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Après Guerre, voici Londres, un deuxième roman inédit de Céline

Paru le 13 octobre 2022

D 14 octobre 2022     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Ferdinand, le héros de Guerre, a quitté la France pour rejoindre Londres, "où viennent fatalement un jour donné se dissimuler toutes les haines et tous les accents drôles". Il y retrouve son amie prostituée Angèle, désormais en ménage avec le major anglais Purcell. Ferdinand prend domicile dans une mansarde de Leicester Pension, où le dénommé Cantaloup, un maquereau de Montpellier, organise un intense trafic sexuel de filles, avec quelques autres personnages hauts en couleur, dont un policier, Bijou, et un ancien poseur de bombes, Borokrom. Proxénétisme, alcoolisme, trafic de poudre, violences et irrégularités en tout genre rendent chaque jour plus suspecte cette troupe de sursitaires déjantés, hantés par l’idée d’être envoyés ou renvoyés au front.
S’il entretient des liens avec Guignol’s band, l’autre roman anglais plus tardif de Céline, Londres, établi depuis le manuscrit récemment retrouvé, s’impose avec puissance comme le grand récit d’une double vocation : celle de la médecine et de l’écriture... Ou comment se tenir au plus près de la vérité des hommes, plongé dans cette farce outrancière et mensongère qu’est la vie.

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Les premières pages de Londres

FEUILLETER LE LIVRE (LA PRÉFACE ET LES PREMIÈRES PAGES)


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Après "Guerre" en mai dernier, "Londres", un deuxième roman inédit de Louis-Ferdinand Céline arrive en librairie

Après la parution de "Guerre" au printemps dernier, un nouveau roman de Céline sort ce 13 octobre : "Londres". Suite des manuscrits retrouvés par le journaliste Jean-Pierre Thibaudat, l’ouvrage plonge le lecteur dans les bas-fonds de la capitale britannique durant la Première Guerre.
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Un nouvel inédit de Louis-Ferdinand Céline, Londres, paraît jeudi, roman qui avait longtemps disparu et qui dépeint la cruauté des bas-fonds de la capitale britannique il y a un siècle. Ce volume de quelque 500 pages est tiré de près de 1200 feuillets manuscrits que Céline, fervent collaborationniste, avait laissés derrière lui en fuyant Paris pour l’Allemagne, en juin 1944. Mis à l’abri pendant trois quarts de siècle, ces écrits sont réapparus de manière inattendue en 2021.

Les éditions Gallimard ont déjà publié en mai Guerre, un autre roman plus court, où un soldat de la Première Guerre mondiale grièvement blessé, le brigadier Ferdinand, évoque sa convalescence. Londres en est la suite. Ferdinand, qui a échappé à la boucherie de la bataille des Flandres, s’échappe en 1916 de l’autre côté de la Manche.

On la sentait dans Londres la guerre et partout mais de loin encore. Sur le pavé le soir venu c’était encore plus bourré d’attractions que d’habitude et les magasins congestionnés d’amateurs.
Louis-Ferdinand Céline (extrait de "Londres")

Face sombre des mégapoles

Envoyé au consulat de France à Londres en 1915 après sa blessure sur le front, Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), contracte un mariage dont l’état civil n’aura jamais connaissance. Au terme d’une vie de plaisirs et d’ennui, il larguera les amarres pour le Cameroun en 1916. Dans la biographie de référence de l’écrivain, republiée le 6 octobre par les éditions Bouquins, François Gibault décrit le jeune homme comme "captivé par la vie nocturne de Londres, celle des bas quartiers, celle de Soho où il se retrouvait avec [son ami Georges] Geoffroy au milieu des prostituées et des voyous qui l’avaient pris en sympathie".

C’est grosso modo l’intrigue de Londres, une autofiction écrite très vraisemblablement en 1934, bien avant l’invention de ce terme. Ferdinand est un poilu en sursis, qui écrit comme on parle dans la banlieue dont il est issu. Il dégoise sur le milieu interlope des proxénètes de la "pension Leicester" et sur sa passion pour Angèle, prostituée tirée de l’enfer du bordel par un riche Anglais.

Céline dépeint un nombre impressionnant de personnages pervers ou perdus, et de scènes violentes ou poignantes, éloquentes sur la face la plus sombre des mégapoles modernes. Chez les chercheurs en littérature, un débat porte sur ce que représente véritablement Londres : première ébauche imparfaite de deux autres romans londoniens, Guignol’s Band (1944) et Le Pont de Londres : Guignol’s Band II (1964), ou oeuvre à part entière ?

Appareil critique

Pour l’éditeur, Gallimard, l’enjeu est autre. Il s’agissait de démontrer un savoir-faire, pour qu’arrive rapidement en librairie un volume constitué à partir de feuillets difficiles à déchiffrer. Guerre a déjà connu un beau succès avec 163 000 exemplaires vendus, selon le cabinet GfK.

L’universitaire qui a établi l’édition de Londres, Régis Tettamanzi, évoque en introduction "des problèmes que l’on qualifiera par euphémisme d’ardus" : noms de personnages qui varient, mots illisibles, ponctuation largement absente, grammaire maltraitée, etc... Le résultat est pourtant très lisible. Autre souci : traiter avec doigté la matière explosive qu’est l’antisémitisme virulent de Céline.

