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Le sculpteur Alain Kirili est mort

1946 (Paris) / 2021 (New York)

D 21 mai 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Alain Kirili dans son atelier parisien,
le 23 septembre 2003.
FRANÇOIS GUILLOT / AFP

Le sculpteur Alain Kirili, passionné de calligraphie et de jazz, est mort


Réussissant la fusion de l’expressionnisme abstrait et du minimalisme, l’artiste français exposait et vivait à New York. Il avait joué un rôle important dans la diffusion de la statuaire publique en France. Il est mort le 19 mai, à l’âge de 74 ans.

Le sculpteur Alain Kirili est mort le 19 mai à New York des suites d’une leucémie, à l’âge de 74 ans. Né à Paris le 29 août 1946, il avait joué un rôle prépondérant dans la diffusion en France de la statuaire publique, au risque parfois d’oblitérer son œuvre propre : en 1985, le ministère de la culture lui avait demandé une sculpture pour le jardin des Tuileries, Le Grand Commandement blanc, toujours installée près du Musée de l’Orangerie. Kirili pense alors aux copains, morts ou vivants : «  La présence permanente dans le jardin d’artistes modernes et contemporains m’a semblé une nécessité absolue », confiait-il au Monde en 2000.

Il met toute son énergie à ce que d’autres l’y rejoignent. En 1996, Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la culture lui accorde l’installation, effective deux ans plus tard, mais provisoire hélas, d’un premier ensemble de quatre bronzes de Rodin et d’un Dubuffet monumental. Henri Laurens, Etienne-Martin, Max Ernst, Germaine Richier, David Smith, mais aussi Giacometti, Moore, et Lipchitz, les accompagnaient. En juin 2000, il récidive avec le très mal nommé Ami de personne, d’Erik Dietman, et dix-huit autres artistes aussi différents que Damien Cabanes, Eugène Dodeigne, Giuseppe Penone, Abakanowicz, Louise Bourgeois, Amahiguere Dolo, Anne Rochette, Carl Andre, David Smith, Daniel Dezeuze, Tony Cragg, Didier Vermeiren, Lawrence Weiner, François Morellet, Ellsworth Kelly, Roy Lichtenstein, ou Bruce Nauman : on ne pouvait pas rêver plus divers, plus ouvert.

Ses pratiques aussi sont d’une variété surprenante, il a utilisé tous les matériaux, de l’acier à la pierre de Bourgogne. Lui-même préférait parler, non de sculpture, mais de « calligraphie dans l’espace ». La calligraphie, il l’a étudiée dans sa jeunesse avec le peintre coréen Ungno Lee et c’est selon lui l’art demandant le plus de concentration. La lettre, et notamment l’alphabet hébreu qui est à l’origine de sa série Commandement est pour Kirili un signe sacré, ses sculptures des « objets scripturaux ».

Rythme et vitesse d’exécution

Quand on lui parlait sculpture, il répondait jazz. Il en était fanatique, au point de travailler souvent en musique : pas en l’écoutant sur un tourne-disque, mais en invitant les musiciens à jouer chez lui ! « La fusion de la sculpture, de la musique et de la danse, disait-il, ce n’est pas une performance, c’est une communion.  » La première d’entre elles a lieu en 1992, à la galerie Daniel Templon de Paris, avec Steve Lacy au saxophone, et il en organise ensuite une vingtaine d’autres, invitant des artistes aussi différents qu’Archie Shepp, Cecil Taylor ou Jérôme Bourdellon. « La transversalité dans l’art répond à un besoin vital », déclarait-il au Monde en 1996.

Alain Kirili : « La fusion de la sculpture, de la musique et de la danse,
ce n’est pas une performance, c’est une communion »

Il aimait dans le jazz la part d’improvisation, le rythme et la vitesse d’exécution que lui-même revendiquait pour ses sculptures (il parlait d’«  action sculpture  », en référence à l’action painting des expressionnistes abstraits). Et rendait, bien avant d’autre, toujours hommage à la culture afro-américaine. En 1993, interrogé par William Jeffett qui lui demandait si son œuvre Rythmes de Harlem était de ce registre, il répondait : « Je survis à New York grâce à elle. Pour moi, le jazz est une effraction dans le “paysage puritain”. Je suis convaincu qu’il est temps de rendre à la culture noire américaine tout ce qu’elle a fait pour l’art de ce siècle. »

Au tout début de la carrière de Kirili, il y a l’œuvre du sculpteur américain David Smith, pour lequel il professera toute sa vie une réelle admiration et n’aura de cesse de le faire découvrir au public français. Très jeune, en 1965, un an après la victoire de Robert Rauschenberg à la Biennale de Venise, qui lui fait pressentir l’importance des artistes new-yorkais, alors mal connus en Europe, il fait un premier voyage aux Etats-Unis et s’imprègne notamment du travail de Barnett Newman.

