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Philippe Forest, l’autre côté du savoir — de Sophie Jaussi

Parution le 18/02/2022

D 3 février 2022     A par Albert Gauvin - C 6 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Il y a peu de temps, alors que, présentant La nuit folle, son dernier livre, je faisais part de quelque anecdote hasardeuse à propos d’une histoire de Transfiguration et d’ophtalmo, Jacques Henric m’avait écrit : « ce hasard m’amuse, mais y a-t-il vraiment hasard ? » Question sans réponse. « Et pourtant... » Alors que je viens tout juste, aujourd’hui même, d’achever ma lecture un peu éblouie du roman de Philippe Forest, Pi Ying Xi. Théâtre d’ombres, un grand livre, disons-le clairement, où le hasard n’est pas sans jouer un certain rôle, et que je sors prendre l’air, un peu sonné par les deux derniers chapitres, surtout l’avant-dernier — que je ne raconterai pas ici car il faut commencer par le commencement —, j’ouvre ma boîte aux lettres et y découvre une grosse enveloppe. Dedans : Philippe Forest, l’autre côté du savoir de Sophie Jaussi. Editions Kimé. Un livre de 550 pages (et une immense bibliographie). Je ne connais pas Sophie Jaussi qui enseigne à Fribourg et à Berne, semble-t-il, et n’étant pas critique attitré, simple lecteur bénévole (pas de contrainte, pas d’obligation), je reçois peu de livres (je ne demande rien, mais ce sont en général de bons livres, en tout cas à mon goût, que j’ai le temps de lire, ce qui n’est pas forcément le cas des « professionnels de la profession », c’est un Suisse célèbre qui l’a dit). Mon étonnement est donc double et ma joie quintuplée. Le livre a toutes les apparences d’une thèse universitaire (c’en est une), je me méfie un peu. Les thèses sont en général très érudites, à ce titre précieuses, mais souvent rébarbatives (le genre ne se prête guère au style). Je vous l’ai dit : je termine juste ma lecture de Pi Ying Xi, après m’être replongé dans Beaucoup de jours, l’essai de Forest sur l’Ulysse de Joyce qui vient d’être réédité chez Gallimard, donc, la surprise passée, je me plonge dans le livre reçu et là, seconde surprise, dès l’introduction, c’est très lisible et surtout bien écrit. Évidemment, il me faudra un certain temps pour lire le livre dans son intégralité et je n’en rendrai pas compte ici. Si j’en parle dès maintenant, c’est que je pense qu’il pourrait faire date en France au même titre qu’ont fait date les premiers livres que Philippe Forest, « incontestable spécialiste du sujet » (Forest a raison de le rappeler [1]), a consacré à Philippe Sollers et à l’« Histoire de Tel Quel ». C’est en tout cas ce que mon intuition me dit et ce que je lui souhaite. Comme je ne sais pas à combien d’exemplaires a été tiré Philippe Forest, l’autre côté du savoir dont la sortie est prévu pour le 18 février (Editions Kimé) et que je découvre, dans un récent article que je reproduis ci-dessous, que la thèse a obtenu « un Prix Vigener, qui distingue des thèses d’une qualité exceptionnelle » [2], vous voilà prévenus...

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Cette étude menée à partir de l’oeuvre de Philippe Forest tente un "coup double" : c’est à la fois la première thèse de doctorat entièrement consacrée à cet écrivain déjà majeur du XXIe siècle, une monographie qui s’efforce d’embrasser l’ensemble protéiforme de sa production (récits, romans, essais, articles critiques et journalistiques), et simultanément une réflexion sur la relation que nous entretenons aujourd’hui avec le savoir, les sciences, plus largement avec la connaissance et la transmission de ce qui fait son coeur sensible et vif.
L’écriture et la pensée de Forest font surgir ce champ d’interrogation, l’ouvrent même brutalement, à la mesure de l’expérience qui a été la sienne lorsque le décès de sa fille Pauline, en 1996, a bouleversé son existence. La césure infligée alors au temps de la vie, la littérature qui en résulte, ne semble pas pouvoir être traitée à l’aune unique d’un improbable "récit de deuil" (dont l’auteur démontre l’impossibilité et même l’inanité) : c’est pourquoi cet essai cherche à élargir et sédimenter plus profondément ce que Forest, depuis un événement personnel, dévoile de notre présent et des manières singulières dont la mort, la perte et le manque trouent les discours du social, du politique, de la rationalité positiviste et chiffrée.
Philippe Forest combat toute tentation nihiliste : l’auteur oppose à la maîtrise d’un certain savoir la connaissance sensible et désirante du non-savoir (qui d’ailleurs n’empêche ni l’érudition, ni la pensée rigoureuse) ; à l’illusion du pouvoir de la littérature la puissance de son impouvoir. A la croisée des champs académique et artistique où il intervient tour à tour, Forest invite à sonder les savoirs fantômes, oubliés, refoulés, nourris de lectures d’enfance et de récits enfouis, d’expériences sensibles et d’énigmes murmurées par l’existence.
Il oblige à entendre — sans la dissoudre ! — toute l’ambivalence de notre époque, tiraillée qu’elle est entre les demandes de certitude adressées à la science et aux technologies, et les soupçons toujours plus virulents envers tout discours d’autorité.

