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"La Guerre du Goût" de Jean-Hugues Larché

Trois textes pour Noël

D 20 décembre 2021     A par Viktor Kirtov - Jean-Hugues Larché - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Poursuite des déambulations dans la bibliothèque littéraire et artistique de Jean-Hugues Larché dont le panthéon recoupe, pour partie, celui de Sollers.

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De : Jean-Hugues Larché
Envoyé le :samedi 18 décembre 2021
À : viktor kirtov
Objet :Trois textes pour Noël !!!

Cher Viktor, voici trois de extraits d’un recueil en préparation dont le titre serait Ironie et compagnie (Seul Mozart II) à paraître en mai 2022.

Vous noterez la parution de l’article Parker Maintenant - relayé par vos soins sur Pileface, l’année dernière - dans le numéro 12 des Cahiers de Tinbad, sorti il y quelques jours.
[…]

amitié complice,
Jean-Hugues

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Libres illustrations et encarts de pileface (V.K.)


TROIS TEXTES POUR NOEL

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L’aigle de Pindare

Nous sommes en Grèce en 470 avant Jésus Christ. Nous assistons à la première Pythique. Il est demandé au poète de chanter la gloire du conducteur de char Hiéron lors des jeux d’été qui ont aussi lieu à Olympie. Les épreuves des jeux pythiques comprenaient une compétition musicale, gymnique et hippique. Le sanctuaire célébrait les forces souterraines et le serpent Python qui avait pour oracle la Pythie. Proche de Delphes, la cité d’Apollon, c’est ici que le beau dieu érectile avait vaincu le serpent Python. Dans ce poème primordial de Pindare, un oiseau royal hypnotisé est magnifiquement terrassé par le sommeil.

Premier poème parmi douze autres, où le grand poète grec très sensible au sens musical, au chant et aux sons des instruments, évoque d’entrée de jeu la Lyre d’or. Celle-ci émet des sons qui ouvrent la fête de la course des chars. Jouée par Apollon et les Muses à tresses violettes, la sonorité de la lyre est ici nommée voix. Elle rythme la cadence de la marche des choreutes. La voix de la lyre qui fait vibrer les chants humains sait éteindre le feu éternel et la pointe de la foudre de Zeus, nous dit Pindare. C’est ainsi que le sommeil peut s’emparer de l’aigle posté sur le sceptre du Dieu foudroyant.

L’image de cet oiseau évanoui par des sonorités enchanteresses est saisissante. La musique est d’effet hypnotique sur l’animal à bec crochu. Le puissant rapace à l’œil autant acéré que son bec est apaisé par la lyre. A droite et à gauche, ses ailes rapides pendent comme si les bras lui en tombaient ! Roi des oiseaux vaincu dans sa vigilance sous le charme des sons et le ravissement de la Lyre. Fier animal parfaitement détendu par les cordes vibrantes. Sa royale présence est suspendue. Un nuage sombre a clos ses paupières tel un doux fermoir laissant imaginer la fine peau retombée sur son œil. Sa respiration soulève son dos élastique. Il est comme possédé, envouté par la magie de ses sons émis par les mains humaines sur les cordes instrumentales et la pacifique propagation des notes. Arès, dit métaphoriquement Pindare, peut ainsi laisser le repos amollir son âme de violent guerrier.

La bête souveraine aux bec et griffes redoutables, n’est pas un oiseau chanteur, mais il est charmé par la vibration de la Lyre comme certains humains le sont par la voix musicale des humain(e)s. Sa fierté est vaincue et ses ailes puissantes retombent en léthargie.

Le silence est d’or comme la matière de la lyre de Pindare. La musique adoucit les mœurs des rapaces et contrôle la foudre des dieux. Alors jouez musiques ! Imposez un temps, la douce paix avant que ne reprenne la bruyante course des chars et du vainqueur Hiéron. Il n’est pas dit, malgré les faits héroïques transcrits dans le poème si l’aigle s’est un moment réveillé.

La première Pythique se termine par ces phrases bénéfiques :

« Le bonheur est le premier des biens à conquérir ; la bonne renommée vient en second rang. Quand on a rencontré et saisi l’un et l’autre, on a obtenu la suprême couronne ».

