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R.C. : Où l’on se trouve trop occupé de la mauvaise littérature des Réseaux culturels

Journal de Marcelin Pleynet

D 10 décembre 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Afin de ne pas trop surcharger l’article que j’ai consacré hier aux « nouveaux bien pensants » [1], j’ai différé ce que Marcelin Pleynet a écrit dans son propre Journal au printemps 2000 à propos de La campagne de France : journal 1994, le journal de Renaud Camus qui, lors de sa publication la même année 2000 et alors que les réseaux sociaux n’existaient pas encore, suscita, dans la presse et les médias, une intense et folle polémique. L’analyse qu’en fait Pleynet se trouve dans La Fortune, la Chance — sous-titré chroniques romanesques —, publié chez Hermann en 2007. J’ai déjà dit que le Journal de Pleynet qui, en apparence, ne traite que de la littérature et de l’art, était incontournable pour qui veut comprendre le monde contemporain, ou plus exactement, comme le voulait Balzac, « l’envers de l’histoire contemporaine ». En voici un nouvel exemple qui, par son actualité même, devrait en réveiller plus d’uns (et, le « politiquement correct » n’étant pas toujours où l’on croit, en choquer sûrement quelques autres).

PARIS, JEUDI 4 MAI

Où l’on se trouve trop occupé de la mauvaise littérature des Réseaux culturels

LA CAMPAGNE DE FRANCE

De l’antisémitisme des uns et des autres, dans la France moisie [2].
R.C. est parti en campagne ... Le Monde, du 21 avril, annonce que les éditions Fayard retirent de la vente le livre de R.C., accusé d’antisémitisme ...

Le jeudi 27, la page Horizons Débats du Monde, titre un article de Bernard Comment : « R.C. pétainiste attardé ».


Impossible d’y écouter France-
Culture : ce sera une très bonne
cure contre certains fantasmes
de la France moisie.

Ph. Sollers, Le JDD, 30 avril 2000.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le 30 avril, Sollers, dans son Journal du mois dans Le Journal du dimanche, intervient sous la rubrique bien choisie de France Culture et note que Libération, qui a consacré l’ouverture de ses pages littéraires au livre de R.C., n’avait sans doute pas lu le volume. Sollers note qu’à trop se fier « à son village hexagonal », R.C. est en quelque sorte devenu naturellement, en un acting out spontané, le ventriloque de la France profonde.

Dans Le Nouvel Observateur, Jean Daniel à son tour s’interroge et vise fort justement la question de la représentation communautaire (R.C. déclare dans son livre que les Juifs étaient sur-représentés dans l’équipe du « Panorama » de France Culture) : « Conviendrait-il, écrit Jean Daniel, que, selon la pensée paritaire et politiquement correcte, chacune des communautés soit représentée selon les provinces ou au moins selon les religions ? On constate d’ailleurs que déjà les musulmans, les Noirs se sentent sous-représentés à la radio et à la télévision. Cette extension du principe de la parité hommes-femmes à toutes les catégories se ferait, bien sûr, au détriment du mérite, de la compétence et des traditions républicaines. » Et Jean Daniel ajoute qu’à s’en tenir là, R.C. « ne serait coupable que de suivre le courant et les modes [ce qui selon moi mérite d’être également interrogé] alors que R.C est un antisémite radical, viscéral. À l’ancienne, en somme. Il se refuse, grands dieux ! à toute action d’extermination. On peut même gager qu’il a d’excellents amis juifs et que personne ne leur est plus fidèle. Hélas ! s’il veut bien nous croire, il est tout à fait antisémite. Dans son cas — si pacifique — je crains qu’on n’en guérisse pas [...] On n’a pas trouvé de remède à ce judéo-centrisme qui imprègne finalement davantage les antisémites que les Juifs. »

Aujourd’hui même Le Monde publie, en première page, un article de Patrick Kechichian intitulé Rhétorique d’un discours antisémite, et un article d’un qui se dit « le Juif », de R.C. (voir ce qu’écrit Jean Daniel à ce propos).

Ce mouvement très spectaculaire que se donnent les médias m’engage à lire La Campagne de France : titre du Journal que R.C. a tenu en 1994, et dont des extraits sont cités, çà et là.

