vrai numéro deux. Enfin de la densité ecclésiale de son pontificat. Ces labours-là et leurs moissons ne seront jamais réductibles à un acte ponctuel de renonciation, aussi historique fût-il.

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Benoît XVI en voyage à Cuba, en 2012.ALBERTO PIZZOLI / AFP
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Cet « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », tel qu’il se décrivit avant d’enfiler la soutane blanche que lui remettaient ses pairs cardinaux, ne fut pas non plus le pape d’hermine, intouchable, aseptisé et sous vitre blindée, où son entourage l’enferma sans qu’il eût toutefois le cran de résister. Cet homme, classique, bavarois et mozartien, accepta sans broncher le décorum qu’on lui imposait. Ce qui n’était pas dans ses simplissimes habitudes personnelles quand il était le cardinal le plus important de l’Église. Il suffit de l’avoir vu vivre à cette époque. Une fois élu pape, beaucoup finirent par le confondre avec les mitres dorées et les dentelles amidonnées qu’on lui prêtait. Mais ce n’était pas lui.

Alors, qui était-il ? Voilà au moins deux clés pour décrypter ce moine contrarié : il aurait préféré l’obscurité de la clôture si la lumière de son intelligence hors norme et reconnue par tous, y compris ses opposants, ne l’avait propulsé sous les projecteurs pour y être théologien. Et il s’est toujours considéré comme « au service » de l’Église, sans attendre de contrepartie personnelle. Aucune posture, chez lui.

C’est donc le serviteur, et non l’ambitieux, qui accepta de succéder à Jean-Paul II. Benoît XVI était très conscient de ses limites de gouvernant. Il n’avait jamais été un patron. Il le savait depuis son passage à l’archevêché de Munich. Paradoxalement, ce fut en vertu de cette éthique du service, et non par souci de se préserver lui-même, qu’il décida de remettre sa charge, le jour où il comprit ne plus avoir les moyens physiques et psychiques de l’assumer.

C’est donc, aussi, un serviteur qui démissionna, et non un pleutre, qui serait parti sous la pression des affaires Vatileakset autres scandales qu’il connaissait depuis longtemps. Mais cette histoire-là, authentique, celle de l’humilité faite pape, qui la saisira, dans un monde - y compris ecclésial – souvent dominé par les orgueilleux ?

Tel est le vrai Benoît XVI. Un homme de Dieu, ultra-lucide sur ses propres limites. Qui accepta jusqu’au bout l’incompréhension, dont celle d’avoir renoncé. Mais un homme de conscience, de devoir aussi, qui ne se reconnaissait pas honnêtement le droit de gouverner l’Église alors qu’il ne sentait plus, devant Dieu, en avoir les moyens.

Il est vrai qu’il avait accepté cette charge du bout des lèvres, dans un esprit de service. Il l’avait remise le 13 mai 2013, dans le même esprit, parce qu’il pensait qu’elle ne lui appartenait pas. Ainsi que le démontra d’ailleurs son pontificat, à la fois grand et discret, où l’homme Joseph Ratzinger avait - peut-être trop - disparu derrière sa fonction de pape, qu’il se refusait à personnaliser.

« Mystique »

Benoît XVI fut aussi ce que l’on appellerait un « mystique », un homme en paix profonde qui aimait la conversation et la vie intérieure avec Dieu, dont il était visiblement animé et qu’il priait sans cesse. Ainsi, le texte qu’il avait écrit pour le 8 janvier 2022 et qui était la conclusion d’une lettre bouleversante notamment adressée aux victimes de prêtres pédocriminels. Ce pourrait être son testament spirituel, car le pape émérite y livre sa vision de la mort, du « jugement », dont il n’élude pas l’angoisse mais où il exprime avec force la puissance de l’espérance chrétienne, fruit d’une vie de foi qui n’a jamais connu une rupture chez lui.