Alors que le manque d’appareil critique autour de Guerre avait surpris ou agacé, cette fois-ci, Gallimard aborde frontalement la question. D’autant que Londres décrit des Juifs échoués dans des quartiers miséreux et compte un personnage-clé qui se trouve être juif, le Docteur Yugenbitz, médecin qui initie Ferdinand à son art.

Sur le sujet du racisme, le roman ne se prête pas aux simplifications abusives ; il illustre bien plutôt l’état d’esprit de Céline avant la crise de 1936 et la furie pamphlétaire des années suivantes.
Régis Tettamanzi

Londres de Louis-Ferdinand Céline - Édition de Regis Tettamanzi - Collection Blanche, Gallimard - Parution : 13 octobre 2022 (576 pages - 24 euros).

francetvinfo

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A paraître le 20 octobre.

Céline, le trésor retrouvé, chapitre (7/9). « Londres »

Sur une chemise rose des services municipaux d’hygiène sociale de la ville de Clichy ce mot écrit au crayon noir : « Londres ». « Londres » commence là où se termine « Guerre ». Un roman en trois parties dont seule la première partie a été retravaillée. La parution chez Gallimard est annoncée pour cet automne.
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Jean-Pierre Thibaudat
journaliste, écrivain, conseiller artistique

Guerre s’achève lorsque, depuis Boulogne, sur un bateau qui l’emmène en Angleterre, Ferdinand voit s’éloigner les côtes françaises. Derniers mots : «  C’est énorme la vie quand même. » Alors commence Londres.

À la différence de Guerre, Londres est un ensemble cohérent en trois parties. Céline a corrigé et retravaillé la première partie (dix chapitres) les deux autres sont un tout premier jet.

Sur une chemise rose des services municipaux d’hygiène sociale de la ville de Clichy (dispensaire où Céline assura une vacation quotidienne de médecine générale de janvier 1929 à décembre 1937) ce mot écrit au crayon noir : Londres. Et sur trois autres chemises on peut lire Londres I, Londres II, Londres III. Dans chaque chemise, des chapitres manuscrits.

Certains pages de Londres III sont rédigés au verso d’un formulaire vierge de certificat médical du même dispensaire. Des trois parties de Londres, la première est la plus longue et la plus accomplie [aboutie], la seule que Céline ait retravaillée avant d’en rester là. De quand date ce manuscrit ? Est-il un morceau retiré du Voyage ? Ou un écrit plus tardif ? Seule une étude du manuscrit pourrait aider à trouver une réponse, mais pour l’heure, celui-ci n’est pas accessible aux chercheurs.

Dans Londres, Céline revient, sous une forme romanesque, sur les onze mois qu’il a passés dans la capitale anglaise où il est arrivé en mai 1915 pour effectuer sa convalescence après sa blessure au front. « Sans doute la période la plus obscure de sa vie [1] », note son premier biographe (et aujourd’hui co-héritier) François Gibault. Période cependant éclairée par le témoignage de Georges Geoffroy dans les Cahiers de l’Herne consacré à Céline (1981, p. 201-202) qui vivait alors à Londres et fréquentait le futur écrivain et médecin, partageant avec lui le goût pour les salles des spectacles et le milieu de la prostitution tenue par des macs français, toutes choses que l’on retrouve dans Londres. Les lettres de Céline à Joseph Garcin montrent que les connaissances de ce dernier des milieux londoniens du proxénétisme ont pu lui servir [2].

Nous avons quitté Ferdinand à la fin de Guerre, lorsqu’il embarque à Douvres pour aller effectuer sa convalescence à Londres [(ce que fait Céline, après sa blessure soignée à Hazebrouck et son séjour final dans un hôpital parisien avant d’aller travailler au consulat de l’ambassade de France à Londres)]. Angèle et son major anglais Purcell, fou d’elle, l’ont précédé de quelques jours. À Londres, Purcell partage avec Angèle un bel appartement où Ferdinand vient la voir, le plus souvent lorsque le major est en mission dans les Flandres.

Ferdinand vit à la pension Leicester que dirige madame Council et où règne en maître le souteneur Cantaloup qui y loge ses tapins et ceux d’autres maquereaux français appelés au front. Aux yeux de Cantaloup et de son entourage, Ferdinand apparaît, de fait, comme le maquereau d’Angèle, prenant la suite de Cascade, fusillé après avoir été trahi (dénoncé) par Angèle elle-même.

Cette mort de Cascade et la trahison d’Angèle hantent leur relation. Vers la fin du septième chapitre de Londres I, Céline décrit une scène de baise entre Ferdinand et Angèle. Mais, ce jour-là, « avant de jouir », Ferdinand entend vider son sac : « Et Cascade saloperie. Tu l’as ou bien donné tiens-toi saloperie. Au bourge du conseil, hein ! Ton Farcy ! que tu l’as bien donné..hein ! Ils l’ont bien crevé hein pas ma vache, fait saigner avec les autres. Il est dans la boite maintenant. Il est tout charogne à présent. »

Farcy ou Cascade ou Farcy Cascade ? Étonnant chassé-croisé ou comment le nom de Cascade mute ou se métamorphose. Il y a le Cascade de Guerre, celui qui a été fusillé à Peurdu-sur-la-Lys dont l’oncle vit à Londres et recommande à son pote Ferdinand d’aller le voir dès son arrivée à Londres, dont on apprendra, dans les premières pages de Londres, qu’il se nomme Cantaloup. Puis il y a le Cascade de Guignol’s Band I, nom de l’oncle du fusillé dont Ferdinand raconte l’histoire [3].