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TABLE DES MATIÈRES

CORPUS FORESTIEN : ABRÉVIATIONS DES ŒUVRES PRINCIPALES 5

INTRODUCTION : UNE FIGURE EN HYPOTHÈSE 7
L’Écrivain-professeur, singulier pluriel 11
Une incarnation originale 13
(Non-)savoir du trait d’union 19
Ce troisième temps où nous sommes 25

I. L’AUTRE CÔTÉ DE LA RUE :
L’ÉCRIVAIN-PROFESSEUR À LA CROISÉE DES CHAMPS 31

I.1 LE CHAMP LITTÉRAIRE AUJOURD’HUI EN FRANCE 4 1
L’Écrit fait scène 47
Après le « roman du champ » 51
Le Réel feuilleté du sujet et du monde 53
Que peut la littérature ? 57

1.2 LE CHAMP UNIVERSITAIRE : LES LETTRES EN (CHEVAL DE)
BATAILLE 61
Quoi ? Littérature, textes, pratiques 66
Comment ? Le continuum entre le subjectif et l’objectif 68
Pourquoi ? Le savoir de la littérature 7

1.3 LA CARRIÈRE DE L’ÉCRIVAIN-PROFESSEUR :
NÉGOCIER LE TRAIT D’UNION 79
Enjeux de professionnalisation, enjeux symboliques 82
Une vie triple 85
La Thèse, une œuvre comme une autre ? 89
Postures autour du trait d’union 95
Les Éléphants 101

1.4 LE CAS DE PHILIPPE FOREST :
L’AVERS ET L’ENVERS D’UN CAHIER CLAIREFONTAINE 111
Mathématicien, pilote, haut fonctionnaire honorable 112
Élire un territoire 115
L’Autre Côté de la rue 118
« Je n’aurais jamais écrit » 125
Les Deux Versants d’un cahier 128
La Marge : de la contrainte... 136
... à l’appropriation 140
La Marge dans le tangible du texte 144

Il. « JE NE SAVAIS PAS » :
LES SAVOIRS FANTÔMES DE LA BlBLIOTHÈQUE 149

II. 1 PAULINE - INCIPIT SCIENTIA NOVA 163
Savoirs de l’enfance : « two is the beginning of the end » 166
Les Pourparlers du savoir et du langage 171
L’Hôpital, une école 176
Structure oraculaire et poétique du présage 179
Le Savoir obscène du réel 183
La Maladie, la mort : aporie et refoulement 185
Renouveler les interlocuteurs 191

II. 2 LES A VANT-GARDES (I). PHILIPPE SOLLERS ET TEL QUEL 195
À quoi pense la littérature ? 196
Apprendre à lire 202
Maintenir les questions ouvertes 210

Il.3 LES AVANT-GARDES (II). BATAILLE, ARAGON :
LE SURRÉALISME TOMBÉ DU CIEL 223
Inverser la chronologie, singulariser le collectif 226
Aragon, Bataille : une modernité aporétique 233
L’Homme sans tête 240
De la tête aux pieds, de l’orteil au pouce 245
La Mythe de l’absence de mythe 255

II. 4 HORS-CHAMP :
QUELQUES PSYCHANALYSTES ET UN PHILOSOPHE 263
Érotique du deuil au temps de la mort sèche 267
Vers un nouveau paradigme du deuil 275
Du travail faire un sacrifice en acte 280
Une impossibilité — à dire 288
Kierkegaard, première personne du singulier 295
Témoigner, reprendre et insister 300

II. 5 LE JAPON : L’ EMPIRE D’UN SIGNE 309
Un tremblement de la mémoire à Kobé 312
Là où les Occidentaux « n’ont rien vu » 318
Chassé-croisé : voyage du Japon, visite à l’écrivain 324
Défaire l’exotisme, juguler les fantasmes 331
En vérité, « le cœur des hommes n ’est qu’un » 335

