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Le Monde des amants ou L’Éternel retour

par Michel Surya. Parution mai 2022

D 4 juin 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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Le bandeau du livre est dessiné par Christian Lacroix.

L’amour à l’œuvre

Alphonse Clarou

Le monde des amants n’est pas moins vrai
que celui de la politique. Il absorbe même
la totalité de l’existence,
ce que la politique ne peut pas faire.
Georges Bataille

Tout n’est que biographie.
Friederich Nietzsche [1]

Michel Surya est connu ou reconnu pour être l’auteur de la biographie d’un écrivain français du XXe siècle : Georges Bataille. La Mort à l’œuvre. Il l’est aussi pour avoir fondé la revue Lignes vers la fin du même siècle, où se rencontrent depuis plus de trente ans, trois fois par an des textes d’auteurs, philosophes et écrivains se mêlant de politique et de littérature, d’idées et de « pensée ».
L’œuvre vivante de Michel Surya ne se résume cependant pas à ces deux faits d’arme : une trentaine de livres la constituent déjà, la plupart se présentant comme des essais (la série Matériologies, cherchant à penser politiquement la littérature ; la série De la domination, cherchant à penser littérairement la politique), ou des récits (L’Impasse, Exit, Olivet, Défiguration, Le Mort-né…) dans lesquels l’écriture de vies, intimes et tragiques, existentielles et sexuelles, rencontrent parfois l’Histoire – ce cauchemar, comme le dit Stephen Dedalus, dont je ne me réveille pas.

Connu ou reconnu aujourd’hui comme le biographe de Bataille et le fondateur de Lignes, Michel Surya le sera un jour comme l’auteur de L’Éternel retour, roman, et du Monde des amants, idem [2].

*

L’Éternel retour avait paru en 2005 aux éditions Léo Scheer. Il est aujourd’hui repris dans un livre qui est en fait deux. Deux romans : L’Éternel retour et Le Monde des amants. L’un et l’autre (tête-bêche ou dans la position que le Kama-sutra dit être celle du corbeau) se regardent, s’écoutent, se réfléchissent. Voudraient, comme en amour, ne faire qu’un – mais, comme en amour, ne le peuvent pas. Car pour aimer il faut être deux – contrairement à l’État, qui voudrait être un, l’est ou croit l’être, les amants comme le livre veulent être deux et le rester. Au moins deux, voire trois.

On ne sait d’abord pas par quel bout prendre ce double livre. Faut-il lire d’abord l’un ou l’autre ? L’un puis l’autre ou les deux en même temps ? Le Monde des amants et L’Éternel retour pourraient chacun être la « suite » de l’autre ou sa poursuite, son prolongement, sa continuation.

Puis on se dit que Le Monde des amants que l’on découvre (le lisant après avoir lu, il y a dix-sept ans, L’Éternel retour) pourrait aussi bien être le commencement, la répétition, la retournance, bref, l’éternelle gestation-conception de L’Éternel retour. Mais cela se pourrait-il ?


Catherine Hélie, Lever du jour sur la mer.
L’extrême contemporain. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Des deux côtés on entre par une photographie noire et grise de Catherine Hélie, dont les reflets d’argent et le titre, Lever du jour sur la mer, invitent au voyage destination, par exemple, un poème du XIXe siècle (« Comme un visage en pleurs que la brise essuie – l’air est plein du silence des choses qui s’enfuient »). Le « Crépuscule du matin » de Baudelaire, l’Aurore de Nietzsche et le « De sa couche elle voit se lever Vénus suivie du soleil » de Beckett, les trois marches du Grand Matin qui doivent conduire les hommes et les femmes au Grand Midi se tiennent là, en une seule image. Puis le texte.

La langue, et les vies que les deux romans racontent, sont les mêmes. On reconnaît une phrase, un souffle et une voix reconnaissables entre mille. Où les inversions de subordonnées et l’usage du subjonctif imparfait sont la règle. Règle, rigueur ou « ordre du discours » qui semblent faits pour accueillir et contenir le plus grand désordre (comme on dit, Baudelaire encore ou Sade, que l’infini est d’autant plus profond qu’il est resserré).

