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De l’agression russe en Ukraine

Jonathan Littell, Constantin Sigov

D 25 novembre 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Voici un prolongement aux articles que Pileface a consacrés à l’Ukraine et à la salle guerre qu’y mène Vladimir Poutine.

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Jonathan Littell
De l’agression russe. Écrits polémiques
Collection Tracts (n° 43), Gallimard
Parution : 24-11-2022

« Poutine est un homme qui au XXIe siècle mène une guerre du XXe pour atteindre des objectifs du XIXe. »

La polémique est un genre dont je me méfie vivement, et que je pratique avec parcimonie. Je n’ai jamais pensé que le fait d’avoir écrit des livres, d’être considéré, d’une certaine manière, comme une personne publique, donnait le droit d’exprimer ses opinions à tout vent. Mais parfois l’on n’a pas le choix ; parfois, le silence équivaut à la complicité. Lorsqu’un pays en agresse un autre, comme la Russie a agressé l’Ukraine ce 24 février 2022, se taire serait faire le jeu de l’agresseur, serait trahir l’agressé. Cela vaut d’autant plus lorsqu’on a passé des années dans les deux pays, lorsqu’on y a des amis, des deux côtés. Pour les uns, comme pour les autres, il importe de choisir son camp. - J.L.

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LA GUERRE SANS FIN DE VLADIMIR POUTINE

Il y a vingt-deux ans, une guerre vicieuse, déjà, a porté Vladimir Poutine au pouvoir. Depuis lors, la guerre est restée l’un de ses principaux outils, qu’il a continuelle- ment utilisé, sans hésiter, au cours de son long règne. Poutine existe grâce à la guerre, et a prospéré par la guerre. Espérons maintenant que ce sera encore une guerre qui causera sa chute.
En août 1999, Vladimir Poutine, alors inconnu du grand public, fut nommé premier ministre quand son prédécesseur refusa de soutenir une réinvasion totale de la Tchétchénie. Poutine, lui, était prêt, et en retour de leur soutien inconditionnel il lâcha la bride aux militaires, leur permettant de laver leur humiliante défaite de 1996 dans le sang et dans le feu. La nuit du 31 décembre 1999, un Boris Eltsine vieilli et brisé démissionna, transmettant la présidence comme un cadeau au nouveau venu. En mars , après avoir fameusement juré de « buter les terroristes jusque dans les chiottes », Poutine fut triomphalement élu président. À l’exception de quatre ans comme premier ministre (2008-2012), il règne sur la Russie depuis lors je suis revenu travailler en Tchétchénie, comme humanitaire, dès le début de la seconde guerre. En février , j’ai dîné dans la région avec Sergueï Kovalev, le grand défenseur russe des droits de l’homme, et je lui ai posé la question qui était alors sur toutes les lèvres : Qui donc était ce nouveau président inconnu ? Qui était Poutine ?

