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Technologie chinoise : Nombres, 1968

D 3 juillet 2006     A par Viktor Kirtov - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Poursuite de l’exploration de la période expérimentale de Sollers avec Nombres. Ce texte prolonge sa réflexion sur la problématique du sujet, du sens, de la remontée à l’origine de ses origines... Réflexion commencée avec Drame (1965).

Texte difficile mais dont la structure démontée avec l’aide de Philippe Forest révèle une mécanique sollersienne, petite merveille de précision. Texte découpé en cycles successifs de quatre séquences numérotées selon un principe original : moteur rotatif à quatre temps ! Energie "numérique" renouvelable non polluante. A l’infini... Technologie chinoise...

Expérimentation, grandeur nature ! Attachez vos ceintures !
Extraits, analyse et commentaires :

Exergue

Seminaque innumero numero summaque profunda

Le début

Séquence 1

1.... le papier brûlait, et il était question de toutes les choses dessinées et peintes projetées là de façon régulièrement déformée, tandis qu’une phrase parlait : « voici la face extérieure ». Devant le regard ou plutôt comme se retirant de lui : cette page ou surface de bois brunie s’enroulant consumée. Grand espace échappant déjà aux mesures. Grand objet plaqué et défait. Traits et couleurs se retrouvant dans la cendre, et il s’agissait d’un départ qui nous laissait sans passé, on aurait pu dire : sans corps, sans défense, brisés —

Séquences 4.96 et 1.97


ZOOM... : Cliquez l’image.

[...] « La mort est une énergie intrinsèque, un état qui fait crouler l’être qui l’a atteint » / ... Je continuais ainsi le travail en apparence absent, inutile, accumulant les distances, les recoupements, « l’entrelacement des différents temps » ... « Comment la seule formule logique du mouvement, de la succession, du temps, pourrait-elle expliquer le corps de la société dans laquelle tous les rapports coexistent simultanément et se supportent les uns les autres ? » / « Un miroir n’est pas une source » / « tel est le pouvoir des lettres par le seul changement de leur ordre » / « tout changement qui fait sortir un corps de ses limites amène aussitôt la mort de ce qu’il était antérieurement » / ... La fin du trajet s’annonçait, cependant, et c’était comme si le développement était rattrapé par son commencement présent et absent dans chaque trait de son mouvement par conséquent enroulé sur lui-même tout en s’annulant rendant tout plus grand, plus intense — d’instant est un glaive qui tranche » transformant l’entrecroisement des veines, le sang

Séquence 4.96

4.96. (tout se recomposant ainsi depuis le début situé désormais dans un plan oblique, l’intérieur suspendu et perdu de vue, séparé de vous par un renouvellement que d’autres penseront pour vous et à votre place, une matière, un poids, une usure, un but. .. « Ainsi chaque progrès dans les déterminations, dans la mesure où il s’éloigne du commencement indéterminé, est aussi un retour vers lui, et par là ce qui apparaît d’abord comme différent — l’approfondissement régressif du commencement et le progrès des déterminations nouvelles —, coïncident et sont identiques » / « L’entité reliant le nombre à la sensation, c’est le nombre en tant que ton, qui seul crée le trait d’union, le pont entre la pensée et la sensation » / « il vole, et pourtant il est immobile ; il prend son essor, mais il n’y a pas de distance ; il se rapproche, mais il n’y a pas d’intervalle » / « Lorsqu’il a oublié son propre moi, et lorsqu’il a oublié même son oubli, c’est ce qu’on appelle l’annihilation de l’annihilation » / ... Oubli qui passe par le non-oubli, comme la non-vue se ramasse et passe à travers la vue, et ceci afin de ne pas revenir au point de départ - « oublier ses débuts, c’est revenir à ses débuts » -, de même qu’il ne s’agit plus d’un cercle ou d’une spirale, mais de cette expansion où il n’y a rien de perdu ou d’interrompu ... Ici, tout a lieu de façon plus vaste, ce qui apparaît, ce qui disparaît, ne doit pas vous faire penser à ce qui est apparu, venu, revenu ... Le corps vivant et parlant, ses membres, ses veines, son crâne pris dans la multiplication et l’annulation ... La fuite des constellations, les noyaux, les cellules en cours de transformation... Le monde qui leur est lié, sa fonction, sa répétition ... Le texte constitué et inépuisable, se ruinant et tombant dans sa propre action ... « Après une longue accumulation, les choses se révèlent soudainement dans leur inter-relation » /

