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Sollers, ou la raison nouvelle

suivi de "Sollers en légende et en vérité"

D 13 avril 2021     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


"Sollers, ou la raison nouvelle"- par Jacques-Emile Miriel-

11 avril 2021

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Un projet autobiographique unique en son genre fait de Sollers, au-delà du personnage médiatique désormais en retrait, un écrivain qui restera.

Philippe Sollers publie deux livres, assez différents quant à la forme, mais très semblables quant au fond. Il s’agit comme toujours de partir de lui-même, et de décrire inlassablement, mais non sans subtilité, son univers personnel. Le romancier Sollers revendique cette subjectivité ; acceptons-la d’autant plus qu’il se place ainsi dans la catégorie des plus grands (Montaigne en tête), et nous essaierons de voir si le challenge est maintenu jusqu’au bout. Un tel projet littéraire a, en tout cas, de quoi séduire ceux qui, comme moi, ont la religion des textes.

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L’aventure d’une vie

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Le premier livre s’intitule Agent secret. Il paraît au Mercure de France, dans la très belle collection « Traits et portraits », dirigée par Colette Fellous. Pierre Guyotat y avait par exemple publié son génial Coma en 2006, œuvre inoubliable. Agent secret est également une autobiographie, dans laquelle Sollers se remémore, comme il l’a déjà fait si souvent, l’aventure de sa vie : son enfance à Bordeaux durant la guerre, son heureuse famille bourgeoise, puis les grandes dates de sa carrière d’écrivain, ponctuée de nombreuses rencontres, dont celles entre autres de Barthes et de Lacan.

Il évoque aussi, bien sûr, pêle-mêle la Chine, le taoïsme, la messe catholique, Hölderlin, les dieux grecs, Aragon et Mauriac, parmi tant d’autres sujets qui lui sont devenus si familiers. Il parle surtout, et ceci a particulièrement retenu mon attention, des trois femmes qu’il a le plus aimées, celles qui ont eu une influence majeure sur lui et qui furent pour lui des héroïnes de l’existence. Le lecteur de Sollers les connaît déjà, car elles ont tenu beaucoup de place dans ses romans : l’Espagnole Eugenia San Miguel, la « juive polonaise, passée par la Hollande » Dominique Rolin et la Bulgare Julia Kristeva. Sollers a beaucoup joué à paraître un libertin notoire, mais il faut remarquer chez lui un besoin de connaître sagement des « passions fixes ».

A lire aussi, Pascal Louvrier : Sollers sans masque

Agent secret est un énième fil d’improvisations de Sollers sur tous les thèmes qui sont désormais sa marque de fabrique. Certes, il n’évite pas les redites, dans ce livre, mais cela n’en gêne pour ainsi dire pas la lecture, car il sait varier la narration. On a même l’impression d’un livre dicté au magnétophone (cela n’est précisé nulle part) ‒ mais pourquoi pas ? Je dois dire qu’en général on s’ennuie rarement avec Sollers, et c’est par cet Agent secret que je conseillerais de commencer, si le lecteur n’a jamais rien lu de lui. Ce volume de souvenirs restera, je pense, avec Un vrai roman, ses Mémoires publiés en 2007, une excellente introduction à l’art si spécifique avec lequel il recrée habituellement son monde.

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Une expertise acquise au milieu des livres

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Avec l’autre volume, Légende, qui paraît parallèlement aux éditions Gallimard, nous retrouvons exactement le même « moi », au milieu d’une thématique fort voisine. Mais le style en est plus affiné, davantage écrit, et l’ensemble organisé de manière plus précise. Légende s’inscrit dans la progression du travail de Sollers, de tous ces brefs « romans » qui, une fois l’an, désormais, viennent faire le point sur l’état de sa réflexion. On peut estimer que Femmes, en 1983, fut la première grosse pierre de ce work in progress aux allures encyclopédiques. Sollers fait d’ailleurs référence, au début de Légende, à cet ancien livre, qui avait alors ouvert une voie que l’écrivain n’en finira pas de creuser. Car derrière une certaine légèreté de façade, faite peut-être pour amuser la galerie, il y a chez Sollers, plus profondément, l’expérience acquise de toute une existence méditative vécue au milieu des livres.

D’Homère à Rimbaud, en passant ici par Victor Hugo (référence nouvelle chez lui, notons-le avec curiosité), Sollers peaufine son art de la citation (tout sauf évident) et du commentaire éclairé. Il veut embrasser d’un seul coup d’œil ses auteurs fétiches, non seulement les écrivains, du reste, mais aussi les peintres et les musiciens (en particulier, Mozart à qui il a consacré un ouvrage en 2001).