III. « AUX SCIENTIFIQUES, AVEC TOUTES MES EXCUSES » :
LE TRAIT D’UNION INTÉRIEUR 345

III. 1 L’EXPÉRIENCE DU ROMAN (I) : « LE R/RÉEL, C’EST L’IMPOSSIBLE » 363
Les Coordonnées d’un moment théorique 368
Le Réel, c’est l’impossible 370
Le Réel : « ceci n ’est pas la réalité » 376
Viser le Réel, consentir au récit 379
Trajectoires vers le Réel 386
Histoire(s) des images, quelques-unes 391
Reste à savoir 400

III. 2 L’EXPÉRIENCE DU ROMAN (lI) : LE ROMAN DU JE 405
Spectres du Je 409
Vers un Je à moitié plein (ou à moitié vide) 417
Origine non contrôlée 422
Valse théorique à trois temps 428

III. 3 FORMES DE LA TRANSMISSION (I) : LA CRITIQUE EN RÊVE 439
Petite topographie de l’exercice critique 445
Rêver le langage, épeler la nuit 451
L’Ère du rêve — et du soupçon 456
La Beauté du contresens 460
À contresens sur les routes du savoir 466

Ill. 4 FORMES DE LA TRANSMISSION (Il) :
PAROLES DE VENT, MURMURES DANS LE NOIR 475
« Weave, weaver of the wind » 480
Le Témoin au lieu du maître 487
« Les mots par où commençaient nos histoires » 492
Aparté sur place publique 495
Tenir parole 501

CONCLUSION : « J’AURAI ÉTÉ » 507

BIBLIOGRAPHIE DE PHILIPPE FOREST 523
REMERCIEMENTS 548
TABLE DES MATIÈRES 549

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Sophie Jaussi © Julien james Auzan

Et si la littérature tirait son pouvoir de son impuissance ?

« À la une » 16.12.2021

par Patricia Michaud

Ravagé par le décès de sa fille, le professeur de littérature Philippe Forest publie son premier roman en 1997. Démarre alors une double carrière de professeur-écrivain, qui sert de fil rouge à la thèse de doctorat pour laquelle Sophie Jaussi a reçu un Prix Vigener.

« Je ne savais pas. » Ainsi s’ouvre L’enfant éternel, le premier roman de Philippe Forest en tant qu’écrivain, publié en 1997. Ce qu’il ne savait pas, ce professeur de littérature de l’Université de Nantes, c’est à quelle sauvagerie le réel – en l’occurrence la mort de sa fille de 4 ans – expose les humains, tout en montrant combien les savoirs scientifiques et la rationalité s’avèrent alors fragiles. Confronté à cette sauvagerie, celui qui, selon ses propres mots, n’aurait « jamais écrit » de romans, se voit contraint de se tourner vers cette forme d’expression, la seule capable de rendre compte du cataclysme qu’il subit.

« A partir de là, une sorte de double carrière s’est construite, celle de romancier d’un côté et celle de professeur de littérature de l’autre », relate Sophie Jaussi. La maître-assistante en littérature française à l’Unifr a découvert Philippe Forest alors qu’elle travaillait comme attachée de presse à l’ambassade de France à Berne. « J’ai commencé par Sarinagara, qui m’a bouleversé ; dans la foulée, j’ai lu tous ses textes, qu’il s’agisse des romans, des récits, des essais, des critiques ou des articles journalistiques. » Est née l’idée d’une thèse de doctorat, « la première consacrée à l’œuvre protéiforme de cet écrivain déjà majeur du XXIe siècle ». Ce travail a été récompensé par un Prix Vigener, remis en novembre 2021 à l’occasion du Dies academicus de l’Unifr.

Espace d’inquiétude

« Plus j’avançais dans mes recherches sur Philippe Forest, plus il me semblait que les deux pans de son œuvre s’éclairaient mutuellement ; est née la figure de l’écrivain-professeur, qui sert de fil rouge à ma thèse. » De l’avis du principal intéressé, « c’est comme si chaque fois qu’il publiait un roman (ndlr : à ce stade, sa production en compte une dizaine), il fallait le reprendre de façon plus théorique, souvent indirectement, à travers d’autres formes d’écrits ». Selon Sophie Jaussi, « ces deux fils s’entremêlent pour tisser une sorte de tresse, un pas de deux entre l’œuvre académique et l’œuvre de création ». « Philippe Forest invente ainsi une façon bien particulière de faire dialoguer l’écriture romanesque et l’écriture de recherche, contribuant à transgresser des frontières dont l’Université a longtemps estimé qu’elles étaient étanches ». Il s’y attelle « au sein même de la littérature, en postulant qu’il existe une pensée du et par le roman, que celui-ci peut être source de connaissance ».

