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« Sollers l’éveillé » par Jean-Hugues Larché

Extrait de « Dionysos à la lettre »

D 22 novembre 2022     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dionysos à la lettre


Librairie olympique -23, rue Rode 33000 – Bordeaux – libolympique@aliceadsl.fr
Le livre peut être commandé au 05.56.01.03.90 ou au 06.09.11.09.10.
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Ma rencontre avec Jean-Hugues Larché remonte à sa réalisation d’un CD « Déroulement du Dao » / La Chine dans les romans de Philippe Sollers publié chez Frémeaux en 2008.

Mais la véritable rencontre eut lieu en 2009 quand j’ai eu l’occasion de l’interviewer ainsi que les autres participants à l’aventure de la revue littéraire de haut-vol Sprezzatura dont il est un des co-fondateurs avec Sandrick Le Maguer, en tête, et quelques autres.

Le brestois Le Maguer et son ami le bordelais Larché et les autres faisaient le voyage à Paris pour y suivre les séminaires mensuels de Gérard Guest. ils y trouvent un terreau fertile favorable à leur épanouissement ! Un lieu d’intelligence qui a servi de catalyseur à la naissance de la bande, un groupe qui ne se revendique pas comme tel, bien au contraire.. Ils se retrouvaient après autour d’une table où régnait déjà un esprit dionysiaque marqué..

Voici quelques extraits des interviews sur la naissance de la revue

Sandrick Le Maguer « Personnellement, je connaissais Luc Guégan, complice de longue date. Mon amitié avec Jean-Hugues Larché date d’une rencontre par l’intermédiaire de S. Zagdanski. Pour le reste, vous devez le savoir, c’est une longue nuit à l’issue d’un séminaire de G. Guest (le deuxième si ma mémoire est bonne) qui a scellé les choses. [...] Si ma mémoire me seconde toujours de son exactitude, je crois que notre goût commun et très renseigné pour Sollers (entre autre écrivain) a joué un rôle important (mais aussi pour la mer, l’alcool, et autres vices éclairés). Pensée de Debord attachée à cette soirée : « Pour savoir écrire, il faut savoir lire, et pour savoir lire, il faut savoir vivre » (de mémoire). Que voulez-vous, ces gens savent vivre, lire, pourquoi n’écriraient-ils pas ?
Je le signale, personne ne voulait fonder une revue. On peut même affirmer que c’est ce que nous ne voulions surtout pas. Sprezzatura est donc un excellent titre. » (S. Le Maguer)

Pierre Dulieu. Certains se connaissaient, depuis longtemps ou depuis peu. On s’est retrouvés un soir autour de la même table, à Montparnasse, à une heure avancée. Il y a une ravissante serveuse nommée Daisy. Rires, étonnement, chance.
Ça se passe dans une nuit de novembre 2007. Le séminaire de Gérard Guest joue, dans cette rencontre et celles qui suivent, un rôle important. L’idée d’une revue naît à l’été 2009. » (P. Dulieu)

Jean-Hugues Larché qui ajoute à son oeil exercé et perçant celui d’une caméra quand il veut tout capter de l’être, n’en avait pas lorsque la jonction a eu lieu, mais il restitue la scène de son oeil panoramique, grand angle :
« C’est bien sous le signe de la fête que la jonction a pu se produire et provoquer cette petite revue. Mais ce miracle est appelé aussi à se défaire pour mieux se reconstruire au fil des affinités (qui ne pourront plus être qu’électives.) Complicités coulées dans la grande fête du temps de l’Arc et de la Lyre. » (J-H. Larché)

PLUS ICI :
La naissance de Sprezzatura (I)

Sprezzatura et ses auteurs (II)
Jean-Hugues LARCHÉ le troisième œil

Par la suite, nous avons suivi Jean-Hugues Larché, avec intérêt et plaisir, dans ses diverses publications et déambulations littéraires, artistiques, musicales…, dont vous trouverez les liens en fin d’article.

Quatrième de couverture

En 2021 Seul Mozart réunissait des réflexions sur la peinture, la musique et quelques uns de mes auteurs et sujets favoris.

