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Pour célébrer la vraie révolution française

D 16 octobre 2016     A par Albert Gauvin - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook




Pierre Victurnien Vergniaud par Louis-Jacques Durameau, 1792.
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« Robespierre nous accuse d’avoir calomnié Paris. Lui seul et ses amis ont calomnié cette ville célèbre. Ma pensée s’est toujours arrêtée avec effroi sur les scènes déplorables qui ont souillé la Révolution ; mais j’ai constamment soutenu qu’elles étaient l’ouvrage, non du peuple, mais de quelques scélérats accourus de toutes les parties de la république, pour vivre de pillage et de meurtre, dans une ville dont l’immensité et les agitations continuelles ouvraient la plus grande carrière à leurs criminelles espérances ; et pour la gloire même du peuple, j’ai demandé qu’ils fussent livrés au glaive des lois.
D’autres, au contraire, pour assurer l’impunité des brigands et leur ménager sans doute de nouveaux massacres et de nouveaux pillages, ont fait l’apologie de leurs crimes, et les ont tous attribués au peuple ; or, qui calomnie le peuple, ou de l’homme qui le soutient innocent des crimes de quelques brigands étrangers, ou de celui qui s’obstine à imputer au peuple entier l’odieux de ces scènes de sang ? »
(Applaudissements.— Marat : Ce sont des vengeances nationales !)
« Enfin Robespierre nous accuse d’être devenus tout à coup des modérés, des Feuillants. Nous modérés ! Je ne l’étais pas, le 10 août [1], Robespierre, quand tu étais caché dans ta cave. Des modérés ! Non, je ne le suis pas dans ce sens que je veuille éteindre l’énergie nationale. Je sais que la liberté est toujours active comme la flamme, qu’elle est inconciliable avec ce calme parfait qui ne convient qu’à des esclaves. Si on n’eût voulu que nourrir ce feu sacré qui brûle dans mon coeur aussi ardemment que dans celui des hommes qui parlent sans cesse de l’impétuosité de leur caractère, de si grands dissentiments n’auraient pas éclaté dans cette assemblée. Je sais aussi que, dans des temps révolutionnaires, il y aurait autant de folie à prétendre calmer à volonté l’effervescence du peuple, qu’à commander aux flots de la mer d’être tranquilles quand ils sont battus par les vents. Mais c’est au législateur à prévenir autant qu’il peut les désastres de la tempête par de sages conseils ; et si, sous prétexte de révolution, il faut, pour être patriote, se déclarer le protecteur du meurtre et du brigandage, je suis modéré.
[...] On a cherché à consommer la Révolution par la Terreur, j’aurais voulu la consommer par l’amour [2]. Enfin, je n’ai pas pensé que, semblablement aux prêtres et aux farouches ministres de l’Inquisition, qui ne parlent de leur Dieu de miséricorde qu’au milieu des bûchers, nous dussions parler de liberté au milieu des poignards et des bourreaux.
Nous, des modérés ! Ah ! qu’on nous rende grâce de cette modération dont on nous fait un crime. Si, lorsque dans cette tribune on est venu secouer les torches de la discorde et outrager avec la plus insolente audace la majorité des représentants du peuple ; si, lorsqu’on s’est écrié avec autant de fureur que d’imprudence : plus de trêve, plus de paix entre nous, nous eussions cédé aux mouvements de la plus juste indignation, si nous avions accepté le cartel contre-révolutionnaire que l’on nous présentait : je le déclare à mes accusateurs, de quelques soupçons dont on nous environne, de quelques calomnies dont on veuille nous flétrir, nos noms sont encore plus estimés que les leurs ; on aurait vu accourir de tous les départements, pour combattre les hommes du 2 septembre [3], des hommes également redoutables à l’anarchie et aux tyrans.
Nos accusateurs et nous, nous serions peut-être déjà consumés par le feu de la guerre civile. Notre modération a sauvé la république de ce fléau terrible, et par notre silence nous avons bien mérité de la patrie. »

Pierre Vergniaud (1753-1793). Réponses à Robespierre, Convention, 10 avril 1793.

La Terreur dont il est question dans ce discours de Vergniaud à la Convention est celle des massacres de septembre 1792. Elle est largement le fait de la foule déchaînée par la Commune insurrectionnelle de Paris. L’une des victimes fut le Frère Salomon Leclercq, béatifié le 17 octobre 1926 par Pie XI, qui vient d’être canonisé à Rome par le pape François, ce dimanche 16 octobre 2016, avec six autres Bienheureux. C’est le premier martyr de la Révolution à être canonisé.

Le journal La Croix précise :

Qui était le F. Salomon Leclercq  ?
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Né à Boulogne-sur-Mer le 14 novembre 1745 et entré au noviciat des Frères des écoles chrétiennes le 25 mars 1767, Guillaume-Louis-Nicolas Leclercq, en religion Frère Salomon, était, en 1790, secrétaire du supérieur général des lasalliens. Lors de la promulgation de la Constitution civile du clergé, qui donna à l’État le contrôle sur l’Église de France, il refusa, comme la plupart des lasalliens, de prêter serment.
Il fut arrêté le 15 août 1792 comme suspect d’activisme contre-révolutionnaire et emprisonné au couvent des Carmes à Paris, avec de nombreux évêques, prêtres et religieux. Le 2 septembre, avec 200 autres ecclésiastiques, il fut massacré à coups de sabre dans le jardin du couvent.
Salomon Leclercq est alors le premier martyr de sa congrégation, d’où une vénération qui s’étend à tous les lieux lasalliens dans le monde et notamment au Venezuela. C’est là qu’en 2011, la guérison miraculeuse d’une petite fille mordue par un serpent sera attribuée par le diocèse de Caracas au bienheureux Salomon Leclercq, invoqué par les religieuses s’occupant de la fillette.

Comment expliquer le massacre de septembre 1792  ?

En août 1792, à la suite de la chute de la monarchie, des centaines de prêtres, religieux, laïcs, arrêtés à Paris par les révolutionnaires comme ennemis de la patrie et réfractaires à la Constitution civile du clergé, sont enfermés dans diverses maisons religieuses transformées en prisons improvisées  : les Carmes, l’Abbaye, la Force. Le 2 septembre, dans un contexte de panique des révolutionnaires, provoquée d’une part par l’invasion austro-prussienne, d’autre part par des rumeurs de complot interne, ces prisons sont investies par des sans-culottes qui mettent en place un simulacre de tribunal. Plus d’un millier de personnes sont ainsi massacrées. Pour 191 d’entre eux (trois évêques, 127 prêtres séculiers, 56 religieux et cinq laïcs), dont Salomon Leclercq, le martyr en haine de la religion est reconnu. Ils sont béatifiés en 1926.

Qui sont les autres martyrs de la Révolution  ?

La première béatification de martyrs de la Révolution, en 1906, c’est-à-dire en période de turbulences entre les catholiques français et la République, avec la loi de séparation des Églises et de l’État et l’expulsion des congrégations religieuses de France, est celle des 16 carmélites de Compiègne, accusées de « fanatisme et sédition » au plus fort de la Terreur et guillotinées le 17 juillet 1794.

En 1920, Benoît XV béatifie quatre Filles de la Charité d’Arras et 11 ursulines de Valenciennes, condamnées à mort pour avoir « enseigné la religion catholique, apostolique et romaine » et guillotinées le 23 octobre 1794. En 1925, ce sont encore des femmes, 32 religieuses d’Orange, décapitées le 9 juillet 1794 pour « avoir voulu détruire la République par le fanatisme et la superstition », qui sont béatifiées par Pie XI. Le P. Noël Pinot, guillotiné le 21 février 1794, revêtu de ses habits sacerdotaux, pour avoir refusé de prêter serment à la Constitution, est béatifié en 1926, en même temps que les martyrs des Carmes. [etc.] (La Croix ) [4].

Il est une autre Terreur, politique et délibérée celle-là. Elle est mise à l’ordre du jour de l’Assemblée de la Convention montagnarde, un an plus tard, le 5 septembre 1793, et s’étend jusqu’à ce qu’on a appelé la Grande Terreur (10 juin-fin juillet 1794). Dès lors, « la Machine à Terreur » [5] s’emballe.

« Saint-Just menace dès le 10 octobre 1793 : "Il n’y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes : vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle..."
Devant la Convention, le 5 février 1794, Maximilien de Robespierre, qui préside le Comité de Salut Public, autrement dit le gouvernement du pays, tente de préciser les objectifs politiques de la Terreur : "Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. La Terreur n’est pas autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible [...] elle est une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux pressants besoins de la patrie !"
Il convainc les députés de voter le décret du 22 prairial. C’est le début de la Grande Terreur à Paris comme dans les départements, avec la suppression de toute garantie judiciaire pour les accusés. Au total, la chasse aux suspects par la Convention montagnarde et le Comité de Salut Public vont faire environ 40 000 victimes dans l’ensemble du pays, du 5 septembre 1793 à la chute de Robespierre, le 27 juillet 1794. 17 000 victimes sont guillotinées et les autres tuées de diverses façons. » (Herodote.net)

Vergniaud est guillotiné le 31 octobre 1793 avec vingt et un autres députés girondins (leur sort est scellé depuis le 2 juin). Robespierre, Couthon et Saint-Just seront guillotinés le 28 juillet 1794 (10 Thermidor an II).
On a beaucoup analysé les discours de Robespierre [6], moins ceux de Saint-Just, « l’archange de la Révolution ». C’est ce qu’a fait Philippe Sollers en 1989, année du bicentenaire de la Révolution.