Le « vrai » nom du fusillé, commun aux deux romans, Londres et Guignol’s I serait donc Farcy, Raoul Farcy comme le dit Ferdinand en apostrophant Angèle. Et dans Guignol’s I on peut lire : «  Il [Cascade] se lassait jamais de mon récit !... que je lui recommence !...et encore !... il l’aimait vraiment comme un fils.. Le Farcy Raoul !... Ça le chahutait complètement... Voilà mon arrivée à Londres ! Les circonstances providentielles... Ma chance d’avoir connu Raoul, le pauvre Raoul et son oncle Cascade [4] ». Quant à Angèle, celle de Guerre et de Londres, est très différente de l’Angèle de Guignol’s band I maquée avec Cascade alors que celle de Londres oscille entre son Major anglais Purcell et Ferdinand.

Dans Guignol’s Band I, Céline écrit (Romans III, Pléiade p 180) : « Une chance entre mille de me retrouver à Londres... je raconterai comment... une veine insolente... une gâterie... un retournement du sort !... Quelle renversée ! Cascade je peux le dire, quelle aubaine...Tout ça par le petit Raoul... Pauvre mec alors celui-là ! Une malchance ! Je raconterai aussi. [5] » Il a raconté. Et plus d’un fois. Dans Guerre, dans Londres, dans Guignol’s band I. Une fêlure obsessionnelle quel que soit son travestissement.

Londres I

Ferdinand nous entraîne à Leicester street dans la Pension où l’on joue à la manille au salon où est admis Bijou, un « bourre » (flic), où travaille comme bonne la petite Mabel, où Cantaloup, souteneur français et oncle de Cascade, organise la prostitution de ses tapins, souvent des Françaises, plus rarement des Anglaises. [C’est là que Ferdinand habite.]

Bientôt le narrateur-Ferdinand se lance, pour ses futurs lecteurs, dans une visite guidée de Londres, non sans digression, «  c’est moi qui vous promène, faut pas que je vous égare  ». L’ex-soldat du Front s’est débarrassé de son uniforme et n’exhibe pas sa médaille gagnée à la guerre, laquelle est loin d’être finie. D’autres personnages apparaissent : «  le gros Boro » (Borokrom) qui joue du piano, le capitaine Lawrence Gift, le colonel Horas Marminas, etc.

Un soir, dans le cabaret de la mère Crocket, ça boit sec. Boro joue du piano, Bijou danse, Ferdinand debout sur une table chante et raconte le roi Krogold. L’un d’eux met la main sur un sac de marin russe trouvé sous une table, la nuit et l’alcool aidant la situation dégénère vite. Bijou est salement amoché. Boro et Ferdinand le jettent sur une charrette et les voilà partis tous les trois en quête d’un lieu où soigner celui qu’ils croient bientôt mourant. Ils déambulent dans la nuit. Bijou ne bouge plus, Ferdinand et Boro le croient mort.

Sous le pont Waterloo, ils frappent là à la porte de «  la gare des morts ». On n’y accepte que les morts avec papiers d’identité et d’ailleurs le mort de la charrette ne l’est pas, mort, leur assure le gardien des lieux. Il leur donne l’adresse d’un médecin, le docteur Estroshom. Mais quand ils arrivent à l’adresse, c’est celle du Dc Athanas Yuzenbits (Céline écrit aussi Yudenbits). Le médecin s’occupe de Bijou, l’opère, le sauve, et le couche dans une chambre en attendant qu’il puisse marcher. De fait, Ferdinand et Boro logent également chez le médecin.

On se serre, cela n’est pas très grand et puis le docteur n’est pas célibataire, il a épousé une Russe qui lui a donné trois filles : Rachel qui vit à Montpellier, les deux autres sont là, Sylvie 9 ans et la petite dernière, la plus mignonne, Sarah, 5 ans. C’est à elle que Boro raconte des tas d’histoires, tout en draguant la mère - c’est du moins ce que soupçonne Ferdinand — quand il ne se saoule pas avec l’éther piqué dans la pharmacie du docteur. Ferdinand n’ose pas appeler Angèle pour avoir un peu d’argent, il a peur qu’elle le dénonce : depuis peu, sa convalescence achevée, il est considéré comme déserteur.

Ferdinand s’intéresse de près à ce que fait le docteur Yuzenbits. Il le questionne, commence à lire des livres de médecine. Le docteur le considère. « Les premières flatteries que j’ai eues c’est avec Yudenbits. J’y aurais léché les mains, je serais mort pour lui, sur place, moi, pour ce petit con de juif. J’y ai dit. Il s’est mis à doucement rigoler comme il en avait l’habitude ». Bientôt Ferdinand accompagne le docteur dans ses visites aux malades.

Pour lui c’est « comme une révélation » de voir comment Yuzenbits s’y prend « pour leur faire du bien, pour les empêcher d’avoir mal ». Il verra ainsi son premier mort, Peter, un petit enfant. Et Céline d’écrire : « Vingt ans sont passés depuis, et pourtant, bien des choses encore, bien étranges et bien lourdes et (le) petit Peter, m’est cependant toujours là. » Difficile de ne pas penser à l’enfant mort de Voyage au bout de la nuit et à la fin de Rigodon (le dernier roman de Céline achevé juste avant sa disparition) où le médecin sauve des enfants de la mort et est sauvé par eux.