Séquence 1.97

1.97.... et ainsi le papier brûlait, et il était question de toutes les choses dessinées et peintes projetées là de façon régulièrement déformée tandis qu’une phrase parlait : « voici la face extérieure » / Devant le regard ou plutôt comme se retirant de lui : cette page ou surface de bois brunie s’enroulant consumée / Grand espace échappant déjà aux mesures / Grand objet plaqué et défait / Il y avait ainsi ce volume coupé désormais retourné et caché et on pouvait dire que tout montait de lui pour se rappeler et s’étendre, pour se répéter, se renverser, se nouer, se rencontrer et se disperser ... « C’est écrit / encore une fois / vide » / / « Unir son corps à son coeur, son coeur à son souffle, son souffle à sa puissance vitale, et le tout au total indéterminé » / ... « Il est donc évident que la matière et le vide s’entremêlent et se distribuent alternativement, puisque le monde n’est ni tout à fait plein ni tout à fait vide » / ... Nous étions par conséquent dans cette masse en pleine surface, en train de descendre dans l’ébranlement — nuques, air, mains, sexes, acier — et rien n’avait jamais été à craindre, et les traces étaient

La Fin

Séquence 4.100

4.100. (« Quand une oeuvre est accomplie, ils ne s’y arrêtent pas. Parce qu’ils ne s’y arrêtent pas, ils ne disparaissent pas » / « Le procès s’éteint dans le produit, c’est-à-dire dans une valeur d’usage, une matière naturelle assimilée aux besoins humains par un changement de forme » / ... Ce n’est que pour nous, cependant, que la nuit tourne et se fait au-dessus des villes -là où les machines muettes savent désormais lire, déchiffrer, compter, écrire et se souvenir, et cela meurt et revit dans une pensée qui n’est en réalité à personne depuis le commencement, et nous venons ainsi d’une série infinie de séries pourries et accumulées, nettoyées, brûlées, annulées, tandis qu’en avant d’autres cherchent déjà et recouvrent ce qui se dit ici aujourd’hui ... « Il n’importe qu’il soit ou non déjà né à quelque époque, puisque cette vie mortelle, la mort immortelle l’a détruite » / « Les choses ne sont pas vues du haut de l’esprit par-dessus le corps, mais faites par le corps et à son niveau, beaucoup plus infini que celui de tout esprit » / « Les corpuscules de matière accourant de l’infini maintiennent intacte la somme de l’univers grâce aux chocs que sans discontinuer ils provoquent de toutes parts » / ... Et ainsi pour vous : isolés dans ce coin de carte, parmi ces rues et ces murs, actifs, surveillés, raidis, à l’écart ... Voyant se faire et surgir en bloc l’énergie de base - vous dans la fin, vous dans l’intervalle de ce qui vous a lancé, nourri, plus loin que l’ordre et la fin ... Vous dans le vide, vous n’ayant jamais été là, n’ayant jamais été engendré, compté, borné, dirigé ... Sentant tout le poids du système rendu léger maintenant mais avec sa lourdeur de toujours, son insensible et fatale lourdeur maintenant parcourue, englobée, fouillée, découpée ... « Le système commence à se contracter sous l’effet de la gravitation jusqu’à une singularité où la densité est de nouveau infinie : c’est l’univers oscillant » / « Ce texte n’est pas à sa place » / :( Il n’est pas de lieu pour ce qui vient d’être écrit » / « Le sperme est l’écume du sang » ... Montant une dernière fois et flottant une dernière fois - vous touchant une dernière fois et vous faisant signe une dernière fois dans la tête de ciel illuminé répandue partout et sans peur, vous retrouvant une dernière fois plus loin que la nudité extérieure et aussi dans l’envers égaré doublé de métal, vous, porté, jusqu’à la pierre qui n’est pas la pierre, multitude transversale, lue, comblée, effacée, brulée et refusant de se refermer dans son cube et sa profondeur) — (1 + 2 + 3 + 4)puissance 2 = 100

