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Yannick Haenel a écrit Le Trésorier-payeur allongé dans son lit !

France 3 Nord Pas de Calais

D 11 novembre 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Accueilli sur le plateau de France 3 Nord Pas de Calais, pour Le Trésorier-payeur, Yannick Haenel annonce la publication de son prochain livre pour la collection Ma nuit au musée (Stock), nuit passée « au milieu des tableaux effrayants de Francis Bacon ».
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L’écrivain Yannick Haenel, prix Médicis 2017, a écrit son roman "Le Trésorier-payeur" allongé dans son lit !

Publié le 11/11/2022 à 08h11

Écrit par Virginie Demange.

Yannick Haenel se confie le jeudi 6 octobre 2022 sur le plateau de "Vous êtes formidables". • ©FTV
Cliquer sur l’image (durée de la vidéo : 13min 08)
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Un tunnel reliant une maison à la salle des coffres de la Banque de France à Béthune, il n’en fallait pas plus pour ferrer l’imagination de Yannick Haenel, qui en a fait un roman, "Le Trésorier-payeur", publié chez Gallimard. Quelles sont les habitudes d’écriture de l’auteur ? La réponse va vous étonner.
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L’écrivain Yannick Haenel, prix Médicis 2017, auteur du roman Le Trésorier-payeur, publié chez Gallimard et dont l’intrigue se déroule à Béthune, s’est confié le 6 octobre 2022 dans Vous êtes formidables sur ses techniques d’écriture pour le moins... originales !

Dans son dernier roman, il met en scène "un banquier un peu étrange, anarchiste même, qui a une théorie loufoque mais sérieuse, selon laquelle l’économie ne serait pas l’épargne, mais la dépense. Et qui rêve d’ailleurs de vider les coffres."

Comment sortir du capitalisme ? Y a t il une place pour quelque chose qui ne relèverait pas du calcul mais de la poésie ? Autant de questions que se pose l’auteur, qui a choisi de placer l’intrigue de son roman à Béthune (Pas-de-Calais), au cœur de la Banque de France, dans un paysage qui lui parle puisqu’il vient "d’une famille de mineurs en Lorraine".

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De la réalité à la fiction

"J’ai été convié en 2016 à participer à une exposition, se souvient Yannick Haenel, dans l’ancienne succursale de la Banque de France, reconvertie en centre d’art. On m’y a parlé de la maison du trésorier-payeur, qui était allé jusqu’à creuser un tunnel entre cette maison et la salle des coffres. Aussitôt, j’ai vu le roman."

L’auteur raconte cette genèse dans la première partie de son ouvrage, avant de laisser la place à un trésorier-payeur presque féérique, dont on ne sait plus bien s’il est réel ou fictif, qu’il baptise Georges Bataille, du nom de l’écrivain ("l’un des plus importants du XXe siècle, plus important que Sartre et Camus") et qu’il intègre à la confrérie des Charitables.

Je suis passionné d’écriture, peut-être même graphomane...
Yannick Haenel

Cet ancien professeur de français a dû se plonger dans l’économie, une matière qu’il connaît moins. "J’ai lu des mémoires de banquiers et des livres d’économie, raconte-t-il. Je ne dis pas que j’ai tout compris, mais j’ai pu créer mon personnage."

Passionné d’écriture, "peut-être même graphomane", il passe quasiment tout son temps à rédiger des textes, que ce soit pour ses chroniques dans Charlie Hebdo ou pour ses prochains romans. Découvrez la façon dont il s’y prend, en trois points surprenants.

1 - Yannick Haenel écrit dans son lit
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Pas besoin de bureau, Yannick Haenel écrit
généralement allongé dans son lit ou dans ce canapé-lit.

© YH. ZOOM : cliquer sur l’image.
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"J’écris toujours allongé, révèle Yannick Haenel, dans mon lit ou dans mon canapé-lit. Le matin, je me lève, je prépare tout ce qu’il faut pour ma fille de 12 ans, je l’amène à l’école et après, je me remets au lit !"