Dionysos à la lettre est constitué de textes où je prends en figure de proue le célèbre dieu grec – complémentaire d’Apollon – qui dynamise ma vie depuis plus d’un quart de siècle.

Les auteurs ou sujets retenus se rapportent aux effets du dionysiaque et forment une réponse au nihilisme omniprésent de notre temps. Ces exemples de contrepoison à la virtualité des écrans, asséchant définitivement les consciences, apparaissent ici, à la lettre, dans l’incompréhensible soudaineté du don.
JHL 2022

Exergue


« Le soleil est nouveau chaque jour
car il participe du pouvoir dionysiaque »
Héraclite

Au fil des pages

On y croise Georges Bataille qui « reste la figure la plus déterminante de la pensée française de la première partie du XXe siècle avec Antonin Artaud ». La révolution de pensée effectuée par Bataille ne sera pas que surréaliste, ellle fera violence à la langue et à la pensée sociétale dans son irréductabilité et son érotisme existentiel. Sade, Nietzsche, Bataille forment un trio essentiel de liberté unique qui éloigne savamment de toute moraline. »

A tout seigneur, tout honneur, le deuxième chapitre est consacré à « Dionysos in situ », précédé d’une illustration en couleur double page  : Le triomphe de Pan de Nicolas Poussin, une représentation champêtre de bacchanales.


Triomphe de Pan , Poussin
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Quelques autres illustrations s’inséreront entre les chapitres.

« [Dionysos] est né deux fois après avoir été déchiré par les bacchantes. Il émerge de la cuisse de Jupiter. Il a été conçu sur un muscle, d’où son bondissement toujours hors cadre.
Dans la modernité, Nietzsche, le premier, a repéré son importance pour nettoyer l’écurie des arrières-mondes religieux et les superstitions insistantes du XIXème siècle. Dionysos inspire aussi la force sous-jacente et agissante du personnage prophète venu d’Iran : Zarathoustra. Son incarnation libre, son mouvement interne, sa parole de fond forment la poésie v ivante du penseur Nietzsche. Dionysos-Zarathoustra s’exprime par l’intermédiaire de l’auteur d’Ecce Homo et expose une vision dionysiaque du monde dont la modernité ne se remet toujours pas. »

On croise Madame de Selve qui s’exprime par la plume de l’écrivain Charles-Pinot Duclos : « L’amour n’existe que dans le cœur, il est le seul principe de nos plaisirs ». Et le libertin qu’est Duclos de constater : « J’avais fait des déclarations à toutes les femmes dont je n’étais pas amoureux, et ce fut dans le moment où je ressentis véritablement l’amour que je n’osais plus en prononcer le nom. »

« Madame de Selve est le contraire d’une amazone telle qu’on en trouve dans les temps modernes. Elle est une femme libre qui pratique la musique comme le montre le portrait que fait d’elle Adélaïde Labille-Griard en 1787. »

Duclos rend les armes : « J’aimais uniquement Madame de Selve, elle n’avait pour moi de rivale. Si mes plaisirs n’étaient pas aussi vifs, du moins je n’en désirais pas d’autres » […] « L’état dont je jouis est le plus heureux où un honnête homme puisse aspirer ».

Et Jean-Hugues Larché de confier en guise de conclusion : « J’aurais aimé être dans le cœur de Madame de Selve, accueilli dans son jardin et partager ses nuits et ses jours. Comtesse, m’ouvririez-vous ce cœur que j’aimerais sentir battre ? […] Sachons simplement être à la hauteur si l’on croise sa semblable. »
Daté 2022.

Puis nous découvrons La leçon de Montaigne. Montaigne « une montagne de science qui s’escalade avec concentration […] pas un philosophe à proprement parler mais plutôt un sage. »

Puis les intérêts éclectiques de l’auteur nous emmènent chez les Dogons. « Ils dansent leur rituel de deuil en sautant très haut, les genoux rassemblés pour conjurer la mort passée, présente, à venir. Ils frappent leurs masques Kanaga contre la terre pour ramener les morts à la vie. Seul le présent compte. »

Et nous voilà avec Debord pour explorer l’Empire des images.