Je peux encore citer de mémoire la réponse de Kovalev :
« Vous voulez savoir qui est Vladimir Poutine, jeune homme ? Vladimir Poutine est un lieutenant-colonel du KGB. Et vous savez ce que c’est, un lieutenant-colonel du KGB ? Rien du tout. » Ce que Kovalev voulait dire, c’est qu’un homme qui n’avait jamais dépassé ce rang, qui n’avait jamais même été promu colonel, était un simple agent de peu d’envergure, incapable de penser stratégiquement, incapable de planifier plus d’un coup en avance. Et s’il est vrai que Poutine, en vingt-deux ans de pouvoir, a immensément grandi en stature et en expérience, je pense que feu Kovalev avait fondamentalement raison.
Poutine, toutefois, se révéla vite un brillant tacticien, surtout lorsqu’il s’agissait d’exploiter les faiblesses et les divisions de l’Occident. Il mit des années à écraser les Tchétchènes et à installer un satrape à sa botte, mais il réussit. En 2008, quatre mois après que l’OTAN eut promis un chemin vers l’accession à l’Ukraine et la Géorgie, il réunit ses armées pour des « manœuvres » à la frontière géorgienne et envahit le pays en cinq jours, reconnaissant l’indépendance de deux « Républiques » sécessionnistes. Les démocraties occidentales protestèrent, et ne rent presque rien. En 2014, lorsque le peuple ukrainien, après une longue et sanglante révolution, renversa un président prorusse qui avait tourné son dos à l’Europe pour pleinement s’aligner sur Moscou, Poutine envahit et annexa avec une rapidité stupéfiante la Crimée, la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que la souveraineté d’un pays européen était ouvertement violée. Quand nos dirigeants, choqués et confus, répondirent avec des sanctions, il doubla sa mise et provoqua des soulèvements dans le Donbass, une région russophone de l’Ukraine, utilisant clandestinement ses forces pour écraser la faible armée ukrainienne et établir deux nouvelles « Républiques », où une guerre larvée n’a jamais cessé. Ainsi commença sa fuite en avant. À chaque pas, l’Occident le condamna et tenta de le punir, avec des mesures limitées et inefficaces, dans le vain espoir de le décourager. Et à chaque pas, il relança le jeu et continua d’avancer. Toujours plus loin.
Poutine est un homme petit, physiquement, et grandir dans le Leningrad d’après-guerre ne dut pas être facile pour lui. Il y a clairement appris une leçon : si tu es le plus petit, frappe en premier, frappe fort et continue à frapper. Et les plus grands apprendront à te craindre, et reculeront. C’est une leçon qu’il a pris à cœur. Le budget militaire des USA pour 2001 était de 801 milliards de dollars, le budget combiné de l’Europe (Royaume-Uni inclus) de 353 milliards d’euros et celui de la Russie d’environ 55,75 milliards de dollars. Mais il nous fait quand même beaucoup plus peur que le contraire. C’est l’avantage de se battre comme un rat coincé, plutôt que comme un garçon grassouillet ramolli par le Coca-Cola, Instagram, et quatre-vingts ans de paix en Europe.
Poutine put se réjouir du fait que les Occidentaux, empressés de geler le con it du Donbass, passèrent doucement la Crimée par pertes et pro ts, concédant de facto l’annexion illégale à la Russie. Il comprit que si les sanctions faisaient mal, elles ne mordaient pas trop, et lui permettraient de continuer à développer son armée et étendre son pouvoir. Il vit que l’Allemagne, la plus grande puissance économique de l’Europe, était incapable de se sevrer de son gaz et de ses marchés. Il vit qu’il pouvait acheter des politiciens européens, dont un ancien chancelier allemand et un ex-premier ministre français, et les installer sur les conseils d’administration de ses sociétés d’État. Il vit que même les pays qui s’opposaient en principe à lui répétaient en boucle les mantras de la « diplomatie », du « reset », de la « normalisation des relations ». Il vit que chaque fois qu’il poussait, l’Occident reculait puis revenait en lapant, dans l’espoir d’un « deal » toujours aussi insaisissable : Barack Obama, Donald Trump, Emmanuel Macron, la liste est longue.
Poutine commença à assassiner ses opposants, chez lui et à l’étranger. Quand ça se passait chez nous, on râlait, mais ça n’allait jamais plus loin. Quand Obama, en , ignora lâchement sa propre « ligne rouge » en Syrie, refusant d’intervenir après que Bachar al-Assad eut employé des gaz toxiques contre un quartier civil de Damas, il prit date...

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Jonathan Littell au micro de France Culture

Les matins, 25 novembre.

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DE JONATHAN LITTELL, LIRE :
« Tant que Poutine restera au pouvoir, personne ne sera en sécurité. Aucun de nous »
De Kiev à Boutcha, les carnets de guerre de Jonathan Littell

LIRE AUSSI : Poutine vu par Sollers (dans Littérature et politique)

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Constantin Sigov au micro de France Culture

Constantin Sigov, philosophe ukrainien, directeur du Centre Européen à l’université de Kiev, auteur avec Laure Mandeville de Quand l’Ukraine se lève

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Constantin Sigov
Quand l’Ukraine se lève

L’Occident a longtemps peiné à mettre l’Ukraine sur ses cartes mentales. Obnubilés par notre relation à la Russie, nous avions tendance à l’enjamber pour regarder le monde avec les lunettes de Moscou, surtout à Paris et Berlin ! C’est donc avec stupéfaction que nous avons vu se dresser cette nation slave face à l’ouragan néo-totalitaire poutinien qui a fondu sur elle, et menace désormais ouvertement l’Europe. Le fait ukrainien est la divine surprise de ce moment historique. D’où vient cette résistance churchillienne des Ukrainiens ? Pourquoi ont-ils choisi la liberté de « l’homo dignus » tandis que la Russie poutinienne retombait dans le paradigme de l’État criminel et arbitraire ? Et de quel espoir ce trésor de résistance est-il porteur pour l’avenir de l’Europe et de la Russie ?
 