Il n’empêche, après lecture, je reste perplexe. Non en ce qui concerne le sentiment profond de l’auteur et son antisémitisme que je dirai « naturel », spontané... j’entends irréfléchi... ne participant pas d’abord d’une réflexion, voire d’une opinion, mais surgissant spontanément, et littéralement d’un fond culturel qu’il est hors de question pour lui d’interroger et avec lequel il s’identifie en tout point : R.C. Réseaux culturels - Racisme culturel (ou « cultuel »)...

« Les passages incriminés, insiste-t-il, en revenant sur son livre reflètent mon humeur, les deux ou trois jours où je les ai écrits. Je ne les renie en aucune façon, mais ils ne peuvent être lus comme s’ils faisaient partie d’un traité... » Comment en douter, R.C. est tout à fait sincère.

Je reste perplexe, parce que en effet, après avoir lu l’ensemble de ce volume, je me demande ce qui a pu déterminer un Journal comme Libération à en faire l’éloge, et à le porter en lui accordant une telle importance en ouverture des pages littéraires ? Ou bien la rédaction du journal n’a pas lu le livre, ou encore elle n’a pas lu le papier qui lui était consacré... ou bien la rédaction du journal, et le journaliste, ont lu ce qu’écrit R.C. sans s’étonner que l’auteur puisse tenir les propos qu’il tient sur les Juifs...

Ces propos, et la façon dont ils sont mis en scène par l’auteur, dans un Journal d’humeurs, laisseraient-ils penser à certains lecteurs qu’il s’agit de réflexions anecdotiques, ne tirant pas à conséquence (comme l’écrit Jean Daniel, R.C. « se refuse, grands dieux, à toute action d’extermination ») et auxquels, somme toute, il est inutile de s’attarder ?

Paul Otchakowsky Laurens, directeur des éditions POL et, depuis bien des années, l’éditeur de R.C. déclare avoir refusé de publier ce volume en raison des passages incriminés. Un précédent livre PA utilisait, en 1997, des extraits de ce Journal. Avec l’accord de l’auteur, POL avait alors retranché les passages contestés (il y a donc au moins trois ans que Paul Otchakowsky est au courant des « humeurs » de R.C.). Il estime aujourd’hui qu’il aurait dû « discuter avec R. pour lui faire changer quelques formulations malheureuses » (sic — « malheureuses » semble ici malheureux). Mais, malgré cela, selon POL, R.C., qu’il publie depuis vingt-cinq ans, « n’est pas soupçonnable de racisme et d’antisémitisme. »

Où l’on découvre que R.C. s’est en quelque sorte entêté à publier les propos qu’on lui reproche, et qu’il tenait à porter à la connaissance du public. POL refuse de les publier (pourquoi si ces propos ne sont ni racistes, ni antisémites ?), R.C. les publie chez un autre éditeur qui, ou bien ne lit pas le manuscrit des livres qu’il publie, ou bien a pu lire les propos en question sans y attacher d’impor­tance.

On a vu qu’un reportage du Centre d’étude de la vie poli­tique des Français publiait (dans Libération) que 70 % des Français sont racistes, en comptant ceux qui sont « plutôt racistes », ceux qui sont « un peu » raciste — et ceux qui se disent pas « très racistes »... et pourquoi n’y compterait-on pas quelques éditeurs, quelques écrivains, quelque jour­nalistes... (voir, ici même, à la date du 1er avril) ? Ceci pour mémoire et sans pour autant cesser d’être perplexe.

Sinon que penser de cette campagne de presse à laquelle se trouvent associés Catherine Tasca, Olivier Bétourné, Jean Daniel et beaucoup d’autres ?

Il y a, dans cette affaire, sujet à réflexions. Pourquoi, alors qu’il a, « innocemment » et spontanément, mais avec insistance tenu à manifester son mécontentement de voir réunis, à une émission de France-Culture, un certain nombre de critiques, dont il a voulu croire que la plupart étaient Juifs, R.C. a-t-il insisté pour manifester ainsi un antisémitisme de souche ?

Pourquoi Jean Daniel croit-il devoir écrire « Je concéderai même qu’il (R. C.) n’est dépourvu ni de talent, ni d’originalité ? » N’est-ce là qu’une formule rhétorique ?