Puis l’auteur, le 24 juin 1922, regarde le ciel, le Grand système : « Dans l’espace infiniment extensible, tournant comme des cavales dans un hippodrome, à bonne distance les unes des autres – en millions de kilomètres -, elles dansent sur elles-mêmes en symétrie. Rejetées depuis la nuit des temps après une contraction et une terrible explosion initiale. Huit derviches cosmiques lancées à vitesses différentes sur fond d’amas laiteux dans la manche d’Orion se retrouvent là, faisant système en giration elliptique autour d’un feu étoilé. Désormais leur ballet sidéral distendu se déploie dans un vertigineux silence. Ce formidable vide entre elles et nous n’en finit pas de nous faire réfléchir. […] »

VOIR AUSSI : D’un infini l’autre. Notre galaxie spirale, la Voie lactée

Viens alors l’exploration du « Principe de Nietzsche » : « En premier lieu, je n’attaque que les choses qui sont victorieuses, si c’est nécessaire, j’attends qu’elles le soient devenues ».

La peinture fait aussi partie des centres d’intérêts de l’auteur et nous voilà convié à une séance avec Pollock.

Puis c’est la musique, le Tour de Monk : « Thelonious Sphere Monk ne rêve pas de musique, il la concrétise. Il accomplit ce que cherche tout mélomane, ou musicien. Il rapproche la musique des sphères. Ca tombe bien, son second prénom est Sphere. »

Et l’on aborde un drôle de philosophe, Sade. Il « désire la liberté du peuple. Son ironie méconnue n’a pas de limite, sa connaissance historique est quasi indépassable et sa lucidité unique. Ironiste incomparable, il est le seul penseur, avec Nietzsche, à analyser aussi radicalement les sociétés de tous les temps, et à dénoncer préjugés, croyances, superstitions, religions, rituels compassés, sectarismes, libérations sexuelles ou autres confinements mortifères ». Une illustration accompagne le texte.


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Puis c’est « En retour », en retour de Paris après des « saturnales en agapes » de la bande à Sprezzatura : « Discussions volubiles, vins et autres alcools à volonté. D’abondantes tournées de cocktails se succèdent au Bouton de rose, des discussions étranges se poursuivent au Haut de gamme, des fringales soudaines, s’assouvissent vers cinq heures du matin à l’Hypothalamus ou au Baroud d’Honneur. »
« Lors du voyage de retour, je suis l’objet d’une étrange expérience intérieure. L’alcool, les fumées et les dérives nocturnes avec mes compagnons désinvoltes m’ont laissé dans un état de grande fatigue. Je monte dans le train et m’installe. Lorsque les portes sont mécaniquement verrouillées et que la machine avance, un effet de claustrophobie me gagne. L’idée que le trajet dure presque trois heures e camisole de tube fait progresser une panique compressée. L’angoisse monte en flèche… » Suivent des mots très forts qui restituent la panique qui s’installe, la lutte pour la contrôler. Mais la raison ne contrôle plus rien. C’est la descente en enfer. Infernale. Insupportable… A découvrir la suite dans le texte original ! Dire l’indicible : un morceau d’anthologie.

Une pause est nécessaire avec l’évocation d’un poème L’aigle de Pindare, où le poète « très sensible au sens musical, aux chants et aux sons des instruments, évoque d’entrée de jeu la Lyre d’or. » […] « L’image de cet oiseau évanoui par des sonorités enchanteresses est saisissante. La musique est d’effet hypnotique sur l’animal à bec crochu. »

Puis, c’est l’Ecoute de Watteau : « En voilà une qui a l’oreille fine ? C’est la Finette de Watteau ! » […] « Elle joue sa musique orbi pour le dieu champêtre, c’est son inspirateur, elle lui tient le manche à ce dieu des parcs et des bosquets, des promenades et des rencontres impromptues. »

Après Watteau, un autre peintre à l’honneur Fragonard avec Bain de jouvence. « Huit filles se baignent au cœur d’une nature luxuriante. Un infini couché foisonne dans cette végétation peuplée de chairs désirables. Certaines très visibles à l’œil, d’autres suggérées dans le décor touffu. Elles sont nues, jeunes potelées, très gaies ».


Les Baigneuses , 1765, Fragonard
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« Sorties de l’ombre, ces jeunes filles en fleurs irradient leur lumière charnelle »
daté Août 2022

Puis place à la musique avec Mozart sublime le drame comme dans l’opéra Don Giovanni..

