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Michaël Ferrier, François, portrait d’un absent, prix Décembre

« Un texte, des voix, c’est tout. »

D 8 novembre 2018     A par Albert Gauvin - Philippe Chauché - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. » (Ducasse) « Le prix Décembre a été remis, jeudi 8 novembre, à Michaël Ferrier pour François, portrait d’un absent paru dans la collection "L’Infini" de Gallimard, à l’hôtel Lutetia. Il a été élu au 3ème tour grâce à la double voix de la présidente du jury, Cécile Guilbert » (Livres hebdo). Après Boxe de Jacques Henric (prix Médicis essai 2016), Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel (prix Médicis 2017), Le lambeau de Philippe Lançon (prix Femina 2018), Idiotie de Pierre Guyotat (prix Médicis 2018), voici donc un nouveau livre, que nous avons soutenu d’emblée, récompensé.

L’un des derniers entretiens de Michaël Ferrier. Avec David Collin, sur rts le 7 octobre 2018. L’écrivain lit de nombreux extraits de son roman.

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Collection L’Infini, Gallimard
Parution : 16-08-2018

Une voix blanche, surgie au milieu de la nuit, annonce à Michaël Ferrier la mort de son ami François et de sa fille Bahia.
Dans la dévastation, la parole reprend et les souvenirs reviennent : comment deux solitudes, jeunes, se rencontrent, s’écoutent et se répondent ; les années d’études, d’internat ; la passion du cinéma, de la radio : la mémoire se déploie et compose peu à peu une chronique de l’amitié, un tombeau à l’ami perdu.
Entre France et Japon, Michaël Ferrier redonne vie aux fantômes, aux absents, aux disparus. Il confère aux choses et aux êtres une sombre beauté, celle de la passion de l’amitié.

Feuilletez la table et le livre sur le site de Michaël Ferrier.

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Michaël Ferrier présente son ouvrage François, portrait d’un absent.

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Disparition de François Christophe

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François Christophe. Crédits : Radio France

France Culture, 30 décembre 2013.

Le réalisateur François Christophe vient de disparaître accidentellement. Depuis 2010, cet homme venu du cinéma avait conçu de très nombreuses fictions pour France Culture, notamment Millenium ou les Misérables, ou encore une série de Géographie du poème.

Blandine Masson, directrice de la fiction sur France Culture, lui rend hommage et insiste sur la manière dont son travail aura laissé une empreinte.

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EXTRAITS

Michaël Ferrier cherche la tombe de son ami au cimetière du Père-Lachaise...

[...] Nord-ouest, toujours nord-ouest. J’avance au milieu des glaces, je cherche le passage. C’est un dédale, la recherche d’un ami mort : tous les chemins s’ouvrent, se ferment, se tordent... Je navigue entre les tombes. Dès qu’on quitte les grandes rues, il y a des goulets et des passes, des criques et des détroits, je ne trouve pas la tombe de François. Le vent a forci maintenant, il est plus âpre, plus violent. Le soleil a disparu, mangé par plusieurs nuages sombres. Je patine, je glisse, j’avance, le regard fixé sur la crête des croix. Ce n’est pas encore ici... ni là... La neige m’arrive en pleine face, me ferme les yeux. Me voici cerné par les tombes et le verglas.

Au loin, j’entends une chanson qui sort d’un immeuble voisin, portée par le vent : c’est une radio posée sur le rebord d’une fenêtre. Le vent secoue la butte, s’engouffre entre les tombes, bouscule ... Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus, et tant aimés... Ils ont été trop clairsemés, je crois, le vent les a ôtés. Sous la morsure du vent, toutes les feuilles tombent.

Silence glacial. Le cimetière est complètement désert maintenant. Les cris des enfants se sont éteints. Il faut se rendre à l’évidence : je ne la trouverai pas aujourd’hui, la tombe. Il est tard, il fait trop froid, il faut partir. Je mesure de l’œil le circuit qui me ramènera à l’avenue Rachel et, par les étroites chaussées de terre qui encadrent les sépultures, je finis par rejoindre le chemin dallé. À la sortie du cime­tière, je le croise à nouveau . Le SDF. Je le suis du regard, de loin. Il s’éloigne dans sa veste élimée. Il est transpercé par le froid lui aussi. Il marche sur le trottoir d’un pas très lent et, au moment où il va traverser la rue Blanche, il manque de perdre l’équilibre, poussé dans le dos par un coup de vent et une brassée de feuilles mortes.

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Je rentre. Le petit studio rue d’Orchampt, en face du square, avec le bureau près de la fenêtre et la terrasse qui donne sur les arbres. C’est ici que je vis quand je suis à Paris.

J’allume l’ordinateur. Le petit rectangle de lumière apparaît. Internet, le grenier du monde : on s’y noie comme dans un gouffre ou on y plonge comme dans un coffre. Certains s’y enferment, d’autres s’y perdent, d’autres encore y meurent d’ennui. Internet, c’est la jungle. Quel­quefois, je l’explore toute la nuit. Mais ce soir, une fenêtre s’ouvre tout de suite, qui me brûle les yeux :

Tags : Disparition, Radio
06 janvier 2014
Disparition de François Christophe

Le monde de la radio est en deuil. Hommage par Yves Nilly, premier vice-président de la SACD.
François Christophe est décédé accidentellement, ainsi que sa fille Bahia, pendant les fêtes de fin d’année. François Christophe était au service des auteurs, des acteurs, de la création. Il était l’un des "nouveaux" réalisateurs de fiction à Radio France. Quarante-sept ans, ancien de la Fémis, bourré de talent, curieux, attachant, une belle personne, c’est ce que chacun se disait après avoir travaillé avec lui ou l’avoir simplement rencontré. En quelques années il a donné un souffle nouveau à la fiction radiophonique. Cela restera.

Ses récentes réalisations, l’adaptation en feuilleton de Millenium ou des Misérables sont impressionnantes. Venu de l’image il était naturellement un adepte du "film radiophonique", mais il aimait surtout jouer de la puissance évocatrice de la radio pour rassembler, brasser les genres et les gens, avec un rare souci et respect du public. Grands feuilletons, poésie avec Jean-Pierre Siméon ou "Nuits noires" sur France Inter, il y mettait toujours la même énergie et la même exigence.