Un programme alléchant, qui est pour lui "comme un rituel". "J’ai la chance d’habiter une petite maison en banlieue parisienne, et il y a ce canapé-lit, c’est mon bureau. Pour me couper de la réalité, je me couche, je mets une petite couverture, j’écris à la main c’est parti jusqu’à l’épuisement. C’est la vie dont j’avais rêvée."

2 - Yannick Haenel écrit en manteau
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Yannick Haenel écrit même parfois... en manteau !
© YH. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Ce n’est pas parce qu’il se met au lit que l’auteur se déshabille. Au contraire. Il écrit tout habillé et même parfois... en manteau.

"J’aime bien ce côté un peu cocon, dans le lit, à l’abri et en manteau, explique Yannick Haenel, tout sourire, à tel point que l’on se demande s’il est vraiment sérieux. Et puis vous savez, ces vieilles baraques sont difficiles à chauffer alors..."

3 - Yannick Haenel écrit à la main
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Yannick Haenel écrit à la main dans des cahiers d’écolier.
© YH. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Plus qu’une manie, c’est un autre rituel. "J’écris toujours dans des petits cahiers à grands carreaux, que je noircis avant de les empiler. Je suis un homme du XXe siècle, j’ai commencé comme ça, je continue comme ça."

"Ce qui me plaît, c’est la main qui trace, détaille-t-il. J’écris tout le temps, mais alors vraiment tout le temps, des scènes qui sont pas articulées et après, je reprends tout comme un pianiste et je les tape à l’ordinateur."

Et si vous lui demandez si cela ne prend pas plus temps, Yannick Haenel a le mérite d’être honnête : "Si, absolument. C’est une méthode désastreuse !"

Un prochain roman presque prêt

Quoi qu’il en soit, allongé et emmitouflé, il a déjà bien avancé l’écriture de son prochain ouvrage, une commande pour la collection Ma nuit au musée.

"Je vais raconter la nuit que j’ai passé seul dans le noir avec ma lampe de poche, au centre Georges Pompidou à Paris, au milieu des tableaux effrayants de Francis Bacon."

Une expérience complètement folle, pour un écrivain "un peu fou", dont le compte-rendu paraîtra probablement au début de l’année 2023.


Une nuit au musée

Yannick Haenel est venu parler de Francis Bacon au Centre Pompidou le jeudi 7 novembre 2019 à 19h. Il a raconté comment il avait passé une nuit entière, de 22h à 8h du matin, avec un lit de camp et une bouteille d’eau, en compagnie des oeuvres du peintre exposées dans la Galerie 2, et l’expérience vécue à partir de 2h du matin quand, toutes lumières éteintes à sa demande, il découvrit les détails des toiles à l’aide d’une lampe-torche, comme s’il se trouvait à Lascaux (comme Bataille 55 ans plus tôt)... Cela fera l’objet d’un nouveau livre.
Ci-dessous Haenel lit un extrait de son essai sur Caravage dans lequel il explique qu’on ne voit bien la peinture qu’à la tombée de la nuit...


Yannick Haenel au Centre Pompidou.
Photo A.G., 7 novembre 2019. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Haenel évoquait cette nuit au Centre Pompidou à la fin de son intervention inaugurale des Rencontres de Chaminadour le 15 septembre 2022.