Ces thèmes sont, avec l’analyse de l’ouragan russe et de la mobilisation tardive mais cruciale de l’Occident, le thème central de ce livre conversation entre Constantin Sigov, philosophe ukrainien et Laure Mandeville, grand reporter au Figaro et spécialiste de la Russie. Pendant six mois d’une discussion téléphonique entamée en pleine invasion, ils ont échangé pour percer le brouillard de la guerre. Pour comprendre comment se défendre ensemble, et jeter les bases d’une nouvelle Europe refusant l’apaisement cynique et finalement la soumission.
 
« Constantin a répondu à mes questions depuis Kyiv, où il est resté dans son appartement ceint de sacs de sable avec son frère, son fils et sa vieille mère.
J’ai mené ces entretiens depuis Paris, autre front au calme trompeur de la guerre hybride que mène Poutine sur plusieurs terrains : en Ukraine contre la nation ukrainienne, en Russie contre son propre peuple, et en Occident où se déploie une furieuse bataille de propagande pour convaincre les Européens de forcer l’Ukraine à accepter l’amputation de son territoire en échange d’une paix précaire. » Laure Mandeville
 
« N’ayant pas pardonné la transformation de l’empire soviétique en champ de ruines, Poutine veut voir les décombres de l’Union européenne. C’est une sorte de revanche à la Néron, qui met le feu à notre civilisation.  » Constantin Sigov

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Laure Mandeville et Constantin Sigov. « Quand l’Ukraine se lève : la naissance d’une nouvelle Europe »

Talent Editions, novembre 2022.

par Laure Mandeville

Parmi les nombreuses publications consacrées à l’Ukraine, Quand l’Ukraine se lève : la naissance d’une nouvelle Europe, dialogue entre la journaliste française spécialiste de la Russie Laure Mandeville et le philosophe ukrainien francophile et francophone Constantin Sigov, occupe une place à part, car il s’agit d’un échange à la fois intellectuel et émouvant, inspiré par la foi inébranlable du penseur en la voie européenne de l’Ukraine. Pour saisir le propos de ce livre essentiel, qui vient de paraître chez Talent Éditions, voici un long extrait de l’introduction signée Laure Mandeville.
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Nous dormions. Nous, l’Occident, nous avions la tête ailleurs. À l’exception de nos amis d’Europe centrale, des Baltes et de quelques spécialistes, nous étions naïfs, aveuglés, cyniques ou tout simplement ignorants. Nous avions cru le dragon néototalitaire soviétique à terre, alors qu’il était en train de renaître des décombres de l’URSS. Bien abrités derrière un parapluie américain dont ils rêvaient pourtant de s’affranchir, nos stratèges avaient fini par se persuader d’être débarrassés de la guerre et des vents mauvais de l’Histoire pour toujours. Quelle naïveté ! D’autres étaient si concentrés sur les graves ferments de décomposition, de doute et de discorde qui travaillent nos sociétés occidentales, qu’ils n’arrivaient pas à penser les autres menaces. D’autres encore — et notamment une large part de nos diplomates et de nos politiques, empreints d’une vision romantique du « monde russe », ou profitant parfois des prébendes du régime, jugeaient Poutine fréquentable et nourrissaient même l’espoir d’un grand rapprochement stratégique avec la Russie pour faire contrepoids aux États-Unis. Ils expliquaient qu’il ne fallait pas appliquer à la Russie les codes des sociétés occidentales et trouvaient toutes les excuses au maître du Kremlin. Certains en avaient même fait leur modèle, face à l’Occident « décadent ». Quel aveuglement !