Ce texte est rare, car ce pape n’était pas homme à parler de lui : «  Bientôt, je serai face au juge ultime de ma vie. Bien que, regardant en arrière ma longue vie, je puisse avoir beaucoup de motifs de frayeur et de peur, mon cœur reste joyeux parce que je crois fermement que le Seigneur n’est pas seulement le juge juste mais, en même temps, l’ami et le frère qui a déjà souffert lui-même mes manquements et qui, en tant que juge, est en même temps mon avocat (Paraclet) (l’Esprit saint dans la tradition catholique, NDLR). À l’approche de l’heure du jugement, la grâce d’être chrétien me devient toujours plus claire. Être chrétien me donne la connaissance, bien plus, l’amitié avec le juge de ma vie et me permet de traverser avec confiance la porte obscure de la mort. À ce propos, me revient sans cesse à l’esprit ce que Jean rapporte au début de l’Apocalypse : il voit le Fils de l’homme dans toute sa grandeur et tombe à ses pieds comme mort. Mais Lui, posant sur lui sa main droite, lui dit : “Ne crains pas ! C’est moi…”  »

Le Figaro, 31/12/2022

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VOIR AUSSI (ajouté le 05/01/2023) :
L’héritage d’un pape incompris
Benoît XVI : l’homme du discours de Ratisbonne et sa petite phrase polémique sur l’islam


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3 Messages

  • Viktor Kirtov | 5 janvier 2023 - 18:53 1

    Discours prononcé le 12 septembre 2006
    Suivant le voyage à bord de l’avion papal pour La Croix, Isabelle de Gaulmyn se souvient de cette polémique particulièrement vive et grave, née d’une malencontreuse phrase du pape allemand. Phrase qui n’était pas même de ses propres mots, mais une citation antique. Des journalistes américains croient voir dans les propos du pape une critique de l’islam, cinq ans après les attentats du 11-Septembre, ce qui mettra le feu aux poudres. À travers le monde, les violences anticatholiques se propagent, des églises sont incendiées et une religieuse assassinée.

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    La Croix


  • Viktor Kirtov | 5 janvier 2023 - 17:00 2

    Réac ? Brocardé et critiqué durant son pontificat, l’ancien chef de l’Église catholique aura marqué son époque bien plus qu’on ne le croit.

    Par Jérôme Cordelier

    Pontife. Le pape Benoît XVI, le 1er décembre 2012. Quelques mois plus tard, en février 2013, il annoncera sa démission, un coup de tonnerre pour le monde catholique.
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    Joseph Ratzinger pensait-il lui-même que sa mort susciterait autant d’émotion ? L’homme n’était guère apparu en public depuis qu’il avait renoncé à la charge pontificale, en février 2013. Il œuvra dans l’ombre de Jean-Paul II durant vingt-trois ans comme gardien inflexible du dogme catholique, avant de succéder à ce spectaculaire pape polonais porté par l’Histoire et par les foules, et d’hériter de ce trône dont il ne voulait pas et qu’il occupa pendant près de huit ans.

    Certains ont essayé d’utiliser contre cet Allemand, né en 1927, un prétendu passé nazi :« Calomnie indigne,s’étrangle un proche, l’ancien directeur de L’Osservatore romano Giovanni Maria Vian, alors qu’il fut enrôlé de force dans la Wehrmacht et non dans les Jeunesses hitlériennes, qu’il n’a jamais combattu et qu’il venait d’une famille très modeste – son père était gendarme–, très catholique et opposée au nazisme. » On l’a décrit comme un « Panzer cardinal », ou encore un « berger allemand de Dieu », alors qu’« il était tout le contraire », dépeint l’ex-correspondant à Rome de l’AFP Jean-Louis de La Vaissière, auteur du documenté De Benoît à François, une révolution tranquille(Le Passeur) : « Benoît XVI avait un tempérament doux, il était très attentif aux personnes et sensible aux signes des temps. Au Vatican, il fut très aimé pour le respect qu’il témoignait à tout le monde. »

    Personnage intransigeant et peu à l’aise en public, il a vu sa popularité s’en ressentir, évidemment, même si, comme le rappelle son biographe Bernard Lecomte, « ce vieux monsieur dont on disait qu’il n’avait pas le contact facile réussit à réunir 1,5 million de jeunes Européens aux JMJ de Madrid en 2011 ». S’il fut l’un des papes parmi les plus médiatiquement décriés au long de son pontificat, Joseph Ratzinger aura néanmoins marqué de son empreinte et de son ancrage spirituel son époque bouleversée.

