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Il n’y a pas de rapport sexuel

Scène(s) de la vie conjugale

D 28 janvier 2019     A par Olivier Rachet - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


De retour d’un séjour en montagne, le narrateur, qui achève un essai consacré à Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman, découvre une culotte de sa femme maculée de taches de sperme. Il comprend qu’elle le trompe et qu’elle souhaite le lui faire savoir. S’ensuit, entre ces deux personnages, une conversation qui durera toute la nuit : le roman devient un huis clos obsessionnel, une spirale axée sur la question du coït extraconjugal considéré comme une fatalité.

Philippe Limon est né en 1965. Après avoir exercé divers métiers, il entreprend des études de littérature et devient enseignant.  [1]

Il n’y a pas de rapport sexuel

par Olivier Rachet

« Au commencement était le sexe », écrivait Calaferte dans Septentrion. Au commencement du premier roman de Philippe Limon, une culotte maculée de sperme que le narrateur trouve au-dessus du panier à linge, mise en évidence, au retour d’un voyage en montagne pour y achever un essai sur le film de Bergman Scènes de la vie conjugale. Une pièce de lingerie à conviction ou à persuasion. Un petit caillou dans la vie d’un couple dont on pressent qu’il va finir par exploser en plein vol. Trois fois rien, quelques taches, un empâtement comme en peinture. Une culotte comme un linceul sur laquelle apparaît, non le visage christique de l’amant qu’on aimerait supplicier, mais une simple vision, obsédante car irreprésentable. Est-on trompé ou trahi ? Cette petite culotte signe-t-elle le début de la fin ou achève-t-elle une histoire qui n’arrivait plus à se relancer ? Le recommencement n’est-il pas le drame auquel tout couple finit toujours par être confronté ? Tout l’art du romancier est d’avoir choisi de rapporter indirectement une conversation nocturne qui finit dans les larmes et le renoncement. Aucune parole en prise directe avec une réalité qui, de toute façon, nous échappe. Ces personnages – à l’image du couple formé à l’écran par « Marianne / Liv Ullmann » et « Johan / Erland Josephson » dans le film de Bergman – naviguent entre esquives et faux pas. « Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Lacan, juste des rapports de force. L’amour nous faussera toujours compagnie. L’écriture intervient ici comme une tentative de traquer les faux semblants d’une incompréhension que l’on découvre toujours trop tard. Les italiques, les parenthèses permettent, en vain pourtant, de revenir sur un inexorable délitement : « Ses (ces) réponses ne me convenaient ni ne me satisfaisaient », écrit ainsi le narrateur. À propos des souvenirs dont elle disait qu’ils occupaient son esprit, il ajoute ignorer « ce qu’elle entendait au juste par fréquemment » ou plus loin, hébété, il rapporte l’aveu terrifiant que la conversation n’est rien qu’une insupportable mise à mort : « je pouvais donc la battre et la frapper si ça me chantait – si ça me chantait – [...] ». Grand art que ce premier roman qui se présente comme un récit enchâssé, rapporté à un narrateur dont on ignore tout ; comme est enchâssé dans une des séquences du film de Bergman qui donne son titre à l’ouvrage, un insecte, mouche ou cafard, derrière le visage de Liv Ullmann lorsque son compagnon lui fait part de sa décision de divorcer. Cet insecte prisonnier de la prise de vue n’est-il pas le signe que le réel résiste toujours, tragiquement, à nos désirs ? L’amour est mort. Fondu au noir.


@crédit photographique, "Clôture de l’amour",
mise en scène de Pascal Rambert, théâtre de Gennevilliers.

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[1Philippe Limon : ses publications.

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3 Messages

  • Albert Gauvin | 21 février 2019 - 17:50 1

    La recension de Philippe Chauché

    « Je lui ai encore demandé depuis quand elle avait eu l’intention de coucher avec quelqu’un d’autre pendant mon absence, si c’était seulement depuis qu’elle avait revu son ancien partenaire sexuel occasionnel d’autrefois par hasard, un soir de printemps, si c’était depuis qu’elle avait regardé les photographies du temps jadis, ou si, avant ça, elle avait déjà tout simplement envisagé de coucher avec le premier venu ».

    Scène de la vie conjugale est un premier roman, publié par L’Infini, la collection que dirige Philippe Sollers chez Gallimard. L’éditeur écrivain nous confiait qu’il n’avait pas grand mal à décider de la publication d’un roman : « Il y a une voix ou pas premièrement, deuxièmement, il y a une composition latente qui se reconnaît, ce n’est pas seulement de savoir si c’est bien écrit, c’est de savoir si c’est composé comme en musique ». Scène de la vie conjugale est un roman qui a de la voix et du style, avec ses variations et ses vibrations de colère. Une voix et une composition qui sautent aux yeux.