Mais ce qui confère à l’œuvre de l’écrivain français sa vraie singularité, c’est le fait qu’elle ne plaide pas pour la résilience. « Actuellement, la littérature est censée faire du bien, réparer les blessures », constate la maître-assistante. « Philippe Forest, lui, la conçoit comme un espace d’inquiétude ; elle doit se préoccuper du fond tragique de l’expérience humaine. » Sophie Jaussi confie avoir été profondément touchée par cette approche, elle qui ne s’était jamais reconnue « dans les romans consolateurs ». La production de Forest « est foncièrement irréconciliée ». Elle n’est pas là pour panser les blessures mais « pour entailler ». Le drame qu’a vécu l’auteur « a mis en crise toute sa relation au savoir et l’idée même d’un apaisement va à l’encontre de tout ce qu’il écrit. » Il s’insurge d’ailleurs « contre la notion de ‹travail de deuil›, qui implique qu’il faudrait le plus rapidement possible passer à autre chose dans sa vie ». C’est sans doute cet arrangement, « ou plutôt ce non-arrangement avec la mort qui lui permet de rester fidèle à la mémoire de sa fille ».

A l’illusion de pouvoir de la littérature, l’auteur oppose donc la « puissance de son impouvoir ». Il plaide pour le doute, « qu’il conçoit comme une activité critique de la pensée, dans le sens de ‹mise en doute› ». L’œuvre de Philippe Forest a, par conséquent, « un message fondamentalement politique, sans être elle-même politique ni militante », analyse Sophie Jaussi. « Il est intéressant de souligner que Forest réfléchit souvent avec Georges Bataille, un écrivain et philosophe un temps proche des surréalistes : outre l’idée fondamentale d’un "non-savoir" de la littérature, il se réfère parfois à la ‹dépense improductive›. » Bataille emprunte cette notion à l’anthropologue Marcel Mauss « pour en souligner la vertu paradoxale et tenter d’envisager une économie (réelle, mais aussi de la pensée, du psychisme) qui détourne l’appréhension traditionnelle de "utile" et du "profit" pour imaginer ce que pourrait être une expérience humaine de la perte pure ».

Faire tomber les masques

Sophie Jaussi estime que les questionnements de Philippe Forest « obligent à entendre toute l’ambivalence de notre époque, qui est tiraillée entre les demandes de certitude adressées à la science et aux technologies, d’une part, et la méfiance croissante envers les discours d’autorité, d’autre part ». Des questionnements rendus encore plus pertinents par la crise sanitaire actuelle. « Soudain, nous sommes tous confrontés à la mort au quotidien. » Parallèlement, « la manière dont on nous submerge d’images mortifères pourrait bien contribuer – c’est paradoxal – à voiler le scandale que constitue toujours l’irruption de la mort dans le réel ». Cela pourrait être « la forme contemporaine de ce ‹déni de la mort› » que Forest analyse dans certains de ses ouvrages. Son œuvre postule la littérature comme un lieu où l’on peut tenter de faire tomber les masques.

Sophie Jaussi rapporte que son travail de thèse l’a « beaucoup interrogée en tant qu’enseignante et passeuse de savoir ». Au point que la chercheuse a tenté de reprendre les questions fondatrices des études littéraires : que transmet la littérature ? quel rôle pour les sciences humaines dans le monde d’aujourd’hui ? comment fournir des outils théoriques et d’analyse sans assécher la force vive des textes ? A titre plus personnel, « toutes ces heures passées en compagnie de Philippe Forest m’ont confortée dans l’idée que ce que je transmets le mieux, c’est ce qui m’inquiète le plus, c’est-à-dire ce que je n’ai pas encore réglé avec moi-même ».

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Sophie Jaussi est maître-assistante en littérature française à l’Unifr et chercheuse post-doc FNS à l’Université de Berne. Intitulée « Il était deux fois – Philippe Forest écrivain-professeur : l’entaille du roman dans le bois du savoir », sa thèse de doctorat a obtenu un Prix Vigener, qui distingue des thèses d’une qualité exceptionnelle. Ce travail sera publié sous le titre Philippe Forest, l’autre côté du savoir en février 2022 aux Editions Kimé.

Patricia Michaud
Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, elle a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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