    Cet intellectuel solitaire, peu présent sur la scène internationale, ne cessa jamais de paraître éloigné, déconnecté du monde. Il resta campé sur les fondamentaux de la foi – viscéralement opposé à l’avortement, à l’euthanasie, aux manipulations génétiques et au mariage pour tous. Il fut l’ardent défenseur d’une identité catholique malmenée – notamment à travers l’habit religieux, qu’il voulait sobre et strict – et d’un rigorisme liturgique autant qu’ecclésiastique, refusant toute avancée sur les questions du célibat des prêtres et de la place des femmes dans l’Église.

    Sa timidité, sa pudeur à exprimer tout sentiment, sa longévité comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi eurent tôt fait d’asseoir dans l’opinion l’image d’un pape réactionnaire, occultant le fait qu’il faisait partie des réformateurs au concile Vatican II. Cette réputation brouilla sur le moment son action. En masquant les lignes de force de son pontificat, bien plus contrasté qu’il parut.

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    Pape du repli ou de l’ouverture ?

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    Dès son élection, Benoît XVI se plaça dans l’esprit d’Assise, la rencontre interreligieuse engagée par Jean-Paul II en 1986. « Je vous assure que l’Église désire continuer à construire des ponts d’amitié avec les fidèles de toutes les religions, dans le but de rechercher le bien authentique de chaque personne et de la société dans son ensemble », affirmait-il ainsi le 25 avril 2005. Mais, en la matière, la politique de Benoît XVI ne fut pas toujours facile à suivre. Il fut considéré, en effet, comme le pape du repli. Et pour cause : il multiplia les gestes vers les catholiques les plus traditionalistes, réhabilitant en 2007 la messe en latin selon le rite de saint Pie V ; levant en 2009 l’excommunication pesant sur les évêques intégristes, dont le négationniste Mgr Richard Williamson ; relançant le procès en béatification de Pie XII en reconnaissant ses « vertus héroïques » ; jusqu’à un acharnement –vain– à vouloir ramener les lefebvristes dans le giron de la maison mère…

    Deux papes. François (à gauche) et Benoît XVI, ensemble, le 28 juin 2017.
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    Pourtant, élément pas toujours perceptible, Benoît XVI fut aussi le pape de l’ouverture. Il maintint le rapprochement avec l’ensemble des Églises chrétiennes dans la lignée de l’encyclique Ut unum sint de Jean-Paul II. Il raffermit le dialogue avec les juifs, conforté par ses recherches intellectuelles sur les racines juives du catholicisme. Et son discours de Ratisbonne en 2006 – dans lequel il cite un empereur byzantin du XIVe siècle associant islam et violence qui embrasa le monde musulman – a malheureusement occulté ses gestes en direction de l’islam. La controverse de Ratisbonne, adresse subtile sur la foi et la raison qui fut réduite à quelques passages sortis de leur contexte, a caricaturé le chef des chrétiens en une sorte de croisé islamophobe, ce qu’il n’a jamais été.« Il y a eu un malentendu, explique Giovanni Maria Vian. C’était une leçon universitaire dirigée davantage vers le christianisme occidental que l’islam. » Trois mois plus tard, Benoît XVI fut d’ailleurs le premier souverain pontife de l’Histoire invité à prier avec le mufti et l’imam dans la Mosquée bleue d’Istanbul. Et on a oublié qu’en août 2005, à Cologne, il avait déclaré : « Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C’est une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir. » À Ratisbonne, Benoît XVI a voulu condamner la violence au nom de la religion.

    « Il n’avait pas mesuré que de nos jours toute parole est enregistrée et peut être exploitée médiatiquement, souligne Bernard Lecomte. Il se croyait encore quarante ans en arrière, en train de faire cours dans un amphi… Pas de chance, il prononçait son discours au moment du cinquième anniversaire des attentats du 11 Septembre, et c’est pourquoi la presse américaine en a fait ses titres de une. » Ses paroles resteront, néanmoins, comme celles d’un lanceur d’alerte sur le terrorisme islamiste, bien avant que se multiplient les massacres d’innocents lors d’attentats de masse dans des lieux publics.