Le manuscrit

On aperçoit le lignage carré des cahiers qu’utilise Sollers pour ses manuscrits. L’écriture est petite, serrée, régulière. Peu de place pour l’insertion a posteriori de nouveau textes. Les ratures sont faîtes au fil de l’écriture (en linéaire, au fur et à mesure) pour les modifications les plus importantes (ceci n’est pas caractéristique sur cet extrait, mais bien visible sur d’autres) et a posteriori pour l’ajustement final (remplacement d’un mot par un autre...)

La numérotation des sections

La numérotation des sections 4.96 suivie de 1.97 n’est pas une erreur. Ces deux sections se suivent bien dans le livre et numérotées comme telles. Quelle logique derrière cette bizarrerie apparente ? Dans son livre précédent Drame, Sollers avait expérimenté une structure de 64 sections , « celle de l’échiquier et du Yi-king » [1]. Celui-ci a pour titre Nombres et voilà que Sollers se révèle plus chinois que les chinois en adoptant une logique plus complexe : « Nombres est composé de cent séquences relativement brèves. Celles-ci sont distribuées en vingt cinq groupes de quatre — comme si un cycle de quatre séquences se trouvait tout au long du roman, vingt-cinq fois répété. Pour mettre en évidence le mouvement perpétuel de rotation et de répétition que le roman s’inflige à lui-même » [2] ... (et au lecteur). Découvrez la roulette sollersienne, sa martingale sidérante :

Première série :
1, 2, 3, 4,

Qui dit mieux ?
Deuxième série :
1.5, 2.6, 3.7, 4.8

Oh la la, ça se complique !

- La suite ?
1.9, 2.10, 3.11, 4.12
[...]

La dernière :
1.97, 2.98, 3.99, 4.100
Fin.

Le carré magique

Quatre ! Le "carré magique" de Nombres. Mouvement cyclique réglé comme une horloge. Horloge sollersienne qui dit le temps à l’imparfait dans les trois premières séquences de chaque cycle, celles du « récit », et au présent dans la quatrième séquence, plus typographie entre parenthèses... Séquence du « commentaire » [3] à l’intention du lecteur. Mode d’emploi auto-embarqué... Comme dans les capsules spatiales habitables !

Equation de Nombres ?
1+2+3+4=10 (Nombres p.17)
(1+2+3+4) puissance 2 =100 (Nombres, p. 123)

« Carré des carrés » : c’est ainsi qu’il faut lire Nombres. Mais « quelle est la raison d’être de ce principe complexe d’organisation textuelle ? C’est ce qu’il nous faut découvrir en prenant appui sur le roman lui-même car celui-ci selon une technique qui commence à nous être familière , ne se contente pas d’avoir recours à un procédé [...] mais s’attache à désigner ouvertement le procédé dont il use pour signifier le mouvement de germination dont il est le lieu » [4]. Source dans la symbolique chinoise qui privilégie la figure du carré, croyance chinoise en un espace carré. Référence chinoise reprise par Sollers : « Le carré que nous parcourons ici est la terre... » Nombres, séquence 4.24...