Nous sommes très nombreux à être bouleversés par ce drame. Nos pensées vont à sa femme et à sa famille [1].

Je ne connais pas Yves Nilly, mais il résume bien la situa­tion. Bourré de talent, curieux, attachant... De l’énergie et de l’exigence... Oui, c’est François : une belle personne. Son portrait fidèle.

Et pourtant, il manque quelque chose : la part d’ombre de François, sa violence radicale et, en même temps, intrin­sèquement liée à cette dernière, la poésie qui le submer­geait de partout, ce pouvoir des profondeurs... Les gens ne savent pas : c’est tout un pays inconnu dont ils vont être privés. Il lui restait des choses à accomplir... non seulement des émissions de radio qui, transperçant l’air, traversaient l’espace pour venir cribler d’émotion les auditeurs de France Culture, mais peut-être encore des films, des documentaires comme il savait les faire. C’était une mine, un trésor. Ci-gît François. Oui, c’est un gisement. Littéralement.

Il faudrait agrandir, déplier, déployer tout le potentiel qu’il portait en lui. Au fond, chaque personne est comme un de ces rouleaux qui, depuis l’invention du papier en Chine au Ier siècle, se sont répandus dans tout l’Extrême­ Orient et que François aimait tant : les Huit Fleurs de Qian Xuan, la Biographie illustrée du moine itinérant lppen, le Sûtra illustré des Causes et des Effets ... Fleuve bleu de l’encre, dessins brochés d’or et d’argent, salve des idéogrammes : le rouleau François. Il faudrait prendre son temps, l’étendre sur une natte, puis patiemment le dérouler, section par sec­tion, comme si on commençait un voyage, comme si on se promenait dans un paysage. Alors, le vrai film de sa vie pourrait s’ouvrir et se diffuser sur cet écran de papier, avec ses zones d’ombre et sa lumière fauve, entre un liseré de jade et une baguette de bois, sur un revers tissé de soie.

(p. 28-29)

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Les aventuriers du son

[...] J’ai commencé ma nouvelle vie à Radio France. C’est le pont supérieur d’un paquebot rond. Première classe, l’air du large et un bel horizon dégagé. Je respire et je m’amuse.
Devoir faire une fiction par semaine ou presque, ça change d’un film tous les douze mois dans les périodes les plus fastes. Pas le temps de ratiociner, de s’angoisser... Il faut être créatif, vite, et penser déjà au texte suivant... Ce qui donne au tra­vail une légèreté que je n’avais jamais connue. C’est la cadence dans ce qu’elle peut avoir d’intéressant parce qu’elle demeure artisanale.

Une vita nuova, donc. Sur le « paquebot rond » de Radio France, peu à peu François se rouvre, il reprend confiance en lui, il découvre de nouveaux textes et respire à nouveau l’air du large : « Je lis, je lis, je lis : je lis du matin jusqu’au soir et je lis toute la nuit. » Surtout, il y rencontre aussi des personnes formidables. Ingénieurs, chefs opérateurs, tech­niciens, toute une escouade artistique et technique dédiée aux métiers du son et sur laquelle il pourra compter.

C’est le monde quasi invisible de la radio, le peuple perché des antennes et le fin gibier des studios, tous les esprits animaux qui transforment le bruit en son : grâce à lui, François va vivre les moments les plus heureux de sa vie de créateur. Cela s’appelle la « réalisation sonore » : une fabrique concrète en même temps qu’un couronnement, un véritable accomplissement par le son.

À Lakanal déjà, François écoutait la radio toute la nuit, en alternance avec les Suites de Bach qu’il se passait en boucle toute la journée. Dans la chambre voisine, j’entendais très distinctement toute la journée la sarabande des trilles, et toute la nuit le grésillement des ondes. La radio était juste à côté du lit, il dormait littéralement le transistor collé à l’oreille, il s’enroulait dans les volutes du sommeil en même temps que dans celles du son. À Radio France, il va pouvoir donner libre cours comme jamais à sa passion.

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Il faut rendre hommage aux hommes de radio, ces aven­turiers du son. Dans des pièces froides, aux murs nus, ils font retentir les timbres et naître les couleurs. Au début, il n’y a rien : une table ronde, des chaises, des micros. Quelques instruments de musique, une batterie, un vieux clavecin. Un gobelet de thé, une bouteille d’eau. Les murs sont tapissés de plaques de bois, pour l’acoustique. On voit des casques qui traînent, des anoraks sur les dossiers. Posé sur la table, un simple feutre blanc coiffé d’un capuchon noir.

Des gens sont autour d’une table, en train de lire, cha­cun pour soi et pourtant tous ensemble. Ils lisent, ils posent leur voix, ils la cherchent, ils la placent ... Des gens sont en train de lire autour d’une table et c’est très beau.

Au-dessus des têtes et des épaules voûtées par la recherche de l’intonation la plus juste, des perches se tendent comme des bambous qui déchirent l’espace ; à leur extrémité, les gros yeux noirs des micros qui semblent voir partout. Alors, au milieu des fils, des câbles, des cordons, des sacs jetés en vrac et des empilements de sièges, un étrange phénomène s’opère : les aventuriers sont disposés en cercle, comme pour un concile, et le miracle se produit. Ils ouvrent le monde par le son.

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La transposition à la radio de textes littéraires est un immense continent méconnu. Elle est l’œuvre de quelques fous qui, au règne planétaire de l’image, répondent par une guérilla verbale et sonore, et nous invitent à leur suite à quelques incursions violentes et aimables dans le monde des ondes. Ils portent un nom merveilleux, techniciens et artistes : ce sont les « metteurs en ondes ».