FRANCE-CULTURE

Je crois que R. C. a très bien perçu ce que je pense de cette originalité lorsque, dans le même volume de son Journal, et à propos de la même émission de France-Culture, à laquelle je collaborais, il signale le compte-rendu, somme toute objectif, que j’ai cru devoir alors faire de son œuvre : « M.P., lui, représente (dans cette émission de France-Culture) plutôt la défense dans le sévère procès que l’on m’intente. Mais je me passerais volontiers d’un défenseur de la sorte ! Le grand mérite que l’on pourra trouver un jour à mes Journaux, à l’en croire, c’est qu’il sont de bons documents sur une communauté qui peut ou non intéresser (personnellement elle ne l’intéresse guère, il tient à le préciser), mais enfin qui existe et doit être décrite, la communauté gay. J’ai choisi depuis de nombreuses années (toujours à en croire Pleynet et Pleynet s’exprime en ma faveur s’il vous plaît), d’être le chantre de cette communauté là, nombreuse, puissante, bien implantée dans notre époque. »

C’est en effet à peu près ce que j’ai déclaré à France-Culture, lors de cette émission du Panorama, où R.C. a compté plus de Juifs que de non-Juifs.

Me suis-je trompé ? Dans sa croisade contre « les Juifs de France-Culture », n’est-ce pas R.C. lui même qui déclare : « Que dirait-on si, jour après jour, ou presque, parmi les journalistes réunis autour du micro du Panorama il y avait quatre homosexuels sur six, ou cinq, ou sept ? Et s’ils s’arrangeaient pour qu’une fois par semaine au moins [...] il soit question de l’homosexualité, des auteurs homosexuels... ne dirait-on pas que ces homosexuels exagèrent un peu ? Or il y a en France beaucoup plus d’homosexuels que de Juifs (enfin je crois)... »

Je ne m’attarde pas sur le parallèle Juifs-homosexuels... la psychanalyse a depuis longtemps clarifié ce qui s’y dissimule... Je ne m’attarde sur ces sottises que pour souligner la médiocrité du discours, et de la pensée si fortement établie dans son refoulement qu’elle ne peut pas même considérer qu’il puisse y avoir des Juifs homosexuels... et que cela ne présente objectivement pas d’autre intérêt que celui du déjà vu, d’une sociologie communautaire, telle qu’elle fut historiquement exploitée, en Allemagne notamment, dans la première moitié du XXe siècle.

Avais-je d’autre objectif en parlant ainsi des livres de R.C. au Panorama de France-Culture... et en déclarant que cela objectivement ne m’intéresse guère ?

Je ne m’y attarde ici que dans la mesure où, semaine après semaine, la presse y revient avec insistance... et qu’il est quasi-impossible d’ouvrir un journal sans que, d’une façon ou d’une autre, le symptôme s’affiche, faute de pouvoir se traiter.

Il y a forcément des conventions, et des lieux communs communautaires, dès qu’il y a communauté. Et je ne suis pas certain que cela produise la meilleure littérature...

LA SOCIÉTÉ HOMOSEXUELLE

La littérature de R.C. participe des conventions qui lient la communauté homosexuelle, elle est, à plus de quatre­ vingts pour cent, consacrée à la mise à jour de ses lieux communs, et de ses coutumes...

Cette communauté a aujourd’hui ses écrivains, son langage, ses libraires. C’est une clientèle importante (comme le signale R.C.) dont, entre beaucoup d’autres, le marché de la littérature, aussi bien d’ailleurs que celui de la politique, doivent tenir compte.

Cette communauté est socialement reconnue, elle a ses écrivains qui seront, au besoin déclarés « talentueux et originaux », et aussi bien par ceux qui ne les lisent pas (pour le cas, le journaliste de Libération, les éditions Fayard, etc.).

Bref, la communauté homosexuelle est aujourd’hui une réalité économique, culturelle, sociale, de plus en plus établie et qui le plus souvent ne fait pas de vagues. En tant que telle, comme je l’ai déclaré à cette émission de France­ Culture, à propos de l’œuvre de R.C., elle mériterait que l’on en tienne compte et que l’on analyse ses modes d’être et ses produits.

On peut aussi, bien entendu, se demander quelle sorte de rapport les communautés d’un ensemble social donné, et faisant corps, entretiennent entre elles, et chacune singulièrement avec l’ensemble des autres.