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Tempérament classique

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Une précision s’impose : Sollers ne se considère nullement comme un réactionnaire, du moins c’est ce qu’il prend bien soin de clarifier. Il écrit d’ailleurs ceci, véritable profession de foi, en même temps que discours de la méthode : « Il faut traquer l’obscurantisme dans les moindres détails. […] Il faut le démasquer dans toutes ses impostures morales et sentimentales, ses préjugés absurdes, ses sexualités confuses, sa propagande puritaine qui accompagne la dénonciation, d’ailleurs nécessaire, du viol. » À travers ses bonnes fées littéraires, Sollers se veut un tempérament « classique ».

Voilà ce qu’il revendique, condamnant du même coup le modernisme, en prenant par exemple la défense de Bataille contre Blanchot. Évacuant ainsi toute velléité nihiliste, Sollers se verrait bien en parfait renaissant (concept qui intègre sa passion pour les révolutions en général, et celle de 1789 en particulier). Il y a une bonne dose d’illuminisme dans tout cela, et le grand René Guénon est alors convoqué pour donner de la consistance à un tel projet ésotérique. Le résultat vers lequel on tend ? « Une toute nouvelle Raison », comme l’écrit Sollers, à laquelle il faut bien sûr être « initié ».

A lire aussi : Les réponses de Gilles Cosson à la “crise de sens&#8221

Ce qui pourrait réunir Légende et Agent secret, tous deux conçus sur une même période, c’est la silhouette fugitive et fascinante du dieu grec Apollon, qu’un admirable tableau de Poussin au Louvre montre « amoureux de Daphné ». Sollers se sent très inspiré par ce dieu, et par ce tableau de Poussin, peintre emblématique du classicisme français. Avouons que cette évocation apporte un grand rafraîchissement à toute cette prose sollersienne, qui, sans cela, manquerait peut-être un peu de mesure. Mais n’est-ce pas ce qu’on demande d’abord à un roman ? Nous permettre de nous évader ? Nous redonner espoir ? Légende se termine d’ailleurs par cette belle affirmation, qui ressemble à une prophétie : « un nouveau Cycle a déjà commencé ». Pour cette fois, Sollers n’en dira pas plus, nous laissant à notre étonnement, comme si ce nouveau Cycle devait être porteur de lumière ‒ ultime référence faite par Sollers à l’Évangile de saint Jean…

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Philippe Sollers, Agent secret. Éd. Du Mercure de France, collection « Traits et portraits », 2021. Et, du même auteur, Légende. Éd. Gallimard, 2021.

Crédit : Causeur


Sollers en légende et en vérité

Par Jean-Michel Olivier, 30 mars 2021

Il faudrait enseigner les premières lignes d’Agent secret [1] dans toutes les écoles : « Contrairement aux apparences, je suis un homme sauvage, fleurs, papillons, arbres, îles. Ma vie est dans les marais, les vignes, les vagues. Qu’importe ici qui dit je. Écrire à la main, nager dans l’encre bleue, voir le liquide s’écouler sont des expériences fondamentales. Je vis à la limite d’une réserve d’oiseaux (…) Ah être un oiseau ! »

Tout Sollers est déjà là : rythme, musique, liberté absolue. Un vol d’oiseaux ouvre le livre et revient battre des ailes dans les dernières lignes, avec l’évocation de Rimbaud (la lecture est une illumination) : « Oiseau hors la loi, oiseau musique, oiseau beauté, oiseau libre, tout à fait libre. »

Il y a de la légèreté, mais aussi de la gravité, des confidences, mais aussi de secrets bien gardés, dans ce livre autobiographique où Sollers égrène ses souvenirs, en images et en mots, en musique aussi, en évoquant son enfance bordelaise, solitaire, enchantée, ses parents et ses sœurs, son étrange famille (son père et son oncle ont épousé deux sœurs), ses crises d’asthme et ses otites à répétition (« La maladie est une épreuve intéressante. J’étais attaqué à l’oreille et au souffle.  »), sa propension à transformer le chagrin en rire, comme Voltaire ou Lautréamont.