Ils sont invisibles, ils ne passent pas à la télévision, on ne les voit jamais sur les écrans. Ils ne font pas partie d’un staff, d’une team, d’un squad, mais forment de petites équipes mobiles et soudées, pour lesquelles l’écoute est primordiale et l’entente la ligne d’horizon. Ils n’ont pas de baseline et ne font pas de conf call : quand ils se rencontrent, c’est autour d’une table. Ils ne font pas de brainstorming, ils se concertent. Ils sont simultanément leur front office, leur middle office et leur back office, passant de l’un à l’autre en quelques mètres, par la voix, aussi facilement que s’il s’agissait de boire un verre d’eau. Ils ne sont pas très must have et encore moins insight, et la radio est leur vie et non pas un « support de communication ». Enfin, ils ont une manière bien à eux de créer et un savoir-faire spécifique : ils ’y connaissent en signaux sonores, en courants électriques, en membranes sensibles et en plaques magnétiques, en pupitres et en pistes, en consoles numériques. Le nec plus ultra : ils savent exactement où placer un micro.

Ce n’est pas pour rien qu’on parle de prise de son : quelque chose vibre dans l’air et il faut savoir l’attraper. Le capturer mais aussi le relâcher. L’empoigner mais aussi le déployer. Le circonscrire mais aussi le libérer. Le faire déferler. La radio est un hold-up, un cambriolage. C’est l’art de la prise.

Un texte, des voix, c’est tout. Et un endroit aussi bien qu’une technique — certains disent même un esprit — qui les relie : la radio.

Il y a un savoir du son, une gigantesque encyclopédie portative qui se niche entre les bronches et les poumons. C’est un trésor interne, un dépôt ancestral, d’âge en âge accumulé. Il y a aussi le réservoir illimité des bruits de la nature, le stock, il s’agit d’y être sensible puis de savoir l’uti­liser. Ici, l’inventivité des génies du son est sans limites : on joue sur les tissus, les étoffes, les textiles, les textures. Le son peut tout faire, il suffit de savoir le manier. Avec une vitre et des éponges, on fait naître l’impression de voitures qui arrivent très vite, qui dérapent — la magie passe. Le danger, la peur ? C’est une large feuille d’acier qui tremble. Avec un seau d’eau et une corde, on vous bricole un sauvetage. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent : comme en physique des particules, on se situe toujours aux marges de la connaissance la plus fine et de l’expérimentation la plus insensée.

Studio 110, avec des bouts de cordage, des tendeurs et des câbles, on improvise l’invisible. Tout, absolument tout, le monde du son peut tout recréer, bien au-delà du dicible. C’est l’immense pouvoir de la radio, sa suprématie bien­veillante, sa royauté omnisciente, l’univers tout entier à ses genoux, ciel, nuit, globe, sphères, galaxies, sous le sceptre fragile comme un roseau du micro.

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François travaille parfois seul, parfois en duo, en trio... Il peut aussi avoir sous sa direction quelques acteurs, jusqu’ à une cinquantaine pour une série. À la radio, les acteurs n’ont plus besoin de l’image, ils ne sont plus serrés sous son joug. Alors, ils peuvent se concentrer sur autre chose : le ténu, le fluet, le subtil, le vital. Le vrai. On en revient à ce qui est impalpable mais indispensable, élémentaire mais essentiel : l’attention portée à une césure, à une intonation, l’importance d’une respiration.

Détimbrer une phrase, l’étouffer. Placer une note là où elle doit l’être, savoir faire surgir une onomatopée. Une phrase, une seule, peut prendre des accents variés, des modulations si différentes que l’ensemble des significations en est tout d’un coup bouleversé.

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Pourtant, des fois, ça agrippe, ça bloque, ça achoppe. Les musiciens le savent : le son demande une extra­ordinaire capacité de concentration pour le reproduire à sa vraie mesure. La tête dans les mains, ou la bouche pincée, François est extraordinairement concentré. Il s’absente, il s’absorbe dans le lourd silence du son, dans le travail des voix, leur gésine profonde. La main sur le sourcil, toujours : le sourcil est l’indicateur de la pression, le baro­mètre de l’anxiété. C’est la ligne électrique de l’enregis­trement : il monte, il descend, il est inquiet, écorché. Il faut de la tension, une juste répartition des accents, une disposition équilibrée des pauses, une claire distribution des volumes ... Radio : chercher la justesse, tout le temps.
« Un poil plus. Un poil plus près encore », dit-il en se tri­turant le sourcil, bien sûr. Il a raison : tout se joue sur le fil du rasoir.

C’est un sprint sonore. Les prises se succèdent à une vitesse incroyable : on voit rarement des gens travailler à cette vitesse-là. Le studio est en ébullition.

L’effort est à son comble. Il faut diriger les comédiens, dire quand ça va, quand ça va moins bien, quand ça ne va pas. L’humour tient un rôle important. On joue avec la voix des gens : autant dire avec ce qu’ils ont en eux de plus profond, de plus intime, de plus précieux... de plus fragile aussi. La moindre maladresse peut faire tomber tout l’édifice de l’enregistrement. Une fausse note et la confiance s’en va, on tombe dans des déclamations moroses, ou empesées, ou surjouées. François donne des idées, des intuitions, des conseils, on sent qu’il est en empathie avec ses comédiens, qu’il les soutient autant qu’il les entraîne.

Avec leurs deux grosses boules noires perchées au bout de très longues tiges, les micros sont des têtes chercheuses. Des bêtes monstrueuses pour un résultat enchanté. Ils traquent le son, le souffle, mais à travers eux, la chose la plus difficile à capter : l’émotion.

La position du corps est très importante. Dans un stu­dio d’enregistrement, le moindre bruit prend une impor­tance inaccoutumée. Tout devient d’un coup très sensible, la température du corps, les fluides, les humeurs... On renifle et c’est toute une affaire. On se passe la main sur le nez ou dans les cheveux : le moindre geste prend une signi­fication insoupçonnée. C’est tout le grand ballet intérieur des particules qui se joue, qui se suggère, qui s’expectore.

La prise de son est une prise de sang, une transfusion fondamentale. Ça vient de très loin, ça remonte d’entre les siècles, du fond des âges. « Il faut le voir pour le croire », a-t-on coutume de dire. Non, il faut l’entendre pour le croire, et il faut le croire pour l’entendre, chaque son et chaque geste prend soudain une importance réversible. On comprend alors de quels rêves obscurs nous sommes faits, de quelle étoffe sensible, délicate, arachnéenne, nous sommes tissés.