A son retour à Paris, il rencontre Philippe Sollers – qui ne sera pas étranger à son intérêt pour la lettre – et Julia Kristeva, se rapprochant ainsi du groupe Tel Quel et notamment du critique Marcelin Pleynet, qui sera son premier préfacier.

Entre Paris et New York

En 1972, il participe à une première exposition collective à la galerie que tient alors à Paris Ileana Sonnabend. Il restera longtemps fidèle à la célèbre marchande, qui organise une première exposition personnelle dans sa galerie new-yorkaise en 1978. Désormais, il partage son temps entre Paris et New York, et déjà sa carrière est devenue internationale : son travail a été montré lors de l’inauguration de PS1 à New York en 1976, il a été sélectionné pour la sixième Documenta de Cassel en 1977 (année de sa rencontre et de son mariage avec la photographe Ariane Lopez-Huici), ses amis artistes sont Rauschenberg, Robert Morris et Robert Ryman, et un voyage en Inde lui a fait découvrir un monde nouveau.

Fasciné par les formes primaires des Yoni et des Lingam sculptés, il explore aussi, lui qui travaillait principalement le fer ou le zinc, les possibilités de la terre cuite et commence une série de sculptures composites. C’est l’une d’entre elles, Indian Curve, qui est achetée par le MoMA de New York en 1979. Le musée en a acquis d’autres, comme Cortege, une œuvre en acier forgé, en 1984. L’année suivante, il a sa première exposition dans un musée parisien, rien de moins que le Musée Rodin ! « Rival de Rodin », titre Philippe Sollers dans Le Nouvel Observateur. Descendant plutôt, assumant cette part française de l’héritage de tout sculpteur qui se respecte. Laquelle était contrebalancée par l’influence de ses devanciers américains.

Ces allers-retours peuvent dérouter. Lui s’en justifiait en citant Nabokov, qui disait : « Je suis un écrivain né en Russie, formé en Angleterre et j’ai étudié le roman français avant de passer quinze ans en Allemagne.  » Il disait vivre à New York pour ces raisons : « Pour moi, vivre dans un pays protestant et anglo-saxon est une immense différence, une confrontation stimulante… » Il y aura réussi à réaliser une sorte de fusion, qu’on pensait impossible, de l’expressionnisme abstrait et du minimalisme.

Alain Kirili en quelques dates

29 août 1946 Naissance à Paris

1978 Première exposition personnelle à New York

1979 Le MoMa de New York achète Indian Curve

1985 Exposition au Musée Rodin

19 mai 2021 Mort à New York

Harry Bellet, Le Monde du 21 mai 2021.

LIRE AUSSI :
Un siècle de sculpture dans le jardin des Tuileries
Alain Kirili : "Pour moi, la création est un acte de résistance"
Une sculpture pour Charlie Parker
Hommage à Charlie Parker, une sculpture modulaire d’Alain Kirili


Hommage à Charlie Parker.
Place Robert Antelme Paris 13. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Rodin Confidentiel

Kirili et Sollers sur Rodin ou l’initiation
« Stupéfiant ! », France 2, 20 mars 2017.

Où on reparle des dessins érotiques de Rodin et du fameux Balzac.

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LIRE :
« Rodin, le culte du nu » par Alain Kirili
Balzac honoré par Rodin
Rodin son musée secret.

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Sculpture et jazz

« Jazz et Sculpture se créent dans l’urgence. Le risque extrême est la condition minimum de la création, le critère absolu du musicien et du sculpteur... »

Le 25 octobre 1998, lors d’une émission radiophonique que j’avais consacrée au free jazz, je n’avais pas trouvé de meilleure définition de cette révolution musicale que celle qu’Alain Kirili donne dans son livre Sculpture et jazz. Je vous en lis un extrait :

1. Le free jazz

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2. Cecil Taylor

Dans le même livre, Alain Kirili cite également des extraits d’un interview que le pianiste Cecil Taylor donna à Francis Marmande et Philippe Carles en juin 1975. L’accent est mis sur la dimension physique, corporelle, sexuelle, rythmique de la musique.
L’extrait est suivi de Port of call par Cecil Taylor (4’20).