Cela ne suffit pas à expliquer sa vocation (précoce) d’écrivain, mais cela éclaire son parcours, comme les rencontres fondamentales de sa vie : Malraux qui le sauve de la guerre d’Algérie, Mauriac qui salue ses premiers livres, Aragon qui l’encourage à écrire, mais aussi Francis Ponge, Georges Bataille et surtout Roland Barthes, fidèle compagnon de route, qui écrira un article décisif sur son œuvre in progress.

Les hommes ont compté, mais aussi les villes (New York, Venise), les pays (la Chine, l’Italie) et surtout les femmes. On connaît, depuis que leur éblouissante correspondance a été publiée [2], la relation amoureuse qui a lié Sollers à Dominique Rolin, écrivaine belge décédée il y a neuf ans. Venise était leur port d’attache. C’est là qu’ils se retrouvaient deux fois par année. Et tous les autres jours, ils s’écrivaient.

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L’autre amour de sa vie s’appelle Julia Kristeva, jeune étudiante bulgare venue en France à la fin des années 60 pour faire une thèse avec Roland Barthes et épousée à la mairie du Ve arrondissement. La vie de cet agent secret n’est pas secrète : écrivaine, philosophe, psychanalyste, Kristeva, comme Sollers, a beaucoup circulé entre les disciplines, les langues, les pays. Sollers lui consacre de très belles pages, autour de l’île de Ré, autre séjour enchanté.

Dans Le Cœur absolu et L’Année du Tigre, Sollers évoquait avec tendresse leur fils David — ses soucis de santé, ses crises d’épilepsie, son intelligence singulière. À sa manière, il fait partie des peintres (David dessine et peint) et des poètes que Sollers célèbre dans son livre, parmi les figures de Hölderlin, Manet, Picasso ou Rimbaud. Il y a une « logique du silence » entre ses figures aimées et admirées. Là encore, un secret bien gardé.

Agent secret peut se lire comme le versant autobiographique d’un diptyque dont Légende [3] serait le versant romanesque. Ce roman, typiquement sollersien, si j’ose dire, qui ressemble à un collage surréaliste ou à une rhapsodie (en bleu, bien sûr), raconte à sa manière la légende du siècle de folie que nous vivons. Une image éclaire son origine et lui sert de prétexte : le tableau de Nicolas Poussin intitulé Apollon amoureux de Daphné, qui se trouve au Louvre. Daphné (laurier en grec), c’est aussi le prénom d’une camarade de lycée que l’auteur va retrouver et aimer. Daphné sera sa Béatrice. Elle le guidera à travers les cercles de l’enfer contemporain. L’autre guide de cette exploration secrète sera Victor Hugo, et sa Légende des siècles.

Fleurs, papillons, arbres, îles, musique, poésie : telles sont les points de fuite d’une vie résolument heureuse, contre vents et marées, modulée en roman et en autobiographie lumineuse.

Ah être un oiseau !

Crédit : Jean-Michel Olivier


[1Philippe Sollers, Agent secret, Traits et portraits, Le Mercure de France, 2021.

[2Philippe Sollers, Lettres à Dominique Rolin, Folio, 2017.

[3Philippe Sollers, Légende, roman, 2021.

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1 Messages

  • Viktor Kirtov | 15 avril 2021 - 11:56 1

    Le concert des louanges se poursuit. Pas un critique ou chroniqueur entend rester à l’écart. Du jamais vu !</b

    L’écrivain signe deux livres, gammes sur soi ou libres improvisations. L’un de souvenirs stimulés par l’image, et l’autre un roman d’amour.

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    Par Fabrice Gabriel ( Collaborateur du « Monde des livres »)
    Le 15/04/2011


    L’écrivain Philippe Sollers, à Paris, en 2016. FRANCESCA MANTOVANI
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    « Agent secret », de Philippe Sollers, Mercure de France, « Traits et portraits », 200 p., 18€, numérique 13€.
    « Légende », de Philippe Sollers, Gallimard, 128 p., 12,50€, numérique 9€.

    Une photographie un peu ancienne de Philippe Sollers le montre prenant la pose au clavier, indifférent à tout ridicule et fier comme un enfant de pouvoir s’afficher ainsi, jouant sur le pianoforte… de Mozart lui-même. Tout l’écrivain est là, semble-t-il, qu’anime depuis toujours une sorte d’obsession de la musique, un goût rieur pour la répétition et les variations sur quelques motifs élus, dont on ne sait plus si elles relèvent de l’œuvre ou du simple exercice : des gammes sur soi, peut-être, qui finissent par faire une œuvre. C’est en tout cas ce que l’on se dit, non sans plaisir, à la lecture des deux livres que fait paraître conjointement un Sollers octogénaire et très en forme :Agent secretetLégende.