*

POUR CÉLÉBRER LA VRAIE RÉVOLUTION FRANÇAISE

Paris, Indifférences, 1989, 23,7 x 16,2 cm, in folio sous couverture à rabats, non paginé [46 pp.]
Tirage limité à 125 ex. numérotés et signés par l’auteur et l’artiste.
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Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le texte est illustré de 7 estampes originales hors texte, gravées sur contreplaqué et imprimées en taille-douce, alternativement bleues et rouges, de René Bonargent. Sur chaque estampe figure une lettre majuscule. Alignées, ces lettres donnent le mot GIRONDE.


Zoom : cliquer sur l’image.
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Tous les discours sur la Révolution française, et le désir permanent que celle-ci forme un bloc à célébrer ou à récuser, manifestent une hésitation à interroger la Terreur. Or, il me semble qu’au lieu de se poser sans cesse la question de la Révolution, il serait préférable de se poser celle de la Terreur. La Terreur est un vrai bloc, elle. La façon d’éviter l’interrogation sur le phénomène de la terrorisation me semble aujourd’hui particulièrement significative. Voilà la raison pour laquelle, à propos de la Révolution française, j’ai tendance à dire que les Capétiens et les Jacobins se renvoient la balle et que la Gironde est toujours non théorisée. De telle sorte que nous vivons dans un pays très bizarre où la Gironde n’arrête pas de gouverner, d’être l’âme même de la République (c’est en ce moment, de nouveau, très frappant, et cela se fait dans un consensus quasi général), et où il est comme interdit d’en parler. Voilà une République et un peuple qui parlent toujours en termes de fondation religieuse de leur existence, en termes de légitimation symbolique, sans prendre acte de leur pratique réelle. La pratique réelle est girondiniste, indubitablement ; et ce qui est passé dans l’esprit de la culture française, c’est cette France dont on parle si peu, qui est coagulée de façon effervescente dans Les Folies Françaises, roman que je pose sur la table comme exemple de ce qu’on peut faire avec tout ce qu’il y a d’ultra-positif, en termes de liberté, dans notre culture, dans ce qu’il faut bien appeler le génie français.

Je me suis amusé à montrer, dans ces Folies, que la situation de la fin du XVIIIe siècle est déjà là, entièrement, au XVIIe, dans les deux phases principales du règne de Louis XIV. La première phase que je nomme Molière, et la dernière qui s’appelle Madame de Maintenon et Racine. La phase de comédie et la phase de tragédie. Certes, Molière a triomphé de tout, mais il se trouve que la célébration du secret d’Etat, la symbolique du pouvoir, est toujours posée en termes de Racine-Maintenon-Louis XIV. Il y a encore aujourd’hui des pouvoirs féminins sombres qui rêvent de devenir, par exemple, la Maintenon d’un président de la République. Nous y reviendrons peut-être un jour. Tout cela baignant dans une sorte de vision du monde tragique où la plainte mélancolique et la douleur seraient derrière les rênes mêmes de l’Etat. Le théâtre met très bien cela en scène. La Révolution française a été un grand théâtre. Et, précisément, qui avait peur du théâtre ? Les terroristes. Quand Saint-Just, dans son discours contre les Girondins , dit – et il va les faire tous arrêter et exécuter : « ils parlaient en faveur de la liberté des théâtres ! », je crois que c’est un mot qui va très loin et que cette théâtralisation, cet épisode où se rejouent en peinture et sur la scène même de la vie sociale tous les fantasmes, toutes les accumulations de représentations antiques, signe quelque chose d’essentiel. C’est pourquoi j’ai proposé, en effet, d’appeler Révolution française, de façon symboliquement très forte, Molière, Fragonard, la Gironde et Sade ; et contre-révolution française, la Terreur, qui a essayé d’empêcher la liberté extrême, l’individualisation extrême des corps humains opérée vers la fin du XVIIIe siècle. Il est fort possible que l’individualisation des corps, dans leur légèreté pour rien, entraîne fatalement des retours de manivelle, une impossibilité d’accepter (soyons freudiens deux secondes) cette dissolution, merveilleuse, du temps et du lien social. C’est probablement à ce moment-là qu’il y a des tentatives religieuses de faire reconsister le lien social. La question de la Révolution est une question religieuse, comme celle du christianisme (que se passait-il dans les derniers jours de l’Empire romain ?). Tant qu’on ne va pas au cœur religieux des choses, c’est-à-dire, cette fois, d’une religion qui serait fondée sur la Terreur (la mort en est le Maître Absolu), on ne sait guère de quoi on parle.


Jacques-Louis David, La Mort de Marat, 1793.
« Marat a encore ses partisans, qui se recueillent
devant le tableau de David le représentant
assassiné par Charlotte Corday dans sa baignoire [7]. »

Photo A.G. Zoom : cliquer sur l’image.

La religion en question est une religion de la mort. Il faut la poser comme telle. La mort devient donc le maître par rapport à quoi tout est mesuré, s’équivaut, et de là se trouve prise l’énergie qui fait consister les corps et la société. C’est plus ou moins apparent, voilà tout. Dans la Terreur proprement dite, la chose est très visible ; ensuite, elle entre à nouveau en clandestinité, mais elle est là, chaque fois qu’on s’y intéresse, au fond des choses, et si vous voulez savoir ce qu’est un adepte de la contre-révolution terroriste, vous n’avez qu’à écouter, dans son discours, le moment d’appel à la mort. On peut appeler ça le coup du Marat-bout que vous voyez dans le tableau de David, si explicite : Marat cadavérisé dans sa baignoire.

Je propose donc de regarder, ce qui habituellement n’est pas fait, les projets religieux des terroristes. Je persiste à les appeler terroristes parce que, on va le voir, il n’y a pas grand-chose de révolutionnaire, dans le sens où je l’entends, dans leur programme. C’est même un retour massif à l’Antiquité et à l’archaïsme social qu’ils proposent. Je suggère donc qu’on s’intéresse de plus près au projet religieux lui-même. Pas seulement aux projets de cultes – l’Etre Suprême, la déesse Raison... – mais aux bouleversements du calendrier, des noms propres... Pourquoi fallait-il donc changer le calendrier et surtout de façon si régressive ? Ces inventions sémantiques n’ont pas tenu (Fructidor, Vendémiaire...), pas plus que n’ont tenu les projets ahurissants d’appellations des jours d’après des mots marquant un retour profond à la paysannerie (le jour de la truelle, de la brouette...). Napoléon a rétabli le calendrier grégorien sans demander l’avis de personne. Voilà aussi qui mériterait d’être analysé. De ce point de vue, on a peu de choses écrites sur l’Empire, aussi bien sur le premier que sur le second. On a rouvert les églises, on a rétabli le calendrier papal, et un pesant silence s’est installé sur toute cette affaire.

Sur le culte lui-même, on n’a pas non plus beaucoup réfléchi. L’apparition de l’Etre comme représentant le point de fuite auquel l’humanité se rapporterait, et le simple fait d’employer le mot Etre (Sein), nous en apprendraient beaucoup si nous le surveillions d’un peu plus près, cet Etre dit suprême qui vient en remplacement du chrétien, car il s’agissait bien sûr de dé-catholiciser à l’extrême. Ce projet d’un nouveau théâtre, bien, je n’ai rien contre a priori, mais il faut tout de même savoir si ça représentait un progrès ou un régrès. Et si c’était un régrès, il est intéressant d’apprendre si cette régression allait continuer d’insister pour trouver çà et là ses points d’agrippement, et de quelle manière elle chercherait à s’imposer comme progrès. Ça donnera quelques aventures, suites « révolutionnaires » en tout genre, y compris l’islamique, pourquoi pas, et les épisodes à l’Est. Ça peut nous apporter aussi de précieux renseignements sur le fascisme et le nazisme, lesquels furent également des tentatives de fonder de nouvelles religions, ou de les justifier quant à l’Etre. Monsieur Heidegger, par exemple, qui était un révolutionnaire, on ne le dira jamais assez, et qui trouvait qu’au fond Hitler avait dévié, qu’il était un peu trop modéré, que c’était le mouvement S.A. qui était vraiment le Ça de l’Etre, demandons-nous calmement à son sujet, sans pratiquer du tout d’amalgame mais au contraire en ouvrant le tissu et en regardant les veinules, s’il n’a pas trouvé dans l’espèce de renaissance révolutionnaire française, laquelle comme on sait a eu plus de succès en Allemagne qu’ici, un coup d’air, un coup d’Etre, et s’il ne s’est pas logiquement fait la réflexion que ce n’était pas encore assez profond et qu’il fallait aller encore plus loin, plus à la racine. Heidegger a reconnu lui-même qu’il avait sous-estimé la vitalité des églises chrétiennes. Voilà qui est clair. On n’a même pas besoin d’aller jusqu’à l’antisémitisme à proprement parler, encore que cet Etre Suprême traduise de façon quand même assez curieuse le Iahvé une fois..., pour voir qu’il y a là, selon une bonne théorie de la religion, le cœur d’une nouvelle croyance dont la mort serait en quelque sorte le sacrement.