Sade en effet

Un drôle de philosophe demande aux lecteurs français de faire un effort. Qui voudrait en faire un ? Qui serait capable d’être républicain et de croire aux droits et aux devoirs de cette république naissante en 1795 ?

Paradoxalement, ce philosophe-là désire la liberté du peuple. Son ironie méconnue n’a pas de limite, sa connaissance historique est quasi indépassable et sa lucidité unique. Ironiste incomparable, il est le seul penseur avec Nietzsche, à analyser aussi radicalement les sociétés de tout les temps et à dénoncer préjugés, croyances, superstitions, religions, rituels compassés, sectarismes, libérations sexuelles ou autres confinements mortifères. Sade est le passe sanitaire par excellence - sans aucune vaccination obligatoire. Pratique sans protection exigée ! Confiance immédiate dans les yeux de l’autre. Grande santé du corps et de l’esprit. Son remplacement de l’inavouable fonctionnement de la frustration par l’insupportable mise à jour du crime reste impardonnable aux mortels du commun.

Sade n’a fait de que peu prison pour ses exactions contre les filles, de joie de Marseille, de Paris ou d’ailleurs. Il a certes administré des ingestions de cantharide, des fustigations jouées et aussi séquestré des filles. Pratiques désavouables, bien entendu. Mais pas de crime à proprement parler. Seulement une simple mise en jeu d’excitation. Le Marquis de Sade a subi l’opprobre du peuple lyncheur et l’harcelante morgue de sa belle mère. Les véritables crimes de Sade sont ses écrits, pas ses badinages. Ecrits à répétition et sans jamais fléchir. Penser au plus profond de la solitude, l’hypocrisie et la lâcheté humaine de tous les temps. Voilà le programme ! Dans la volonté d’affirmer la primauté de ses plaisirs sur l’infâme norme familiale ou sociétale. Vingt sept ans de prison. Plus d’un tiers de son existence. Enfermement et production de chefs d’œuvres à la clef dont je n’ose écrire les titres ! Evasion garantie. Liberté souveraine de l’esprit emmuré. Degré zéro du comptoir psychologique. Rejet absolu du trauma fondateur. Lucidité impériale du corps pensant. Grand style. Pas de roseau courbé, ici, mais la plume en extension. Intelligence claire comme un ciel. Fontaine intarissable. Sade tient solidement à sa plume pour la plus lucide recension sur la pulsion des corps humains jamais produite. Eros et Thanatos dansent et rient jaune dans la tête du génial romancier des substances actives.

Peut-on regarder le philosophe absolu du Boudoir de plus près sans faillir ? Pas sûr de vouloir ouvrir une telle fenêtre.

Divin pour ses lecteurs éclairés. Marquis en mémoire de noblesse perdue. Divine comédie revisitée depuis l’enfer. Divin Bordel paradisiaque. Divines postures à longueur de sagas. Purgatoire pour les lecteurs empêtrés. Provoquant divers écoulements volontaires ou non. Rétention des sens en extension du verbe. Tout est paradis dans cet enfer. Sade fait jouir l’écriture et par là son lecteur, sa lectrice. La mère prescrira la Philosophie dans le Boudoir en lecture à sa fille (tel un remède). On sait depuis les Contes de La Fontaine dans que L’esprit ne vient qu’aux filles initiées aux joies pratiques du corps. Personnellement, je ne croise plus très souvent ce genre de filles. Y aurait-il à ce sujet une carence éducative ou une malchance de ma part ? Certaines de mes rares amies savent encore comprendre l’aspect ludique et volontairement outrancier du projet humaniste de Sade et se prêtent à des lectures savoureuses en ma présence. Elles savent goûter la précieuse excitation sous-jacente ou manifeste de cette œuvre la plus libre de la langue française. Elles veulent bien donner leur chat à sa langue. Sade préférait pour sa part leur passer par derrière. Les moralistes ou les grandes têtes molles de mes connaissances prendront un somnifère ou cligneront des yeux, bière à la main, en regardant une quelconque série.

« Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » affirme Juliette dans Les Prospérité du Vice. Précepte de liberté fondamentale proclamé par une femme. Justine et Juliette sont les héroïnes incontournables et méconnues de la littérature française. Son temps retrouvé. Les femmes libérées de Sade traversent le temps allègrement !