Par rapport à la communauté musulmane, à la communauté juive ou protestante, pour retenir le caractère de communautés établis dans un lien religieux, en principe hors de toute suspicion de racisme — même si l’on parle aussi de communauté noire, et pourquoi pas de communauté blanche, ou jaune — appellations déjà plus suspectes... Je retiendrai la singularité de la communauté homosexuelle qui est, de fait, la seule à s’établir et à se déclarer en fonction de ses particularités vis-à-vis de l’activité sexuelle (qu’elle survalorise à l’occasion)... activité qui, en principe, dans sa généralité, a jusque très récemment joué un rôle déterminant dans la reproduction de l’espèce ... c’est-à-dire à l’origine même du lien communautaire en tant que tel... Si l’on ajoute que la communauté homosexuelle, ne se reproduisant pas, ne peut que recruter les siens parmi les autres communautés, on comprendra, en conséquence, les rapports embarrassés que chaque communauté entretient avec l’homosexualité... et combien ces embarras sont toujours forcément riches d’enseignements.

Mais on n’avancera guère en en restant à ces dispositions sociologiques.

Puisque, d’une façon ou d’une autre, chaque communauté humaine se trouve confrontée et liée, dans sa reproduction, à ce que la communauté homosexuelle choisit singulièrement comme lien communautaire (à savoir la sexualité), on ne peut pas d’abord s’interroger, au­ delà de ce qui qualifie et distingue chaque communauté juive, catholique, musulmane, protestante, noire, blanche, jaune...), sur ce qu’il en est spécifiquement de la sexualité dans le lien communautaire en tant que tel.

Je retiens dans une lettre que Freud adresse à Jung [3] (qui n’a pas voulu l’entendre) : « N’abandonnez jamais la théorie de la sexualité si vous ne voulez pas être submergé par la marée noire de l’occultisme. » N’est-ce pas ce à quoi nous sommes confrontés avec cette campagne de presse autour du livre de R.C. ?

C’est Freud, en effet, qui éclaire ce qui ne veut pas s’en­tendre des embarras qui associent et dissocient l’ensemble des communautés humaines avec la communauté homosexuelle... et plus encore lorsque cette dernière tend à s’établir institutionnellement.

La déclaration la plus manifeste de Freud sur ce sujet se trouve dans une de ses interventions (le 11 décembre 1912), reprises dans le tome IV des Minutes de la Société psychanalytique de Vienne [4], où l’on peut lire : « L’origine homosexuelle de ce qui constitue la plus grande partie de la civilisation est assez évidente, puisque nos sentiments sociaux sont aussi de nature homosexuelle » — avec ce commentaire : « C’est la femme qui rend l’homme asocial. »

Déclaration qui semble viser, au-delà de la théorie œdipienne, qui n’en reste pas mins le point nodal de la théorie freudienne, un partage qui reste à penser.

En 1921 (soit dix ans après sa réflexion lors de la réunion, en 1912, de la Société de psychanalyse) Freud écrit : « L’amour pour la femme rompt les liaisons de masse propre à la race, à la partition en nation et à l’organisation en classes de la société, et accomplit de ce fait des opérations intellectuelles importantes. Il semble assuré que l’amour homosexuel se concilie beaucoup mieux avec les liaisons de masse, même là où il survient comme tendance sexuelle non-inhibée » (Psychologie des foules et analyse du moi, 1921).

La seconde partie de cette déclaration n’est pas isolée dans l’œuvre de Freud ; il l’a déjà développée en 1915 dans Vue d ’ensemble des névroses de transfert... elle est un des éléments importants pour l’intelligence de son œuvre... bien que ce ne soit certainement pas ce qui en est le plus communément accepté... en raison même de ce qu’il décrit l’homosexualité et le refoulement de l’homosexualité comme essentiels à la civilisation et à la vie sociale (aux liaisons de masse) dans « un précipité du travail de refoulement exécuté par toutes les générations précédentes. L’individu étant requis d’accomplir tous les refoulements qui ont déjà été accomplis avant lui ».