Pour comprendre le phénomène, il faut d’abord lire les œuvres des terroristes. Ouvrez Saint-Just au hasard, qu’est-ce que vous lisez ? Tenez, sur l’éducation : « Les enfants appartiennent à leur mère jusqu’à 5 ans, si elle les a nourris, et à la République ensuite, jusqu’à leur mort. » Vous voyez que la mort intervient tout de suite. La mère et la mort... Il y a la mère, la République, et la mort. Un Français doit vivre pour elle, pour elle un Français doit mourir... « La mère qui n’a pas nourri son enfant a cessé d’être mère aux yeux de la patrie. » Vous constatez que la patrie est bien là en position de matrie. Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante. J’ai ironisé une fois, en passant avec mon ami Lautréamont devant le Panthéon : aux petites femmes, la matrie rancunière. « Elle (la mère) et son époux doivent se représenter devant le magistrat pour y répéter leur engagement, ou leur union n’a plus d’effet civil. L’enfant, le citoyen, appartiennent à la Patrie. L’instruction commune est nécessaire, la discipline de l’enfance est rigoureuse. » On les prend au berceau, et il est bien clair que, pour l’élevage humain, la philosophie (Platon s’était déjà préoccupé de ces choses) est là comme chez elle, avec son Etre Suprême qui revient se caser comme il peut. L’embêtant, c’est que lorsqu’on refait du Platon, on obtient du faux grec, ou pire du faux romain. L’opération est amusante : on est obligé de bricoler avec un peu d’Egypte, de la Grèce, du romain, d’avant le christianisme bien sûr, tout ça pour monter un Temple. Il faut se débrouiller avec tous ces symboles. Vous saupoudrez un peu de Bible, vous ajoutez un triangle..., et vous concoctez ainsi un petit organisme symbolique dont le disparate s’annonce. Et c’est alors que le mauvais goût est fondé.

Qu’est-ce que le mauvais goût ? Un bazar de pièces rassemblées qui n’ont aucun rapport d’historicité, voire de consistance signifiante entre elles, et qui sont mises ensemble pour faire une stèle en fonction d’un transcendantal qui n’est pas dans sa position d’origine, qui est décalé de son origine. Cet Etre Suprême, c’est bien difficile, par exemple, de savoir en quelle langue il parle, comment il s’exprime, et ce qu’il a vraiment à dire. On s’interroge pendant tout le XVIIe et XVIIIe, les philosophes notamment, Rousseau, Diderot, Voltaire. Comment il parle cet Etre ?... Sade, lui, est tout à fait catégorique là-dessus : en regard de ce qu’il appelle « l’Etre Suprême en Méchanceté », il est pour une émancipation générale, et je préférerais, pour ma part, qu’on mesure un esprit révolutionnaire à son degré d’émancipation. C’est un beau mot, émancipation. Qui est émancipé et qui ne l’est pas ? Sade, finalement, est très net sur le symptôme. Quand vous lisez Français encore un effort..., vous êtes dans l’horizon auquel Sade veut réagir, prônant, tout de suite, une éducation impossible, notamment la nécessité de l’inceste. Provocation de sa part ? Oui, sans doute, mais encore faut-il voir par rapport à quoi. Sade paraît être une sorte d’aérolithe dément tombé d’on ne sait où simplement parce qu’on ne le replace pas dans son contexte. Il faut rationaliser Sade, qui était, lui, la rationalité même. Je continue la lecture de Saint-Just : « On élève les enfants dans l’amour du silence, et le mépris des rhéteurs. » Le projet est très conventuel, n’est-ce pas ? Amour du silence et mépris des rhéteurs... Les pauvres Jésuites en tombent de haut, car la rhétorique c’est tout de même l’art de la relativité. La rhétorique, à laquelle – ai-je besoin de le dire – je suis très attaché, ne s’oppose pas au silence, au contraire, elle est l’art de le ponctuer dans la relativité des discours. Le mépris des rhéteurs, voilà tout un programme ! On peut dater de cette époque-là le déclin de la rhétorique. Pendant encore un siècle, vous aurez cette merveilleuse armature qui nous conduit jusqu’à Rimbaud, Lautréamont. Qu’est-ce que Lautréamont sinon, dans un monde atroce, mièvre, emphatique et privé de rhétorique, l’apologie de la rhétorique pour la rhétorique ? Envoyez aujourd’hui les Poésies de Lautréamont tapées à la machine à des éditeurs, elles seront refusées partout. On pourrait d’ailleurs publier les lettres de refus, ce serait drôle. Vous voyez que là, avec ce projet de loi de Saint-Just, est enclenchée la régression indubitable. « Ils (les enfants) sont formés au laconisme du langage. » Laconisme du langage, nous ne sommes pas contre, comme une des figures de la rhétorique, mais dès que cela va devenir l’appauvrissement général du discours, on peut juger de la nature du projet. Vous n’avez qu’à, aujourd’hui, écouter parler, comme on dit, un cadre.

« On doit leur interdire les jeux où ils déclament, et les accoutumer à la vérité simple. (...) Les enfants ne jouent que des jeux d’orgueil et d’intérêt ; il ne leur faut que des exercices. » Le texte de Saint-Just est remarquable, tout y est bien dit. L’auteur n’est pas un fou, il tape aux endroits sensibles. A sa façon, il est un génie. Tous les révolutionnaires, d’ailleurs, sont des génies. Le tout est de savoir si leur programme nous plaît. La rhétorique sert à quoi ? A mettre, en effet, en perspective l’orgueil et l’intérêt qui sont les deux grandes passions humaines, c’est-à-dire à les relativiser. Est-ce que, par « la vérité simple », on va pouvoir se dégager du narcissisme, des pulsions d’orgueil et d’intérêt ? Ou bien, est-ce qu’un jour, nouveau Tartufe, l’apologiste de la « vérité simple » sera, en lui-même, plein de rhétorique, d’orgueil et d’intérêt, mais fera semblant de parler la vérité simple ? Il est évident que ce nouveau personnage de la tartuferie moderne – et là, nous avons besoin de Molière – ne sera plus le même Tartufe. Il suffit de savoir le remettre en scène. Le voici donc drapé en vérité simple qui se dit simple et qui est bourrée, mais en silence, car la rhétorique ne s’évacue pas comme ça, d’orgueil et d’intérêt.

« Les enfants mâles élevés depuis 5 jusqu’à 16 ans par la Patrie (...). Les enfants sont vêtus de toile dans toutes les saisons, couchent sur des nattes et dorment huit heures.  » C’est le côté spartiate qui revient. Pourquoi leur interdire les étoffes ? Pourquoi les nattes ? Interdiction du lit. Or, qu’est-ce que c’est qu’un adulte un peu conscient ? Un enfant qui a connu de bons lits. « Ils sont nourris en commun et ne vivent que de racines, de fruits, de légumes, de laitages, de pain et d’eau. » Passons maintenant à l’éducation : « L’éducation des enfants depuis 10 jusqu’à 16 ans est militaire et agricole. » Pas question de musique, par exemple. « Ils sont distribués en compagnies ; ils deviennent des légions. » Ah ! une bonne mesure : « Ils apprennent les langues.  » Mais les apprennent-ils avec ou sans rhétorique ? Tout cela est contradictoire. « Ils sont distribués au laboureur pendant le temps des moissons. » Déjà l’envoi à la campagne, comme en Chine. « Tous les enfants conserveront le même costume jusqu’à 16 ans. Depuis 16 ans jusqu’à 21 ans, ils auront le costume d’ouvrier. Depuis 21 jusqu’à 25, celui de soldat, s’ils ne sont pas magistrats. » Voyez comme, dès l’origine, est dissuadé l’esthète, voire celui qui aurait des goûts un peu trop féminins. « Ils ne peuvent prendre le costume des arts qu’après avoir traversé, aux yeux du peuple, un fleuve à la nage, le jour de la Fête de la Jeunesse. » Inutile de vous dire que moi, pas plus que Proust, je ne serais pas là. J’ai su nager très tard : je me serais noyé. Et attention ! aux yeux de tout le peuple..., sinon pas question de vous mettre le costume des arts. Tout de même, ces textes que je vous lis, est-ce que je rêve, on n’en parle pas souvent. C’est un scoop ! Je poursuis : «  Les filles sont élevées dans la maison maternelle. Dans les jours de fête, une vierge ne peut paraître en public, après 10 ans, sans sa mère, son père ou son tuteur. » (Bonjour Nabokov !) Cela est écrit au moment même où Sade est en prison. La seule question reste : est-ce que ce fut un progrès ou un régrès par rapport à la société plutôt dissolue du XVIIIe siècle (cf. Casanova, notre reporter le plus précieux de l’époque, Casanova qui n’est pas du tout contradictoire avec Sade, au contraire, puisque Sade était enfermé, ce qui lui a permis de nous donner la grande, l’admirable vérité de l’enfermement, alors que Casanova, lui, s’est faufilé partout).