Philippe Forest nous en dit plus

Philippe Forest, s’appuyant sur un spécialiste de la pensée chinoise ajoute que pour les Chinois, les nombres servent moins à compter qu’à situer. « Pouvoir descriptif », plus que mathématique occidental. Dès lors, les nombres, au lieu de se disposer en une série linaire et infinie constituent comme un cycle dont la répétition peut renvoyer à la configuration même de l’espace : chaque nombre se trouvant associé à un secteur de l’espace, à une catégorie du réel. Arithmétique, géométrie et magie se confondent alors pratiquement...[...]
C’est cette conception qui se trouve à la base de la pratique chinoise des « carrés magiques » [...] aux éléments du Yi-king (ou Yi Jing) [...]

En ce sens, et à sa manière, Nombres compose bien « un carré magique textuel » : espace s’engendrant lui-même par permutations, combinaisons, opérations ; lieu où l’écriture du texte convoque l’écriture du monde [...] », ajoute Philippe Forest [5].

Analyse fouillée et brillante dont la lumière ne m’éclairait pas quand, à bord de ma capsule, je m’étais lancé dans l’exploration de Nombres. J’étais dans le noir cosmique. Le noir absolu... Rien à voir... avec le noir terrien. Sensation bien différente... essaient d’expliquer les cosmonautes à nos cerveaux bornés et conditionnés. Il nous faudra y aller pour la ressentir... l’espace n’a pas encore trouvé son Philippe Forest pour nous l’expliquer

.

Et l’analyse ne s’arrête pas là : de la « quadrature du texte »... vous entrerez dans le « mouvement de rotation auquel le texte se livre », « les deux formes de base que la pensée chinoise assignait aux deux catégories essentielles : le cercle du temps, le carré de l’espace ».
Et la question quitte ou double : « Comment unir le cercle du temps au carré de l’espace ? Comment inscrire dans le temps du récit l’espace du temps ? » Réponse : lisez « ... le passage perpétuel du récit au commentaire et du commentaire au récit, l’un devenant l’autre et l’autre devenant l’un : et, effectivement, à suivre pas à pas le texte, on note la reprise de fragments qui, pris dans la rotation du texte, se répètent en occupant chaque fois une place différente du carré, tantôt récit, tantôt commentaire. [...]
Par un mouvement de redoublement, de retournement, le roman s’attache à dire le mouvement qui le fait naître, à mettre en scène - ou plus exactement en récit -cette remontée jusqu’aux sources de lui-même dont il procède. Ce qui signifie cette perpétuelle naissance du sens que Drame et Nombres cherchent à dire [...].

On touche à la contradiction structurelle qui fonde le projet de Sollers [...] la mise à mort de la représentation doit se laisser représenter ; le refus du récit passe obligatoirement par le récit. Et, en somme, ce n’est rien d’autre que cette contradiction même, que ce double jeu complexe et sans issue définitive que disent Drame et Nombres : passage du « phéno-texte » au « géno-texte » [6], affrontement sans fin de deux langages rivaux, travail de destruction qui ne s’interrompra ni ne s’achèvera jamais

« Contradiction que résume Julia Kristeva par cette formule « [un récit] est exigé pour faire montre de ce qui n’arrive jamais jusqu’au récit », [7] —. « Un récit résiduel » en quelque sorte, nous dit Philippe Forest.


Philippe Sollers : « Ebranler le système »

Entretien avec Jean-Jacques Brochier
pour le Magazine littéraire n° 65, juin 1972 (Extrait)

« [...]
Q — En 1968, vous publiez un recueil d’articles, « Logiques », et un roman, « Nombres ». Est-ce une coïncidence avec les événements de Mai ?

Sollers — « Drame », que j’avais publié en 1965, était un roman du dédoublement, de la scission du sujet qui se capte en train de dérouler le fil de son langage et sa projection par écrit. C’était une mise en scène en 64 cases, comme le jeu d’échecs, du dédoublement du langage. « Nombres » s’est écrit en 66-67 et je voudrais insister sur le fait que s’y introduit déjà une marque fondamentale, celle de la Chine. [...] Pound introduit le chinois dans ses poèmes au moment où se développe en Chine la révolution prolétarienne.