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    Un grand théologien pédagogue

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    « Jean-Paul II a été un pape d’espérance, Benoît XVI fut celui de la foi », lance Bernard Lecomte, pour qui Ratzinger « n’avait pas peur de la vérité ». Discours, lettres pastorales, encycliques… L’exégèse des textes signés par le cardinal puis par le pape allemand montrera, plus tard, l’énorme apport de celui-ci à la théologie chrétienne. Son agilité de pensée et sa clarté d’écriture lui auront permis de toucher les esprits, en usant de formules ciselées, et notamment à travers les trois tomes de « son » Jésus, publiés alors qu’il était pape.
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    « Au contraire de François, qui se tourne vers le plus grand nombre en allant vers les périphéries, Benoît XVI eut tendance à privilégier le petit troupeau, en servant une Église intransigeante et exigeante pour une minorité active, souligne Jean-Louis de La Vaissière. Il fut d’une grande honnêteté et rigueur intellectuelles. Il a toujours refusé le double langage et la duplicité, travers plutôt courants au sein de l’Église. Dans l’entourage de Jean-Paul II, c’était le plus lucide, il ne se laissait pas aveugler par les dérives d’une Église triomphante. Benoît XVI a préparé le terrain pour son successeur, François, en commençant le travail de purification d’une Église salie par les scandales à la fin du pontificat de Jean-Paul II. »

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    Face à la « crise systémique » des abus sexuels

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    Dès 1988, le cardinal Ratzinger avait pris la mesure des ravages des affaires de pédophilie dans l’Église, et, comme préfet pour la doctrine de la foi, il avait commencé à centraliser les dossiers, se heurtant à nombre de cardinaux de la curie – et de poids, comme Sodano, Re, Hoyos… – qui voulaient enterrer les affaires. Il mena – en vain – un intense lobbying auprès de Jean-Paul II pour que ces scandales soient débusqués. Devenu pape, Benoît XVI fait de ce dossier une priorité.

    En mars 2010, après les affaires révélées par la justice, dans une longue et cinglante lettre aux catholiques irlandais, il n’élude aucune responsabilité de l’Église, fustigeant, notamment, ses « frères évêques »pour leurs« graves erreurs de jugement »et leurs« manquements dans le gouvernement ». Un mois plus tard, lors d’un voyage à Malte, il affirme sa « honte » face aux abus sexuels au sein de l’Église, ne cessant de plaider pour la « tolérance zéro ». « Il n’était pas responsable, mais il a assumé, en demandant pardon,se souvient Giovanni Maria Vian.Quelques mois avant d’être élu, il condamne déjà “ce mal, ces ordures qui souillent l’Église”. Comme préfet de la Congrégation de la foi, il était en première ligne, mais il a perdu le combat face à une curie plus conservatrice que lui et l’entourage même du pape Jean-Paul II, où se trouvaient des corrompus comme l’a montré l’ignoble affaire des Légionnaires du Christ. Les médias américains, que l’on ne peut suspecter de complaisance à l’égard de Benoît XVI, ont écrit qu’aucun pape n’avait agi autant que lui face à ce fléau. » Mais d’évidence pas assez, puisque cette « crise systémique » perdure : les révélations sordides se multiplient et sapent la confiance des fidèles.


    Adieu. La dépouille de Benoît XVI a été exposée dans la basilique Saint-Pierre, afin que les fidèles puissent venir se recueillir.
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    L’antiréformateur, dépassé par la curie

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    « Benoît XVI régnait, mais ne gouvernait pas », estime Jean-Louis de La Vaissière. C’est l’un des gros points noirs du pontificat, et qui n’est pas pour rien dans une fin de règne ternie par les scandales, en premier lieu le VatiLeaks. Tout comme Jean-Paul II, Benoît XVI laissa la curie livrée à elle-même.« L’homme n’était pas un administrateur, il faisait confiance,ajoute ce fin connaisseur des arcanes vaticanes. Même s’il a été attentif à démettre les évêques corrompus, Benoît XVI n’a pas eu la force de nettoyer la curie. » Cette tâche, il la laissera à son successeur, qui reçut mandat pour cela et s’échine à réformer un appareil titanesque, entravé par le poids des conservatismes et une administration obèse, alourdie par les corporatismes.« Face à François,note Jean-Louis de La Vaissière, beaucoup de cardinaux regrettent ce temps tranquille pour eux où un théologien courtois, doux, au-dessus de la mêlée, ne les troublait pas dans leurs petits jeux d’appareil. » Libéré du poids d’une curie encore plus conservatrice que son chef, le pontificat de Benoît XVI aurait sans doute profité d’un terreau plus favorable à son épanouissement.
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    Le conservateur novateur