Chapitre des « Affections » : « Tout homme âgé de 21 ans est tenu de déclarer dans le Temple... (très important le Temple, n’oublions pas que le peuple français reconnaît l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme), «  les premiers jours de tous les mois sont consacrés à l’Eternel ». Etre suprême, immortalité de l’âme. Eternel..., il faudrait ouvrir un séminaire pour savoir comment tout ça fonctionne, notamment par rapport à l’ancien truc : la Trinité et la Résurrection des corps. «  L’hymne à l’Eternel sera chanté par le Peuple tous les matins », voyez-vous. Quelque chose comme : Eternel, nous voilà !... Et, j’insiste : dans les Temples. Toutes les fêtes commencent par lui. Mais je continue : « Tout homme âgé de 21 ans est tenu de déclarer dans le Temple quels sont ses amis. Cette déclaration doit être renouvelée tous les ans dans le mois de Ventôse. » Voilà un texte assez ventouseur, non ? Ah ! l’immortalité de l’âme-itié... Très importante, l’amitié à cette époque ; elle prend une fonction de délire sacré, alors que les désordres, les liaisons de l’amour, sont automatiquement passés à la trappe. Ce qui a dû paraître aux contemporains une énorme révolution, mais pas forcément un progrès. Sade, lui, à l’époque, ne devait pas avoir beaucoup le temps de s’occuper de l’âme-itié et de son immortalité ; il avait d’autres préoccupations, par exemple de savoir comment le fait de découper les corps faisait jouir. En pensée, n’est-ce pas, bien sûr, alors qu’il aurait dû, lui, se faire trancher la tête, comme on continue de l’ignorer trop souvent. Rappelons-nous le jugement de Fouquier-Tinville cité par Lély dans sa biographie de Sade et qui devait être su par cœur par tous les Français. Sade a bel et bien été condamné à mort, et on ne doit qu’à une petite péripétie de changement de prison le fait qu’il n’ait pas été guillotiné.

Avançons. Ecoutez-moi ça : « Si un homme quitte un ami, il est tenu d’en expliquer les motifs devant le Peuple, dans les Temples, sur l’appel d’un Citoyen ou du plus vieux. S’il le refuse, il est banni.  » Eh bien ! bannissez-moi et oubliez-moi le plus possible... Je trouve ça beaucoup plus emmerdant que la messe à l’église, voire même que la confession auriculaire dans le secret du confessionnal. La pratique proposée par Saint-Just ressemble un peu à la protestante : la confession publique... Encore qu’il s’agisse, avec notre terroriste, d’une religion particulière qui, en fait, va beaucoup plus loin. « Les amis sont placés les uns à côté des autres dans les combats.  » Vieille tradition des légions romaines, et on retrouve ça chez les SS. « Ceux qui sont restés unis toute leur vie sont enfermés dans les tombeaux. » Décidément, on n’a la paix nulle part. « Si un homme commet un crime, ses amis sont bannis.  » Non, non, ne riez pas, c’est sérieux... « Les amis creusent la tombe, préparent les obsèques. » Je vous le disais : la mort, toujours, partout, comme maître absolu de l’amitié. L’amitié forte comme la mort. Avant, bibliquement, c’était l’amour, mais l’amour avec les terroristes n’est pas tellement à son affaire. «  Ils sèment les fleurs avec les enfants sur la sépulture. Celui qui dit qu’il ne croit pas à l’amitié ou qui n’a point d’amis est banni. » Marcel Proust est banni, à cause de ses déclarations, bien connues j’espère, contre l’amitié. Pressons un peu : « L’homme et la femme qui s’aiment sont époux. » Ouf ! tout de même…, mais pas question de libertinage. N’oublions pas que, dans la catégorie des êtres à éliminer (car chaque société délire aussi sur ses exclus, et j’en profite pour lancer un SOS-racisme rétrospectif), il y a les aristocrates, les fanatiques (ceux de l’ancienne religion, prêtres et assimilés, les croyants dans l’ancien Etre devenu non suprême) et puis les libertins. Ce qui m’a permis de dire que si vous étiez à la fois aristocrate, catholique et libertin, vous étiez guillotiné trois fois.


La Fête de l’Etre Suprême, par Pierre-Antoine Demachy (1794).
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Passons aux fêtes, aux rituels, il en fallait. Surtout en un moment où la religion catholique était parvenue à un état de merveilleuse décomposition. Cette religion catholique avait enfin abouti à ce qu’elle doit être : le moins de religion possible, chose que, probablement, l’humanité ne peut pas supporter. A un moment où le catholicisme était arrivé à son sommet, à savoir la dissolution de tout esprit religieux (vous voyez que je ne suis pas pour reprendre Simone Weil), à un moment, donc, où ce qui fait la grandeur du catholicisme : prendre la chose masochiste en son tréfonds, dans l’abîme de la mort et de la souffrance, et la transformer par une alchimie subtile en rosée inessentielle, — il, a soudain fallu remettre de la contrainte. J’évoque le masochisme pour faire rire Sade dans sa prison, Sade à qui ce cirque devait quand même paraître extraordinairement fou.

Les Fêtes : « Le premier jour du mois de Germinal, la République célébrera la Fête de la Divinité, de la Nature et du Peuple. Le premier jour du mois de Floréal, la Fête de la Divinité, de l’Amour et des Époux. Le premier jour de Prairial, la Fête de la Divinité et de la Victoire. Le premier jour du mois de Messidor, la Fête de la Divinité et de l’Adoption. Le premier jour du mois de Thermidor, la Fête de la Divinité et de la Jeunesse. Le premier jour du mois de Fructidor, la Fête de la Divinité et du Bonheur. Le premier jour du mois de Vendémiaire, le public célébrera dans les Temples la Fête de la Divinité et de la Vieillesse. Le premier jour du mois de Brumaire, la Fête de la Divinité et de l’Ame immortelle. Le premier jour du mois de Primaire, la Fête de la Divinité et de la Sagesse. Le premier jour du mois de Nivôse, la Fête de la Divinité et de la Patrie. Le premier jour du mois de Pluviôse, la Fête de la Divinité et du Travail (travail, famille, patrie, oui, oui !…). Le premier jour du mois de Ventôse, la Fête de la Divinité et des Amis », etc. On n’en peut plus !

Les vieillards, eux aussi, sont intéressants. Pour eux, comme pour tous, tout se passe au Temple. Est-ce qu’on avait envisagé de transformer toutes les églises en Temples ? Je suppose que ce devait être prévu au programme, avant que celui—ci ne parte en fumée. « Les Citoyens s’assemblent au Temple pour y examiner la vie privée des fonctionnaires et des jeunes hommes au-dessous de 21 ans. » Heureusement, toutes ces choses n’ont pas pu avoir lieu, du moins au grand jour. Mais rien ne nous interdit de rêver et de penser que de tels examens se font peut-être encore dans des Temples imaginaires. Je tourne la page, et je tombe sur cette phrase de Saint-Just que je suggère d’écrire en capitales : « ON N’ÉCRIT POINT CE QUI SE PASSE DANS LES TEMPLES. » On est là aux antipodes de la magnifique scène de la Juliette de Sade. Presque par contrepoids à une proposition de ce type, Sade prend le Pape vivant et lui fait accomplir une orgie sanglante sous le baldaquin du Bernin. « On n’écrit point… », je vous le mets en parallèle à « ils parlaient en faveur des théâtres » ou bien : « on apprendra aux enfants le mépris des rhéteurs  ». Ai-je besoin d’insister… ? Ces Temples fonctionnent comme des tribunaux. Il y a une instance là qui pèse. Laquelle ?


Fête de l’Être Suprême. 20 Prairial an II (8 juin 1793)
Détail d’un éventail montrant Robespierre brûlant
l’athéisme et le fanatisme et dévoilant la Vérité.

La Divinité, l’Etre suprême… ? Comme on n’a pas encore le nouveau catéchisme, il est difficile de savoir exactement de quoi il s’agit. L’Etre suprême, c’est peut-être le premier qui arrive et qui dit « c’est moi ! ». Ça pourrait être aussi la première pouffiasse venue qui déciderait qu’elle est en contact avec l’Etre suprême et qu’il parle à travers elle. Ça se verra plus tard. Il y aura des gens qui penseront entrer en contact avec l’Etre suprême. Des poètes, par exemple. Hugo entre en contact avec Dieu, il lui parle, l’autre répond. Et pourquoi ça ne serait pas vous, ça ne serait pas moi ? Il suffit, en somme, d’avoir une très grande gueule pour imposer son vertige. Ne me dites pas que par la suite les exemples ne vont pas abonder. Entrée des médiums… En littérature comme ailleurs. Que de cinglés ! Je vous amène d’ailleurs, progressivement, à la pouffiasse sibylle ou oraculaire, Duras, par exemple, avec sa grosse voix saccadée. Elle se profile vite, celle-là. « Les femmes ne peuvent être censurées.  » Comme c’est passionnant de se mettre dans la tête des terroristes, ce que personne ne fait, allez savoir pourquoi. On avait donc : « On n’écrit pas dans les Temples » et voilà maintenant : « Les femmes ne peuvent être censurées ». Tiens donc ! Et pourquoi ? Seraient-elles la censure en soi ? Ce n’est pas impossible. Il faut le mettre sur un divan ce Saint-Just. Est-ce que je serais le premier à le faire ? « Les rites des différents cultes seront respectés dans les funérailles. » Ainsi, ce n’est que dans la mort que la liberté des cultes est observée. Dans la mort, nulle part ailleurs. On se demande, d’ailleurs, comment les différents cultes pourraient être respectés dans la mort, S’ils sont par ailleurs, dans la vie, interdits et regroupés dans-celui de l’Etre suprême. Il y a là un de ces sophismes qui indique bien sur quoi l’édifice repose, à savoir que la mort intervient comme le Maître absolu de l’Etre suprême.

