A plusieurs reprises nous avons eu l’occasion d’attirer l’attention des lecteurs de pileface sur la qualité d’écriture de Michaël Ferrier, avec le recul et le prisme « interculturel, transnational et multilinguistique » d’un écrivain écrivant de Tokyo où il vit depuis 1994, ce qui donne quelque légitimité à cette vision, renforcée par sa propre généalogie (Cf. Lien en fin d’article sur un portrait de l’auteur).
Le 14 septembre 2017, c’est l’Université d’Edimbourg qui accueillait un colloque intitulé "Michaël Ferrier, écrivain du corail" dont voici un aperçu du programme :
10.00 - 11.30 : Session 1
Une écriture voyageuse : influences d’outre-mer, intertextualité et figurations/altérations du sujet
Bernadette CAILLER (Université de Floride), Figures du sujet poétique entre “Michaël”, “Ferrier” et un narrateur qui dit je
13.00 - 14.30 : Session 2
Une écriture des interstices (et du désastre), entre roman et essai
Anne ROCHE (Université de Provence), Une écriture des interstices
Catherine COQUIO (Université Paris VII), Fukushima n’est pas une apocalypse
15.00 - 16.30 : Session 3
Une écriture des failles et lézardes de la vie/ville
Akane K Akane KAWAKAMI (Birkbeck, Université de Londres), Le kanji et la photographie : représenter la ville dans Tokyo, petits portraits de l’aube
Hervé COUCHOT (Université Sophia, Tokyo), Lézardes et failles : l’esthétique de la fêlure dans les romans de Michaël Ferrier
16.45 - 17.45 :
Lecture de textes et discussion avec Michaël FERRIER
Nous y reviendrons quand les textes des conférences seront publiés. Dès à présent, avec l’aimable contribution de Michaël Ferrier, notons :
L’expression « écrivain du corail » fait référence au texte « Les écrivains du corail », qui constitue l’introduction du livre Paris-Tokyo-Paris (Éd. Honoré Champion, 2016, p. 12-24). Ce livre rassemble les actes d’un colloque international, qui s’est tenu à la Maison franco-japonaise de Tokyo en 2013, sur la place du Japon chez certains écrivains français (Chris Marker, Michaël Ferrier, Gérard Macé, Georges Perec, Pascal Quignard, Jacques Roubaud, etc...).




Crédit photos : blog "Tokyo Time Table" de l’auteur

Dans la même veine, interculturelle, transnationale et multilinguistique, les « écrivains du corail » désignent cette nouvelle lignée d’écrivains créateurs « d’une littérature qui déconstruit le lien univoque qui existe entre la langue et la nation, et développe un espace hybride ou` communiquent plusieurs cultures, dans une cohabitation de deux - voire de plusieurs - langues de référence et une constante réinvention de soi prenant pour base un dynamisme identitaire. »
Des exemples concrets évoqués dans le texte :
- Levy Hideo, né à Berkeley en 1950, de nationalité américaine, utilisant l’anglais, le chinois et le japonais.
- Tawada Yoko, née à Tokyo en 1960, de nationalité japonaise, éduquée à New York, écrivant aussi bien en japonais qu’en allemand, et s’auto-traduisant d’une langue dans l’autre (la seule traduite en France, par Bernard Banoun, chez Verdier).
- Yang Yi, née en 1964 à Harbin, dans le Nord de la Chine, installée au Japon en 1987. De nationalité chinoise, utilisant le japonais et le chinois, c’est le premier écrivain de langue maternelle non japonaise à remporter le prix Akutagawa en 2008.
- Shirin Nezammafi, née à Téhéran en 1979, de nationalité iranienne, utilisant le perse, l’anglais et le japonais.
Etc.
« Ce sont ces auteurs variés que je nomme les « écrivains du corail ». (...) Si je les regroupe ici, c’est que par les procédés de défamiliarisation et de déstabilisation qu’ils mettent en œuvre, et même s’ils peuvent prendre des formes tout à fait différentes, ces textes portent tous, dans leur forme comme dans leurs thèmes, sur la possibilité d’habiter un espace culturel différent. Et qu’il est nécessaire je crois de rendre hommage - mais aussi de rendre compte - de ces pratiques d’écriture neuves, où la description d’un pays n’est plus imposée du dehors mais saisie en quelque sorte à partir d’une différence interne. Nous avons ici affaire à des textes qui, à des degrés divers, et avec des réussites variées, utilisent la coprésence de deux discours ou systèmes référentiels, permettant à la fois la prise de conscience de ses propres limites cognitives mais aussi la compréhension interne de deux cultures.