Depuis six mois, tous ces calculs et illusions se sont effondrés devant la déferlante de la guerre de la Russie poutinienne en Ukraine : le déluge du feu, les armadas de fer, les dizaines de milliers de morts, les viols, les exactions, les fosses communes, les villes transformées en tas de ruines, les discours ouvertement fascistes, les propositions de paix indécentes, les mensonges quotidiens, les assemblées Potemkine des cités occupées, et même le chantage à l’arme nucléaire. Nous vivons un désastre stratégique et découvrons enfin que nous avons un grave problème russe. Mais nous découvrons aussi, surtout, la résistance churchillienne des Ukrainiens, leurs trésors de sacrifices patriotiques, leur courage et leurs ruses, leur intelligence du combat, leur unité miraculeuse au bord de l’abîme malgré toutes leurs divisions passées et la faiblesse de leur État postcommuniste affaibli par les oligarchies et la corruption. Face à l’ouragan néo-totalitaire poutinien qui a fondu sur elle, cette nation slave longtemps restée quasiment invisible sur la carte mentale de l’Europe a soudain émergé sous nos yeux stupéfiés pour défendre sa terre et ses libertés démocratiques, devenant le facteur politique et géopolitique le plus remarquable du moment historique que nous vivons depuis le début de l’invasion de Poutine le 24 février 2022.

Nous voyons l’Ukraine se lever. Les sources et l’enjeu de cette résistance, qui sera déterminante non seulement pour l’avenir ukrainien, mais aussi pour celui de l’Europe toute entière, et souhaitons-le, un jour, celui de la Russie, sont, avec l’analyse de l’ouragan russe et de la mobilisation tardive mais encourageante de l’Occident, le thème central de ce livre-conversation avec le philosophe ukrainien Constantin Sigov, ami de Paul Ricœur, et disciple de Hannah Arendt qui a passé plus de trente ans à construire des ponts intellectuels, éditoriaux et amicaux entre la France et l’Ukraine, l’Ukraine et l’Europe (et aussi, autant que possible, entre l’Ukraine et la Russie). Pendant les six mois qui ont suivi le début de la guerre, nous avons mené une série de conversations téléphoniques pour percer le brouillard de la guerre, et déceler les lignes fortes de ce moment historique, dont nous sentons tous qu’il sera décisif pour l’avenir. Constantin a répondu à mes questions depuis Kyïv, où il est resté dans son appartement ceint de sacs de sable avec son frère, son fils et sa vieille mère de 93 ans. J’ai mené ces entretiens depuis Paris, autre « front » au calme trompeur de la guerre hybride que Poutine mène sur plusieurs terrains : en Ukraine contre la nation ukrainienne, en Russie contre son propre peuple confronté à une véritable politique de purges, d’assassinats, et d’intimidation, et en Occident où se déploie une bataille de propagande acharnée pour diviser les Européens et les convaincre de forcer l’Ukraine à accepter l’amputation de son territoire en échange d’une paix précaire et potentiellement remise en cause à tout instant. Tous nos échanges ont tourné autour du trésor de la résistance ukrainienne et sa signification cruciale pour l’avenir européen. Mais ce voyage dans l’anthropologie et l’histoire de l’Ukraine ne ressemble en rien à une promenade académique. Car le terrain historique et politique, mais aussi philosophique et moral, où Constantin Sigov entraîne le lecteur reste toujours très concret. Mû par l’urgence de formuler un antidote à la terreur qui se déploie, il permet de comprendre exactement la nature du régime poutinien et les enjeux de la résistance, la différence entre « homme rouge » resurgi du passé soviétique et nouvel « homme orange » ukrainien fuyant la zone de non-droit russe pour rejoindre le concert des nations démocratiques. Il nous ouvre les yeux sur un ouragan qui fonce non seulement sur l’Ukraine mais sur nous. « N’ayant jamais pardonné la transformation de l’empire soviétique en champ de ruines, Poutine veut voir les décombres de l’Union européenne. C’est une sorte de revanche à la Néron qui met le feu à notre civilisation », avertit Sigov.

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Constantin Sigov.
Université Sainte-Sophiе de Kyïv