Cache-purée, une des filles du Leicester, semble les avoir repérés, elle rôde dans les parages à plusieurs reprises. La santé de Bijou s’améliore. Boro, un jour, s’en va. Quelques jours plus tard Bijou (guéri) et Ferdinand en font autant.

Ferdinand retrouve Angèle mais il se méfie d’elle. Il craint également de revenir à la Pension, Leicester street. « Fallait pas que je compte beaucoup sur leur confiance. Mais fallait que je les revoye quand même ». Il y retourne. Ferdinand sent que le vent tourne, il juge que Cantaloup, un mac à la marseillaise, est un homme « fini et un peu dépassé  ». Chacun le sent : l’étau policier se resserre.

Cantaloup et Ferdinand cherchent Boro. Ils le retrouvent dans un théâtre, l’Empire. Ils y croisent aussi le capitaine Lawrence. Après l’entracte, c’est le numéro de la famille Peacock, des lanceurs de couteaux qui ont trouvé refuge à la Pension Leicester, une famille que Céline décrit avec beaucoup d’affection. Tous, après le spectacle, se retrouvent dans une chambre du Savoy. Ambiance partouze. Arrivent Angèle et Bijou. La partouze remet ça. Angèle, shootée à la coke, veut que tout le monde lui passe dessus.

Au retour à pied, Yorrick trouve un bébé dans un buisson et un chat. À la Pension toutes les filles veulent allaiter le bébé. Cantaloup fait reconduire le nouveau-né abandonné dans un hôpital mais le chat reste. Mabel le nomme Mioup.

Chaque soir Ferdinand va maintenant dormir chez Angèle. Purcell est de plus en plus souvent dans les Flandres. Ses relations avec Angèle commencent à se distendre. On reparle de Cascade, on baise. Le printemps est arrivé. Grande virée à la campagne pour une fête organisée par le capitaine Lawrence Gift. Borokrom joue de l’orgue, dans la cheminée on brûle les meubles des ancêtres du capitaine. Des fantômes font leur apparition. « On n’a jamais reparlé de ces choses-là » note Ferdinand.

Au retour à la Pension, mauvaises nouvelles. Des tapins ont été données et arrêtées dit Ursule, la prostituée, compagne de Cantaloup. Et, pour tout arranger, autre changement : on ne peut plus envoyer les filles se faire avorter à Boulogne. Ferdinand contacte Yuzenbits : il s’occupera des avortements, d’autant qu’en tant qu’étranger ayant distribué des tracts révolutionnaires, il est sous la menace d’un ordre d’expulsion. Par ailleurs les autorités multiplient les appels au recrutement, les souteneurs sont dans le collimateur.

Chez Angèle, Purcell fait part à Ferdinand de sa nouvelle marotte : les masques à gaz. Il a fabriqué des prototypes. Ferdinand en emporte quelques exemplaires à la Pension : chacun et chacune les essaie.

Ainsi s’achève Londres I la seule des trois parties retravaillée par Céline. Les deux autres parties, en un seul jet, sont aussi plus courtes.

Londres II

Visite d’un flic à la Pension. Des filles ont été données. Cantaloup : « ils veulent nous faire à la terreur. » Angèle veut partir loin, vivre avec Ferdinand, « refaire notre vie ». « Tout le monde se régalait de notre déchéance  », note Ferdinand. Purcell a contracté une assurance-vie pour Angèle au cas où il viendrait à mourir. Il s’éloigne d’elle, passionné qu’il est par la mise au point des masques à gaz. Les «  gagneuses » sont « coulées » une à une, le maquereau Tresore vend la Joconde à Cantaloup, Ursule avorte et dit à Ferdinand croire que la Joconde est en train de les donner. Ursule et Cantaloup parlent de mariage. Les « bourres » viennent à la Pension pour arrêter Lawrence.

Le mariage a lieu, suivi d’une fête suivie, elle, d’une bagarre. Cette fois c’est Angèle qui est très sérieusement blessée. Ferdinand : « Je veux manger la vie, le reste je m’en fous. »

Cantaloup sent que l’époque n’est plus propice, qu’une page se tourne. Il envoie Ursule et la Joconde à Rennes, et d’autres filles à Paris, rue de Lappe. Ferdinand songe à Angèle : « si je l’avais pas rencontrée à Peurdu-sur-la-Lys, je sais pas ce que je serais devenu ». Ses oreilles bourdonnent.

Ferdinand ne veut plus retourner chez Angèle, ni chez les autres. « Je voulais me planquer peinard si c’est encore possible.  » Il erre. Retrouve Boro et d’autres au square Berkeley. Un jour, KO debout, il sonne chez Angèle. « Reposez-vous Ferdinand qu’elle me disait, reposez-vous, vous ne courez aucun danger ici. » Il reste.

Un jour, il part. Il apprend qu’il y a eu des arrestations, « ça sentait mauvais ». Il croise Mabel qui, elle, veille sur Mioup. Ainsi s’achève Londres II.