« Les cimetières sont de riants paysages. » Et à « L’oisiveté est punie. » Ubu-Roi vient de cette région : tout cela est de la pataphysique, bien sûr.

Les arts, maintenant. « Bien que la République honore les Arts et le Génie… » On se demande lesquels, sans théâtres, sans rhétorique… Les arts, dans les Temples ?… Les églises, on permettait aux gens d’écrire dedans ; ça a donné ces graffitis qu’on appelle la peinture. Il en reste quelques traces, non négligeables : Titien, Greco, Tintoret, Giotto… « Tous les citoyens rendront compte chaque année dans les Temples de la situation de leur fortune. » Mieux vaut le savoir. Mais enfin, si je vous dis que l’Administration générale des impôts, le percepteur, ont aujourd’hui une fonction qui est considérée comme sourdement sacrale, vous dirai-je une énormité, ou bien est-ce que je toucherai à une suite logique, diffuse, symbolique, de cette proposition de loi ?

Le Temple, le Temple… Jamais vous n’avez lu en français, jamais vous ne lirez plus autant de fois dans un texte le mot Temple. Sa fréquence est là tout à fait saisissante pour les historiens de la langue et de son usage. Mais avançons : « Nul ne mangera de chair le 3e, le 6e, le 9e jour des Décades. (… ) Les enfants ne mangeront pas de chair, avant 16 ans accomplis. » Tout de suite après la chair, car il s’agit de la ligne suivante : « Sinon dans les monnaies, l’or et l’argent sont interdits. » Merveilleux inconscient de Saint-Just. Et si j’avais envie de faire une œuvre d’art avec de l’or ? Impossible. Il faudra alors couler…, quoi ? Eh bien ! les ciboires, par exemple… Pour les transformer en monnaie… Je saute les passages sur les mœurs de l’armée. Sur la censure, c’est très clair : « Il faut dans toute révolution un dictateur pour sauver l’Etat par la force (Napoléon peut se pointer, la porte lui est ouverte) ou des censeurs pour le sauver par la Vertu. » Programme de réintroduction de la censure qui, je le signale, en était arrivée en 1788, à quasiment rien. Il faut être sérieux avec cette affaire : si les philosophes français (et depuis on n’a pas fait mieux, contrairement à ce qu’affirme la propagande germanisante) vont donner des leçons à tout le monde en Prusse, en Russie, en Suède, ce n’est pas parce qu’ils étaient vraiment interdits de séjour en France. Oui, La Lettre sur les aveugles a eu des petites histoires, mais la censure était probablement arrivée alors à son état minimal. L’humanité peut-elle vivre sans aucune censure ? Sûrement non. Mais il faut savoir de quelle façon il y a articulation entre la représentation des fantasmes, des discours, et la loi. Finalement, les Girondins ont gagné, ce qui est la raison même.

On peut arrêter là les citations, je crois qu’elles sont en elles-mêmes suffisamment éclairantes. On pourrait marquer encore un arrêt sur tel fragment de la magnifique prose de Saint-Just : « Ce qui produit le bien général est toujours terrible, ou parait bizarre lorsqu’on commence trop tôt. » Vous faites un jeu, vous dites : qui a écrit ça ? Staline ? Lénine ? L’imâm Khomeyni ? Hitler ? Goebbels ? Vous êtes sûr, en tout cas, que ce n’est pas la reine d’Angleterre. « Ce qui produit le bien général est toujours terrible… » Mais alors, pourquoi s’occuper du « bien général » ? Il vaudrait peut-être mieux s’occuper du bien particulier qui rejaillirait sur le bien général ? « L’exercice de la Terreur a blasé le crime, comme les liqueurs fortes blasent le palais. » Ces braves gens ne sont pas pour l’usage du vin de la Gironde qui pourrait servir à un crime particulier. Le palais est emporté par le schnaps. C’est le moment où Saint-Just trouve que la Terreur a pris de la vitesse, qu’il faut des lois, des freins, un peu de théologie, quelque chose qui permette, à cette mort, de lui donner un sens général. Les gens doivent mourir ensemble, voilà le bien général. Saint-Just, comme Robespierre, comme les autres, sent que dans Son Temple, où on n’écrira pas ce qui se passe, la mort va trop déborder pour être la bonne mort.

Si j’ai choisi de parler de Saint-Just, c’est pour sortir de l’habituel folklore révolutionnaire sur lequel beaucoup de livres ont été écrits. En quelques instants, on a fait, je crois, une plongée saisissante au cœur du problème. Cette tension, cette intention, il convient de l’écouter pour entrer ensuite dans la tête de ceux qui ont eu, et qui auront, le même asticotage à l’Etre suprême. C’est tout de même extraordinaire, nous sommes ici à la fin du XVIII° siècle ; vous prenez les Présocratiques dans la belle Pléiade qui vient de paraître, ils nous arrivent après 2500 ans, Empédocle, Héraclite, Démocrite, surtout Démocrite, et vous allez les lire comme des gens qui vous parlent immédiatement de choses où l’Etre suprême, l’Etre même, est tout à fait problématique, ce qui est préférable à mon sens pour parler une langue originale. Il y a le Grec. Ensuite, puisque nous sommes à l’époque de toutes les révélations, vous pouvez prendre votre Bible préférée, vous y lirez les aventures de l’Etre en hébreu, si ça vous chante (et vous ne serez pas dans le Temple mais à la Synagogue). Rien ne vous oblige à concocter ce mystérieux refoulement de l’Histoire qui s’est produit là, cette fausse synthèse de mauvais goût ; rien ne vous oblige à chercher, avec férocité, l’unicité dans aucune langue particulière. Heidegger le sentait, il fallait que ce fût dans une langue, et quand il dit l’allemand, il sent bien que si ce n’est pas fondé dans une langue — l’allemand pour tout le monde, l’Etre… aux dépens de l’Hébreu — on allait se trouver dans cette même impasse que celle de la Révolution dont les effets se sont évanouis tout en restant « clandestins ». Seulement, voilà, ce n’était pas l’allemand non plus parce qu’il y avait ce foutu grec qui tenait dessous. D’où traductions : Hölderlin, Héraclite, Anaximandre… Ah ! c’est épatant ça, ça impressionne… Et puis, il y a l’hébreu qui n’est toujours pas dans ce coup-là, quoi ! « Oui, je viens dans son temple adorer l’Eternel. » Oui-je-viens-dans-son-temple-adorer-l’Eternel… Racine, dites-nous ça les demoiselles de Saint-Cyr, soupire Madame de Maintenon. Le roi est vieux, il va être obligé de se remarier... Comme il est loin le temps où on s’amusait tellement bien avec Molière, disciple, avec La Fontaine, de Gassendi, le philosophe que tout le monde devrait connaître, et dont personne ne sait qui c’est, puisque je ne peux pas acheter en librairie un livre de Gassendi ! La France, ce n’est pas Descartes, c’est Gassendi ! J’ai demandé les livres, je les ai reçu en latin et... en russe ! Gassendi participe de la logique du matérialisme et les Russes se sont fendus de ça. C’était leur idéologie. Mais, en français, rien. Étrange, non ? Gassendi, ici, à Paris, était en dehors de tout Etre suprême. Tout comme Molière et La Fontaine. Molière et La Fontaine sont les écrivains tout neufs que je recommande, donc, pour la période post-révolutionnaire que nous vivons. Telle est ma suggestion au Ministère de la Culture et de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire, Ministre du Cinquième Millénaire préparant le Troisième Centenaire, salut, fraternité et santé.

Philippe Sollers — 1989 (intervention parlée).


Exemplaire 122.
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Cette intervention a été reprise dans le numéro 25 de L’Infini consacré à Voltaire (printemps 1989) et ensuite dans Improvisations (1991, folio essais 165). Elle est contemporaine de Sade contre l’Être suprême.

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Saint-Just par David (?).
Huile sur toile, 50 cm x 71 cm
Collection privée.

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Écrits de Saint-Just

Discours choisis (1792-1794)
Et, plus inattendu : Organt (poème épique en vingt chants et 7000 vers. Éditeur : Au Vatican (!) [Paris, Demonville], 1789 [8]).

Saint-Just dans les dictionnaires

Philippe Le Bas (Dictionnaire encyclopédique. T. XII. Paris, 1845)
Auguste Kuczinski (Dictionnaire des Conventionnels, éd. Société de l’histoire de la révolution française, 1916)
Albert Soboul (Dictionnaire historique de la Révolution française. P.U.F., 1989)
Claude Manceron (La Révolution Française. Dictionnaire biographique, éd. éd. Renaudot et Cie, 1989)
Mona Ozouf (Dictionnaire critique de la Révolution française, Flammarion, 1992).


Vive la Convention nationale qui par son énergie et surveillance a délivré la République de ses tyrans.
Exécution de Robespierre et de ses complices (Saint Just et Couthon) conspirateurs contre la Liberté et l’Égalité.
Estampe anonyme, 1794.

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« Et si la Révolution n’était un fait de société exempt de Terreur que dans la mesure où elle n’est pas socialisable ? »

Marcelin Pleynet.

Poésie et « Révolution »

par Marcelin Pleynet

Extraits d’une conférence faite à Nantes le 17 novembre 1999 [9].