Dire que l’Ukraine a longtemps été une Atlantide ignorée, absente de la carte mentale des Européens est un euphémisme. Je me souviens à cet égard de mon premier voyage à Kyïv en 1989, comme reporter arrivée dans les valises du président Mitterrand, qui y faisait une visite éclair pour rencontrer Mikhaïl Gorbatchev et tenter de s’entendre avec lui pour contourner la réunification de l’Allemagne. Il était allé lui dire l’attachement de la France à la pérennité… de l’Union soviétique ! Je me souviens que je bouillais d’envie d’aller à la rencontre de la population ukrainienne, dont j’avais entraperçu quelques silhouettes depuis le bus de journalistes accrédités qui nous avait acheminés à l’hôtel où avaient lieu les pourparlers. L’agenda était très serré mais je parvins à descendre dans la rue, dans la soirée, pour discuter avec quelques manifestants du mouvement nationaliste Roukh et d’un mouvement écologique lié à Tchernobyl, qui étaient venus se positionner près de l’hôtel pour attirer l’attention des journalistes. On sentait dans leurs explications un bouillonnement d’aspirations multiples, qui ressemblait d’ailleurs à celui qui traversait alors Moscou. Mais ce n’était pas le sujet de cette rencontre, en plein tumulte de la chute du mur de Berlin. L’Ukraine n’était qu’une toile de fond où le Français et le Soviétique se retrouvaient pour tenter de freiner l’Histoire en marche. L’idée que, deux ans plus tard, l’Ukraine ferait partie d’un mouvement de décolonisation plus vaste et proclamerait son indépendance ne traversait pas l’esprit des deux hommes ! Pour eux, elle n’existait pas !

Neuf mois plus tard, j’étais à Moscou. Dans une Union soviétique qui explosait déjà de toutes parts, je vis arriver un fax de Kyïv au bureau du Figaro où j’étais en reportage. Envoyé par le mouvement national ukrainien Roukh, il invitait les journalistes étrangers à participer pour trois jours à une grande fête, en la ville de Zaporijjia, aujourd’hui devenue célèbre pour les combats qui y font rage et le destin incertain de la centrale nucléaire qui y est déployée. Les organisateurs annonçaient qu’une grande célébration populaire se tiendrait à l’occasion de l’enterrement du crâne d’un ataman cosaque zaporogue nommé Tsyrko. Intriguée, je décidai de prendre l’avion. À mon arrivée à Kyïv, je fus embarquée, avec des milliers d’Ukrainiens à bord d’une armada de dizaines d’autocars, qui convergèrent vers Zaporijjia, drapeau bleu azur et jaune historique ukrainien flottant au vent. On était pourtant encore en Union soviétique ! Durant trois jours, dans une liesse et émotion touchante, les participants chantèrent à pleine voix que « L’Ukraine n’était pas encore morte », chant qui allait devenir l’hymne national du pays. Au milieu des centaines de groupes cosaques en uniforme qui défilaient, je fis la connaissance d’une foison d’intellectuels et de leaders politiques comme Viatcheslav Tchornovyl, leader de Roukh, qui aspiraient ouvertement à la souveraineté de l’Ukraine et se plaçaient résolument dans le sillage des Lituaniens qui avaient décrété leur indépendance quelques mois plus tôt. Sur les pancartes qu’ils agitaient, je découvrais des noms inconnus dont j’ignorais l’histoire et la symbolique tourmentée, et manipulée par l’historiographie soviétique : Petlioura, Bandera…

De retour à Moscou, cherchant confirmation de mes intuitions sur la signification de cette effervescence, je me rendis à l’ambassade de France pour faire part de mon étonnement et interroger le ministre conseiller de l’époque sur une possible marche de l’Ukraine vers l’indépendance. Il éclata de rire et plaisanta sur « l’imagination des journalistes ». Un an plus tard, dans la foulée du putsch raté d’août 1991, l’Ukraine proclamait son indépendance. L’épisode avait été révélateur. La diplomatie française, et plus largement occidentale, ne croyait pas à la réalité de l’Ukraine. Pour elle, cette nation n’existait tout simplement pas. Les Américains ne faisaient pas exception à la règle. George Bush père n’était-il pas allé à Kyïv, début août 1991, pour enjoindre aux Ukrainiens de rester dans l’URSS ? Même une fois l’indépendance proclamée, les Occidentaux ont peiné à mettre l’Ukraine sur leurs cartes géographiques et mentales ! On disait la construction fragile, mise en péril par l’opposition de l’Ouest, jadis partie intégrante de la Pologne, et par l’Est russophone. Ces différences n’empêchaient pas l’essentiel : l’émergence d’un acteur politique qui voulait échapper au soviétisme et à l’emprise de Moscou. La révolution orange de 2004 puis le mouvement du Maïdan en 2014 scellèrent cette aspiration à la souveraineté et à la démocratie de la société ukrainienne.

Laure Mandeville

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