L’extrait. Alain Kirili raconte :

En 1973, je me confronte au puritanisme des Etats-Unis. Je vis au quotidien cet univers où l’artiste est culpabilisé dans une société qui considère que l’art est superflu. La pulsion sexuelle est vécue comme impure. Je vis cette conception comme une oblitération véritable de l’art. Vies tragiques des grands artistes américains.

Juillet 1975, dans Jazz Magazine, Cecil Taylor répond à Francis Marmande et Philippe Carles :

« Le corps n’a pas à être pénalisé, il n’est pas la sanction de l’âme, le résultat désastreux de la naissance. Naître est un acte glorieux qui n’a rien à voir avec la saleté, la corruption, la misère, c’est le premier acte de création. Si l’on est poète, il me semble que cela implique que l’on intègre à son existence d’autres manifestations de créativité. Chaque chose que vous faites est, devrait être délicieuse, succulente, une célébration de la vie... Ce qu’on appelle en Amérique l’éthique puritaine dit que l’homme a été conçu dans le péché, l’acte de création humaine serait un acte coupable et aussi, par conséquent, le fait de baiser en dépit des choses admirables que l’on ressent terriblement quand on le fait. Le produit et l’acte seraient diaboliques, mauvais, mauvais, mauvais. C’est pourquoi leur esprit est foutu, il faudrait "se purifier", ne pas danser, mais composer et faire tous les jours des exercices... Tout cela participe d’une même chose : il faut souffrir, souffrir, souffrir et ne pas prendre de plaisir, le plaisir c’est le péché et pour eux cela commence dès l’acte initial, cet acte dont nous sommes le produit... Cette rigidité, ce blocage des muscles, cette constriction, ils appellent ça — économie". En fait, c’est de l’enrégimentation, de l’uniformisation, leur travail est tellement dénué de vie. Quand un musicien joue d’un instrument à vent c’est un prolongement rythmique de certaines vibrations. L’instrument premier c’est bien sûr le tambour. Qu’est-ce que ça signifie ? Que de l’idée du battement on pourrait remonter au début de la vie, que le fait de baiser est un processus rythmique, c’est tout ce qu’est la musique du rythme. L’ordre premier de la musique c’est le rythme parce c’est le rythme qui produit la vie et le coeur est la manifestation, une sorte de sanctification de cela... Il ne peut y avoir aucune séparation puisque c’est dans le corps. » Ainsi répond Cecil Taylor à la question : « Selon vous, il n’y a aucune séparation entre l’esprit et le corps ? »

Pour moi, c’est un magnifique entretien, une véritable défense et illustration du corps, de la vie, de la liberté et de l’improvisation.

Alain Kirili, Sculpture et jazz, p. 155-156.

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Cecil Taylor en novembre 1975
Live at Centro d’Arte Padova

A.G., Alain Kirili, le sculpteur et la liberté, 7 mars 2009.

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Alain Kirili, Sculpteur de tous les éléments

Un film de Sandra Paugam et Jean-Paul Fargier.

Alain Kirili, sculpteur abstrait, partage sa vie entre Paris et New York. Il aime se confronter avec d’autres arts et invite souvent des musiciens jazz, des danseurs ou des poètes dans son atelier, dans un centre d’art ou au musée parmi ses œuvres. Tous les matériaux sont passés entre ses mains : pierre, fer, terre crue, terre cuite, zinc, aluminium, carton, résine, cire, polystyrène, béton… Le film donne à voir et à entendre un artiste au travail, tout en suivant son parcours des origines à ses créations actuelles, sur un mode proche de l’intime. Dans son univers quotidien, en présence de sa compagne Ariane Lopez-Huici, photographe, il partage une vision jubilatoire et complexe de l’abstraction et de l’incarnation. En le filmant avec des amis d’horizons différents, on découvre la conscience qu’il a d’appartenir à un monde d’artistes où chacun tisse les liens qui lui sont nécessaires pour poursuivre son œuvre singulière.

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LE SITE D’ALAIN KIRILI

MÉMOIRES DE SCULPTEUR pdf

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ALAIN KIRILI SUR PILEFACE

LIRE NOTAMMENT :
L’athéisme sexuel (Entretien Alain Kirili / Philippe Sollers), mars 1989
V.K. : Alain Kirili, sculpteur : le goût de l’écriture (2016)

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