Règle dont il ne faudrait pourtant pas s’effrayer, qui semble d’abord en effet tenir en respect ses lecteurs, les impressionner. Or, surmontées ces impressions premières, nous voilà pris dans un mouvement de fleuve.

Où l’on se surprend à nager sans effort apparemment et à accorder son souffle à celui d’un narrateur infatigable. Lequel s’appelle Boèce, qu’on retrouve donc dix-sept ans après L’Éternel retour. Il parle, n’en finit pas de parler, de penser, de parlenser… Comme si un exorbitant pouvoir lui était donné par le roman : de parler, de penser sans que la fatigue le limite ou le contraigne de s’arrêter jamais. Et de fait cela ne s’arrête pas, cinq cents pages et quelques autres d’une parole qui fait vivre et vibrer une pensée en mouvement perpétuel, semblant n’avoir ni début ni fin, l’un et l’autre de ces deux romans commençant et se finissant par les mêmes phrases, les mêmes « premiers mots » coïncidant avec les derniers.

Boèce parle – il cherche à penser, il le dit à Dagerman… Rien qui bouge, bouge à peine… Trente mille nuits de fantômes au-delà... Au-delà du noir au-delà... Rien qui bouge, dix-sept ans après :

« Je chercher à penser, dis-je à Dagerman, je cherche à penser que penser peut décider de tout… »

Il cherche à penser, il parle donc, mais il est seul – l’est-il ? À peine. Il le dit à Dagerman et Dagerman parfois l’écoute, parfois lui répond. « L’expérience de la pensée, dit Dagerman, ce n’est pas cela dont il n’y a personne à ne se croire capable, c’est cela dont il n’y a personne à réellement croire capable la pensée… » Ainsi s’installe dès les tout premiers mots quelque chose comme un dialogue, un entretien ou un examen de conscience (ou un examen de pensée, précise Surya).


© XCLX @fkachristianlacroix.
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Boèce donc est et n’est pas seul : solitude peuplée. Il cherche du moins à ne pas l’être, fût-ce par la pensée (la pensée qu’il soit un peu moins seul qu’il ne l’est en fait), il cherche, il dit quelque chose à Dagerman, il lui dit d’abord qu’il pense, ou qu’il cherche à penser. Il lui dira aussi cela qu’il pense : de Nietzsche, comme dans L’Éternel retour, mais non seulement dans Le Monde des amants : d’Uwe Johnson aussi, de Malcolm Lowry, d’Ingeborg Bachmann, de Franz Kafka, de Léon Tolstoï, d’André Tchaikowsky, de Ludwig Wittgenstein, de Sigmund Freud, d’Arnold Zweig, de Simone Weil, de Jean Selz, de Maurice Betz, de Rainer Maria Rilke, de Lou Andrea-Salomé… Autant de noms, de figures, de « personnages » parfois ou de fantômes, formant ensemble l’arborescent dramatis personæ de ce roman de pensée fait pour les faire revenir et les accueillir. Ecce monstri. Autant de Vies, comme le livre rappelle qu’on le disait jadis, de vies écrites, de biographies. Lesquelles menacent toujours de se transformer en autobiographies (que Boèce cherche à nommer autrement) et de constituer dans le même mouvement « la bibliothèque, les miroirs, ou, si l’on veut, les œuvres... [3] »

Il le dit à Dagerman, autre lui-même ou, comme on aurait peut-être dit à Athènes, deutéragoniste du roman (des deux) – qui lui répond, lui demande (quoiqu’il ait, lui, arrêté d’écrire, qu’il ne cherche plus à écrire, il vit seul avec l’être aimé, devant la mer, et il n’y a pas qu’écrire qui fasse penser...) Il dit ce qu’il pense, lui, de Nietzsche et de son éternel retour et des autres, ce qu’il en pense ne s’accordant pas toujours avec ce que pense son ami, qui s’y oppose parfois : comme il est préférable n’est-ce pas de ne pas toujours penser en accord avec sa propre pensée, de s’opposer parfois à ce qu’on pense et de penser contre la pensée.