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Enfin, il y a le montage. Si l’enregistrement est un sprint, le montage est un marathon. Le « metteur en ondes », comme l’écrivain, travaille sur une table : la table de montage. Il faut de la passion et de la patience. La variété des contenus doit correspondre à celle des traitements sonores. En fonction du lieu (intérieur, extérieur), des effets recher­chés, du rythme du texte, il va pourchasser le meilleur arrangement à travers l’infinie variété des réglages possibles. Les cellules de montage sont comme des cellules grises. C’est le travail même de l’intelligence.

Le choix de la musique sera bien sûr déterminant. Là, François peut s’en donner à cœur joie : luth, hautbois, piano, clavecin, flûte, et parfois même orchestre symphonique. Il crée un véritable organisme complexe de timbres et de tonalités, de paroles et de silences. C’est une lecture au sens le plus complet du terme.

Et puis tout disparaît, le son s’évanouit. Les comédiens rentrent chez eux, les techniciens rangent les câbles, les ingénieurs quittent le plateau. La jolie comédienne blonde remet son manteau et relève son col, tout le monde s’en va : l’émission se volatilise en attendant sa résurrection, bientôt par les ondes, partout dans le monde. On croirait presque que c’est un rêve, que rien n’est arrivé. On se retrouve seul, dans le calme et dans la nuit.

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Enregistrement : 15 jours.
Montage : 30 jours.
Mixage : 2 jours par épisode.
La plupart du temps entre 15 et 20 jours.
Il y a des accidents bien sûr, des problèmes, des impro­visations, mais pour que celles-ci puissent justement sur­venir, il faut que tout soit minuté, réglé comme du papier à musique. Quelquefois, on sort du studio, on va dans la rue, on devient l’oreille d’un parking, d’une rocade, d’un champ de blé. Alors, quand une scène est réussie, quand une ambiance passe, quand un texte respire sous la peau, par le rythme, par le corps, par la voix, quand la prise est parfaite, on peut entendre François se lever, enthousiaste : « On l’a ! On l’a, on l’a, on l’a ! C’est parfait ! »

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Hommage à la radio. La radio est une reine.
La radio a pratiquement sauvé la vie de François, elle lui a permis de se retrouver dans son rapport à l’art et dans ses relations avec les autres. Mais il le lui a rendu au centuple : ses réalisations radiophoniques sont le plus souvent vives, précises, enlevées. Certaines d’entre elles sont de petits bijoux d’écoute, des mosaïques vivantes où se retrouvent immédiatement son style, et sa voix parmi toutes les autres voix. Il a presque su créer un nouveau genre : le film sonore.

Mais en dehors de leur qualité intrinsèque, et de l’éven­tail toujours renouvelé des lectures qu’elles proposent, ce qui m’intéresse dans les œuvres radiophoniques de Fran­çois, c’est qu’elles révèlent un des points essentiels de notre amitié et, par-delà, je le crois, de toute amitié.

François était un homme d’écoute. Il savait ouvrir l’oreille, et c’est pourquoi il pouvait susciter l’affection la plus profonde. Car l’amitié n’est rien d’autre que cela : une écoute. C’est-à-dire l’ouverture à une pulsation, une vibra­tion. Ou pour le dire plus concrètement encore, une corde tendue entre les êtres, fragile, ténue, tenace, qui surmonte le vide et ne repose sur rien.

(p. 205-215)

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Michaël Ferrier : « Deux amis, c’est deux hexasyllabes qui se rencontrent »

L’Invité culture par Caroline Broué, 1er septembre 2018.

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Michaël Ferrier témoignait au micro de Caroline Broué que la radio avait "presque sauvé" son ami :

Il avait commencé par le cinéma. Il a fait une grande école de cinéma, La Fémis, et il a fait de très beaux films. Il y en a un qui s’appelle Thierry, portrait d’un absent — le titre de mon livre y fait directement référence — qui est un film bouleversant sur un SDF, Thierry, qui zonait dans le quartier des halles à Paris, et un peu partout... Après il avait été un peu déçu par le cinéma car il y a un tas de considérations économiques un peu extra-esthétiques, et donc il s’était tourné vers la radio où il a fait un début de carrière extraordinaire. Il n’avait pas oublié le cinéma, je pense qu’il y serait revenu un jour ou l’autre, mais la radio lui a ouvert quelque chose et lui même a apporté beaucoup de choses à l’adaptation radiophonique, j’allais presque dire radiographique, tellement François avait une espèce de pouvoir de scan des œuvres littéraires.

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Le tournage de Millenium

La preuve par le son.

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La preuve en images.

En 2011, France Culture adaptait le premier tome de la trilogie Millénium, de Stieg Larsson, en feuilleton radiophonique. Résultat : un succès dépassant toutes les espérances de la chaîne, générant plus de 240 000 téléchargements en podcast. La station récidive pour le deuxième volume, avec la même équipe aux commandes. Nous nous sommes glissés dans les coulisses de l’enregistrement de ce véritable film sonore, réalisé par François Christophe. (Télérama)

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L’homme qui faisait du bruit. Visite guidée du studio 114 de la Maison Ronde en compagnie de Patrick Martinache, bruiteur.

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LECTURES

François, portrait d’un absent

« Ça arrive comme une vague.

Cette nuit-là, j’ai compris ce qu’était une voix blanche. La voix de Jérôme était blanche.

Maintenant, les souvenirs affluent. Ça arrive comme une vague ».

C’est une vague qui emporte François et sa fille Bahia, ce jeudi 26 décembre d’une année qui n’existe plus, sur une plage de l’île de La Graciosa aux Canaries. Une vague venue de loin, invisible, va harponner François et sa fille, une vague silencieuse qui donne le jour à un livre inspiré et profond. François, portrait d’un absent oscille entre le roman et le récit, dans le battement au cœur du souvenir, des souvenirs partagés. Des souvenirs comme des apparitions, qui se glissent avec grâce dans le livre, avec cet art unique de faire apparaître les disparus, de consacrer une présence, de rendre à la vie ceux qui s’en sont absentés. François, portrait d’un absent, comme une vague fait surgir le passé commun des deux amis, leurs quatre cents coups, les années lycée, leur densité poétique, les années où se mêlent musiques et ivresses, un œil sur Monk, et une oreille à l’écoute de Leonhardt, des musiciens poètes, l’un danse, l’autre s’envole, ce sont deux oiseaux musiciens aimés de la beauté, comme l’était François.