Q — Dans « Nombres », la référence à la Chine est moins politique que littéraire.

Sollers — Elle est aussi politique. Mais elle est moins politisée que dans « Lois ». Je me suis rendu compte depuis qu’il fallait que je travaille encore plus profondément le français si je voulais arriver à un véritable geste libératoire. « Nombres » est déjà assez travaillé au niveau du rythme, du battement de l’écriture, mais « Lois » représente un saut qualitatif. [...] Comme si la langue avait son inconscient, que le conscient de celui qui la représente ne connaît pas forcément. Ce qui est une banalité, mais qu’il faut avoir expérimenté soi-même pour comprendre le surgissement, l’éclatement que cela produit au niveau même de la connaissance historique à travers une subversion du sujet.
[...] »

Barthes et Sollers

Par Renaud Camus
in La règle du Jeu, 1ère année, nº 1, mai 1990. (Extrait)

« De Drame à Paradis (1981), qui parut en feuilleton dans Tel Quel du vivant de Barthes, les livres de Sollers : Nombres 1968, Lois 1972, H 1973, marquèrent pour Barthes les jalons d’une « remontée vers un âge d’or », l’approche et la présentation d’un « corps total » intouché encore par le sens, une effervescence, un pur jaillissement sans retombée, sans figement, sans chute dans l’accompli. Cette utopie réalisée d’une pure productivité sans produit (ou d’une « performance » infinie), cette scription en devenir et sans clôture, ce grouillement de virtualités, c’est ce que Barthes appelle texte (en s’efforçant de rendre au mot un sens « étymologique »). Et ce texte, c’est du moins le postulat ou le voeu de Barthes, ne cesse
d’attaquer et de ronger tout ce que la culture fige et institutionnalise, à commencer par la langue elle-même, dont le texte ne conserve la morphologie et la syntaxe (la phrase) que sous rature. »

Le carré dans la tradition chinoise

Le Temple de la Terre à Pékin

Pendant cosmogonique du Temple du Ciel (tiantan), on peut aussi visiter le Temple de la Terre (ditan) à Pékin. Dans l’ancienne tradition chinoise, de même qu’il n’y a pas de yang sans yin, de soleil sans lune, de ciel sans terre, il n’y a donc pas de temple du ciel sans temple de la terre. (même s’il est moins prisé par les visiteurs)
Bien que construit relativement récemment (XVIème siècle), le Temple de la Terre est structuré en conformité avec l’ancienne cosmogonie selon laquelle le ciel est rond et bleu, mais la terre carrée et jaune, le sud représente le ciel et le nord la terre, le sud représente le positif et le nord le négatif, le dragon est assimilé au ciel et le phénix à la terre.
Vous ne verrez donc pas de dragons au Temple de la Terre... Là en est l’ explication.

Cercle et carré

[...] Cette géométrie du ciel, symbolisée par le cercle, et de la terre, matérialisée par le carré, domine la conception architecturale de la Chine et des pays sinisés. Le choix de l’emplacement de tout édifice répond à des règles nombreuses qui correspondent aux notions d’ordre et d’harmonie de la cosmologie traditionnelle. Les villes, les palais, les bâtiments cérémoniels et les habitations s’inscrivent dans un ensemble de carrés imbriqués délimités par des séries d’enceintes, le long d’un axe central, échelonnés du sud au nord, selon leur ordre d’importance.[...]
In « Harmonie, Dharma, Dao : L’homme face au chaos »
JEAN-FRANÇOIS JARRIGE
délégué de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

Carré et calligraphie chinoise

Le caractère chinois doit être centré à l’intérieur d’un espace carré imaginaire, mais non occuper la totalité de cet espace.