Dagerman est l’ami, l’aîné, le maître, etc. Mais il est aussi le double, semble-t-il : l’autre, cette figure de l’autre en nous-mêmes, que le travail de la pensée, de la pensée par la parole de vive voix ou écrite, cherche à faire exister en nous-mêmes et avec lequel quelque chose comme une expérience, un dialogue, un petit bout de vie heureuse, pourrait être possible.

*

Amour ou amitié, pour aimer comme pour penser il faut être deux. Ou peut-être trois. Tel est le monde des amants : Dagerman aime Nina, il aime Boèce aussi, Nina l’aime, Boèce aime Dagerman, aime Nina, Dagerman l’aime, Nina l’aime, etc., etc. Parlant moins (subissant moins ou dominant mieux l’emballement, le torrent des mots et des phrases s’engendrant par elles-mêmes – l’exorbitant pouvoir du roman), cette dernière n’en pense pas moins, si on peut dire, pensant davantage, dans Le Monde des amants comme dans L’Éternel retour, avec des images qu’avec des textes. On voudrait cependant l’entendre encore, c’est-à-dire qu’on voudrait entendre le roman de Nina qui pourrait être comme un film de Godard ou un roman à venir de Surya : un Roman d’image. Un roman de pensée par l’image qui prolongerait, poursuivrait celui-ci, ces deux-là.


© XCLX @fkachristianlacroix.
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Mais cette opposition entre texte et image, entre féminin et masculin si on veut – comme toutes les autres oppositions ayant cours dans ce livre, roulées et emportées par les vagues mentales d’une mer pâle irréelle immobile (le paysage, personnage à part entière du roman) – ne tient pas longtemps. Surya, philosophe ? Il faut y insister : son livre, ses livres, son œuvre sont très peu philosophiques. Savoir, l’intelligence de l’éternel retour (du concept ?) de Nietzsche, par exemple, ou celle du « monde des amants » de Bataille (qui met en tension l’amour et la politique, l’un fait pour relever ou ruiner l’autre), ne s’y donnent pas par l’exposition ou l’articulation de concepts et de présupposés : mais par des images et des figures, des idées qui ne cessent pas de se déplacer et de se contester, par des personnages à la rigueur et des scènes qui les éprouvent, par un mouvement enfin et surtout, porté et animé par une écriture, une langue singulière, etc. Un feu ou un fleuve qui parle notre langue, et appelle la voix.

Le Monde des amants ou L’Éternel retour est le roman du roman, mais lequel est l’un, lequel est l’autre… Comme si l’un était une sorte de palimpseste de l’autre. Ou bien comme si L’Éternel retour se fêlait, s’ouvrait, s’élargissait enfin pour laisser passer le fleuve du Monde des amants. Ou bien peut-être encore : comme si l’un était aussi « la préparation du roman » de l’autre. La préparation de ce roman de pensée « qui tient pour égal un événement d’action et un événement de pensée » et fait le récit, les multiples récits de tels événements confondant action et pensée, les tenant pour égales. Forme qui a peut-être des antécédents : on pense à… À quoi, à qui d’ailleurs ? Aux Provinciales de Pascal, au Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard, à La Consolation de Philosophie de Boèce ou à Malina d’Ingeborg Bachmann ? Toute comparaison semble boiteuse tant Surya sonde, fore et explore cette forme comme jamais semble-t-il avant lui.