À propos d’extase, je vais vous raconter pour finir une petite histoire — une histoire vécue.
On m’a invité il y a quelques années, à l’automne 2019, à passer la nuit seul à Beaubourg, dans l’exposition Francis Bacon. J’ai eu cette chance. C’était un rêve qui se réalisait : vous imaginez, être seul dans un musée toute une nuit. Rien que d’y penser, je souris de joie. Eh bien, je l’ai fait, un soir de septembre 2019, je suis entré à 22 heures, après la fermeture, dans les salles du Centre Pompidou où se tenait l’exposition « Bacon en toutes lettres ». On m’a accompagné jusqu’à la porte, et puis la porte s’est fermée derrière moi. J’étais dedans, seul. On m’avait installé un lit de camp, comme pour un bivouac, mais vous imaginez bien que je n’ai pas dormi. Il y avait les tableaux de Bacon, des merveilles de bleu, d’orange, de gris, des corps perchés, accroupis, allongés, des cubes, des trapèzes, des visages qui sont des planètes, enfin vous connaissez Bacon, et vous connaissez la puissance d’attraction et de répulsion que sa peinture suscite. À la fois, elle m’attire follement, et elle me fait peur, elle me terrorise. Vous savez aussi que Michel Leiris a beaucoup écrit sur Bacon, il a été l’un de ses initiateurs en France, il a été son grand ami. Il a fait découvrir Bacon à Georges Bataille, cela m’émeut d’y penser, et Bataille a mis dans Les Larmes d’Éros, son dernier livre, une reproduction d’un tableau de Bacon, je crois bien que c’était la première fois en France, en 1961. Et je crois aussi que Bataille n’a jamais vu de tableau de Bacon en vrai, il est mort le 9 juillet 1962, il y a exactement 60 ans.
Bref, j’étais là, dans la nuit, avec les Bacon, je regardais, j’ouvrais les yeux, il me semblait qu’il était possible de les ouvrir encore plus, je cherchais des yeux à l’intérieur de mes yeux, d’autres yeux, des yeux neufs, des yeux, je ne sais pas, des yeux futurs, des yeux d’avenir. J’étais complètement pris par cette peinture, j’allais de tableau en tableau, j’accélérais, je ralentissais. Parfois même je courais tout seul d’une salle à l’autre.
Il y avait des voix qui disaient des textes, des extraits d’oeuvres aimées par Bacon, et parmi ces voix j’ai reconnu celle de Mathieu Amalric, l’acteur, elle venait d’un petit haut-parleur situé dans une niche. Quand on s’approchait, on l’entendait dire un texte de Georges Bataille, oui, encore lui, toujours Bataille. C’était cet article extraordinaire, « Abattoir », qui vient de la revue Documents, que Bacon possédait dans sa bibliothèque.
« Abattoir », ce mot m’a fait un peu frémir. Je l’ai dit, la peinture de Bacon m’effraie, et je me suis souvenu qu’il y avait en particulier un tableau que je ne supportais pas où des figures monstrueuses se dressent, hurlantes, grises sur un fond orange, et parmi elles, celle que j’appelle le serpent.
Elles m’accompagnaient depuis l’adolescence, comme des figures fidèles de l’horreur. Mais ce soir-là je m’en foutais complètement, j’étais là, avec la peinture, c’était éblouissant, c’était un trésor de couleurs qui étincelaient. Tout dansait autour de moi, l’art, le sexe, la beauté, la mort, et je me laissais entrainer dans cette ronde de nuit.
J’avais demandé aux pompiers qui m’avaient accompagné jusqu’à la porte de couper l’électricité à deux heures du matin. Je n’aime pas ces néons qui écrasent la lumière. La plupart du temps, dans les musées, à cause de cet éclairage trop fort, on ne voit rien, ou disons qu’on voit mal. J’avais acheté une lampe torche chez Leroy Merlin. J’aime bien ces deux mots : Leroy Merlin. Je me disais justement : ça va être une nuit royale et magique. Bacon est un roi, Bacon est un magicien.