L’acting out de R.C. aurait-il eu le retentissement qu’il a eu s’il ne s’était pas produit dans une semblable disposition sociale ? La France comptant 70 % de racistes, R.C. entrait, somme toute, banalement, dans ce pourcentage, sous la rubrique du Racisme Culturel.

Mais il se trouve que cette particularité antisémite du racisme se dévoilait au cœur de la structure la plus refoulée du fondement de la société, et encore plus essentiellement refoulée au moment où cette société reconnaît, en son sein, et en s’employant, tant bien que mal, à s’en distinguer, l’existence d’une communauté homosexuelle, et encore chez un des individus représentant justement l’aspect culturel de cette communauté.

Freud l’énonce aussi explicitement que possible : « La société est fondée sur un crime commis en commun. » Et Sade, dont l’œuvre illustre admirablement l’indication de Freud (« C’est la femme qui rend l’homme asocial »), en a fait vigoureusement la démonstration.

Le trouble dans lequel les propos de R.C. ont jeté une importante partie du milieu culturel français ne tient-il pas à ce que ces propos viennent d’une communauté ressentie implicitement comme fondatrice de la nature même des sentiments sociaux ?

Freud l’écrit à Ferenczi (et il n’est pas étonnant que Freud se soit trouvé dans l’obligation d’insister sur ce point au sein de la Société psychanalytique) : il a réussi « à résoudre son homosexualité » [5]... et encore : « Une partie de l’investissement homosexuel a été retiré et utilisé pour l’accroissement de mon moi propre. J’ai réussi là où le de prendre une distance certaine avec « les sentiments sociaux », le nationalisme, l’organisation en classe, les liaisons de masse...

Ce que l’acting out de R.C. met en évidence, c’est que le racisme fait partie de ces sentiments sociaux... sans doute aussi dans la mesure où le racisme est par essence communautaire, dans la mesure où le racisme est aussi un racisme sexuel.

Ce que révèle le mouvement incontrôlé, incontrôlable et l’entêtement de R.C., et l’ampleur du scandale qu’il produit, tient essentiellement à ce que le lien communautaire (qui désormais lie, quasi-contractuellement, la communauté homosexuelle et la société moderne, dans un même refoulement) se révèle porteur de racisme — et de cet aspect particulièrement significatif du racisme, l’antisémitisme (voir encore une fois Freud, sur ce point encore moins lu que R.C.).

Pourquoi ne pas convenir que toute communauté et a fortiori, toute communauté plus essentiellement et déclarativement établie sur des normes et des conventions sexuelles (convention hétérosexuelle, convention homosexuelle) est inévitablement raciste, fonde le racisme du religere, du lien, de la religion communautaire, sur un refoulement, c’est-à-dire sur un asservissement sexuel.

L’impossibilité de prendre la distance nécessaire avec les obligations communautaires, de résoudre son homosexualité... de vivre sa sexualité hors de toute identification... c’est-à-dire l’impossibilité de vivre librement et de façon tout à fait indépendante, en ne reconnaissant de règles communautaires que dans l’ordre d’une intelligence de la législation, et d’une politique susceptible de plus ou moins garantir cette indépendance et cette liberté... l’impossibilité, encore une fois, de résoudre la pure chiennerie des sentiments [6] sociaux, maquillés en sentiments humains, tend inévitablement à introjecter religieusement la loi dans la disposition masochiste (plus ou moins heureuse ou malheureuse) et religieuse d’un asservissement volontaire... Le racisme est-il commandé par autre chose que par la structure de cette disposition masochiste... inconsciente, cela va de soi, puisque « religieuse » ?

Si la société est fondée sur un crime commis en commun toute communauté est une communauté des amis du crime. L’histoire des religions est là pour nous l’enseigner. Mais quelle religion aujourd’hui ?

DE LA MERDE

J’ai toujours été frappé par le goût de la confidence intime de certains écrivains et intellectuels que j’ai croisés. Qu’est­ ce que l’on cherche à me faire partager en me parlant d’une autre intimité que la mienne, dont je suis le seul, absolument le seul, à savoir ce qu’elle est ? Sinon ce qui, pour avoir été vécu dans la contrainte, dans l’asservissement a besoin d’une écoute d’identification, complice de cet asservissement ?