Surya, inventeur de formes ? Inventeur d’une forme qui, œuvrant celles du passé (celles d’un XXe siècle dont on pourrait imaginer cette représentation rêvée : qu’inaugurerait la pensée de Nietzsche et qu’achèverait le roman de Surya !), ferait entrer la littérature dans le XXIe siècle ? Le Monde des amants ou L’Éternel retour inventent certes une forme mais éternelle, éternellement recommencée, celle d’un grand et double roman de pensée non seulement mais d’amitié, ce qui revient au même. C’est-à-dire d’un grand roman d’amour.

*

Qu’il faut entendre, encore, et lire :

… Je cherche à penser, dis-je à Dagerman, je cherche à penser que penser peut décider de tout. Non pas peut-être tout toujours, mais tout une fois au moins. S’il y a rien que je puisse vouloir encore, c’est cela. Voilà pourquoi je suis ici. Voilà pourquoi j’ai, pour un moment au moins, tout arrêté. Parce que je veux croire que penser ne compte pas moins, pour celui qui pense, que croire pour celui qui croit. N’est pas moins fait pour emporter ce qui reste avec soi. Si je suis ici, venu vite, pour je ne sais pas combien de temps, c’est pour penser, dis-je à Dagerman, quand bien même je ne sais pas ce qu’il faut que je pense ni si je le puis. C’est parce que je crois que penser est possible et n’est pas indifférent. C’est parce que je crois que je penserai différemment selon que je serai ici ou selon que je serai à Paris. Je dis aussi : je me mets à la merci de la pensée. Je veux en faire l’expérience. …

Alphonse Clarou, https://remue.net, 22 mai 2022.


Collage de Christian Lacroix et découpages
pour LE MONDE DES AMANTS (L’ÉTERNEL RETOUR) de Michel Surya.

© XCLX @fkachristianlacroix. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Seule la littérature

Yannick Haenel

Cette semaine, j’ai lu un livre extraordinaire : Le Monde des amants/L’Éternel Retour, de Michel Surya, publié par L’Extrême Contemporain, un nouvel éditeur dont la ligne exigeante s’accorde à la vérité même de la littérature.

Le double roman de Michel Surya – qui est plus qu’un roman et qui est tous les romans – se lit à travers la figure du retournement : deux livres s’y rencontrent, imprimés tête-bêche, dont on ne sait lequel précède l’autre. Leur dialogue destine les phrases à la folie heureuse d’un recommencement infini.

L’histoire est réduite à sa nudité : un homme s’isole au bord de la mer et rencontre un couple d’amis, Dagerman et Nina. Il est venu écrire une biographie de Nietzsche. La contemplation de l’océan et l’entretien infini avec ses amis métamorphosent son livre, lequel s’ouvre intégralement à l’océan autant qu’au feu inspirant de l’amitié. Ainsi la solitude de cet homme devient-elle un peuple de phrases, lesquelles ne cessent de revenir comme les vagues dont il observe chaque jour le flux argenté.

Lire Le Monde des amants/L’Éternel Retour, de Michel Surya, c’est faire l’expérience passionnante d’une venue de toute la littérature. C’est participer à un amour absolu des écrivains et de la littérature comme pensée. C’est s’accorder à la tension rythmique d’un souffle qui ne cesse de faire revenir des phrases de Kafka, de Walter Benjamin, d’Uwe Johnson, de Malcolm Lowry, de Rilke, de Canetti ou de Manganelli.

Et à travers ce déferlement océanique de noms dont l’arborescence réflexive constitue la trame intérieure d’un livre qui ne cesse d’avancer en pensant ce qu’il écrit, est-ce l’éternisation de son propre événement qu’on atteint ou ce retour du temps qu’a vécu Nietzsche en une extase  ?

À LIRE AUSSI : Zarathoustra et le monde d’après

Car une telle expérience de pensée ininterrompue se donne à la fois comme arrivée des phrases de tous les écrivains, comme manière de retrouver plus que ce qui s’est perdu, et comme vie après le dernier jour.