    Philippe Limon, dont on ne sait rien, offre là une sonate qui déroule un ressentiment, une colère, une rancœur face à cette tromperie d’un soir. Le narrateur revenu d’une courte absence découvre que sa femme a été infidèle, il en tient la preuve, une culotte souillée, une preuve qu’il serre dans la main. Elle va l’accompagner tout au bout de la nuit, une longue nuit enflammée de mots vengeurs et plus rugueux les uns que les autres, à mesure que le temps défile dans la chambre nuptiale. Un côte à côte, comme un face à face, avec son épouse dans ce lit conjugal, qui devient la scène de ce théâtre du ressassement. Scène de la vie conjugale, tel un torrent roule et déroule sa rage, entraînant sur son passage verbes et mots qui le font scintiller comme s’il s’agissait de pépites d’or. Un roman fougueux, que surplombe Scènes de la vie conjugale, le film d’Ingmar Bergman, dont s’inspire le roman, passant du pluriel au singulier, et que le narrateur admire.

    « Elle a répété qu’elle en avait assez de moi à ce moment-là, que je commençais même à ne le savoir que trop, mais que j’ignorais en revanche pour quelles raisons elle en avait assez de moi à ce moment-là, comme elle ne cessait de le proclamer depuis le début. A aucun moment elle ne m’avait donné l’ombre d’une explication à ce sujet, elle avait pris soin de ne pas le faire et j’attendais qu’elle le fasse ».

    Scène de la vie conjugale est un monologue au vitriol, une longue tirade qui pourrait s’allonger lors d’autres nuits et d’autres jours, où le narrateur creuse, fouille l’âme de son épouse, et la sienne, ses silences, ses hésitations, ses approximations, ses affirmations, ses raisons et ses mots, ses phrases, et leurs raisons de s’inviter dans le lit partagé, alors que plane l’image de son ancien partenaire sexuel occasionnel d’autrefois, comme si cet incident devenait la destinée de son couple. Scène de la vie conjugale est un roman de fissures et de scansions, un roman musical avec ses riffs, ses éclats, ses déchirements, ses dissonances, ses silences, ses reprises, ses suspensions et ses claquements, un roman où les mots sifflent comme des balles.

    « Si bien qu’à bout de nerfs, excédé par tous (ses) ces sous-entendus à peine sous-entendus, j’ai fini par lui demander si elle s’attendait à ce que je la remercie pour sa franchise, pour son honnêteté et pour sa vertu, si elle croyait par hasard que sa franchise, son honnêteté et sa vertu conjuguées auraient le pouvoir d’effacer, comme par magie, ce qui s’était produit pendant mon absence, et de lui fournir, par-dessus le marché, une justification, une prescription, une absolution, une bénédiction, ma bénédiction indulgente, en somme, en plus de la sienne ».

    Philippe Limon porte son roman avec fureur jusqu’à son terme, servi par une langue affutée, tendue, une langue qui a du souffle et de l’ampleur, de la force et de la vigueur. Un roman qu’il faut écouter, entendre, en le lisant. Soumettre un livre à une lecture à haute voix est un exercice salutaire, les mauvais livres sont inaudibles ou ils vous vrillent les tympans, les bons romans, les romans vivants et vifs, dansent dans votre oreille longtemps après leur lecture.

    Philippe Chauché


  • Pandoorasbox | 6 février 2019 - 13:41 2

    Pour une histoire d’adultère, somme toute banale, quel casse-tête !
    En tout cas, le narrateur réussit la vraie prouesse de restituer le ping-pong infernal des questions, des silences, des élucubrations de celui qui essaie de comprendre à tout prix pourquoi sa femme a eu envie de le tromper (était-ce seulement à ce moment-là ?), avec cette culotte pleine de sperme à la main (qu’il ne va pas lâcher ! – ça c’est l’élément le plus tristement comique, le plus surprenant aussi, sa sombre pièce à conviction). Le poids de chaque mot, ce à quoi il renvoie systématiquement, ce que chaque mot ouvre comme brèche pour rediscutailler, repeser, renvoyer à l’autre… Et c’est un tour de force que de parvenir à recomposer tous les méandres infimes de cette discussion infernale, sans un souffle sans un retrait de paragraphe sans un dialogue ni rien en une boucle enfermante (avec cette mouche tourbillonnante, lourde, agaçante, et ce jeu d’effet miroir avec Bergman). Sorte d’autopsie presque clinique à chaud-à froid d’un couple dos au mur, comme sur l’affiche du film.
    Cela ressemble de si près à des situations qu’on peut imaginer ou vivre chacun – pour pathétiques et tristes qu’elles soient – que c’en est aussi dérangeant. Comme s’il y avait presque une fatalité, une inéluctabilité de la tromperie et de la trahison. On s’est aimés (mais il n’est jamais question d’amour dans ce roman, parce que la question n’est déjà plus là ?), puis un jour, c’est là, on est trompé, ou on trompe, on n’a rien vu venir, et c’est compliqué de l’expliquer (en tout cas la femme reste très évasive en fin de compte, ce qui est peut-être tant mieux, et très énervant aussi, et là on comprend très bien le narrateur, elle qui le trahit en plus sans passion véritable…). Mais lui, qui ergote sur tout, et on le comprend !, se retrouve pris au piège. Et alors qu’on devrait le plaindre de s’être fait avoir comme ça, si facilement, si éhontément, sans explication claire, sans autre motif qu’une lassitude et un désir vague, se retrouve un peu arroseur arrosé… Lui aussi nous a épuisé, assommé, va-t-il encore trouver quelque chose à questionner, à comprendre ? C’est terrible, au bout d’un moment, on voudrait qu’il s’arrête, qu’il tombe comme une mouche, alors qu’il a toutes les raisons de vouloir continuer… et que vienne cette envie de serrer sa femme, ou ce qu’il en reste, très fort dans ses bras, malgré tout. Cela sera-t-il encore possible ? On n’en sait rien !
    Un roman à la fois jubilatoire, virtuose, grinçant, terriblement bien vu, et donc complètement poil à gratter et irritant. Miroir sans illusion tendu froidement, qui brûle les yeux.


