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Philippe Sollers ou l’art du bonheur

D 6 avril 2020     A par Haytham Jarboui - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans la Tribune des lecteurs, ce message de Sfax, Tunisie, par Haytham Jarboui. Un éloge du bonheur,
- comme à contre-temps - d’avant le temps de coronavirus.

Comme pour nous rappeler qu’il a existé et a été célébré.
L’Histoire et la littérature nous enseignent aussi qu’en demeure le désir au-delà des catastrophes.

V.K.

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Philippe Sollers ou l’art du bonheur

« J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,

La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien

Qui ne me soit souverain bien,

Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. »

Jean de La Fontaine, « Les Amours de Psyché - Éloge de la Volupté » (Les Fables )

Écrire sur un romancier qui sacralise le bonheur ne serait-il pas le comble du bonheur ? Évidemment, oui ! Philippe Sollers est parmi les écrivains – ô combien sont rares ces écrivains ! – qui nous inspirent l’amour et la joie en ce XXIe siècle qui est jalonné par des guerres dans les quatre coins du monde. Cet écrivain a été parrainé par François Mauriac et Louis Aragon. Cette double reconnaissance – à la fois du « Vatican » et du « Kremlin » – était le sacre de cet écrivain.

Philippe Sollers a su conjuguer engagement politique et hédonisme à travers ses romans. Sur la quatrième de couverture du Dictionnaire amoureux de Venise (Plon, 2004), on peut lire ceci : « Le monde se précipite vers le chaos, la violence, la terreur, la pornographie, le calcul aveugle, la marchandisation à tout va ? Mais non, voyez, écoutez, lisez : voici le lieu magique [Venise] et futur dont tous les artistes et les esprits libres témoignent ». Aussi, dans Portrait du Joueur (Gallimard, 1984), ce bordelais écrit-il : « Le bonheur ? Est-ce que j’oserai aller jusque-là ? Pousser la provocation à ce point ? Mais oui... Je ne vois pas pourquoi je ne le dirais pas... Peur des représailles ? Bof... Le « bonheur » ? La « sagesse » ? La « joie » ? Mais oui ! Mille fois ! Dix mille ! Un million ! [1] »

La formule de Jean de La Fontaine résume à coup sûr l’univers sollersien : « J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique. » Le jeu est le propre de l’écriture de Philippe Joyaux (l’écrivain joyeux !) qui prend le pseudonyme de Sollers faisant allusion au dieu grec Hermès. Son pseudonyme veut dire l’habile, l’ingénieux. Il existe dans l’œuvre de Philippe Sollers un jeu habile d’identité. Dans ses romans qui s’apparentent à des autobiographies, il développe ce qu’il appelle IRM : Identités Rapprochées Multiples. Cette esthétique est présente dans Une Curieuse Solitude (Seuil, 1958), dans Un vrai roman : mémoires (autobiographie) (Plon, 2007) et L’Éclaircie ( (Gallimard, 2012). Ces quatre romans mettent en scène le double de Philippe Sollers qui se plait à inventer des identités rapprochées multiples. Cela s’explique par cette formule de Jean-Bertrand Pontalis : « Nous avons tous une identité multiple. Personne n’a envie d’être réduit à soi [2] ».

Philippe Sollers est un écrivain amoureux. Ainsi, il écrit dans Trésor d’amour (Gallimard, 2011) : « Vivre, écrire, aimer : la trinité essentielle est là… » La plupart des romans du « roi Sollers » (Dans Le Nouvel Observateur de janvier 1989, Jean-Paul Enthoven publie un article intitulé « Le roi Sollers ») sont des romans qui mettent en scène des amoureux solitaires et dans la clandestinité, comme c’est le cas du Lys d’or (Gallimard, 1989), Un amour américain (Mille et une nuits, 2001), Drame (Seuil, 1964), Femmes (Gallimard, 1983), L’étoile des amants (Gallimard, 2002), etc. Le dernier livre-entretien Du mariage considéré comme un des beaux-arts (Fayard, 2015), coécrit avec Julia Kristeva, met l’accent sur le couple Sollers-Kristeva. Quant à la musique, elle est intrinsèque à son œuvre.

Sollers s’intéresse à Mozart (Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, Plon, 2001), à Bach, à l’opéra et au jazz. Il confie : « Avant de penser à écrire. Mon rêve à l’époque, c’était de savoir un jour jouer de la clarinette […] et c’est sous la forme de l’irruption de la musique de Jazz que j’ai eu l’impression qu’une culture était possible » (« Jazz », Tel Quel, n°80, été 1979, p. 11). Philippe Sollers n’est pas seulement un romancier, il est également essayiste, grand passionné d’art et de peinture et éditeur chez Gallimard. Il a cofondé et dirigé la revue Tel Quel (revue d’avant-garde) de 1960 à 1982, et il dirige actuellement la revue L’Infini. Trois biographies ont été consacrées à Philippe Sollers : Philippe Sollers, mode d’emploi, Corps d’enfance, corps chinois et Philippe Sollers. Vérités et Légendes. Plusieurs critiques se sont intéressés à son œuvre qui est d’une grande richesse, parmi lesquels, je cite Roland Barthes (Sollers écrivain, Seuil, 1979), Philippe Forest (Philippe Sollers, Seuil, coll. « Les contemporains », 1992), et Jacques Derrida (La dissémination, Seuil, coll. « Petits essais », 1993).

Philippe Sollers fait certes partie des personnalités littéraires les plus présentes aux médias. Ce phénomène est lié aux profondes transformations sociétales et économiques qui ont agi bon gré mal gré sur le statut de l’écrivain. En réalité, à partir des années soixante-dix, « l’écrivain n’est plus désormais qu’un homme dans la foule. Peu d’entre eux vivent de leur plume : la plupart exercent des métiers proches de la culture ou de l’enseignement, mais pas toujours. S’il n’est plus l’homme des grands-messes, l’écrivain devient celui des proximités : les lecteurs se multiplient dans les librairies, médiathèques ou bibliothèques. Les « marchés », « salons », « foires » ou « fêtes » du livre, de plus en plus nombreux, mettent l’écrivain en présence de son public immédiat, sans intermédiaire journalistique ni critique [3] ». De fait, sans se réduire à un barnum médiatique, Sollers a su tirer profit des médias tout en étant critique à l’égard de la situation politique en France et ailleurs. Son écriture prône une révolution culturelle. La conviction qui pousse en effet Philippe Sollers à agir est l’idée que « révolution poétique et révolution politique doivent se conjuguer [4] ». Son engagement en faveur d’une littérature qui se veut politique et qui s’inspire des idées maoïstes l’a poussé à prendre position contre les marxistes « qui se refusent à voir dans l’histoire autre chose qu’un « procès sans sujet [5] », et contre les psychanalystes « qui n’entendent considérer qu’un « sujet sans procès [6] ».

Haytham Jarboui
Enseignant à l’Institut Préparatoire aux Etudes d’Ingénieurs de Sfax
Membre du comité rédactionnel de la revue IGNIS .
Chroniqueur littéraire


[1Philippe Sollers, Portrait du joueur, coll. « Folio », 1984, p. 219.

[2Philippe Sollers, Portrait du joueur, coll. « Folio », 1984, p. 219.

[3Dominique Viart, Bruno Vercier, La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations, Bordas, 2005, p. 301

[4Philippe Forest, Philippe Sollers, Seuil, coll. « Les contemporains », 1992, p. 154.

[5Ibid.

[6Ibid.

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