Dans la pensée occidentale gît, à la place du dieu mort, un vide que le langage enchante. Nietzsche y a vu « l’éternel retour » : dans la brisure d’un instant, un jour, tout vous revient pour toujours. La destitution du sacré entraîne ce roulis où l’océan égalise toutes les souverainetés  ; mais voici que le retour dans votre vie vous octroie la possibilité «  d’aimer tout au point d’aimer tout retour (tout du retour, le tout de tout retour) ».

Seule la littérature, seuls les amants s’accordent à l’« excession », comme l’écrit Surya, c’est-à-dire à ce qui excède la politique, et même la révolution – à ce qui s’excepte dans le débordement (définition des phrases).

Georges Bataille (dont Surya a écrit une grande biographie, la seule en France) l’a dit : «  Le monde des amants n’est pas moins vrai que celui de la politique. Il absorbe même la totalité de l’existence, ce que la politique ne peut pas faire. »

Charlie hebdo, Mis en ligne le 1er juin 2022. Paru dans l’édition 1558 du 1 juin.

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MICHEL SURYA – LE MONDE DES AMANTS (L’ÉTERNEL RETOUR)

Maison de la poésie
Lecture par Marcel Bozonnet
Rencontre animée par Alphonse Clarou
tarif : 12 € / adhérent : 6 € RÉSERVER

« Je me mets à la merci de la pensée. Je veux en faire l’expérience. »

L’Éternel retour et Le Monde des amants sont deux romans en un seul, un roman de pensée. Qui tient un événement de pensée pour égal à un événement d’action. « Parce que je veux croire que penser ne compte pas moins pour celui qui pense, que croire pour celui qui croit. »

Boèce interrompt tout, quitte tout, la capitale, sa vie, etc. Provisoirement ? Durablement ? Pour faire cette expérience, qui en décidera, il se rend auprès de Dagerman et de Nina. Eux aussi ont tout quitté, eux aussi vivent retirés, devant la mer, mais, à la différence de lui, ensemble.

Auteur de la biographie de Georges Bataille et fondateur de la revue Lignes, Michel Surya a publié une trentaine d’essais et de récits faisant se rencontrer littérature et politique, art et philosophie. Inédit, Le Monde des amants accueille et mêle ces multiples vies et fictions.

À lire – Michel Surya, Le Monde des amants (L’Éternel retour), éd. L’extrême contemporain, 2022.

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Présentation de la première édition de L’éternel retour sur le site des éditions Lignes.

Michel Surya
L’ÉTERNEL RETOUR
roman

L’Éternel retour est un roman. Un roman d’une sorte inédite, qu’on appellera provisoirement un « roman de pensée ». Qu’est-ce qu’un roman de pensée ? C’est un roman qui tient un événement de pensée pour égal à un événement d’action, et est tout autant que lui susceptible d’engager la totalité de l’existence.

Le roman est mort, comme chacun sait (il ne survit plus que dans la littérature de divertissement). L’Éternel retour est un roman, pourtant. Il faut y insister parce qu’une lecture superficielle, s’arrêtant aux premières pages, ou s’entêtant à ne l’identifier qu’à ses formes anciennes, pourrait prétendre le contraire. Mais un roman d’une sorte inédite, portant le « genre » jusque dans ses derniers retranchements (à la fin, pour qu’il ressuscite). D’une sorte inédite qu’on appellera provisoirement un « roman de pensée ». Qu’est-ce qu’un roman de pensée ? Ce serait un roman qui tient un événement de pensée pour égal à un événement d’action, et est tout autant que lui susceptible d’engager la totalité de l’existence. De l’engager en tout. De l’engager elle-même en tant que telle.
L’Éternel retour commence ainsi : un homme, le narrateur – on apprendra plus tard qu’il s’appelle Boèce –, interrompt tout, quitte tout, Paris, sa vie, etc. Provisoirement, durablement ? C’est le roman qui en décidera. C’est l’expérience de celui-ci. C’est lui-même en tant qu’expérience. Il dit dès le début : « Je me mets à la merci de la pensée. Je veux en faire l’expérience. » Il ajoute : « Parce que je veux croire que penser ne compte pas moins pour celui qui pense, que croire pour celui qui croit. » Pour faire cette expérience, il se rend auprès d’un ami (un maître aussi pour lui, en quelque sorte – son nom est Dagerman) et de sa femme, Nina. Eux aussi ont tout quitté, eux aussi vivent retirés, devant la mer.
Commence entre eux quelque chose dont on réduirait la portée en disant qu’il s’agit d’un entretien ; il s’agit bien plutôt d’un examen de pensée (dialogue/monologue), comme on disait « examen de conscience ». De celui-ci, que portent autant la raison que la folie, l’euphorie que la terreur, la lucidité que l’ivresse, le partage que la solitude, tout semble pouvoir dépendre. La mort ? C’est une possibilité qui hante le roman. Mais l’amour, tout aussi bien. Il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, de céder à un vertige, de se laisser entraîner dans un vertige. Un vertige logique. Et d’y entraîner avec soi tout ce qui est, par le même mouvement que c’est tout ce qui est qui y a entraîné.