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    S’il fut un gardien infaillible du dogme – comme Jean-Paul II et le pape François–, Benoît XVI fut aussi un observateur attentif de la modernité, « qu’il percevait avec pessimisme », note Jean-Louis de La Vaissière. On l’a oublié, mais c’est ce pape paraissant d’un autre âge qui lança le compte Twitter Pontifex. Homme de grande culture – comme les élites françaises purent le mesurer dans son discours aux Bernardins en 2008 –, il plaça à la tête de L’Osservatore romano le facétieux historien Giovanni Maria Vian, qui ouvrit le journal aux arts et lettres et à l’actualité internationale. En renonçant à sa charge, il posa un acte fondateur d’une papauté moderne.

    Lors de son dernier discours sur la place Saint-Pierre, il dit : « Il y a eu aussi des moments pas faciles, dans lesquels les eaux étaient agitées et le vent contraire, comme dans toute l’histoire de l’Église, et le Seigneur semblait dormir. Mais j’ai toujours su que la barque de l’Église n’est pas mienne, n’est pas nôtre, mais qu’elle est Sa barque et qu’Il ne la laisse pas couler. » Comme en résonance, dans le testament publié par le Vatican après sa mort, Benoît XVI confie : « Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et, avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses : la génération libérale (Harnack, Jülicher, etc.), la génération existentialiste (Bultmann, etc.), la génération marxiste. J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. »§

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    L’Élysée salue « un interlocuteur éclairé de la France dans sa construction d’une “laïcité positive” ».

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    « Le pape émérite Benoît XVI nous a quittés, après avoir marqué l’Église du sceau de son érudition théologique et œuvré inlassablement pour un monde plus fraternel. » Ainsi commence le communiqué officiel de l’Élysée pour rendre hommage à Joseph Ratzinger. Communiqué de haute volée dans lequel la présidence souligne la« puissance de ses écrits », son« affection pour la France »qui lui permit d’« imprégner sa pensée des écrits de Bergson, Sartre ou Camus, de se prendre de passion pour Claudel, Bernanos, Mauriac ou Maritain », et son compagnonnage à Vatican II avec les cardinaux Daniélou, Lubac et Congar. « Peu lui importait de ne pas suivre le vent de libéralisation de Mai 68, car l’Église avait à ses yeux une mission de contradiction prophétique qu’elle devait assumer avec courage », précise le texte à propos du réformateur du concile.« Loin de rechercher la fusion de l’État et de l’Église, il rappela l’importance d’une distinction du religieux et du politique, dont l’indépendance mutuelle n’implique pas indifférence, mais dialogue », souligne-t-il aussi. Puis, en conclusion :« Le président de la République salue un interlocuteur éclairé de la France dans sa construction d’une “laïcité positive”, qui sut faire entrer l’Église meurtrie par les tempêtes du XXe siècle dans son troisième millénaire. »

    Le Point


  • MN | 1er janvier 2023 - 17:40 3

    Avec Benoît XVI disparaît le sceau du penser sobre, juste, maïeutique sur le phénomène du Christ et de l’Église, sur le bien-fondé de l’espérance chrétienne, sur la permanence ontologique des Évangiles. Il était maître dans l’art de dire les choses d’En-Haut telles qu’elles sont sur un ton modéré, accessible à tous, diplomate. Benoît XVI a présenté un enseignement limpide aussi bien sur d’obscurs Pères de l’Église que sur tel fameux Apôtre, Sainte Femme, Prophète d’Israël, expliqué en quelques mots les apports des saints Bernard, Duns Scott, Thomas, parlé de la hauteur de vue des saintes Thérèse de l’Enfant Jésus, Édith Stein, Hildegarde de Bingen. Sa manière de projeter la lumière sur les héros et martyrs antiques et contemporains de l’Église est fraîche, simple, vivifiante. L’envie d’en savoir plus prend. RIP cher Benoît XVI, que le Ciel vous accueille !