Le marquis de Sade n’a jamais fini de faire des remous et de provoquer incompréhensions grossières, contresens honteux, mauvaise foi et fallacieuses récupérations fantasmatiques. Cet érotisme de dissection de la langue, il faut en mériter l’opération. Qui veut bien lire et comprendre son œuvre républicaine  ? Français encore un effort pour être républicain ! Qui veut de cet érotisme vivant qui n’existe que dans le déploiement de son langage ? La question est posée en effet en français.

Enfin Le Comte


L’homme doit sans restriction et sans relâche
Se dérober à l’avarice qui l’étreint.’

Georges Bataille

Isidore Ducasse est né à Montevideo en 1846, traverse l’Atlantique, arrive à Bordeaux et suit ses études secondaires à Tarbes. Il est l’auteur d’un célèbre recueil au gothique flamboyant Chants de Maldoror sous le nom du Comte de Lautréamont.

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Le Comte se permet de renverser rapidement les vapeurs très toxiques de ses Chants par des Poésies de grande santé. Il reprend savamment les proverbes, aphorismes et phrases des grands auteurs de la langue française. En détournant ces auteurs dits classiques, il opère en profondeur la langue du nihilisme mélancolique qui a taraudé en désespoir complaisant le XIX° siècle et de ses conséquences mortifères.

Ces phrases en aphorismes inversés me parlent tout de suite en vadémécum quotidien. Sont-elle une feinte, une passe de jeu, un credo optimiste, un détournement, une ruse de guerre, une sortie radicale ? Elles sont aujourd’hui encore, l’envers de la régression de l’époque, du repli, de la petitesse de vue où chacun s’enferme, lecteurs et auteurs compris, au seul bénéfice de l’identification au roman policier familial ou à l’autofiction post-traumatique.

Profitons pour en goûter ici quelques unes en chapelet d’ironie fort sérieuse.

« Que la charité prononce. - La générosité jouit des félicités d’autrui comme si elle en était responsable. - Les princes font peu d’ingrats, ils donnent tout ce qu’ils peuvent. »

« Le désespoir se nourrissant avec un parti pris de ses fantasmagories conduit imperturbablement la littérature à l’abrogation en masse des lois sociales et divines et à la méchanceté théorique et pratique. »

« La méchanceté et la tristesse sont déjà le commencement du doute, le doute est le commencement du désespoir, le désespoir est le commencement cruel et des divers degrés de la méchanceté. »


Parker maintenant


On va écouter un morceau que tu as choisi
Oui, un morceau de Charlie Parker que j’aime beaucoup
qui s’appelle « In the sea, in the night » avec le Dave Humbert Quartet.
C’est du chant puis le saxophone absolument libre,
très très libre de Charlie Parker.

Jean-Hugues Larché
Entretien Lectothèque

29 août 2020

Charlie Parker a aujourd’hui cent ans. Déjà. Il naît à Kansas City en oiseau de bon augure. Il sera surnommé par ses amis musiciens Bird parce qu’il produit des sons d’oiseau très vif et qu’il ne mange que du poulet, Maniant parfaitement son saxophone alto qui libère l’entière émotion de sa voix intérieure, il illumine en météore le jazz, du début des années 40 au milieu des années 50. Imprégnant son époque comme personne, son règne musical n’aura pas de fin.

Charlie invente le Bebop avec Dizzy et Thelonious - tous les deux nés en octobre 191 7. Be qui galope et bop qui vibre. Etre qui caracole et bop qui saute ! Grands chevaux sur cuivres et percussions. Cavalcade d’une folie raisonnée de note en note. Notes enchaînées. Déchainées.

Le cœur de Parker, l’esprit de Gillespie, le monde de Monk. Là, c’est le moment ! Now the Time ! Le temps de secouer les puces du vieux solfège et des professeurs à métronome. Le moment de réveiller les filles du jazz et de les faire tourner en danseuses effrénées sur ce rythme détonnant qui les fait rire comme des bacchantes de Carpeaux.