Londres III

Ferdinand, Boro et d’autres ont trouvé refuge dans une villa chez un tôlier affranchi. Petites histoires. Soirée au cabaret chez Crokett, on assiste à un numéro avec ours. Boro joue de l’harmonica pour éviter de répondre à la question : où est passé Bijou ? « Depuis que Borokrom ne pouvait plus gueuler dans les meetings ; il changeait », note Ferdinand. Au début de Londres il avait vu Borokrom à Hyde Park, monté sur un petit monticule, il haranguait la foule. Yorrick dit être surveillé. Tous le sont ou croient l’être.

Ferdinand retrouve Purcell, amaigri, méconnaissable. Il dit être revenu à Angèle toujours hospitalisée et que, pour Ferdinand, restait « la douce Sophie ». Boro et Ferdinand accompagnent Purcell pour une démonstration de ses masques à gaz, Ferdinand en profite pour lui taper du « pèze ». Un autre jour on retrouve Purcell dans son usine, il est dans les vapes, comme ahuri : un employé s’est trompé dans les vannes. On le conduit en ambulance dans sa famille : il n’a pas vu sa femme depuis six mois.

À la villa cohabitent Boro, Cantaloup, Mabel, Sophie et Ferdinand. Ce dernier et Cantaloup n’aiment pas Sophie, ils la trouvent fausse. Ferdinand va voir Angèle à l’institut Saint-Barnabé où on la soigne. Elle est comme ailleurs. « Elle m’a regardé le corps comme si ça lui rappelait quelque chose. » Il ne la reverra plus.

Un soir, Cantaloup, Ferdinand, Boro et d’autres entrent au Royal. Beaucoup de monde. Quelqu’un tire sur Cantaloup qui s’écroule. Le grand et massif Boro le charge sur ses épaules et fonce vers la sortie. Yuzenbits : « On peut pas y toucher, il a perdu trop de sang.  » Cantaloup se redresse sur le divan et dit : « Ferdinand tu vois, ça y est…  »

Dans la cave de la villa, Mabel reste avec le corps. Comment s’en débarrasser ? Mabel ne veut pas qu’on l’enterre comme un chien. Ferdinand la rassure. « T’es bon Ferdinand, t’es bon. » Il sort sa bite, la met dans la main de Mabel, « elle me branle bien gentiment  ». Sophie les rejoint à la cave et, devant le corps, chante des cantiques. C’est alors que Mioup fout le feu en renversant des bougies. Le feu se propage vite. Les pompiers arrivent. Ferdinand et les autres s’en vont vite. Ils dorment dans des quartiers où le mort n’était pas connu. Et songent à partir. L’Irlande ? L’Espagne ? «  Jamais je l’avais tant regretté, Cantaloup », note Ferdinand. « C’était qu’un début. J’étais mal parti dans l’existence. C’est moche d’être né en 1898. je le dis ». Il songe à ses parents, recommande à Boro d’aller les voir passage du Bérézina, « Tu leur diras que je vais bien. »

Dans la nuit, le chat Mioup miaule. « Ils sont partis tous les trois. Ils m’ont laissé. La brume les a pris. Il était six heures du matin. »

Fin de Londres III.

Jean-Pierre Thibaudat.

LIRE : L’intégrale de Céline, le trésor retrouvé - La révélation.

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Céline et ses inédits : son « vrai » trésor sera-t-il un jour exhumé ?

Alors que paraît « Londres », nouvel inédit de l’auteur de « Mort à crédit », Jean-Pierre Thibaudat raconte, enfin, comment il a détenu ses manuscrits pendant près de quarante ans.
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Par Grégoire Leménager
Publié le 9 octobre 2022 à 10h00

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Céline, incarcéré au Danemark en mai 1947.
(PIERRE VALS/OPALE.PHOTO)

Le jour où Netflix voudra réaliser une série incroyable, mais vraie, avec des collabos, des résistants, un écrivain génial furieusement antisémite, et une vieille caisse pleine de manuscrits qui surgissent du néant trois quarts de siècle après avoir disparu, les scénaristes n’auront pas grand-chose à inventer. Il leur suffira de tirer le fil apparu au cœur de l’été 2021 quand Jérôme Dupuis a révélé, dans « le Monde », qu’on avait retrouvé « des milliers de feuillets inédits » de Louis-Ferdinand Céline. Stupeur sur les plages, cet été-là.

Pas loin de 6 000 feuillets, rédigés par un des romanciers les plus importants du XXe siècle, étaient détenus depuis des années dans le plus grand secret par Jean-Pierre Thibaudat, qui fut longtemps l’estimable critique dramatique de « Libération ». Et l’existence de ce trésor, restitué depuis aux ayants droit de Céline, relançait tout à coup l’une des plus formidables parties de Cluedo littéraire qu’on connaisse.

L’affaire est désormais fameuse, mais rembobinons. Tout avait commencé dans le chaos de la Libération de Paris, en juin 1944, lorsque l’auteur de « Voyage au bout de la nuit » et de « Bagatelles pour un massacre » avait fui la France après avoir professé un antisémitisme féroce qui n’était plus de saison. Il avait probablement sauvé sa peau en s’exilant, mais laissé dans son appartement parisien, rue Girardon, des manuscrits que personne n’avait jamais revus. Jetés aux ordures ? Détruits ? Volés ? Vendus ? L’auteur de « Féerie pour une autre fois », champion de la posture victimaire jusqu’à l’obscénité et jusqu’à sa mort en 1961, n’a pas manqué une occasion de se lamenter sur leur sort.