(...)
Si je propose de les nommer « écrivains du corail », ce n’est pas pour l’aspect exotique ou pour la joliesse poétique de l’appellation (quoique je ne sois pas insensible à cette dernière), mais parce qu’ils ressemblent aux coraux dans leur diversité même : ces organismes pluricellulaires appartenant à des familles très différentes peuvent se développer sous toutes les latitudes, de la Mer du Nord à la Méditerranée, dans les mers chaudes d’Asie ou dans les eaux glacées de la Grande-Bretagne, sous des formes fixes (comme l’anémone de mer) comme sous des formes mobiles (comme la méduse). Ils peuvent former par accumulation des récifs coralliens, qui sont aujourd’hui les plus grandes structures complexes connues créées par des organismes vivants. Et, comme les coraux, on a du mal à les classer : on les considère parfois comme des plantes aquatiques, des animaux ou même des pierres. Comme le précise Buffon, ils sont passés dans la classification du rang des minéraux à la classe des végétaux avant de rejoindre celle des animaux.
(...)
Enfin, comme théorie scientifique et pratique romanesque vont de pair, la référence va évidemment aussi à ce passage du roman Mémoires d’outre-mer, roman évoqué dans pileface, au sujet des personnages d’acrobates de Maxime Ferrier et du Chinois Arthur
« Toujours, ils gardent intact un étonnant pouvoir d’ouverture et de bifurcation. Ils sont comme la mer qui sans cesse revient sur ses traces et, du même mouvement infini, vous emporte au loin. Pour les suivre, il faut procéder par reprises, arrêts, trouées… En les accompagnant ainsi tout au long de leurs déambulations, je découvre une chose : la condition frontalière de tout être humain. Même lorsqu’il reste toute sa vie dans un seul et même pays, l’homme est frontière et passage, travaillé par la limite.
Comme le corail, la vie des hommes est hérissée de crêtes et de bosses, déchiquetée de creux mystérieux, traversée de corps soyeux, de formes vives, de retours en arrière et de translations délicates. Et, comme le corail, la parole des hommes est traversée de courants. »
(Mémoires d’outre-mer, Gallimard, 2015, chapitre 6 : « Queer looking specimen »)
Voir une liste des articles concernant Michaël Ferrier, sur pileface
Nous avons aussi cité son excellent blog Tokyo Time Table
une tour d’observation privilégiée loin du franco-centrisme parisien.
4 Messages
Le premier Prix littéraire organisé par la ville de Saint-Pierre l’a été sur le thème de ’’La Créolisation’’. Il récompense un roman ou un récit écrit en français (et publié à compte d’auteur ou à compte d’éditeur) et paru entre le 1er mars 2015 et le 31 mars 2017, traitant ou abordant le (problématique ) thème retenu de la créolisation.
Ce premier Prix Littéraire ATHENA – Ville de Saint-Pierre a été attribué le vendredi 1er septembre dernier à Michaël Ferrier pour son roman « Mémoires d’outre-mer », collection L’Infini, Gallimard. LIRE ICI.
Message de Michaël Ferrier :
A suivre, donc !
Merci Jean-Michel de votre message. Michaël Ferrier « allie dans ses textes érudition et belle écriture » dîtes-vous. Oui !
...Des qualités que vous partagez avec lui. Et aussi, même veine « interculturelle, transnationale et multilinguistique » qui m’enchante chez vous deux. Quelques échos sur pileface :
Le Japon d’Amélie Nothomb Le petit côté (un hommage à Franz Kafka)
Le temps chinois et le temps français
Sur la « Gelassenheit » de Heidegger et l’expression « shogonai » des Japonais. Des mots et des choses
Le papillon de Zhuangzi... et L’emprise des signes.
oui, le corail est une belle métaphore, un avatar "créole" du rhizome... j’ai déjà dit ici ma grande admiration pour Michael Ferrier, qui allie dans ses textes érudition et belle écriture ; il fait la littérature des marges, interstices, intervalles (coralienne, rhizomique) dont nous avons besoin en ce monde de plus en plus rattrapé par le démon identitaire - sans compter mon sentiment amoureux pour le lieu décalé, nommé "Japon", d’où il regarde le monde, et les nombreuses lignes de convergence, Tchad, langue allemande, Yoko Tawada, L’Infini... un salut amical de Vienne s’il lit ce forum.