Le carré de Lo Shu et la légende de la tortue

Selon le texte originaire du Yi king (ou Yih king)
L’Empereur Yü marchait le long de la rivière Lo.
Alors, il vit le carré magique sur la carapace d’une tortue sacrée, le diagramme de la rivière Lo, ou Lo-Shu : la somme des chiffres de chaque ligne est 15, ainsi que pour les colonnes

Points de vue chinois et occidental

Outre l’espace carré, le temps circulaire voici quelques autres points de vue chinois :


Notion du temps.
On ne parle pas d’avant et après, mais du dessous et du dessus, et ceci dans une logique inverse de la logique occidentale. Ainsi la semaine dernière se dit en chinois "la semaine du dessus", et la semaine prochaine se dit "la semaine du dessous". Etonnant, non ?

Le mouvement de la vie
Pour nous mourir c’est partir ; quand on reste en vie, on reste parmi les vivants. En chinois, rester en vie, c’est plutôt continuer à la descendre, cette vie, comme on descend une rivière. Le futur est vers le bas, au dessous. On y descend...

Monter amoureux
En français, on tombe amoureux. Pourquoi tomber ?... L’amour, un enfer ? ...Un puits ? En tous cas on tombe amoureux.
En Chinois on « monte » amoureux : .
Belle logique n’est-ce pas que descendre vers la tombe et monter amoureux... Avantage à la logique et à la graphie chinoise dit l’arbitre. Non ?

Crédit : Florent. Un blogueur qui « essaie en vain de regarder les choses comme on les voit en Chine » qui m’a fourni la base de ces points de vue sur la langue chinoise.


[1Philippe Sollers par Philippe Forest, Seuil, 1992 p. 126.

[2Cf. Philippe Forest, Op. cit., p. 128.

[3Julia Kristeva a théorisé ces notions sous le vocable « de géno-texte » pour les séquences de récit et de « phéno-texte » pour les séquences de commentaires

[4Cf. Philippe Forest, Op. cit., p. 128.

[5Cf. Philippe Forest, Op. cit., p. 130

[6cf. Terminologie de Julia Kristeva, « L’engendrement de la formule », p. 280.

[7cf. Julia Kristeva, « l’engendrement de la formule », p. 280.

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7 Messages

  • A.Gauvin | 29 mai 2007 - 17:38 1

    Une preuve supplémentaire de ce que j’avançais dans mon commentaire le 25 mai. On peut lire dans Portrait du joueur  :

    " A croire qu’il n’y a jamais eu un seul catholique, apostolique et romain... Sauf, peut-être, Montaigne... [...] Montaigne, en 1581, vote Pape... C’est clair. Net. Souligné. Atténué par des bataillons de professeurs. Il vote Pape, avec le De Natura Rerum dans sa poche. Les atomes, le vide, la Vierge et la Trinité, qui dit mieux ? Personne. Bordeaux en tête du championnat. Naturel. " (Gallimard, 1985, p. 254).

    Sur le voyage de Montaigne en Italie, relire Montaigne, un voyageur secret


  • anonyme | 26 mai 2007 - 10:13 2

    > Le "matérialisme" de Sollers et son "catholicisme", c’est vrai, ne sont pas très orthodoxes, ils ne sont que paradoxes. >

    Certes ! La pensée et le style de Sollers ont quelque chose de profondément paradoxaux. Mais Sollers pourrait renverser votre proposition : c’est parce que le catholicisme est paradoxal qu’il m’enchante et m’intéresse (de même que la pensée chinoise ("la grande image n’a pas de forme", "le chemin de la lumière paraît obscur’)...

    Sur le matérialisme : j’avoue que j’ai essayé, mais pas tenu le coup ! A tort, sûrement. Il faut noter la double difficulté d’accès, aujourd’hui, à ce texte : il n’est pas réédité ; la langue de Sollers, empruntant à la marxiste, n’y est pas seulement très difficile (comme le sont certains textes d’Improvisations), mais à peine audible pour un lecteur né après 1970...