L’obscurité est donc arrivée à deux heures du matin. La nuit s’est donnée, tout entière enfin, et la peinture était là, sur les murs, seule, comme moi. C’était Lascaux, c’était la grotte. Je voyais des lueurs, j’avançais ma main, je suis resté longtemps dans le noir et je suis en train d’écrire un livre sur cette nuit pour dire ce que j’ai vu alors et qui continue à m’enchanter encore aujourd’hui.
Puis j’ai allumé la lampe torche et je l’ai braquée devant moi, le faisceau de lumière faisait un petit rond sur un tableau que je n’ai pas reconnu. C’était des formes qui semblaient naître, c’était la naissance même. Des bouts de couleurs, des doigts, des trous, des lignes. J’ai commencé à déplacer le faisceau et la lumière faisait surgir la peinture, elle me donnait à voir ce lointain d’où elle vient. Ça sortait du mur. En déplaçant la lampe, je peignais.
C’était du Bacon et ce n’était pas du Bacon, mais à un moment j’ai quand même reconnu la tête de Leiris. Bacon l’a peint deux fois. Ce crâne ovoïde qui semble se déboîter de la tête, c’est lui, Michel Leiris, plus encore lui-même que sur les photos, et peut-être même plus que dans la réalité. Je suis resté longtemps à détailler ce portrait, à préciser ses nuances, à entrer dans cette sorcellerie des pigments qui vous assaillent comme une vérité soudain incarnée.
Il était 3 heures du matin, et est-ce la fatigue, la joie folle, j’ai commencé à trembler. Le violet, le gris, le vert, le rose, j’ai senti la terreur m’envahir, ce n’était pas à cause de Leiris, pas même des bouts de Leiris, c’était autre chose, tout ce qui chez Bacon me terrorisait est revenu, c’était le serpent, c’était lui, cette saloperie de serpent qui me poursuit depuis des dizaines d’années, ce serpent qui crie dans la nuit, il fonçait sur moi, il était sorti de son foutu tableau et allait se jeter sur mes épaules, s’enrouler autour de mon cou, m’étouffer, je sentais déjà sa morsure, c’était insupportable, je m’étais fait avoir en acceptant cette invitation, c’était un piège, j’allais me faire avaler par mes propres cauchemars.
Je balayais l’espace autour de moi avec la lampe torche, et ça tournait, je n’avais aucun repère, je vacillais, j’avais la nausée. Et puis j’ai braqué la faisceau sur la tête de Leiris. Aide-moi. C’est drôle, j’ai pensé à Bataille. Je vous jure, Hughes Bachelot et Pierre Michon ne m’avaient pas encore appelé, ils ne m’avaient pas encore proposé de venir à Chaminadour sur les chemins de qui je voulais, je n’avais pas encore choisi Bataille et Leiris, mais cette nuit-là, comme souvent dans ma vie, j’ai fait appel à eux.
Leiris, Bataille. Leiris, Bataille, Bacon, la peinture, la littérature.
La scène du parapluie de Bataille m’est revenue, sans doute parce qu’il y a un tableau de Bacon où l’on voit un grand parapluie ouvert comme un exorcisme. Bref, l’extase de la rue de Rennes m’est revenue, et c’était moi, comme lorsque je reviens d’une fête, un peu ivre, ou très ivre, ou « surnaturellement sobre », comme dirait Rimbaud.
Et là, il s’est passé quelque chose de fou. Ça a commencé à parler en moi, à chanter. Je riais. C’était le texte, il s’écrivait dans ma tête, dans mes bras, dans mes jambes, c’était l’écriture, c’étaient les phrases. Je sentais le serpent qui s’approchait, mon ventre, ma gorge, tout se tordait, je tremblais, mais le chant montait grâce à Leiris, grâce à Bataille, grâce à Leroy Merlin, et en riant, je me suis retourné, et j’ai dit à voix haute, avec ma lampe torche brandie dans la nuit comme un sceptre : «  Écoute la nuit, écoute la nuit qui vient des grottes », et j’ai anéanti le serpent.

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Bacon, Triptyque

LIRE AUSSI : Francis Bacon : « J’aime vivre dans le chaos »
Francis Bacon, Conversations (préface de Yannick Haenel)

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