Les récits de voyage en Afrique du Nord, ou ailleurs, de Gide à R.C., m’ont toujours semblé témoigner de la misère d’un racisme exemplaire... Qui a lu, dans ce petit livre de Roland Barthes (Incidents), cette confidence que Barthes s’est retenu de publier, mais qu’il a cru devoir écrire, et que, après sa mort, un membre de la communauté s’est empressé de publier, sous le titre lncidents [7], en déclarant que Barthes songeait à « le publier dans Tel Quel ». Et nous l’aurions vraisemblablement publié s’il nous l’avait demandé, mais il ne l’a jamais fait...

Encore, et encore sur l’Afrique du Nord, un document sur des complaisances et un racisme de type colonialiste ... (le colonialisme, comme le racisme, étant un comble du communautaire).

Barthes a donc écrit, avec ou sans intention de publier, mais en éprouvant la nécessité de l’écrire : « Difficulté à ramener de Paris un "souvenir" pour ce garçon qui me l’avait demandé : quel supplément gracieux donner à qui est totalement pauvre ? Un briquet ? pour allumer quelles cigarettes ? J’opte pour le souvenir codé, c’est-à-dire excessivement inutile : une tour Eiffel en laiton » (sic).

Et encore : « Driss A. ne sait pas que le foutre s’appelle du foutre ; il l’appelle de la merde : "Attention, la merde va sortir" — rien de plus traumatisant (sic). »
Faut-il commenter ?

Pourquoi celui, ou celle, qui « vit » (il faut bien que ce soit un peu vécu ?) ce genre de chose, éprouve-t-il le besoin de l’écrire ? Mais s’il croit devoir l’écrire, et s’il l’écrit, il lui faut alors le publier, dans la mesure où ce désir de publication en appelle au partage, à la reconnaissance et à la vérité d’une disposition communautaire... et c’est somme toute bien que ce soit publié, dans la mesure où il est toujours bon que l’on sache ce qu’il en est de l’état social du contrat communautaire... particulièrement lorsqu’il est destiné à faire oublier qu’un nomme jouit toujours seul, ou alors que c’est de la merde... de la littérature... de la très mauvaise littérature.

Mon intention n’est pas d’en rajouter. Passée la reconnaissance de l’acting out d’un qui, comme dit Sollers, « écoute trop France-Culture », c’est cette culture en tant que telle, et telle qu’elle se trouve aujourd’hui exploitée en France, qui pourrait mériter quelqu’attention.

Parce qu’il est tout de même difficile d’oublier qu’un éditeur a pu publier le livre de R.C. sans le lire (comme beaucoup de livres qui sont aujourd’hui publiés) et qu’un grand quotidien français lui a consacré ses pages d’ouverture littéraire sans plus l’avoir lu...

Bref s’il y a racisme et antisémitisme, « l’innocence » et la fausse naïveté de R.C. n’en portent pas seules la responsabilité, loin de là ; les mœurs et les coutumes littéraires aujourd’hui ne témoignent pas moins de négligences, non moins symptomatiques.

Et quant à la politique et aux mœurs littéraires d’aujourd’hui, je me demande si ce que tout ce monde reproche à R. C., et sans doute d’abord ses éditeurs, ce n’est pas plus essentiellement de s’être trop entêté à trop en dire ? Tout, en somme, allait pour le mieux lorsque R.C. écoutait Paul Otchakowski et retranchait de ses manuscrits ses déclarations intempestives sur les Juifs ? Était-il alors, ou n’était-il pas, antisémite ?

Comment ne pas penser, par exemple, à la lettre de Maurice Blanchot à Bruno Roy, directeur des éditions Fata Morgana, publiée par la Quinzaine littéraire en novembre 1996, lorsque Bruno Roy prit la décision de faire paraître un livre d’Alain de Benoist. ? Tous les auteurs publiés par Fata Morgana connaissaient, bien entendu, le caractère et les opinions politiques de Bruno Roy (et Maurice Blanchot comme les autres) qui ne commit qu’une faute en effet se découvrir en publiant un théoricien de l’extrême-droite [8]...

Bel exemple d’une société littéraire et artistique française qui se satisfait d’un non-dit, sans jamais se demander si ce non-dit de connivence n’est pas objectivement ce qui la lie ?