Ceci, avant un Lever dionysiaque : « A ne pas mettre entre toutes les mains. Ni en parler à l’oreille de n’importe qui. Ne le placer encore moins à portée des yeux. De peur de fasciner ou effrayer »


Bacchanale avec Minautore, 1933 Pablo Picasso, (MoMa, Suite Vollard).
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Place maintenant à L’épure de Rodin. « Figure de femme nue arquée, en vert clair pour la chair et en brun délavé pour les cheveux est découpée sur papier vélin comme nombre d’autres dessins de Rodin. »

« Rodin sait qu’il est en plein péché radieux » affirme un Sollers souriant dans son Rodin, dessins érotiques .

« Dans ce simple Couple féminin, l’une est couchée sur le côté, corps blanc dans sa longue chevelure. Elle est découpée posée sur le dessin d’une autre, très belle et fine acrobate ocre clair qui attrape son pied au-dessus de sa tête. »

*

En finale, festival dionysiaque :

Marilyn
qui en 1962 accepte de poser pour Bert Stern.

Vin sonore « où les femmes bacchantes dansent, chantent ascensionnelles décollées ivres et riantes »

Harmonieux Rameau : « J’ai découvert Rameau par Les folies Françaises de Sollers et notamment les paroles de son Anacrion. Ballet qui est l’éloge chanté le plus lucide entre amour et plaisir jamais porté à l’oreille des hommes. […] Ecoutez plutôt :

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« Règne ô divin Bacchus [1], enflamme nos esprits. » [...] Le vol du temps qui nous presse, nous fait mieux sentir le prix l’instant fortuné que le destin nous laisse. » [...] « Des transports de ton ivresse, renaisse la tendresse et les ris » […] « Les vrais plaisirs ne sont dus qu’à l’ivresse de nos âmes. » […] « Tout plaisir m’enchante, je bois, je ris, je chante toujours dans l’attente d’un nouveau plaisir. » [...] « Règne avec moi Bacchus, partage conquêtes »[ ...] « Sans Venus et sans ses flammes tous nos beaux jours sont perdus, les vrais plaisirs ne sont dus qu’.à l’ivresse de nos âmes » [...] « Quel bonheur quelle gloire, Bacchus ne défend pas d’aimer et l’Amour nous permet de boire ».

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C’est dire que le livre de Jean-Hugues Larché est un festival pour l’esprit et c’est pourquoi il est pour moi un homme de bonne compagnie que j’aime fréquenter.

Au-delà de ce survol, souhaite vous présenter ci-après un chapitre dans l’intégralité des mots de l’auteur. Il s’agit de « Sollers l’éveillé ».

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Sollers l’éveillé

Il y avait bien d’autres textes qui pouvaient prétendre illustrer plus directement Dionysos, mais Sollers, amateur de bon vin de Bordeaux et ses crus prestigieux de « Haut Brion » est aussi un être d’essence et d’esprit dionysiaques. Et cet extrait entre pleinement dans le scope de ce site « Sur et autour de Sollers ».

Frédéric Taddéï, à la Closerie des Lilas avec Sollers (Juin 2012) :

- Qu’avez-vous choisi comme vin ?

- Un Haut-Brion, c’est-à-dire un graves de Bordeaux. Ce sont des vignes qui sont pratiquement à l’intérieur de la ville. Je suis né à 150 mètres de là.

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« Et nous devenus matelots sur le bateau d’Ulysse
toujours nous servirons Dionysos »

Euripide

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On peut éaalement se souvenir que le pseudo que s’est choisi Sollers n’est qu’une variante d’ Ulysse. L’auteur nous l’a dit plus d’une fois et le redit dans Guerres secrètes :

On trouve aussi en exergue de Guerres secrètes de Sollers :
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« Je prends alors le nom d’Ulysse, « Sollers », lequel nom me renvoie immédiatement à ce qui fut pour moi, très tôt, l’éblouissement de L’Odyssée : ce héros, comme nul autre, m’a paru le plus vivant. Imitation consciente, devant la sublimité du texte lui-même. Grande efficacité aussi de ce modèle, jamais là où on voudrait lui assigner une place. »