Des céliniens les ont cherchés partout. Plusieurs les ont crus cachés dans le maquis corse par un certain Oscar Rosembly, qui avait perquisitionné des appartements en 1944. Même les plus acharnés ont fini par les penser perdus. Les manuscrits n’étaient pas perdus – du moins pas tous. « Le Trésor retrouvé » par Thibaudat en est bien un. Il contient notamment des romans inédits de Céline, rien que ça.

Oubliez donc Joël Dicker et filez plutôt lire le premier, « Guerre », dont tout le monde ignorait l’existence et qui produit à peu près le même genre d’effet qu’une démo inconnue des Beatles (les arrangements ne sont pas encore là, mais l’essentiel est en place, brut de décoffrage : c’est la mélodie de quelqu’un qui connaît la musique). « Guerre » est un des best-sellers de l’année depuis sa publication en mai chez Gallimard, avec 170 000 exemplaires déjà vendus. La suite paraît cet automne : « Londres », 550 pages, tiré à 80 000 exemplaires.

Illusions d’optique

Pour les amateurs de jeux de piste, tout de même, quelques questions restaient en suspens. D’où sortait-il, ce trésor ? Où était-il passé depuis 1944 ? Comment Thibaudat avait-il mis la main dessus ? Quand ? Et pourquoi l’avoir conservé si longtemps intact, sans en parler à personne mais sans non plus chercher à en vendre certaines pièces, qu’il aurait pourtant pu monnayer très cher ? Toutes ces questions se sont heurtées à la même réponse de Thibaudat : « Secret des sources. »

Une personne, qu’il n’avait jamais revue, lui avait confié « deux énormes sacs », « entre 1982 et 1996 », en lui faisant promettre d’attendre la mort de Lucette Destouches, alias Mme Céline, pour les restituer aux héritiers de l’écrivain. (Lucette Destouches, qui est finalement morte à l’âge hyperbolique de 107 ans en novembre 2019.)

Puis soudain l’été dernier. Le secret des sources a disparu. Thibaudat raconte toute l’histoire sur son blog Balagan. Il la reprend dans un petit livre très intéressant à paraître chez Allia, « Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé ». Il lève enfin le voile sur l’identité de son mystérieux donateur. Il s’agissait d’une fille du grand résistant Yvon Morandat, prénommée Caroline. Elle avait découvert les manuscrits, « oubliés » dans la cave familiale, après la mort de ses parents, et les avait confiés à Thibaudat peu avant de mourir à son tour en 1985.

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Yvon Morandat, résistant, premier détenteur
des manuscrits de Céline, ici en 1968.
(BRIDGEMAN IMAGES)

Morandat, caramba ! Cet éminent gaulliste avait plusieurs fois été évoqué au cours de l’affaire (y compris par Céline lui-même, qui l’accusait du pire depuis son exil danois), dans la mesure où il séjourna plusieurs mois dans l’appartement de la rue Girardon, à partir de mars 1945. Mais la plupart des connaisseurs du dossier écartaient la piste au motif que l’irréprochable probité de cet homme-là était peu compatible avec la détention de documents ne lui appartenant pas.

C’est peut-être sur ce point que le récit de Thibaudat, qui aura donc passé près de quarante ans à « décrypter cette folle écriture et ses repentirs dans le secret de [s]es nuits, effectuant un voyage insensé au bout de ces nuits », devient le plus troublant. Tout, dans les détails qu’il donne, est là pour laver l’honneur du résistant, et contredire ce qui était jusqu’à présent la thèse dominante :
«  "Loin de les brûler, ces documents dont Céline ne veut pas, Yvon Morandat les conserve, respect de la chose écrite. Les manuscrits et les papiers de la rue Girardon n’ont pas été “volés” comme le serine Me Gibault [ayant droit de Céline, NDLR], mais préservés, en un mot : sauvés." »

Le trésor de l’abominable écrivain raciste sanctuarisé par un compagnon de la Libération, quelle leçon d’humanisme… Aujourd’hui encore dans une réédition augmentée de sa grande biographie de Céline, Me Gibault martèle pourtant que ces manuscrits ont été «  frauduleusement détenus par Yvon Morandat  », et que celui-ci s’est « rendu coupable d’un délit en les conservant, alors qu’il avait placé dans un garde-meuble le très modeste mobilier de Céline  ».

Mais c’est passer un peu vite sur le fait que Céline lui-même, après-guerre, avait envoyé Morandat promener. «  Remerciez Morandat, écrit-il à son copain Pierre Monnier le 25 décembre 1950, mais il n’a que des épreuves brouillon, ce sont les définitifs manuscrits qui m’ont été secoués par les épurateurs chez moi ! Vous savez que je fais taper 3 ou 4 fois de suite mes chers romans, j’épure, j’épure, j’épure, un boulot de Chinois, le brouillon de “Guignol” je l’ai aussi ! Ça ne vaut rien. C’est l’épuré qu’il me fallait deux ans de boulot ! »

Les deux hommes sont allés jusqu’à se rencontrer peu après. « L’entrevue a été correcte, sans plus, racontera Monnier dans “Ferdinand Furieux” en 1979. Il y fut question de manuscrits et de meubles, le tout transporté dans un garde-meuble dont M. donna l’adresse. En se quittant, ils se serrèrent la main et, je crois, ne se sont jamais revus. C. disait d’ailleurs que les manuscrits en question n’étaient que des doubles, des premières moutures, pour lui sans grand intérêt. » Autrement dit, c’est à se demander si, juridiquement, les manuscrits dont Céline ne voulait plus devaient impérativement revenir à ses ayants droit… « Qu’ils vendent donc ce qu’il reste du pillage ! Pensez que j’ai fait mon deuil de tout ceci ! », écrivait Céline à Jean-Louis Tixier Vignancour le 30 novembre 1953.