*

Pour ne pas conclure, je renvoie au feuilleton que Le Monde consacre aux couples d’hommes et, jusqu’à ce jour 6 mai, majoritairement consacré à des homosexuels, sous le titre « Les enfants perdus du siècle » (sic)... Ils auront été retrouvés.

Et Freud en commentaire : « Les sentiments sociaux sublimés à partir de l’homosexualité des frères chassés par le père... devinrent la permanente possession de l’humanité et le fondement des sociétés ultérieures » (Vue d’ensemble sur les névroses de transfert).

La fin du feuilleton précise que la série paraîtra en volume aux PUF. Il s’agit donc clairement de publicité, et plus explicitement de propagande.

Les sociétés de ce début du XXIe siècle fabriquent, tant bien que mal et tout à fait empiriquement, le lien communautaire qui (la reproduction sexuée de l’espèce venant à disparaître) se distend de plus en plus au profit d’un asservissement ensommeillé au pouvoir de la Technique... Il suffira que la communauté homosexuelle le comprenne pour qu’elle trouve socialement et politiquement sa place dans l’entre-deux... A ce hiatus antisémite près, et qui sera vite oublié, elle l’a déjà trouvé.

Voilà. Nous n’en sommes pas sortis... Beaucoup de bruit pour rien... Beaucoup de bruit, pourtant !

Marcelin Pleynet, La Fortune, la Chance, Hermann, 2007, p. 114-128.

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« Quelle horreur que cette campagne française. »

Lettre de Rimbaud à Ernest Delahaye, mai 1873.

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Dans L’Infini n° 72, Pleynet poursuit son analyse (cet extrait n’a pas été repris dans La Fortune, la Chance).

VENDREDI 4 AOÛT, NICE

COMMENT ÊTRE RACISTE II

« Nul ne perd une vie autre que celle qu’il vie et nul ne vie une vie autre que celle qu’il perd. »

Recopiant ces carnets, et sélectionnant les extraits à publier dans le prochain numéro de L’infini, je constate que, du 4 mai au 4 août, je me suis cru obligé de tenir régulièrement compte des multiples avatars de ce qui est improprement dit « l’affaire Renaud Camus ». Et qui est en fait, comme l’écrit Sollers, l’affaire des « nouveaux bien-pensants » de la France toujours vichyste, « moisie » et tranquillement, normativement, antisémite.

Ce qui s’est joué, noué et dénoué, au cours de ces quatre mois, témoigne de la conscience de quelques-uns sur ce qui restera, dans l’histoire du XXe siècle, comme un phénomène essentiellement français. A savoir que pendant l’occupation hitlérienne, la majorité des Français ne fut ni nazie, ni fasciste, ni gaulliste, mais pétai­niste, et qu’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels sont aujourd’hui les enfants et les petits-enfants de cette France-là.

Cela dit, et en tenant compte de tout ce qui a été publié au cours de ces quatre mois, qui croira que l’on puisse éradiquer l’antisémitisme et les racismes sans en traiter historiquement les enracinements sociaux et culturels ?

N’y aurait-il pas quelques douteuses complaisances à se satisfaire d’un inlassable relevé des manifestations et des symptômes de l’antisémitisme, sans en chercher les fondements dans la culture et la langue qui les véhiculent, et dans certaines des déclarations, plus ou moins humanistes (voir ce que j’en découvre dans Les voyageurs de l’an 2000), qui les justifient ?

Mon intention n’est pas de revenir sur le débat et la démonstration faite une fois pour toutes de ce qui se joue dans cette affaire (voir Philippe Sollers, « Les nouveaux bien-pensants », L’Infini, n° 71).

Ceci pourtant, brièvement, en marge :

1) Comment ne pas poser d’abord que le racisme n’est qu’une catégorie de l’antisémitisme (Sémite — de Sem, fils de Noé — mesure historique de l’enquête à ouvrir). Ce qui ne veut pas dire qu’un juif ne peut pas être raciste.

2) On ne devrait pas avoir besoin aujourd’hui (début du XXIe siècle) de rappeler que l’antisémitisme et toutes les catégories du racisme sont liés à une homosexualité latente, ou manifeste. Comme en ont témoigné, et en témoignent encore, sans exception tous les pays totalitaires. Dans ses camps de concentration, l’Allemagne nazie devra soutenir son antisémitisme d’une dénégation homosexuelle. Étoile jaune. Triangle rose.