Mais laissons Jean-Hugues Larché développer son « Sollers l’éveillé » :

Premiers signes de l’œuvre aux mille tours lorsque j’ai presque trente ans. Un soir, à la télévision, L’écrivain présente son roman La Fête à Venise. Il pointe dans le tableau de Watteau, Le jugement de Pâris, sous un tissu, une très visible érection de Pâris qui tend la pomme à Aphrodite. Il rappelle que Watteau, lors de ses derniers instants, ne voulût pas se signer devant un crucifix, estimant qu’il était mal sculpté. Puis, il lit un extrait de Van Gogh, le suicidé de la société d’ Antonin Artaud. Ce ton iconoclaste, cette esthétique imparable, ce rire franc m’interpelle. Je m’aperçois vite de l’importance de l’écrivain dans le paysage littéraire et de sa puissante singularité. Le long des années, je lis ses livres qui ne cessent de me surprendre. Je reste attaché à la pesée vivifiante du grand écrivain français.

Au cinéma, l’ écrivain alors peu connu écrit d’abord un texte métaphysique sur les images d’un film devenu célèbre, Méditerranée (1963) de Jean-Daniel Pollet. Il rappelle souvent l’aspect magnifiquement sensuel du boutonnage de la robe de la jeune grecque et qu’une corrida n’a jamais été filmée de la sorte. Je croise Sollers pour la première fois en 1996 à Paris, au Studio des Ursulines, sous le signe de Jean-Daniel Pollet. Il présente avec André S. Labarthe, Dieu sait quoi, film en hommage au Parti pris des choses de Francis Ponge. Il me fait tout de suite penser à un lettré chinois, à un chef d’armée de la Chine ancienne. Plus tard à Toulouse, je crois même être en présence de Huang Ti, l’empereur jaune fondateur de la Chine. Huang Ti dans les mythiques manuels érotiques chinois converse avec la Fille de candeur de l’harmonie des esprits qui conditionne la levée de la Tige de jade et l’humidification de la Fosse dorée dans son livre Mouvement

VOIR AUSSI
Mouvement, Critiques et Entretiens
Mouvement, Extraits

L’ écrivain dit n’avoir rencontré la Fille de candeur qu’une seule fois. Tout ce qu’on croit de Sollers à propos de la Chine n’est que mauvaise évaluation. Seul compte pour moi son attrait pour la poésie et la pensée chinoise ancestrale.

Picasso et les femmes

C’est par un rire majeur que Sollers reprend l’histoire de la littérature et de la pensée comme Picasso reprend l’histoire de la peinture et de la représentation des femmes, passant par Manet, Velasquez ou Delacroix. L’écrivain comme le peintre Picasso crée une œuvre plus particulièrement axée sur les femmes. Si L’écrivain est érudit en peinture, Le peintre est un lettré qui écrit. L’écrivain radiographie les formes de l’art, les femmes, les fleurs, l’aquatigue, la musique (Le musicien étant Mozart). Le peintre dans son atelier écrit, à certaines périodes, des textes rageurs sans ponctuation. Sollers dans Picasso le Héros  : « Picasso écrit pour manifester (surtout à lui-même) qu’il ne faudrait quand même pas prendre sa peinture pour une vessie éclairée de lanternes. Il faut entendre ses textes crus en espagnol « Quando tengas ganas de Joder jode ». (Quand tu as envie de baiser, baise.) »

L’écrivain se dit Docteur in pecatto - non empêché par le péché - et pénètre plus précisément les femmes à travers ses livres. En adepte de Dionysos, il dissèque le féminin, la Vésicule Vaginale Biliaire ou pour les deux sexes, la sexinite. Il assure en continuité avec Céline  : Qu’une femme bien branlée, rit. Ces révélations sont· impardonnables aux femmes et hommes dévots au maternel comme au matriciel, composant désormais la grande famille mondiale numérisée, virtualisée, décorporée.