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Le critique Jean-Pierre Thibaudat. (ALLIA)

Surtout, il faut se méfier des illusions d’optique. Comme le souligne finement le célinien Emile Brami dans une tribune parue sur BibliObs dès le 15 août 2022, cela signifie que le « trésor retrouvé » par Thibaudat n’est en réalité pas celui que Céline se plaignait d’avoir perdu. « Les témoignages des visiteurs de Céline rue Girardon sont concordants, résume Brami. Se trouvaient sur une armoire deux manuscrits volumineux et surtout terminés, “Krogold” et “Casse-Pipe” dont Céline disait qu’il faisait plus de 800 pages. Mon hypothèse est que Rosembly, familier des lieux, embarque [avant que Morandat emménage] ce qu’il sait pouvoir monnayer, comme il le fit chez Le Vigan et Ralph Soupault, collabos notoires et voisins de Céline sur la butte Montmartre, qu’il a perquisitionnés. »

Des fameux « Krogold » et « Casse-Pipe », Morandat et Thibaudat semblent bien, en effet, n’avoir sauvé que des versions de travail. Elles seront publiées par Gallimard dans les prochains mois, et certainement très intéressantes, mais la partie de Cluedo concernant le testament perdu de Céline n’est pas terminée.

Son « vrai » trésor sera-t-il pour une autre fois ? Sera-t-il un jour exhumé ? A-t-il, comme le redoutait l’auteur de « Mort à crédit », été « bouzillé » dès 1944 et irrémédiablement jeté dans les «  poubelles de l’avenue Junot  » ? Se dégrade-t-il lentement quelque part dans le maquis corse ? On ne sait pas. Personne ne sait. Le jour où Netflix consacrera une série à cette incroyable affaire, ses scénaristes pourront même spéculer sur la possibilité d’une saison 3.

Marche à Londres

«  C’est énorme la vie quand même. On se perd partout  », résumait Ferdinand à la toute fin de « Guerre ». Rescapé d’un bombardement, passé par un hôpital militaire où l’on traquait les déserteurs pour les fusiller, ce jeune soldat fuyait alors un « monde d’atrocité  » pour filer à l’anglaise avec Angèle, une prostituée qui n’avait pas sa langue dans sa poche. C’était pour aller se perdre dans « Londres » entre 1916 et 1917, d’un printemps l’autre, en compagnie d’une bruyante clique de maquereaux violents et de « tapins » cocaïnés, de flics et de voyous, de poivrots déchaînés, de clochards pas toujours célestes et d’un petit chat baptisé Mioup. Mais on n’en finirait pas d’énumérer les affreux, sales et méchants qui peuplent cette épopée tragicomique où Céline s’inspire très librement, comme il le fera plus tard dans « Guignol’s Band », de sa propre expérience de la capitale britannique en 1915.

« Tout Londres, c’est des bizarreries  », note Ferdinand. On s’y perd un peu aussi, parfois. On se dit que Céline en fait des tonnes. C’est Audiard sur les bords de la Tamise. Reste l’essentiel : la manière dont, sous les cuites phénoménales, le sexe à plusieurs et les éclats de rire, au milieu d’une misogynie crasseuse et d’une misanthropie fondamentale, suintent ici la misère, la trouille de la guerre et, parfois, une vraie sorte de fraternité décapée de toutes les illusions. Reste surtout, peut-être, la bouleversante beauté des pages où Ferdinand pleure la mort d’« un tout petit malade, un minuscule, il avait pas six mois  ». C’est le moment où il est généreusement initié à la médecine par un certain Yugenbitz : un juif aux «  doigts d’araignée  », mais qui est probablement l’une des figures les plus lumineuses de l’œuvre de Céline. « J’aurais voulu je crois guérir toutes les maladies des hommes, qu’ils souffrent plus jamais les charognes », dit alors Ferdinand. Selon Régis Tettamanzi, qui a établi et préfacé « Londres », le texte serait un premier jet rédigé « autour de 1934 ». Soit trois ans à peine avant les délires antisémites de « Bagatelles pour un massacre ».

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A LIRE
Londres, par Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, 576 p., 24 euros (à paraître le 13 octobre).
Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé, par Jean-Pierre Thibaudat, Allia, 112 p., 9 euros (à paraître le 20 octobre).
Céline, par François Gibault, Robert Laffont, « Bouquins », 928 p., 32 euros.

L’OBS, 9 octobre.

REVUE DE PRESSE


[1François Gibault, Céline. 1894-1962. Le Temps des espérances, Paris, Mercure de France, 1977, p.166.