« Les amis sont des pierreries, des joailleries : on les perd de vue, on les oublie, on ne sait même plus où on les a rangés, et puis un jour ils ressortent du coffre et le miracle à nouveau se produit ».

François, portrait d’un absent, cinéphile et cinéaste, est une plongée dans les années fastes, où dans certains cinémas nos deux amis peuvent tout voir au Studio Bertrand à Paris : Au milieu de l’après-midi, c’est La Charge héroïque : on part à la chasse avec le comte Zaroff et les vampires de Feuillade. Le soir, on croise des yeux sans visage : Un condamné à mort s’est échappé ! Sueurs froides… Gary Grant nous regarde et nous dit : « Tout le monde veut être Gary Grant. Même moi, je veux être Gary Grant ».

François, fort de ce savoir, de ces immersions et de ces passions, deviendra cinéaste. Un film présage de ce livre, Thierry, portrait d’un absent, tourne en boucle, un documentaire qui saisit la vie qui tremble et qui chute, un film qui irrigue l’écriture de Michaël Ferrier, l’histoire d’un homme qui va au bout de ses forces, d’un jeune homme perdu, oublié, à la rue. Puis le Japon viendra illuminer la vie de Michaël Ferrier, il y est toujours, et un temps, en écho, celle de son ami. Le Japon ce grand pays de la disparition. Celui de Tanizaki, de la mer Intérieure (qui donnerait un beau nom à un futur roman), de Mizoguchi – Quand Mizoguchi filme, on dirait qu’il ne filme pas –, Tokyo – la ville des bars qui sont à la fois des retraites et des refuges, des tanières et des sanctuaires –, puis un projet commun qui se transformera en brouille, un brouillard, une confusion, une nuée.

« La mer, cette prodigieuse masse d’eau… Mais où est la ligne clignotante du rivage, le détroit tout à coup a changé de face. Que peux-tu faire contre la mer ? Il faudrait que la houle s’apaise, il faudrait qu’un bateau vienne. Mais la mer a tout son temps, c’est une immense patience d’eau, de sel et d’algues, un appareil à regarder le temps ».

Michaël Ferrier n’a pas voulu écrire un tombeau poétique ou une oraison funèbre pour son ami disparu, mais une longue et belle évocation de leurs années communes. Le portrait d’une jeunesse sacrée,d’un courant d’air, d’un cinéaste, d’un mélomane, d’un homme de radio – les pages consacrées à la radio et à ceux qui l’inventent dans les studios de France Culture sont splendides –, d’un ami retrouvé. Son écriture est une excavatrice et une motrice, elle repère loin sous les mots les pépites de feu, la vie, la mort, le sexe, temps [2], elle sait, magie blanche de l’écrivain (comme le deuil au Japon), (re)donner vie à la vie, faire apparaître en une phrase ceux que l’on pensait disparus. L’écriture de Michaël Ferrier possède l’art de nous faire voir et entendre la merveilleuse mémoire retrouvée.

Philippe Chauché, La Cause littéraire.

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Il est des livres dont les premiers mots font l’effet d’un coup de poing. Celui-ci commence par la mort d’un homme, François Christophe, et de sa fille Bahia. Une mort accidentelle, absurde, injuste, à l’autre bout du monde. Une mort qui laisse d’abord Michaël­ Ferrier sans voix. Mais qui avec le temps se transformera en un hommage littéraire, extrait après le deuil.

Il raconte une amitié entre deux hommes, commencée dans les couloirs de l’internat du Lycée Lakanal, à Sceaux, et retrace le parcours d’un homme, réalisateur de cinéma devenu l’un des artisans des fictions à Radio France. Un homme que rien ne comblait tout à fait, toujours tenaillé par la soif de connaître, alimentant une insatiable curiosité.

« La mémoire est nomade, elle suit les chemins qu’elle veut »

Il y a le récit des quatre cents coups dans le lycée huppé, la découverte des villes japonaises, les premiers pas en Afrique, à travers des années passées au Sénégal, les débats sans fin sur le cinéma. Michael Ferrier nous entraîne sur les traces de François, comme dans la rue Sambre-et-Meuse, dans le 10e arrondissement de Paris, où il habitait.

« Alors que je ne pensais trouver que la tristesse, le regret, la mélancolie qui s’attachent si souvent aux fantômes du passé, je suis happé par les bruits de printemps, l’odeur des Lilas, les rayons de soleil qui jouent sur ma main et suffisent à refermer le frigidaire de la nostalgie, à me repousser plus loin. La mémoire est nomade, elle suit les chemins qu’elle veut. »

L’écriture de Michaël Ferrier, dont on connaît la sensibilité [3], se déploie comme l’exutoire nécessaire, le baume qu’il fallait étendre sur sa plaie d’homme en deuil. Dans ses mots, l’admiration et le respect se mêlent à l’infini regret, et ils font lever la tête pour regarder avec lui l’ami disparu, l’homme qu’il fut, le lien qui unit les deux hommes.

Un espace intense, mais fragile

Au-delà du portrait, ce récit sincère et juste est plus encore une tentative de définition de l’amitié, une volonté de saisir « ce qui nous lie  ». L’amitié, écrivait Pétrarque, existe d’abord à deux, elle est cet « espace illimité, perpétuellement décentré, dans lequel règnent le silence et le rire, et où le temps paraît à la fois s’arrêter et se multiplier ».