  • Albert Gauvin | 30 janvier 2019 - 10:00 3

    Sur la Toile...

    Scène de la vie conjugale, premier roman de Philippe Limon

    Un soir, alors que vous rentrez de trois jours de déplacement en montagne vous ayant permis de (presque) terminer un travail intellectuel d’importance, et que votre compagne vous attend au lit, vous trouvez, habilement posée au sommet de la panière à linge sale, sa dernière petite culotte, disposée de telle façon qu’il ne vous est pas permis de douter très longtemps : elle est maculée de taches de sperme, et ce sperme n’est pas le vôtre.
    Ce pourrait être une bravade, mais il faut parier sur l’innocence d’un aveu, réclamant certes de plus amples explications.
    Tel est l’introït de Scène de la vie conjugale, premier roman de Philippe Limon, publié par Philippe Sollers chez Gallimard. Fabien Ribery, L’intervalle (la suite ici)

    *

    Premier roman. Huis clos bergmanien

    Scène de la vie conjugale, de Philippe Limon, Gallimard, « L’Infini », 168 p., 15 €.

    Dans la chambre, une mouche vole, tourne autour des deux personnages, se cogne au plafond, repart de plus belle. La narration de Scène de la vie conjugale ­reproduit ce trajet, texte obsessionnel au long duquel, une nuit, un homme et une femme reviennent sur l’adultère que la seconde a ­révélé au premier en laissant traîner une culotte tachée de sperme dans la salle de bains. C’est l’homme trompé qui raconte la ­découverte du sous-vêtement puis la décision d’affronter sa compagne et la douloureuse discussion qui s’ensuit. Au fil de celle-ci ne cessent de lui venir en mémoire certaines des Scènes de la vie conjugale, le film d’Ingmar Bergman (1973) sur lequel il écrit depuis longtemps un essai, sans parvenir à le terminer. Huis clos étouffant, ce premier roman mêle interrogations sur le couple et méditation sur les rapports entre l’art et la vie. R. L. Le Monde.

    *

    Grand bou­le­vard

    Face à un tel roman, le der­nier livre de Yann Moix (Rompre) pourra faci­le­ment pas­ser pour un chef-d’oeuvre. Vou­lant nous empor­ter dans la forêt pro­fonde d’un couple, le nar­ra­teur cocu­fié voit remon­ter vers lui des frag­ments du film Scènes de la vie conju­gale de Berg­man sur lequel il a jadis écrit un essai.
    Se croyant d’une audace folle, cette triste confes­sion — à laquelle une petite culotte imbi­bée du sperme d’un qui­dam sert de pré­texte — reste une mise en scène télé­pho­née et com­plai­sante. Se don­ner le mau­vais rôle pour embrayer sur un Qui a peur de Vir­gi­nia Woolf ? encore plus mélo que l’original tourne presque à la farce insi­pide en guise de huis-clos dramatique.
    Cela plaira sans doute au lec­to­rat âgé qui “fait” main­te­nant le suc­cès des romans. Un style tor­sadé sent la suf­fi­sance et l’assurance de celui qui a voulu tâter du détour ciné­ma­to­gra­phique pour — avec cir­con­vo­lu­tions pré­ten­tieuses - taqui­ner le pois­son par le poi­son de la jalou­sie.
    Le pre­mier va s’ennuyer dans un tel bocal. Même si, et c’est bien connu, à l’inverse de l’homme trompé le menu fre­tin n’a pas de mémoire. jean-paul gavard-perret, literaire.com.