Révolution et Terreur

Qu’entendons-nous aujourd’hui par « révolution » ? Aujourd’hui, ici maintenant, alors que, comme l’écrit Guy Debord, en 1967, dans La Société du spectacle, et plus que jamais en cette fin de XXe siècle : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

De ce spectacle auquel, bon gré mal gré, nous nous prêtons, et pour lequel nous ne sommes désormais plus qu’une marchandise, entre autres, nous ne pouvons sans doute rien faire entendre qui ne soit déjà pris dans son renversement et converti à l’ordre spectaculaire de la marchandise.

Le soupçon, la suspicion (qu’entretient l’accumulation juridique des affaires publiques ou privées), la curiosité, le questionnement même, participent désormais de l’intrigue marchande du spectacle.

Et, à y bien réfléchir, n’est-ce pas parce que dans ce « monde réellement renversé le vrai est un moment du faux » que la fin du XXe siècle, hérite de la question de la « révolution », comme la fin du XIXe siècle héritait de « la mort de Dieu » ?

Dans « le monde réellement renversé », la « révolution » n’est-elle pas la seule pensée susceptible de tenir compte de ce qui se renverse dans ce qui revient ? Mai 68 s’est confronté et a tenté d’assumer cette perspective. Nous n’en sommes pas revenus, et la question se pose encore.

Reste à savoir ce que, dans cet héritage, et dans ce contexte, nous entendons ici, aujourd’hui, maintenant, par « révolution » ? Qu’est-ce qui se propose à nous dans ce questionnement ?

Pour jouer et déjouer ce que le mot « Révolution » ne peut pas ne pas désormais conventionnellement représenter dans l’ordre de la marchandise spectaculaire, je m’arrêterai d’abord si vous le voulez bien à cette apparemment insolite proposition de Baudelaire :

« La Révolution a été faite par des voluptueux. »

Comment comprendre cette déclaration de Baudelaire ?

On sait que, entre janvier et mars 1866, Baudelaire travaille à une préface pour la réédition des Liaisons dangereuses de Laclos. L’accident survenu en visitant l’église Saint-Loup à Namur, le 15 mars, entraîne des troubles cérébraux et prive Baudelaire de toute possibilité de poursuivre son oeuvre. Il meurt, le 1er janvier 1867, sans y avoir ajouté un mot. Ces notes de travail sur Laclos sont les dernières lignes que Baudelaire ait écrites.

En 1866, l’intérêt de Baudelaire pour Les Liaisons dangereuses, n’est pas nouveau. Dès 1848, dans une étude sur Edgar Poe, Baudelaire comptait Laclos au nombre des « romanciers forts ». Il prend un certain nombre de notes sur le roman de Laclos en 1856-1857 pour y revenir plus précisément neuf ans plus tard [10].

Il y a donc toute raison de s’arrêter à cette ultime pensée du poète. L’histoire de la littérature nous en fait bien entendu une obligation. Comment ne pas tenir compte de l’opinion d’un des plus grands poètes français sur l’incomparable roman de Laclos ?

Mais est-ce bien d’abord d’histoire de la littérature qu’il s’agit ? Quelle histoire et quelle littérature ?

Si l’on consulte les notes de Baudelaire sur Les Liaisons dangereuses, et notamment les notes de 1866, on est frappé par leur caractère confidentiel et intime d’expérience vécue, qui les rapproche de Fusées, de Mon coeur mis à nu, de ce que Baudelaire déclare, dans une lettre à sa mère, « la vraie passion de mon cerveau ».

Ainsi la question que je me suis posée en commençant : Que faut-il entendre par cette déclaration de Baudelaire : « La Révolution a été faite par des voluptueux », cette question s’éclaire d’un jour nouveau, si l’on sait qu’elle est précédée d’une note qui ne semble pas a priori directement liée au roman de Laclos. Juste avant d’écrire « la Révolution a été faite par des voluptueux », Baudelaire note : « Lettres de mon père (badinages). »


Baudelaire par Carjat. 1862 [11].
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

En juin 1863 Baudelaire a remercié sa mère de lui avoir envoyé des lettres de son père : « Ces vieux papiers, écrit-il, ont quelque chose de magique. Tu ne pouvais pas choisir une manière plus sûre de me toucher. »

Ces lettres du père de Baudelaire n’ont jamais été retrouvées.

Une occasion de se demander pourquoi les biographies consacrées aux poètes, aux romanciers, aux artistes plus généralement, font, c’est un fait pour Baudelaire et pour Rimbaud, si généreusement place à la présence maternelle, pour le plus souvent occulter la figure du père ? Nous verrons tout à l’heure ce qu’une telle constatation peut avoir de rapport d’intelligence avec la Révolution et avec la Terreur.

C’est pourtant bien à la figure du père que nous sommes ici explicitement renvoyés.

« Lettres de mon père (badinages). »
« La Révolution a été faite par des voluptueux. »

Il ne fait aucun doute ici que, pour Baudelaire, la figure de son père vient ultimement et biographiquement éclairer ce qu’il pense de la Révolution. On peut même se demander, mais dans ce cas la question est une réponse, si l’oeuvre de Baudelaire n’est pas, dans son mouvement, essentiellement déterminée, par la figure de son père et ce que cette figure éclaire de la Révolution.

Faut-il rappeler que, né en 1759, Joseph-François Baudelaire, le père du poète, fut ordonné prêtre, en 1783 (Les Liaisons dangereuses, date de 1782), et qu’il abdiqua ses fonctions sacerdotales en 1793. Il se marie trois ans plus tard et, veuf en 1814, il épouse, en seconde noce, Caroline Dufays, la mère du poète, qui a 34 ans de moins que son mari. À la naissance de Charles Baudelaire, en 1821, son père a 62 ans et sa mère 28.

La Révolution occupe, on l’entend, une place tout à fait particulière, dans la vie et la pensée de Baudelaire, fils d’un prêtre défroqué en 1793, soit au début de la Terreur.

On ne peut pas douter que cet événement considérable dans le français, que constitue l’oeuvre de Baudelaire, ne soit à la fois lié à la Révolution et au règne de la Terreur.

Au demeurant, et d’abord pour des raisons de stricte chronologie, ce n’est pas, loin de là, la seule oeuvre du XIXe siècle qui se trouve dans cette situation. Elle l’est toutefois selon une occurrence qui dévoile un caractère, le plus souvent occulté du mouvement révolutionnaire français de la fin du XVIIIe siècle, qui tend à se confondre avec le puritanisme de Saint Just et de Robespierre, c’est-à-dire avec la Terreur.

« La Révolution a été faite par des voluptueux » écrit Baudelaire pour qui cette pensée n’a rien d’abstraite, mais participe d’une expérience créatrice, existentielle.

Baudelaire ajoute, dans la suite de ses notes sur Les Liaisons dangereuses : « Les livres libertins commentent donc et expliquent la Révolution. » Proposition qui mériterait d’être poursuivie, en reprenant l’oeuvre et la vie de D. A. F. de Sade, mort comme l’on sait en 1814.

Mais restons-en à Baudelaire qui poursuit :

« Ne disons pas : Autres moeurs que les nôtres, disons : Moeurs plus en honneur qu’aujourd’hui. Est-ce que la morale s’est relevée ? Non, c’est que l’énergie du mal a baissé. — Et la niaiserie a pris la place de l’esprit (c’est moi qui souligne). La fouterie et la gloire de la fouterie étaient-elles plus immorales que cette manière moderne d’adorer et de mêler le saint et le profane ? (Baudelaire vise ici ce qu’il dit « les drames et les romans honnêtes ».) On se donnait alors beaucoup de mal pour ce qu’on avouait être une bagatelle, et on ne se damnait pas plus qu’aujourd’hui, mais on se damnait moins bêtement. On ne se pipait pas. (C’est moi qui souligne une expression désormais peu utilisée dans la mesure je suppose où elle est plus significative que jamais — qu’arrive-t-il lorsque ce ne sont plus les dés qui sont pipés mais celui qui les jette ?). »


Alexandre-Evariste Fragonard, Marguerite Gérard
et Charles Monnet. Édition de Londres, 1796.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Dans ces notes, Baudelaire, bien entendu, ne nous entretient de la Révolution et de la société du XVIIIe siècle, que pour mieux dévoiler ce qu’il en est advenu au XIXe siècle (« la niaiserie a pris la place de l’esprit »). Tout en précisant que Les Liaisons dangereuses sont un « livre essentiellement français (c’est moi qui souligne) — Livre de sociabilité terrible, mais sous le badin et le convenable. Livre de sociabilité. »

C’est en français et dans le français que surgit et perdure la question.

N’en sommes-nous pas aujourd’hui encore à nous demander ce qu’il en fut de la Révolution française, du français dans la Révolution et de la révolution dans le français ? En septembre dernier Carlos Fuentes se demandait en première page du journal Le Monde, « Quelle est la meilleure révolution du millénaire écoulée ? » pour conclure : « Je suis persuadé que la Révolution française a été la meilleure révolution du millénaire. »

Mais que faut-il entendre aujourd’hui par « la Révolution française » ? Si ce n’est d’abord ce en quoi elle servit de modèle à d’autres révolutions préparant des régimes de terreur et de répression : Révolution soviétique, Révolution national-socialiste, etc.

Ce que souligne l’intervention de Baudelaire c’est que, dès le milieu du XIXe siècle, un certain nombre d’interprétations se font jour et se proposent plus ou moins officiellement, plus ou moins institutionnellement, à gérer les conséquences de cette très singulière aventure.