Un espace intense, mais aussi fragile, comme l’illustre la brouille de deux ans qui viendra assombrir l’amitié entre les deux hommes. « L’amitié ne se nourrit pas de fusion  : elle s’élabore avec la distance. Contrairement à la vision convenue d’une force irrésistible, bien boulonnée et définitivement verrouillée, l’amitié est une certaine relation réglée et fragile. »

Tissé de mots sensibles et puissants, justes et imagés, François, portrait d’un absent mêle l’amour au tragique, sans jamais plonger dans le sordide ou le voyeurisme. Si bien qu’en refermant ces pages, doucement, on garde le silence, au terme d’un grand livre.

Loup Besmond de Senneville, La Croix.

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Michaël Ferrier et l’ami prodigieux

Dans "François, portrait d’un absent", le romancier fait revivre son meilleur ami disparu. Un livre solaire.

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Francesca Mantovani - gallimard.fr

Par Jérôme Garcin

Ils s’étaient rencontrés en khâgne, au lycée Lakanal de Sceaux, cette « splendide ruche champêtre ». Tous deux internes, ils avaient fait les 400 coups, expérimenté la littérature stupéfiante, le jazz ensorcelant, les alcools envoûtants, les herbes hallucinogènes et préparé le concours de Normale Sup, que l’un avait réussi, l’autre pas. Même quand leurs chemins avaient divergé et les mers les avaient séparés, ils ne s’étaient jamais quittés.

Le docteur ès lettres Michaël Ferrier était parti vivre au Japon, qui lui avait inspiré de très beaux livres et une manière, paisible, méditative, philosophique, d’être au monde, d’en trouver « l’angle ». François Christophe, cet esprit intranquille, ancien de la Fémis, théoricien de « la voix sèche », partisan du Dogme 95 et assistant d’Alain Cavalier sur « Libera me », était finalement entré à Radio-France, où il réalisait des fictions, c’est-à-dire des films sans images.

C’était, pour lui, la meilleure façon de se dédommager d’avoir perdu ses illusions dans le cinéma – il ne gardait foi qu’en celui de Bresson. Michaël avait écrit sur la chanson chez Céline et sur le désastre de Fukushima, cet enfer dantesque. François, avant de mettre en ondes « les Misérables », avait suivi avec sa caméra l’errance rimbaldienne d’un jeune zonard, Thierry, jusqu’à sa mort, d’une overdose.

Sans larmes ni colère

Ensemble, ces adeptes de Monk et de Leonhardt, qui pensaient avec Matteo Ricci que deux amis vivant en harmonie créent toujours une musique, avaient rêvé de faire un film à quatre mains, « Dans l’œil du chat ». Mais le projet ne vit jamais le jour et fut l’occasion d’une brouille de deux ans – la seule qui ombra leur longue amitié. Elle se serait poursuivie, enrichie et accomplie si, le 26 décembre 2013, au large des Canaries, sur la bien nommée île de La Graciosa, François Christophe, 47 ans, et sa petite fille Bahia n’avaient été emportés par une vague assassine.

Avec une nipponne équanimité, sans larmes ni colère, et dans un style qui emprunte à Montaigne et à Kawabata, Michaël Ferrier fait revivre son cher disparu comme s’il cherchait à le rejoindre, à se glisser à nouveau dans le bain public du bateau qui, une nuit, les conduisit, heureux, d’Osaka à Beppu – « nous voguons de conserve, un verre de saké à la main ».

Un livre solaire et amniotique sur l’amitié, dont, après qu’un destin accidentel l’eut brisée, l’auteur joue admirablement les prolongations. Lorsque Truffaut disparut, Godard déclara : « François est peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas ? » Dans ce « Portrait d’un absent », écrit à Tokyo, où l’aube a une couleur de lilas et de marbre, il n’y a aucune différence.

Jérôme Garcin, Bibliobs, 24 août.


Post lectum

Un livre, un roman, vous touche — d’autant plus — quand il vous renvoie à votre propre vie... et à des morts qui vous ont laissé avec votre chagrin. C’est la force de la fiction. C’est la force du style. Il se trouve que, la même année 2013, six mois plus tôt, j’ai, moi aussi, perdu un ami. Prénom : François. François Vergne. Je le connaissais depuis 1964. Nous nous sommes connus en classe préparatoire (HK1). Ce n’était pas au lycée Lakanal, mais à Louis-le-Grand. Nous étions internes. L’internat de Louis-le-Grand était alors composé de box individuels assez rudimentaires. François avait le sien au bout du dortoir, deux fois plus grand que les autres. Le soir, nous nous y retrouvions à trois ou quatre et lisions tard dans la nuit — qui était courte (rarement les livres au programme). Peu d’alcool, mais beaucoup de café. Pas de drogue, pas de hasch, mais beaucoup de tabac (nous laissions quelques paumés, isolés, s’enivrer tristement à l’éther).
Quoique internes, nous disposions d’une grande liberté et d’un "surgé" bienveillant (qui répondait au nom de Berger). Au printemps 1965, François et moi avons dû voir une cinquantaine de films dans le quartier latin (et séché quelques cours que nous jugions barbants) ! Nous étions à la première séance lors de la ressortie du chef-d’oeuvre de Jean Renoir, La règle du jeu, rue Champollion, Studio Médicis. Bande à part. Nous descendions souvent le Boul’ Mich’ au pas cadencé, l’air idiot et hilares, en chantant C’est moi Laurel, c’est toi Hardy, moi j’ai maigri et toi t’as grossi, sous l’oeil amusé des passants... Mais aucun de nous deux n’était bien épais.
François et moi nous sommes vus pendant cinquante ans. Nous n’avions pas toujours les mêmes lectures (il avait toute la collection des séries noires, qui me tombaient des mains), mais nous aimions le même cinéma (plutôt le cinéma américain, hitchcoco-hawksien), les mêmes films (rarement les films français sauf, évidemment, ceux de Renoir) et la même musique (divergence cependant : si François aimait la musique baroque, il n’aimait pas ceux qu’il appelait « les baroqueux »). Lors de ses obsèques, nous écouterons un morceau qu’il appréciait : Le Concert de Cologne de Keith Jarret...