Sollers joue le triptyque Ethos, Logos et Eros contre Pathos, Mythos et Thanatos. Programme inaudible aux philosophes, écrivains et autres spectateurs. Le jeu, l’ironie, la fulgurance, l’érudition comme une attaque en règle infusée de livres en livres. Guerre permanente contre la perte de la mémoire, du latin, du grec, de la lecture, de l’écriture

La pensée de !’écrivain me paraît posséder L’Agudeza (acuité ou art de la pointe), L’Ingenio (art du génie) et L’Elocutio, pointées par Balthasar Gracian, célèbre jésuite espagnol. De même, Les évangélistes, Saint-Augustin, Saint-François, Maître Eckhart, Dante, Pascal, De Maistre, James Joyce, Proust, Jean-Paul II, sont repris, cités, relancés, rejoués à travers ses textes. L’écrivain maintient que le catholicisme est un athéisme et que la religion catholique est celle qui contient le moins de religion. Le catholicisme comme négation de la religion. La reprise du calendrier nietzschéen commençant le 30 septembre 1888 est une avancée de plus dans la pensée de Sollers. Je n’y suis pas complètement étranger.

Un film de Jean-Hugues Larché
(DVD, mars 2006)
PLUS ICI

Lorsqu’il s’entretient sur sa propre expérience avec Philippe Lejeune, en 2009, il précise sa singulière démarche :

« Il est fort possible- mais le temps seul le dira - qu’il s’agisse d’une entreprise métaphysique portant sur une expérience très singulière, dont les rapports avec la littérature seraient tangents, épisodiques, dépendants des situations historiques et en tout cas où l’essentiel ne serait pas là. Il ne s’agirait pas de littéraire à proprement parler et peut-être même pas de littérature ».

La déclaration historiale qui suit, verrouille définitivement l’incompréhension du milieu littéraire sur Sollers :

« Ce n’est pas que je fasse le roman de l’écriture qui s’écrit, comme on l’a cru, mais tout simplement que suivant une indication fondamentale de Heidegger, j’essaie d’amener « la parole à la parole en tant que parole » ou « l’écriture en tant qu’écriture par l’écriture ». « Je ne fais pas semblant de ne pas écrire ce qui est en train de s’écrire ». N’est-il pas le seul de son temps à reprendre l’ontologie et la physique de l’écriture ?

Place de la Comédie, à Bordeaux, je regarde sur la façade du Grand-Théâtre, les neuf muses et les trois déesses qui le couronnent. Femmes de pierres et femmes-symboles, femmes libres qui portent, infusent et inspirent l’essentiel de l’expérience des arts. Il y a Venus, la déesse de l’amour ; Calliope la muse de la poésie épique et de l’éloquence ; Erato, muse de la poésie lyrique ; Euterpe, muse de la musique ; Polymnie, muse de l’écriture, de la rhétorique et de la pantomime (proche de L’écrivain) ; Thalie, muse de la comédie couplée avec Melpomène, muse de la tragédie ; Terpsichore, muse de la danse (ma préférée) ; Minerve, déesse de la sagesse et de la guerre ; Clio, muse de l’histoire. Junon, déesse du mariage ; Uranie, muse de l’astronomie. Ces messagères salvatrices forment un cortège dionysiaque avec musique, ballet et grand jeu.

Dans cette région, des femmes brunes aux beaux sourcils arqués marchent sur le sol soyeux. Le poète Friedrich Holderlin les a aperçues en 1802. Le dernier roman en date de Sollers, Mouvement fait tourner le swing jubilatoire de la Bible, la magnificence de Lascaux, le souffle chirurgical de la Chine et la comète solaire Hegel. Au fil de son œuvre, L’écrivain précise sa singularité, se déploie, s’inscrit dans le temps. Reprenant les autres noms de l’histoire de la pensée, s’y replaçant lui-même et pensant son écriture à l’instant. L’Instemps est l’un de ses plus fameux néologismes. Son écriture recrée un espace viable, renouvelé, ouvert qui redistribue et réinvente au vingt et unième siècle, l’ironie voltairienne, le gai savoir de Nietzsche et l’extase de Bataille. Tel un lettré chinois, le souffle de son écriture trace une voie en direction des Immortels taoïstes. Les romans de Sollers font communiquer encre, souffle et substance vitale qui créent, dit-il, sa vie à venir.

2016
Infini 138

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[1Le Dionysos grec devenu Bacchus chez Romains

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