  • A.G. | 25 mai 2007 - 21:07 3

    L’exergue de Nombres est effectivement extrait du De natura rerum de Lucrèce.
    A la fin des années 60 (Nombres sort en avril 1968) comme au début des années 70, Sollers, relisant un certain Marx - celui qui relit Démocrite et Epicure - et un certain Lénine - celui des Cahiers philosophiques -, approfondit la base matérialiste de sa pensée. Cette longue réflexion aboutira en janvier 1974 à la publication de ce livre si passionnant et si méconnu qui s’appelle Sur le matérialisme. Qu’il se soit agi, à l’époque de rendre une base philosophique rationnelle à un marxisme englué dans l’éclectisme, le dogmatisme et le spiritualisme, que cette entreprise ait été vouée à l’échec, ne devrait pas empêcher un lecteur attentif de Sollers (et notamment de ses romans) de voir que les détours faits alors par Démocrite, Epicure, Lucrèce, Gassendi, Bruno, Cyrano de Bergerac, mais aussi la pensée chinoise, etc., sont tout sauf le fait du hasard.
    Pour sans convaincre, il n’est qu’à relire La fête à Venise ou Passion fixe (Cyrano de Bergerac y joue un rôle primordial), mais aussi au texte que Sollers a écrit en 2004 sur Epicure (publié dans L’Infini 86). Je cite le début :
    " Pour moi, l’épicurisme est une pensée de la liberté maximale. Epicure est le penseur anti-religieux par excellence, célébré par Lucrèce comme le premier Grec qui osa défier les dieux. "
    Celui qui voudra vérifier cela pourra se reporter à Sur le matérialisme II, notamment aux pages consacrées à l’atomisme (Seuil, coll. Tel Quel, p. 49 et suivantes). Ce texte publié pour la première fois dans Tel Quel 56 (novembre 1973) avait l’objet d’une conférence plusieurs années auparavant - en 1969 ou 1970 si ma mémoire est bonne - au Groupe d’Etudes Théoriques de Tel Quel.
    Mais, dira-t-on, cette insistance répétée sur la pensée matérialiste n’est-elle pas en contradiction avec la référence catholique dont - plus tard - Sollers usera et abusera (diront cette fois les mauvais esprits) ? Eh non. C’est plus compliqué que ça !
    En pleine écriture de Paradis, dans un entretien avec Jacques Henric d’août 1979 - Socrate en passant (Tel Quel 83, "Joyce", printemps 80) - Sollers qui disait essayer de " devenir un maître ès-cathologie ", ajoutant " La cathologie, c’est la logique de l’universel, dont le catholicisme est le lapsus clé ", déclarait :
    " la doctrine de Démocrite est précisément l’interlocuteur permanent avec lequel Socrate s’emploie [...] à montrer qu’il n’y a pas lieu de s’attarder dans le monde des phénomènes. Je ferai remarquer, en passant, que sur cette position matérialiste radicale il n’y a personne pour être d’accord. Matérialisme c’est toujours compris, et hélas j’abandonne sur cette question, comme un retour au substantialisme, au maternel, au corps, à l’organe, etc. Je ne vais pas passer mon temps à répéter qu’il s’agit de tout autre chose et d’un préalable absolu à toute composition de phénomènes, j’abandonne, je laisse le matérialisme à ceux qui croient qu’il s’agit de se gorger de matière..."
    Le "matérialisme" de Sollers et son "catholicisme", c’est vrai, ne sont pas très orthodoxes, ils ne sont que paradoxes. On comprend que certains en aient le tournis.


  • DB | 22 mai 2007 - 21:53 4

    Au moins ce qui suit, extrait donc du premier texte de Théorie des Exceptions intitulé "Médidation de Lucrèce" et daté de 1983 :

    "... Je regarde mon manuscrit. La disposition des mots et des lettres est rigoureuse. Elle parle de la disposition de tout ce qui peut se voir, s’entendre, se toucher, se sentir, se parler. Une même combinatoire règle les phénomènes physiques et l’entrelacement des phrases. Bien plus : je sais que, grâce à l’infini, cette constatation a déjà eu lieu..."