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Nous nous écrivions peu, je lui téléphonais (pas toujours) juste avant de descendre à Paris — souvent à l’improviste — où il avait un petit appartement bourré de livres rue de l’Amiral Mouchez dans le 13e (j’en possédais une clé) ou lors des vacances que nous passions souvent ensemble en Corrèze où il était né, les dernières années sur les bords de la Dordogne, à Beaulieu où il pensait avoir trouvé la formule. Aucune brouille. Une longue conversation et beaucoup de silences (il était plus bavard que moi), ponctués d’irrésistibles fous-rires.
François est mort en juin 2013 emporté par le cancer (vice commun : le cigare qu’il fumait trop, La Paz, 100% tabac, après avoir essayé toutes les marques ; jamais de cigarettes, trop compulsives). Le jour de ses obsèques, à Tulle, j’ai dit à un ami : tu te souviens du mot de Montaigne ? Plus tard, dans ma voiture, son épouse m’a demandé ce qu’avait dit Montaigne. — Parce que c’était lui, parce que c’était moi. On ne le dit pas deux fois. De retour sur Reims quelques jours plus tard, ma vue déclina. Le 1er juillet, on m’opérait, en urgence, d’un décollement de la rétine (oeil gauche). Opération réussie.
J’ai achevé la lecture du livre de Michaël Ferrier le dimanche 19 août. Dans la nuit qui suivit, j’ai fait un rêve : j’errais seul à Paris, sur les quais, près de La Concorde, du côté des Tuileries (?) quand un improbable tsunami (à Paris !) emporta tout (souvenirs mêlés du dernier chapitre de François, portrait d’un absent et de Fukushima, récit d’un désastre ? Le tsunami ressemblait à celui de Hereafter, le film étrange et bancal de Clint Eastwood). Je m’accrochai à un pylône ou à un réverbère, au pied de celui-ci une femme que je n’ai pu identifier, une inconnue, se noyait, je l’attrapai par la main. La « vague » ne nous a pas emportés. Peu après, nous étions réfugiés (la femme et moi) dans une sorte d’entrepôt. Nouvelle vague. C’est alors que j’ai dit : Tout ira bien. Notre heure n’est pas venue. Et je me suis réveillé, bizarrement calme. Il était 5 heure du matin. J’ai embrassé l’aube d’été.

A.G.


Au 2éme rang, 5ème en partant de la gauche : Omar Diop (jouera dans La Chinoise de Godard) ; 7ème : François.
Au 3ème rang, 7ème : moi-même. J’ai oublié la plupart des autres "polars" que je n’ai jamais revus.

Zoom : cliquez sur l’image.
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PS : L’an dernier, avec l’immense pouvoir qui est le mien, j’avais promis le Goncourt à Yannick Haenel. Il a eu le Médicis. Cette année, si Jonathan Littell n’obtient pas un deuxième Goncourt pour sa nouvelle version d’Une vieille histoire, chef-d’oeuvre de précision et de fluidité, pourquoi pas Michaël Ferrier pour François, portrait d’un absent ? A moins que le consensus républicain ne se fasse autour du Lambeau de Philippe Lançon (mon article sur Pileface porte le n° 1968, bon signe). Parmi les 567 romans de cette rentrée littéraire, combien de livres inutiles ?


[1Cf. Yves Nilly, SACD, 6 janvier 2014.

[3Professeur à l’université Chuo de Tokyo, il a publié plusieurs récits, romans et essais, croisant notamment son attrait pour la culture japonaise avec d’autres cultures, et menant une réflexion sur la mémoire et l’histoire.

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4 Messages

  • Viktor Kirtov | 8 novembre 2018 - 13:01 1

    Antoine Oury - 08.11.2018
    Actuallite.com

    Les palmarès des prix de la rentrée littéraire se succèdent : le Prix Décembre 2018 a ainsi été décerné à Michaël Ferrier pour son livre François, portrait d’un absent, publié par les éditions L’Infini/Gallimard. Le lauréat faisait face à deux autres auteurs au sein de la sélection finale du jury, Élisabeth de Fontenay et Francesco Rapazzini.

    Le jury du Prix Décembre, présidé par Cécile Guilbert et composé de Laure Adler, Michel Crépu, Charles Dantzig, Arnaud Vivian, Dominique Noguez, Patricia Martin et Amélie Nothomb, a donc élu le lauréat de cette rentrée 2018.

    Le résumé de l’éditeur pour François, portrait d’un absent  :

    L’hiver de Tokyo est toujours sec et froid : il ne te protègera pas. Le téléphone sonne. La mort surgit souvent ainsi, en pleine nuit. C’est un hurlement, ou un appel. L’écran lumineux m’indique que c’est Jérôme et que l’appel vient de Paris, mais la voix au bout du fil semble n’appartenir à personne et n’être reliée à rien. Elle est étrange, cette voix, elle n’est pas tout à fait calme, elle garde son calme, ce qui n’est pas la même chose. Elle est aux prises avec quelque chose d’immense et de profond - quelque chose comme une lame de fond. Alors, Jérôme m’annonce la nouvelle. Il me l’annonce doucement, presque délicatement, comme s’il recouvrait un corps, comme s’il dépliait un drap : François est mort cette nuit, il est mort noyé, dans la mer qui borde l’île de la Graciosa, au large des Canaries. Et puis l’autre nouvelle, dans la foulée, la même, une autre, je ne sais plus. Car il y a pire, si c’est possible : François n’est pas mort seul, sa petite fille, Bahia, est morte avec lui. Tous les deux emportés, engloutis par la vague - Sylvia restée seule, abandonnée, sur le rivage. Ça arrive comme une vague. " Une voix blanche, surgie au milieu de la nuit, annonce à Michaël Ferrier la mort de son ami François et de sa fille Bahia.

    Le Prix Décembre est doté à hauteur de 20.000 € par le « truchement du musée Yves Saint Laurent par la fondation Pierre Bergé ».

    Crédit : Actuallite.com


  • Albert Gauvin | 7 septembre 2018 - 00:29 2

    Parce que c’était François Christophe

    Avec « François, portrait d’un absent », l’écrivain Michaël Ferrier livre le récit admirable d’une amitié brutalement interrompue.


