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Libre Godard

En hommage à un grand disparu de l’année par Jean-Hugues Larché

D 23 décembre 2022     A par Viktor Kirtov - Jean-Hugues Larché - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Jean-Luc Godard par Vincent RIO

Juste un mois que Godard n’est plus. Presque instinctivement, je lance le dvd Pierrot le Fou sur l’appareil de lecture. Dès l’apparition alphabétique, lettre après lettre du générique, je suis pris. Surpris. Je voulais simplement regarder l’introduction où Belmondo, assis dans une baignoire, en voix-off, parle de Vélasquez… Mais… Le rythme est magistral. La musique/suspens est d’Antoine Duhamel. La narration parfaite. L’histoire hautement attractive. Obligé de le filer jusqu’à la fin. Pierrot le fou est un grand film libre.

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Lorsque Marianne et Pierrot-Ferdinand en voiture, de nuit, veulent échapper aux gangsters, Godard utilise des spots colorés tournant de chaque côté au dessus de la voiture pour donner l’effet de déroulement de la route. Même, en comprenant l’artifice on marche, on roule dans leur fuite amoureuse et désespérée. Ils enflamment bientôt le contenu du coffre de leur voiture plein de billets. On a envie de les suivre… Plus loin. Film anarchiste d’un cinéaste en grâce, d’un iconoclaste chanceux, d’un amoureux attentif. Les critiques réactionnaires du Figaro ou autres n’ont pu supporter la légèreté prise avec le couple, le sexe, la truanderie, la mort ou l’argent. Au début du film, dans une soirée sous filtres multicolores, Samuel Fuller cigare en bouche, dit tourner un film à Paris. Des femmes les seins nus devisent platement sur les cosmétiques. Des hommes parlent d’automobiles en publicitaires. Le coloriste tragique qu’est Godard, s’amuse.

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Reclus au bord de la Méditerranée, l’aérien Belmondo et la danseuse Karina traversent la pinède, rivalisant gaiement entre « ligne de chance » et « ligne de hanche ». Ritournelle légère sur l’imperméabilité du désir féminin et masculin. Scène de comédie musicale dépouillée de décor ou de parole, qui finit sur un éventuel « pince-moi » ambigu de Marianne où l’on entend plutôt « baise-moi ! ». Ensuite, Pierrot grimpe et saute d’un tronc d’arbre couché à un autre, pour épater sa belle. Energie en surdose, beauté de corps libres en mouvement. Pierrot cite Céline, imite, face caméra, Michel Simon et croise Raymond Devos qui lui fait un sketch « manuel ». Marianne, bientôt lasse de cette réclusion au grand air, se demande rapidement en lançant des cailloux dans l’eau : « Qu’est ce que je peux faire ?… J’sais pas quoi faire ».

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Tout jeune, pas encore majeur, Jean-Luc est un délinquant discret, sans vergogne, asocial et sans camarade. Il peut voler ses proches par besoin. Il ère, s’enfuit, circule, voyage en Amérique du sud. Tout seul. Une forte tête bientôt chef de bande. Une bande parisienne dont il reste à part, la Nouvelle vague. Théoricien critique autant que pratique. Une anecdote du cinéaste en athlète : Godard est capable de marcher sur les mains sur vingt-cinq mètres pour faire baisser d’autant de centimètres la choucroute de Bardot/Camille dans Le mépris. Il s’avère grand filmeur de femmes : Seberg, Bardot, Karina, Vlady, Méril, Darc, Wiazemsky, Fonda, Huppert, Schygulla, Detmers, Roussel, Baye, Ringer…

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Contrairement à l’avis général, Godard est un cinéaste narratif. Tous les films de la première période le prouvent. D’A bout de souffle à Pierrot le fou, en passant par Vivre sa vie ou Masculin/féminin. Les narrations ne se complexifient, pour mieux nous perdre, qu’à partir de Week-end et Made in USA. Commence avec La chinoise, la période dite politique et sociologique, hautement idéologique autant qu’intellectuelle - Godard expérimente à tour de bras en compagnie de Gorin où d’autres et profite des prémices expérimentales de l’art vidéographique. On retiendra le slogan de l’époque : « Une image juste ou juste une image ? ».

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La troisième période à partir de Sauve qui peut (la vie) ou Passion figure une mise en art du cinéma, une mise en peinture, en littérature, en musique, cherchant à constituer un art total. L’art de Godard veut récréer toute l’histoire contemporaine à partir du cinéma. Ses Histoire(s) du cinéma rejoignent, d’une certaine façon, la volonté de tout montrer de ses formateurs, Langlois ou Bazin - je pense aussi à la très libre Lettre à Freddy Buache. Godard tente de comprendre le monde (l’immonde) par le filtre du cinéma. Il est le seul à vouloir voir par le cinéma. Le cinéma comme perception historique du monde. C’est le cinéma, selon lui, qui a fait l’histoire du XX° siècle - le seul à pouvoir en garder la trace. A la question posée par Libération « Pourquoi filmez vous ? », en inversion rhétorique habituelle, il répond : « Pour éviter la question du pourquoi ! ».

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JLG filme des histoires patchwork (adaptées, le plus souvent, de romans ou de fragments), à grande vitesse ou ralenti, avec crissements de pneus ou sonnerie de téléphone, en bande-son (souvent irritante), par-dessus les paroles de ses acteurs. Il faut que ça fuse et que la narration se dissolve pour le malin plaisir de l’auteur. Comme dans ses interviews, il ne raconte que l’envers du décor, de la politique, du pouvoir des producteurs, de la télévision, du travail, de l’amour, de la pornographie, de la littérature ou de la vie quotidienne. Godard est le sophiste provocateur de son temps. Le grand dé-constructeur d’image. L’unique perforateur des médias depuis l’intérieur. Avec son accent suisse, derrière ses lunettes fumées, l’air de rien, il appuie sur la dépendance de tous à l’Image et à son système. Le comble étant que le cinéma et la télévision sont ébahis par sa justesse… qui leur rentre par une oreille et sort par l’autre.

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La voix-off introductrice du film par Belmondo lisant les écrits d’Elie Faure sur Velasquez - décline la pratique libre que le peintre possédait après cinquante ans et que Godard semble avoir toujours cherché : « Velasquez, après cinquante ans, ne peignait jamais plus une chose définie, il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule. Il surprenait dans l’ombre la transparence des fonds, les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres, les formes et les tons par un progrès secret et continu dont aucun bruit, aucun sursaut ne dénonce ni n’interrompt la marche.”

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Arrivé dans l’île aux gangsters pour l’ultime séquence, Pierrot tuera Marianne accidentellement. De désespoir, il s’entourera la tête de dynamites en personnage ubuesque au visage peint en bleu Klein, allumera la mèche, pour à la dernière seconde vouloir l’éteindre. Mais PAF ! Trop tard.
La phrase d’Une saison en enfer de Rimbaud clos le film sur un panoramique entre mer et ciel : « Elle est retrouvée. Quoi ? - L’éternité. C’est la mer allée avec le soleil ».
Godard s’en est allé volontairement. L’amour vivant, sans lendemain, de Pierrot et de Marianne en bord de mer reste à nos esprits un modèle majeur de liberté.

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Jean-Hugues Larché, 11/ 22

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Jean-Hugues Larché sur pileface

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L’ABC. Velazquez

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« Velazquez, après cinquante ans, ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule, il surprenait dans l’ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. […]
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PLUS ICI :

L’ABC, VELAZQUEZ
PIERROT LE FOU EN PHOTOGRAPHIE (Festival de Hyères)

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La Bande Annonce de Pierrot le Fou

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