  • V.K. | 22 mai 2007 - 19:42 5

    Que le Net y soit pour quelque chose ou pas, bravo pour ce complément d’information sur l’origine de l’exergue de Nombres.
    Ah, ce Sollers qui cite sans nommer ! Qui se promène dans la Bibliothèque et la considère comme un seul et même livre. Un livre écrit à plusieurs mains, affranchi du temps et de l’espace. Un livre à la recherche de ses débuts et de sa fin : en amont jusqu’aux sources de « la nature des choses », de la pensée, aux origines du langage et d’avant le langage, des nombres qui lient tout ça dans l’infini d’avant, et en aval dans l’infini d’après.
    ...Et, bien sûr, l’épicurien Sollers n’oublie pas sa quête aux sources du bonheur pour application au temps présent.
    Grâce à votre recherche, nous savons que Sollers se met ici dans les pas de Lucrèce, De natura rerum, Livre II. N’ai pas sous la main l’extrait de Théorie des Exceptions, sur Lucrèce auquel vous faîtes allusion. Peut-être pouvez-vous nous le transcrire ? Pour les curieux de la chose.

    Voir aussi sur pileface :
    Article 434 (A. Gauvin) : Comment aller au Paradis ?. art press n°44, janvier 1981. ...Le De natura rerum de Lucrèce, est dédié à Vénus : si Vénus avait un trou, le...


  • D. | 22 mai 2007 - 13:48 6

    Merci le Net :

    l’exergue vient d’ici :

    Principio nobis in cunctas undique partis
    et latere ex utroque supterque per omne nulla est finis ; uti docui, res ipsaque per se
    uociferatur, et elucet natura profundi.
    nullo iam pacto ueri simile esse putandum est,
    undique cum uorsum spatium uacet infinitum
    seminaque innumero numero summaque profunda multimodis uolitent aeterno percita motu,
    hunc unum terrarum orbem caelumque creatum,
    nil agere illa foris tot corpora materiai ;
    cum praesertim hic sit natura factus et ipsa
    sponte sua forte offensando semina rerum multimodis temere in cassum frustraque coacta
    tandem coluerunt ea quae coniecta repente
    magnarum rerum fierent exordia semper,
    terrai maris et caeli generisque animantum.

    Traduction :

    Tout d’abord, nulle part, en aucun sens, à droite ni à gauche, en haut ni en bas, l’univers n’a de limite ; je te l’ai montré, l’évidence le crie, cela ressort clairement de la nature même du vide.
    Si donc de toutes parts s’étend un libre espace sans limites, si des germes innombrables multipliés à l’infini voltigent
    de mille façons et de toute éternité, est-il possible de croire que notre globe et notre firmament aient été seuls créés
    et qu’au delà il n’y ait qu’oisiveté pour la multitude des atomes ? Songe bien surtout que ce monde est l’ouvrage de la
    nature, que d’eux-mêmes, spontanément, par le seul hasard des rencontres, les atomes, après mille mouvements désordonnés et tant de jonctions inutiles,
    ont enfin réussi à former les unions qui, aussitôt accomplies, devaient engendrer ces merveilles : la terre, la mer, le ciel
    et les espèces vivantes.

    Lucrèce, De natura rerum, Livre II, 1040-1060 (on relira le petit texte de Sollers sur Lucrèce dans Théorie des exceptions)


  • Moshé | 18 novembre 2006 - 20:27 7

    >>On ne parle pas d’avant et après, mais du dessous et du dessus, et ceci dans une logique inverse de la logique occidentale. Ainsi la semaine dernière se dit en chinois "la semaine du dessus", et la semaine prochaine se dit "la semaine du dessous". Etonnant, non ?

    — Nullement : ne dit-on pas "haute antiquité" pour la plus ancienne, et "basse" pour la plus récente ? Ne dit-on pas "remonter dans le temps" ?