    ICHIRO BANNO AP.
    Zoom : cliquez sur l’image.
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    Au fil de la quinzaine de chapitres (en fait quatorze, un préambule, une ouverture et une coda) qui composent François, portrait d’un absent, ce n’est ni vraiment une biographie, ni tout à fait un récit, ni même un tombeau, qui se dégage, mais plutôt une musique. Un rythme, des thèmes qui reviennent, une atmosphère, plusieurs mouvements. C’est dans le silence, pourtant, dans la blancheur de l’hiver et du gypse, que naît le livre, à la fin de l’année 2013, quand un coup de fil surprend Michaël Ferrier au milieu de la nuit tokyoïte (il vit au Japon) pour lui annoncer la mort accidentelle de son ami François Christophe. Quelque 240 pages et quelques années plus tard, la voix de l’ami abandonné s’éteint dans une éruption de blancs divers et contradictoires. Des blancs lugubres, ravis et énervés. Des blancs jeunes, des blancs tristes, des blancs seuls – une lumière. Car «  le blanc n’est même pas une couleur, c’est la condition de toute couleur, la lumière personnifiée », peut-on lire dans les toutes dernières pages de ce livre admirablement aérien et fragile, chronique d’une amitié trop tôt interrompue.

    Bribes d’autoportrait

    Depuis Mémoires d’outre-mer (Gallimard, prix Franz Hessel 2015), la production littéraire de Michaël Ferrier semble prendre un tour plus personnel. Une certaine distance aussi avec le Japon, point de départ de la plupart de ses précédents livres. En réalité, une main pour le bord, une main pour soi, notamment depuis Sympathie pour le fantôme (Gallimard, 2010), il compose une œuvre de traverse, à cheval entre l’ici et l’ailleurs, l’un et l’autre, hantée par la disparition et la mémoire, traversée par des thèmes musicaux et des scènes de cinéma. Une vibration en entraîne une autre, une note est émise parce qu’une précédente résonne, fondu au noir, fondu au blanc, une scène s’enchaîne à la suivante. Ce livre ne fait pas exception, de l’internat du lycée Lakanal au Japon, de la trajectoire artistique heurtée de François Christophe, réalisateur de cinéma puis de fictions radiophoniques, à des anecdotes et des souvenirs plus intimes d’où émergent, en creux, des bribes d’autoportrait.

    Au titre des évitements et des délicieuses échappées typiques de son écriture, on signalera notamment ces pages nombreuses et éparpillées dans ce récit où Michaël Ferrier dit l’amitié sans jamais en faire ni un traité ni l’éloge. L’amitié ne s’écrit pas, elle se raconte, semble finalement démontrer François, portrait d’un absent au gré des saynètes et des digressions – surtout elle se raconte à deux, ce que ce livre donne miraculeusement l’impression de faire jusqu’à son titre (qui est un emprunt au titre d’un film documentaire de François Christophe, justement). Et c’est en s’estompant, parfois presque en s’absentant, que l’ami qui reste fait une place à l’ami qui est parti, qu’il l’accompagne, qu’il lutte contre l’oubli, «  cette seconde mort », «  le vrai tombeau », dont la littérature pourrait être l’antidote.

    Le temps partagé

    Car des ténèbres, celle-ci sait extraire la lumière, l’aura qui entoure un être aimé, sa présence, celle qu’il laisse derrière lui et qui subsiste. Ainsi en va-t-il de François Christophe, auquel Michaël Ferrier trouve une remarquable épithète homérique, « François à la fenêtre », pour dire son énergie, sa curiosité, sa façon d’être sur le pont, penché, à moitié dehors, à moitié dedans. Pour dire son corps, également, car la manière dont l’ami décrit le corps de l’ami (précise, photographique, matérielle, comme un sculpteur malaxant l’argile) dit très justement le temps partagé, un regard, une persistance, une attention.

    « Prends garde aux dragons du fond de l’eau », écrit un poète chinois du VIIIe siècle (après un rêve prémonitoire) en pensant à son ami Li Bai, un autre poète – qui mourra noyé, ivre, pour avoir tenté d’attraper le reflet de la lune dans l’eau. Ce vers, Michaël Ferrier n’a jamais eu l’occasion de le dire à François, emporté avec sa fille par une vague violente sur un rivage de l’île de la Graciosa, dans les Canaries.

    Bien entendu, à la fin de ce livre, le lecteur aura certainement cette impression qu’il n’est pas besoin de trop disserter sur les mérites littéraires (évidents) de François, portrait d’un absent, tant sa délicatesse et sa sincérité semblent repousser tout commentaire. Néanmoins, dans la musique des souvenirs, dans l’équilibre ténu de ce livre, dans l’ondulation des « particules blanches sur fond blanc », il faut le dire, il y a bien l’écriture réussie d’un mystère et d’une joie : l’amitié. Comme si, au bout du compte, l’essentiel n’était pas dans ce qu’on raconte d’un ami mais dans le ton et les modulations de la voix de celui qui en fait le portrait.

    Nils C. Ahl (Collaborateur du « Monde des livres ») LE MONDE, 06.09.2018


  • Albert Gauvin | 1er septembre 2018 - 14:20 3

    Michaël Ferrier : "deux amis, c’est deux hexasyllabes qui se rencontrent".

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    Je voulais que ce livre soit aussi grave que la marbre et aussi léger que le ciel. Avec les réseaux sociaux, la notion d’amitié s’est un peu diluée voire dégradée.


    France Culture, L’Invité culture par Caroline Broué


  • Albert Gauvin | 30 août 2018 - 00:42 4

    Ne serait-ce que l’ombre, une amitié, par Michaël Ferrier, écrivain

    Il fait beau ce jour-là sur l’île de La Graciosa, dans les Canaries, la mer est calme.

    Pourtant, bientôt, une vague inexplicable emportera l’ami, François, et sa petite fille, Bahia, qui se promenaient là paisiblement.

    C’est la fin d’un monde, et le début d’un livre quelques années plus tard pour sauver de l’engloutissement par le temps des noms, des êtres aimés, un ami.

    La littérature a ce pouvoir de métamorphoser l’absence en voix, en visages, en histoires singulières. [...]

    LIRE LA SUITE SUR LE BLOG DE FABIEN RIBERY.