Ces trois-là et quelques autres - dont Miles - cassent la baraque du blues et des orchestres pour soirées blanches à colonnades en stuc. Leur musique est supersonique, jamais entendue, ni avant, ni après. Grande santé du jazz. Ensuite on va vers le romantisme de Coltrane, l’expérimentation de Coleman ou le free démonstratif et un peu trop cérébral. Mais à ce moment précis de Now’s the Time, c’est une maison de fou où chacun est le plus libre possible dans sa créativité. La fluidité emporte tout, aucune note n’accroche même en quadruple croche. Bird and Diz. Charlie dira : « Dizzy, l’autre moitié du battement de mon coeur ». La précision est horlogère, la rythmique d’une machine, la mélodie déchirante ou bienheureuse. Vitesse de félins sur leurs proies. Pure invention racée d’animal véloce. Les indiens Mohawk et Cherokee l’accompagnent. Joie de jouer dans la jungle urbaine. Plaisir des regards partagés entre musiciens. Improvisation sans fin. Relance permanente. Défi ludique. Que faire de mieux ? Je ne vois pas trop. Si ça va trop vite pour vous, n’entrez pas au Birdland  ! Cette musique est une centrifugeuse.

Dionysos resurgissant dans la modernité serait musicien Bebop. Ce serait sa forme la plus crédible et concevable. Véritable forme accomplie, le Bebop est au jazz ce que le baroque est au classique. Musique assez proche de Rameau, je trouve, pour son inventivité de forme exceptionnellement gaie et de Vivaldi pour sa virtuosité galopante. Charlie transcende les genres comme Wolfgang. Parker serait-il le Mozart du XXème siècle ? Non, mais vous rigolez  ! Ce roturier de Kansas City, qui pourrait croire ça  ! Pourtant si l’on écoute bien... Dionysiaque, je vous dis. Et maintenant, même un classique !

Les voyelles d’Arthur se transforment en couleurs ; les notes de Charlie en voyelles de son nom, a noir, i rouge, e blanc, sont des couleurs d’anarchie teintée de pudeur qui se métamorphosent en guirlandes de mots. Ses phrases musicales sont des accélérations de bolides sur le Lac Salé, des coups de tonnerre dans le désert d’Arizona, des matchs de boxe qui décochent crochets et uppercuts fulgurants. Jeux de jambes, de gigue et circonvolutions acrobatiques sans fin. Plus l’alcool est fort, plus les traînées de poudre s’allongent dans des fumées enveloppantes, plus on se dégage du jazz à la papa. Les critiques voudraient bien comprendre. Le public peine à suivre. Les férus de jazz se lassent rapidement. Et en plus Charlie n’est pas que Bebop, pas plus que Pablo, cubisme.

Souffleur de verre des profondeurs, concentration de yogi, endurance de marathonien.

Virtuose de formes nouvelles, cet improvisateur heureux - visible sur les photos - émet des chorus déstabilisants qui enthousiasment illico ses partenaires de scène. Parker ne cherche pas, il joue. Jamais la même chose. De prises en prises. Flux et reflux, émotions, réminiscences, caresses, accolades, rebuffades, combats de coqs, esclandres, réconciliations. Avec l’apparence du plus grand calme. Toutes les notes s’enchaînent, recréées pour tant de situations vécues ou imaginées. Quelle santé ! Quelle classe ! Le dégagement rêvé ! Exit la lourdeur de son propre corps. Exutoire pour les autres corps qui voudraient tenir le rythme. Sans pesanteur, le ciel se dégage. Eternité de la note bleue. Les filles frissonnent.

Parker sort par la grande porte de l’air vicié des USA - irrespirable encore aujourd’hui. En son temps, il purifie l’atmosphère qui mondialement n’a jamais été aussi nettoyée depuis la bourrasque Rimbaud et la tempête Nietzsche. Sa pensée va plus vite que la musique. Tellement juste. Terrible humanité du velouté de ces notes-là. Logique d’ornithologue. Oiseau de paradis et d’enfer. Ses sons insupportables aux mortels du commun vont parfaitement à mes oreilles. Vitesse sans précipitation. Rythme libre, certitude, joie, pleurs de joie. J’en reprends encore une tranche. Allez, une autre session, une nouvelle prise. Encore. C’est de l’addiction à haute dose. Jour de joie sur Terre, ce samedi, Parker a cent ans.

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Déambulation en compagnie de Jean-Hugues Larché : De Kooning, Soutine et les autres

« Seul Mozart » sous le regard d’angle du trublion Jean-Hugues Larché

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