Attribuer la Révolution française aux voluptueux et aux libertins n’a évidemment rien d’orthodoxe. Et je ne pense pas qu’aucune histoire de la Révolution française, ait jamais pris en compte la proposition de Baudelaire. Proposition qui, au demeurant, serait difficile à enseigner dans les écoles. Or l’enseignement scolaire n’est-il pas considéré comme un des principaux acquis de la Révolution. Hugo, Michelet, Quinet, Renan, Taine, et leur parti, ne cesseront d’y revenir.

Il n’en reste pas moins que l’interprétation de Baudelaire est la seule qui permette de considérer manifestement la Terreur comme une contre-révolution et, par voie de conséquence, de considérer la morale laïque comme un modèle de terrorisation. L’auteur des Fleurs du mal, dont certaines pièces resteront condamnées de 1857, jusqu’au milieu du XXe siècle, est bien placé pour savoir de quoi il s’agit.

On peut très bien comprendre comment voluptueux et libertins, figures éminemment singulières, et singulièrement actives, peuvent sans autre justification métaphysique révolutionner l’ordre public, et la pensée religieuse de cet ordre.

Il est quasi impossible d’attribuer ce rôle révolutionnaire au « peuple » sans que cette entité ne se trouve investie d’une aura métaphysique et d’une mission implicitement, voire, explicitement, religieuse et, en conséquence, susceptible de justifier toutes les répressions.

La pensée de Baudelaire vise ici très clairement cet aboutissement de la Révolution française et un gouvernement qu’il est difficile, voire impossible, de distinguer d’une forme d’aménagement de la Terreur.

Si l’on retient ce que Baudelaire s’emploie à éclairer, on constate que, dès le milieu du XIXe siècle, les historiens de la Révolution, et d’abord cet extraordinaire prosélyte du « peuple » qu’est Michelet, ne parviennent pas vraiment à se débarrasser, ni à trouver une explication plausible de la Terreur.

À la fin de sa monumentale Histoire de la Révolution française, Michelet écrit à propos de Robespierre : « La destinée soigneuse, ce semble, de sauver un homme en qui, après tout, étaient de grandes choses et avec qui peut-être périssait la Révolution, la destinée, prodigue pour lui au dernier moment, ne se contenta pas de lui donner la victoire, elle lui offrit la sagesse. »

Et un peu plus loin : « Plus je sonde l’expérience, l’histoire, la nature, plus j’interroge l’étude que je fais depuis dix ans du caractère de Robespierre, plus je suis porté à croire qu’il ne sut les machinations de sa propre police que d’une manière très générale, qu’il n’en connut point le hideux détail. »

Un discours qui évoque curieusement certaines déclarations que l’on a pu entendre, dans l’immédiate après Seconde Guerre mondiale, et dans la seconde partie du XXe siècle.

Révolution et Terreur forment un couple que l’on retrouve, sur l’exemple de la Révolution française, avec la Révolution soviétique, avec la Révolution national-socialiste, avec l’Allemagne nazie, la Russie stalinienne, et avec la Révolution nationale et la France de Vichy.

Ce couple est-il tout à fait indivisible ? Qu’est-ce qui le constitue ?

L’oeuvre, la vie et la carrière de Baudelaire manifestent activement la complexité des enjeux de ce duel (Révolution et Terreur) pour, en un ultime mouvement, définir ce qui objectivement détermine la Révolution (les voluptueux) et, par voie de conséquence, la contre-révolution terrorisée et immédiatement répressive se réalisant en Terreur.

En ce sens, baudelairien si l’on veut, la Révolution, telle qu’elle surgit exemplairement à la fin du XVIIIe siècle, ne pouvait qu’être française.

En ce sens elle fut et reste l’objet d’une fascination ambivalente et le plus souvent inconsciente, qui n’a pas, en conséquence, bien entendu, les moyens de faire, si je puis dire, l’économie de la Terreur.

Pouvons-nous ici, aujourd’hui, maintenant, en cette fin de XXe siècle, à la veille des transformations que suppose la confédération des États européens ; pouvons-nous demander et penser ce que nous héritons, ce que la France, ce que le gouvernement de la France sous sa forme républicaine, et par voie de conséquence, ce que l’Europe, héritent de la Révolution et de la Terreur ?

La première République française naît avec la première Terreur, et se poursuit, de 1792 à septembre 1804, en traversant la seconde Terreur qui, comme l’on sait, provoque l’élimination et l’exécution des Girondins auxquels, dans un de ses plus célèbres discours, Saint ]ust reprochera, entre autres, de parler « en faveur de la liberté des théâtres. » (sic).

Effectivement, pour la première République, implicitement, pour l’esprit républicain, et pour nous aujourd’hui encore, la République est indissociable de la grande Révolution qui n’a pourtant jamais été efficacement pensée dans ce qui la distingue de la Terreur.

En conséquence le couple Révolution et Terreur hantera l’histoire du XIXe siècle, et plus tragiquement encore celle du XXe siècle.

La Terreur aura bien entendu été dénoncée comme telle, dès la chute de Robespierre ; comme l’est, de nos jours, d’une part la terreur stalinienne, et d’autre part la terreur hitlérienne.

Mais la question reste suspendue de savoir comment la Révolution française, qui donne naissance à la République, peut avoir produit la Terreur. [...]

Marcelin Pleynet, Poésie et « Révolution », Éditions Pleins Feux, 2000, p. 9-20.

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La Révolution d’un voluptueux


Mirabeau, dessiné et gravé par Bréa d’après le buste moulé sur nature par Deseine, 1792.
Source : BnF/Gallica. Zoom : cliquer l’image.
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Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau (1749-1791) est un des grands inconnus de la culture et de l’histoire française. C’était un révolutionnaire, mais pas dans le sens jacobin. Cette erreur coûte cher. Il est donc en enfer, ce qui, à mes yeux du moins, le rend beaucoup plus intéressant que les vedettes officielles.

Baudelaire, à la fin de sa vie, prépare une préface pour Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Il a cette formule fulgurante : « La Révolution a été faite par des voluptueux. » Autrement dit, la Contre-Révolution et la Terreur ont été l’oeuvre des vertueux. Voilà ce qu’on nous cache.

Mirabeau, le plus grand orateur de la Révolution, est aussi un écrivain pornographique, philosophiquement pornographique. Sa relation avec Sade est évidente (sauf pour les passions cruelles). Mais son propos, qui est un trait essentiel et méconnu de la philosophie française, porte sur l’éducation des filles, point crucial.

Comment l’esprit vient-il aux filles ? La Fontaine s’est occupé de cette question. Mais c’est dans la France des Lumières, et nulle part ailleurs, qu’un développement subversif de cette idée a pu avoir lieu. Les vertueux (et tueurs) lisaient Rousseau. Ils ne pouvaient pas accepter Mirabeau.

Il est violent et passionné, Mirabeau. A 17 ans, lieutenant de cavalerie à Saintes, ses débauches et sa vie scandaleuse conduisent son père à le faire enfermer à l’île de Ré.

On l’envoie ensuite en Lorraine, puis en Corse. Trois autres incarcérations : à Manosque, au château d’If, et au fort de Joux, près de Pontarlier.

Philosophiquement, Mirabeau est un physiocrate, c’est-à-dire quelqu’un qui pense que la nature doit régler les rapports sociaux.

Brouillé avec sa famille (et pour cause), Mirabeau vit à Londres en 1784. Il commence à s’occuper sérieusement de politique. Il est en mission secrète en Prusse. Il a une correspondance chiffrée avec le futur Talleyrand. Son Histoire secrète de la cour de Berlin montre l’étendue de ses informations et de son insolence. Au commencement des Etats généraux, en France, il est élu du tiers état à Aix, et il fonde le Journal des Etats généraux. On connaît son mot fameux : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » C’est parti.

Mirabeau est partisan d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. Il est très populaire, mais modéré. Dès le mois de mai 1790, il a une entrevue secrète avec Marie-Antoinette à Saint-Cloud. Il veut conseiller Louis XVI. La cour le paye, mais ne suit pas ses avis (grosse erreur).

Mirabeau était-il laid ? Cela jurerait avec son nom magnifique qui signifie la beauté du regard. L’époque parle d’une «  laideur grandiose et fulgurante ». En tout cas, ses discours enflamment ses auditoires. L’époque veut aussi qu’il ait été usé par ses débauches continuelles. Il meurt en effet à 42 ans, le 2 avril 1791.

La Convention le fait transporter au Panthéon. Mais il sera "dépanthéonisé" après la découverte de ses liens d’argent avec le roi et la reine. Je serais personnellement d’avis qu’il soit "repanthéonisé" pour cause de génie.

Le Rideau levé permet de connaître l’art et la portée des idées philosophiques de Mirabeau. Ce qu’il préconise est en effet stupéfiant, et d’une grande actualité dans notre époque de violent conformisme.

Dès le début sont récusés les « censeurs atrabilaires, les dévots, les hypocrites, les fous, les prudes, les guenons, les vieilles mégères ».

Cela fait du monde.

Vient ensuite la démonstration, dans le style courant du XVIIIe siècle, c’est-à-dire la confession par lettres. Laure raconte son étrange éducation à son amie de couvent, Eugénie.