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La Nuit rêvée de... Michel Surya

11 décembre 2011/22 mai 2022.

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Michel Surya © Radio France - mhf

Romancier avec Défiguration, *Olivet * ou L’Éternel retour, biographe, éditeur et préfacier de Georges Bataille, essayiste littéraire et politique (Matériologies *De la domination* ; La Révolution rêvée, Pour une histoire des intellectuels et des oeuvres révolutionnaires, 1944-1956), il dirige la revue Lignes qu’il a créée. Ses pages se lisent comme le deuil de ce que notre temps aurait pu porter d’espoir, de révolte, de pensée cependant que, en bien comme en mal, la puissance de transformation des œuvres et des témoignages nous précédant toujours, il nous faut prêter l’oreille. Celle qu’appellent des voix amies : Dionys Mascolo, Maurice Nadeau, Robert Antelme, Georges Bataille, David Warrilow, Michael Lonsdale ou Claude Piéplu (Beckett), Roger Laporte ou encore Jean-Noël Vuarnet, — cette « Nuit rêvée » nous apporte une réponse dense, exigeante. Enfin, pour que tout but (politique) dépende de toute littérature (poème), Michel Surya nous parle aussi de son essai, Le Polième (Bernard Noël).

01:00 LA NUIT RÊVÉE DE... MICHEL SURYA

Entretien avec Michel SURYA, 1/3
par Marc Floriot
avec la voix de Robert Antelme (1947)

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01:15 NUITS MAGNÉTIQUES

*Le bureau de Dionys : une vie placée sous le signe de la vigilance*
par Jean-Marc Turine
avec Dionys Mascolo, Maurice Nadeau, Robert Antelme, Jean-Pierre Saez
1ère diffusion : 14/1/77

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02:20 QUI ÊTES-VOUS, GEORGES BATAILLE ?

par André Gillois
Avec Jacques Guinchard, Catherine Gris, Emmanuel Berl, Maurice Clavel, Jean Guyot, Georges Bataille,
1ère diffusion : 15/7/51

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02:55 ATELIER DE CRÉATION RADIOPHONIQUE

*Samuel Beckett, deux langues pour des voix*
par René Farabet
avec Ludovic Janvier, Jack Mac Gowan (from the beginning to the end)
1ère diffusion : 15/3/98

1. « La dernière bande », avec Rick Cluchey, Michaël Lonsdale

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2. « Le dépeupleur », avec David Warrilow

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04:25 Entretien avec Michel SURYA, 2/3
par Marc Floriot

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04:30 LES VENDREDIS DE LA PHILOSOPHIE - ARCHIVES

par Marc Floriot

Hommage à Maurice Blanchot : entretiens avec Roger Laporte
par Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe
avec Roger Laporte, Roland Barthes, Jacques Derrida
Réalisation, Bruno Sourcis
1ère diffusion : 30/11/07