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    Une maîtrise qui n’a plus besoin d’effets

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    Le premier est a priori le plus étonnant, car la collection « Traits et portraits » qui l’accueille au Mercure de France lui sert pour ainsi dire de révélateur, au sens photographique du terme : ce sont ici les images, clichés de famille ou reproductions de tableaux, qui stimulent l’écriture plutôt qu’elles ne l’illustrent, si bien que le texte peut apparaître comme la libre improvisation d’un pianiste aguerri, laissant ses doigts aller aux souvenirs, dans une maîtrise qui n’a plus besoin d’effets. De fait, ce sont de belles pages sur l’enfance bordelaise, la figure aux yeux vairons de la mère tant aimée et la mémoire enchantée d’un lieu perdu, retrouvé, paradis originaire où saillent tôt le goût de la solitude et la passion de la poésie. Sollers écrit ainsi salégende– étymologiquement : ce qui doit être lu – dans l’espace ambigu qui fut toujours le sien, lui qui revendique son appartenance à la bourgeoisie, dont il chante les douceurs rêveuses (Château Haut-Brion,« maison avec grand parc et jardin »,villégiature à l’île de Ré…) pour mieux s’autoriser la posture crâne et un peu forcée de l’irréductible asocial, associant dans les mêmes modulations un catholicisme enthousiaste et le goût très ancien pour la Chine, Mao compris.

    Il y a tout cela dansAgent secret,qui suit la ligne de la vie comme on commente un album de photographies, en s’adressant directement à ceux qui le regardent avec vous : Sollers parle volontiers en écrivant, comme Glenn Gould interpelle Bach en l’interprétant… C’est un grand bavard qui joue seul, et qui joue juste quand il ne cherche plus à nous épater par la virtuosité un peu vaine de ses collages multiréférencés, pour évoquer plus simplement ses amours, Dominique Rolin ou son fils, David, un paysage atlantique, ses lectures et ses amitiés (les deux vont souvent ensemble). Qu’on n’aille pas croire pour autant qu’Agent secretserait le livre bilan d’un écrivain assagi : Sollers est encore et toujours un bavard qui aime rabâcher avec panache, reprenant ses énièmes considérations sur l’époque, la PMA, la GPA ou le puritanisme ambiant, pour mieux conclure, en as roué de la pirouette, par un éloge du silence emprunté à Nietzsche(« Il faudrait demander pardon à ce monde pour lequel nous n’avons pas été assez silencieux »).

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    Philippe Sollers au fond n’a pas changé

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    La contradiction n’est qu’apparente et cette « logique du silence », dont l’écriture serait d’une certaine façon l’expression la plus authentique, on la retrouve à l’œuvre dansLégende,dont le thème est annoncé à la fin d’Agent secretpar un tableau de Nicolas Poussin :Apollon amoureux de Daphné(1664). Sollers chipe ainsi au peintre et à la mythologie le personnage de Daphné, pour en faire dans son roman une amie-amante de sa prime adolescence bordelaise, plus tard avocate et désormais mariée à une autre femme…E la nave va !L’écrivain emmène sur son esquif habituel Proust, Mallarmé, Mozart et l’équipage entier de ses pairs rêvés, qui passent ensemble d’un livre à l’autre, comme aussi le personnage intriguant de Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique et grand lecteur de Baudelaire.

    Voilà qui peut sincèrement émouvoir ou franchement agacer : comme toujours, dira-t-on, car, en dépit des apparences et même s’il se livre dansAgent secretavec une plus grande sobriété, Philippe Sollers au fond n’a pas changé. C’est même ce qui, presque à l’usure, peut faire qu’on partage l’amour qu’il se porte à lui-même, et qu’il instaure comme condition du bonheur offert aux autres. Cette espèce d’obstination absolue, qui exclut toute repentance ou regret, parce qu’elle affirme – en musique – la priorité de la poésie et de l’amour, a quelque chose d’assez remarquable. Le vieux pianiste est libre, en somme, qui n’écrit qu’à la main et s’autorise singulièrement à citer Rimbaud« à sa façon » : il n’en aura jamais fini de jouer, joyeux, les Variations Sollers.

    Lire un extrait d’« Agent secret » sur le site des éditions Mercure de France.

    Lire un extrait de « Légende » sur le site des éditions Gallimard.

    Fabrice Gabriel (Collaborateur du « Monde des livres »)