3) La haine de soi, propre à l’antisémitisme et aux racismes, participe d’un masochisme (et d’un nihilisme) paranoïde, primaire, anal (le Président Schreber), qui, à ne pas être pensé et considéré comme tel, ne manque jamais de produire, au moins, des symptômes racistes (extraordinaire, et en effet fabuleuse, intelligence de Proust sur cette affaire). Extrême bêtise des récits de voyages en Afrique du Nord ... Maroc, etc. de Gide à Barthes et consorts. Je propose d’en publier une anthologie.

4) Dans la perspective de ce qui se trouve énoncé ci-dessus, il sera toujours utile et j’en ai peur, jusqu’à la fin des temps, de rappeler ces quelques indications de Freud : « L’origine homosexuelle de ce qui constitue la plus grande partie de la civilisation est assez évidente, puisque nos sentiments sociaux sont aussi de nature homosexuelle (c’est la femme qui rend l’homme asocial) » (Minutes IV de la Société psychanalytique de Vienne, 11.12.1912). « Les sentiments sociaux, sublimés à partir de l’homosexualité, des frères chassés par le père (...] devinrent la permanente possession de l’humanité et le fondement de toute société ultérieure. » (« Vue d’ensemble des névroses de transfert », 1915).

5) Il n’est pas inutile de faire remarquer que le scandale produit par la publication du journal de Renaud Camus tient d’abord à l’ignominie des sentiments antisémites qui s’y trouvent manifestés, mais avec, me semble-t-il, cette coloration particulière, et qui n’a pas été abordée, à savoir, que ces sentiments antisémites se manifestent dans un contexte d’explicite revendication homosexuelle. Découvrant ainsi la généralité d’une vérité sociale, aujourd’hui sans doute plus que jamais intolérable. En effet, ce n’est pas la communauté homosexuelle qui est ici visée, mais ce qu’implicitement elle a désormais pour charge sociale de rendre invisible, à savoir le caractère fondamentalement homosexuel, antisémite et raciste de toute communauté (quelle qu’elle soit) qui ne se donne pas les moyens de penser ce qui fonde l’ordre complice, et toujours plus ou moins criminel, de ses compromissions communautaires. Celui qui ne se déclare pas très clairement, quant à cette aventure, s’emploie, d’une façon ou d’une autre, à en profiter. Sodome et Gomorrhe ne sont-ils pas la plaque tournante, radioactive, de À la recherche du temps perdu ?

6) Personne ne s’est, semble-t-il, demandé pourquoi le nouvel éditeur de Renaud Camus, Fayard (Claude Durand), s’est si longuement, et complaisamment, exprimé, alors que l’éditeur de l’ensemble des livres de Renaud Camus (au moins trente volumes), Paul Otchakovsky Laurens, familier de l’œuvre et de l’auteur, a été, à cette occasion, d’une discrétion exemplaire ?

Marcelin Pleynet, Situation, L’Infini 72, Hiver 2000, p. 121-123.

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[2Titre d’un texte de Philippe Sollers, publié en première page du journal Le Monde, en 1999. Repris dans Éloge de l ’infini.

[3S. Freud, C. G. Jung, Correspondance, coll. «  Connaissance de l’inconscient » édit. Gallimard, Paris, 1975.

[4Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, t. IV, édit. Gallimard.

[5S. Freud, S. Ferenczi, Correspondance, édit. Calmann-Lévy, Paris, 1996.

[6Et ce qui surgit dans cette phrase, ici, aujourd’hui, spontanément... je me souviens brusquement l’avoir déjà écrit... il y a près de cinquante ans... dans mon premier livre Provisoires amants des nègres, (écrit de 1957 à 1959) publié aux édit. du Seuil, en 1962 : « Après nous l’immonde attentat de la tendresse — Après nous la horde des sentiments, la pur chiennerie des sentiments — Après nous les admirables parasites humains. »... Une longue méditation ...

[7Roland Barthes, Incidents, édit. du Seuil, Paris, 1987.

[8Sur cette affaire, au fond assez comique, voir M. Pleynet, Le plus court chemin de Tel Quel à l’Infini, coll. « L’Infini », édit. Gallimard, Paris, 1997.

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