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05:34 DÉMARCHES

Jean-Noël Vuarnet, pour « Personnages anglais dans une île », éd. du Sorbier
par Gérard-Julien Salvy
1ère diffusion : 15/6/85

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05:59 Entretien avec Michel SURYA, 3/3
par Marc Floriot

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JEAN-LUC NANCY
Revue Lignes n°68

Parution le 13 mai 2022

Contributeurs : Jean-Christophe Bailly, Jacob Rogozinski, Avital Ronell, Juan Manuel Garrido, Alexander García Düttmann, Danielle Cohen-Levinas, Boyan Manchev, Marc Nichanian, Georges Didi-Huberman, Mathilde Girard, Frédéric Neyrat, Jérôme Lèbre, Jean-Philippe Milet, Rosaria Caldarone, Fethi Benslama, André Hirt, Martin Crowley, Aïcha Liviana Messina, Philippe Beck, Sandrine Israël-Jost, Pierre-Damien Huyghe, Emmanuel Laugier, Divya Dwivedi, Philippe Blanchon, Yves Dupeux, Alain Jugnon, Marc Crépon, David Amar, Aliocha Wald Lasowski, François-David Sebbah, Hervé Couchot, Michaël Ferrier, Federico Nicolao, Susanna Lindberg, Federico Ferrari, Jean-Luc Nancy

Hommage au penseur français le plus important depuis Derrida, disparu le 23 août 2021.

Une œuvre, profuse, majeure. Un homme, exemplaire.

Témoigner d’elle et de lui, pour rendre hommage à celle-ci (certainement l’une des œuvres de pensée les plus importantes depuis son ami Derrida), et dire notre amitié, l’amitié de Lignes, à celui-là.

C’est Lignes en effet qui rend ici hommage à cette œuvre, à cet homme. Beaucoup plus l’auraient pu, le pourraient. Impossible de les inviter tous (il en compte trop). Limiter leur nombre s’imposait. Ici à celles et ceux qui ont partagé l’histoire de Lignes avec lui, qui ont appartenu avec lui à cette autre histoire, plus petite que beaucoup d’autres qu’il a vécues (universitaire par exemple), mais pas moins significative sans doute, à laquelle il a montré son attachement (23 textes, depuis janvier 1993, n° 18 de la première série, jusqu’au dernier paru : le très beau « Vous voyez ce que je veux dire », octobre 2021, n° 66 de la deuxième série).

Un livre de lui, un concept, un mot, un fait de pensée, un cours, une conférence, un séminaire, un colloque, une direction de thèse, un engagement, un échange, une tentative inaboutie, un repentir, un différend, un accueil à l’étranger, etc., le théâtre, la littérature, l’art, etc. Toute liberté a été laissée à celles et ceux qui lui rendent ici un hommage ému et reconnaissant.

Michel Surya sur Pileface


[1ERRATUM. La première édition du Monde des amants (L’Éternel retour) comporte une erreur : y ont disparu à l’impression ces deux exergues côté Le Monde des amants, et cet autre, côté L’Éternel retour  : « Elle est retrouvée, / Quoi ? / L’Éternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil. / A. Rimbaud. »

[2Si je me permets d’affirmer cela aussi péremptoirement, ce n’est cependant pas en tant que l’un des éditeurs de ce double livre, qui ferait son service de presse, mais comme lecteur : comme un lecteur qui voudrait parler de ce qu’il aime.

[3« – Éternelle nouveauté de l’écrit : l’écriture ? – Il faudrait, en ce cas, les distinguer [...], il faudrait distinguer l’écrit et l’écriture comme le recto et le verso d’un feuillet dont la pliure neutralise littéralement l’auteur. Dans un tel pli, disparaissent et demeurent les bio-graphies innombrables qui constituent la bibliothèque, les miroirs, ou, si l’on veut, les œuvres... » Jean-Noël Vuarnet, Le Discours impur.

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