[2Cf. L.F. Céline, Lettres à Joseph Garcin (1929-1938), texte établi et présenté par Pierre Lainé, Paris, Librairie Monnier, 1987.

[3Céline, Guignol’s Band I, in Romans, tome III : Casse-pipe, Gugnol’s Band I, Guignol’s Band II, édition présentée, établie et annotée par Henri Godard, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1988, p.269-270 ;

[4Ibidem, p.280.

[5Guignol’s band I, id. p.180.

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 3 novembre 2022 - 21:51 1

    Dans le style, exercice d’admiration :

    Le monde qui se retourne

    L’enfer. Peu l’ont traversé, ou alors à travers le prisme de la mythologie. La belle affaire. L’enfer, le vrai : on se souvient qu’il commence tout d’abord par entrer dans l’oreille du narrateur de Guerre. C’est comme ça que ça a commencé, par un sifflement assourdissant, une déflagration interne. Et l’aventure se poursuit en roman avec la parution aujourd’hui de ce manuscrit qu’on pensait avoir été perdu de Londres. Un manuscrit, un brouillon, un premier jet « spermatique » comme aurait dit Beaumarchais. Un peu de tout cela, en effet. Un véritable work in progress en acte qui ne semble pas enthousiasmer ce qu’il reste de critique littéraire tant il est devenu difficile à beaucoup de se hisser à la hauteur de Dante et de Shakespeare réunis. On y va ? La parole est au procureur et à la défense en même temps. Céline, il faudra vous y habituer, on commence par entendre sa voix. « Ferdinand, que je me dis, ça y est, tu viens de crever ta tête et le tonnerre de Dieu ! C’est trop de tempête pour toi tout seul. Barre-toi ! voici le monde qui déborde ! Je hurle ! J’appelle ! » Nous sommes à Londres donc, en 1916. On se souvient que le personnage de Ferdinand a quitté dare-dare la France, ce continent où la folie n’en finit pas de rôder, pour aborder en compagnie d’une jeune prostituée, Angèle, et de son major d’infortune Purcell, les côtes britanniques. C’est la guerre, peut-être, mais c’est surtout les grandes tragédies de Shakespeare qui ici affluent de toutes parts. Le Temps sort de ses gonds, écoutez ! « Au secours ! À moi ! Le monde qui se retourne ! C’est infect ! Je vois tout de l’autre côté ! Le capitaine refuse de bouger. J’ai peur si je m’arrête, qu’on vienne nous assassiner du fond des ombres nous. » Voilà, nous sommes emportés, et ce dès l’incipit de ce texte endiablé qui a débuté quelques 250 pages auparavant, dans une sarabande infernale, en compagnie de joyeux drilles qu’il serait tentant de tous nommer : des proxénètes, des putes, des indics, des receleurs, des soldats, des marins et puis, parfois, quelques danseuses ; nous y reviendrons. L’intrigue n’a d’intérêt que dans sa capacité à subvertir le récit justement : viols, trahisons, tentatives de meurtres. La machine infernale, comme dans L’Enfer de Dante est bien huilée ; elle n’en finit pas de tourner. Parmi les personnages hauts en couleur du livre se trouve un médecin juif polonais, Yugenbitz qui, à défaut d’initier Ferdinand à la médecine, l’amène à se confronter à la douleur humaine des autres, et notamment à celle d’une famille ayant perdu son enfant. Tout l’art du récit célinien est condensé dans ce type de séquence narrative où l’émotivité de l’énonciation prend le dessus sur l’intrigue. Beaucoup de critiques, dont Henri Godard, l’ont admirablement montré : le narrateur célinien revit dans sa propre énonciation le scandale que constituent aussi bien la guerre que la mort d’un enfant. On pourra nous opposer tous les pamphlets que l’on veut, mais une humanité désespérée traverse toujours la prose célinienne : « Dans la cour même je vois que c’était allumé dans l’atelier. Je traverse vite. Je frappe. On répond pas. Alors je pousse. Y avait quatre bougies allumées autour de la petite voiture. Le petit Peter il avait l’air de dormir, encore plus pâle seulement. J’avais jamais encore vu un si petit enfant mort. La lumière des bougies sur sa figure ça faisait tout sensible à trembler au milieu de l’ombre. Je me suis approché tout près. C’est aux lèvres qu’on comprend que c’est fini, que c’est décidé pour toujours. » Ces lèvres sont aussi l’image de la voix de l’écrivain toujours menacée de disparaître, ou d’être bâillonnée.

    LIRE LA SUITE ICI

    Dans le style, cette fois, je dégomme, du même Olivier Rachet : Vider des coffres à propos du Trésorier-payeur de Yannick Haenel. On se croirait revenu dans les années vingt du siècle dernier quand surréalistes, dissidents, etc... s’envoyaient des cadavres à la figure. On sait qu’un siècle après, ce n’est pas ce que l’Histoire a retenu. Voilà pourquoi, personnellement, je me tiens résolument à l’écart de tout ce micmac.


  • Albert Gauvin | 17 octobre 2022 - 16:15 2

    La tentation de l’espoir : le nouvel inédit de Céline

    Roman de l’angoisse et de la traque Londres, ne manque pas d’échappées et d’infinis — possibles seulement. Une lecture du nouvel inédit de Céline par Vincent Berthelier, auteur du Style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq (Amsterdam, 2022). LIRE ICI.