De quoi s’agit-il ? D’un inceste père-fille. Ruse de Mirabeau : le père n’est pas le géniteur de sa fille, il a couvert le fait que sa femme était enceinte au moment où il l’a épousée. Ici, l’humour est à son comble : comme il n’a pas engendré sa fille, l’inceste qu’il pratiquera avec elle ne pourra être que positif.

Le couvent, non seulement éloigne du bruit social, mais permet « les effets échauffants d’une imagination exaltée dans la retraite et l’oisiveté ». C’est une prison, mais une prison favorable à l’excitation. De toute façon, « le bonheur des femmes aime partout l’ombre et le mystère ». C’est une loi dont nous avons peut-être perdu la science. La mère est morte, la fille est libre, son père l’adore et elle adore son papa, Laure va donc aller de découverte en découverte, aidée en cela par sa gouvernante de 19 ans, Lucette.

Je vous laisse lire. Mais qu’une fille (ou, plus tard, une femme) puisse déclarer, grâce à cette éducation parfaitement scandaleuse que « l’envie et la jalousie sont étrangères à son coeur  », voilà la rareté de la chose.

Supprimer l’envie et la jalousie serait donc possible ? Mirabeau veut en faire la démonstration.

Le père, ici, est un philosophe. Sa fille le décrit ainsi : « Un homme extraordinaire, unique, un vrai philosophe au-dessus de tout. »

Le sexe de son père, lui, est un « vrai bijou ».

Action. « Depuis ce temps tout fut pour moi une source de lumières. Il me semblait que l’instrument que je touchais fût la clef merveilleuse qui ouvrait tout à coup mon entendement. »

On sait (on ne sait pas assez) que Mirabeau a été un partisan résolu de la masturbation, surtout à deux, la solitaire entraînant « une très grande dissipation des esprits animaux. » Ce qui est frappant, dans Le Rideau levé, c’est la mise en garde contre les excès sexuels, aussi destructeurs que les grossesses forcées ou intempestives. Le sexe a une fonction de connaissance, mais sans cette connaissance il est très vite destructeur ou abrutissant.

Au contraire, « tout est plaisir, charmes, délices, quand on s’aime aussi tendrement et avec autant de passion ».

Mirabeau est très précis : toutes les positions y passent, en hommage à la vraie philosophie.

Une philosophie que l’on peut dire résolument féministe, quitte à faire hurler ceux ou celles qui croient connaître le sens de ce mot.

Le lesbianisme le plus raisonné est ainsi célébré, et cette révélation vient du père. Le Père, en somme, est un nouveau dieu qui prend la place du Dieu ancien (ce Dieu procréateur étant faussement hétérosexuel).

Audace de Mirabeau : sa poétique sensuelle est en même temps une politique révolutionnaire. On ne l’a pas entendu, c’était couru.

Derniers mots de Laure, après la mort de son père, à Eugénie : « Mais, tendre amie, oublions l’univers pour ne nous en tenir qu’à nous-mêmes. »

Moralité : une femme n’a qu’un seul homme dans sa vie : son père. Le meilleur usage qu’elle peut en faire, à condition qu’il ait été un vrai philosophe français, est d’en tirer des plaisirs en connaissance de cause.

Je renvoie ici à un autre de mes romans qui poursuit le même esprit à travers le temps : Les Folies françaises. J’aurais pu le dédier à Mirabeau.

Philippe Sollers, Le Monde des livres, 26 juin 2010.
Préface pour Le Rideau levé ou L’Education de Laure, de Mirabeau (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2004).

« Je t’envoie, cher chevalier, un manuscrit gaillard. Tu aurais de la peine à t’imaginer où je l’ai pris. C’est une bagatelle sortie d’une jolie main de mon sexe, et c’est un délassement badin adressé dans un cloître. Comment un tel bréviaire se put-il introduit parmi les guimpes d’une religieuse ? C’est ce que mes yeux eurent de la peine à me persuader : Rien n’est cependant plus vrai, cher chevalier, et c’était un présent digne de sa destination. L’amour n’est point étranger dans ces lieux : le sentiment constitue le naturel du beau sexe ; la sensibilité forme la principale partie de son essence ; la volupté exerce un empire vainqueur sur ces êtres délicats. A ces dispositions originaires, qu’on joigne les effets échauffants d’une imagination exaltée dans la retraite et l’oisiveté, on trouvera la raison de cette fureur intestine qui nous maîtrise dans les couvents. »
Plus connu pour sa participation à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme que pour ses textes de fiction, Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, fut un débauché, un opportuniste et surtout, un orateur de génie. Son éloquence était telle qu’elle était saluée par Rivarol, pourtant féroce adversaire des idées nouvelles. Cette éloquence, on en retrouve la trace dans ce Rideau levé, qui va au-delà du simple exercice de style, passage obligé des écrivains inspirés par l’esprit des Lumières. Nous sommes au temps où la philosophie révolutionnaire naît dans le boudoir, croît dans les cafés et expire sur l’échafaud... Cet ouvrage, paru il y a plus de deux siècles, reste d’une étonnante actualité.
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Extrait

« Cet ouvrage ne serait pas moins déplacé devant ces êtres engourdis que l’amour ne peut émouvoir : je parle de ces femmes flegmatiques que les empressements des hommes aimables ne peuvent exciter, et de ces graves personnages que la beauté ne peut réveiller. Il en existe, Eugénie, de ces animaux indéfinis, parés du titre fastueux de virtuoses et de philosophes, livrés à l’effervescence d’une bile noire, aux vapeurs sombres et malfaisantes de la mélancolie, qui fuient le monde dont ils sont méprisés : ces gens-là, comme la vieillesse inutile, blâment amèrement tous les plaisirs dont ils sont déchus.
Il en est d’autres, au contraire, d’un tempérament fougueux, mais que les préjugés de l’éducation et la timidité ont enthousiasmés pour le nom d’une vertu dont ils ne connurent jamais l’essence ; ils détournent les éjaculations naturelles de leur cœur pour en diriger les élans vers des êtres fantastiques. L’amour est un dieu profane qui ne mérite pas leur encens ; et si, sous le nom d’hymen, ils lui sacrifient quelquefois, ils deviennent des fanatiques qui, sous le titre d’honneur, déguisent leur dure jalousie. C’est pour nous un blasphème que d’exprimer l’amour.
Ainsi, ma chère Eugénie, il ne faut choquer personne ; gardons nos confidences libertines pour nous égayer dans le particulier ; c’est à toi seule que je veux ouvrir mon cœur ; c’est uniquement pour toi que je ne couvrirai d’aucune gaze les tableaux que je mettrai sous tes yeux. Ils seront cachés pour les autres, ainsi que les libertés que nous avons prises ensemble.
Il n’y a que l’amitié ou l’amour qui puissent arrêter des regards de complaisance sur les objets licencieux que ma plume et mes crayons vont tâcher d’exprimer. »

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LIRE : Mirabeau (1749 - 1791). Orateur génial et débauché impénitent.

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ARCHIVES


1978.

Les feux croisés du terrorisme s’allument partout à la fois sur la planète. De la façon la plus pressante, plusieurs questions graves se posent, auxquelles un soixante-huitard qui ne se renie pas répond. Il fallait bien finir par écrire un livre là-dessus : il n’en existe aucun. Il est urgent de saisir la prétendue nouveauté radicale et incompréhensible du terrorisme, de l’intégrer, le liquider au moins théoriquement. Pour ce faire, le bon bout à tenir est l’histoire. La généalogie du terrorisme remonte à 1794, à la Terreur de Robespierre. Le terrorisme n’est que répétitif : rien n’a changé dans l’idéologie, dans les structures logiques du terrorisme depuis la Révolution française, depuis Netchaïev, depuis le terroriste le plus réussi de l’histoire, Lénine, jusqu’à ceux d’aujourd’hui, trop tristement vedettes de l’actualité internationale.

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Philippe Sollers


Tel Quel 79, p. 95
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Tel Quel 79, p. 96
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Tel Quel 79, p. 97 (printemps 1979).
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La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur

Daniel Arasse

Pourquoi la guillotine est-elle abominable ? Et de quoi au juste a-t-on horreur ? Pour répondre, Daniel Arasse interroge cette peur à sa source, au moment où, à peine née, la machine est plantée au cœur d’une exploitation spectaculaire de ses pouvoirs d’épouvante : la Terreur. Les surprises se multiplient au fur et à mesure de l’enquête : Guillotin n’est pas pour grand-chose dans l’invention de la guillotine ; à l’exception de la France, l’Europe l’utilisait, presque identique, bien avant la Révolution ; la tête coupée semble vivre encore, défiant véritablement la médecine… Machine politique, la guillotine fonde la démocratie : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » De la médecine à la politique et à la métaphysique, la machine à décapiter se révèle à la fois un « objet de civilisation » et une image de la Révolution dans sa phase la plus radicale, en exhibant aux yeux du peuple, dans un fascinant théâtre macabre, l’égalitarisme le plus absolu. Ce livre ne cherche pas à réhabiliter la guillotine jacobine, il s’agit plutôt de briser le silence qui entoure l’emploi révolutionnaire de cette « simple mécanique » à « faire voler les têtes », pour mettre au jour, dans leur origine conjointe, la répulsion qu’inspire la machine et la réputation qu’elle s’est gagnée : son abject prestige. (Flammarion, 1988/2010)

La guillotine : de la Terreur à l’abolition

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Joseph-Ignace Guillotin

Grand révolutionnaire et impeccable humaniste, de la guillotine, à laquelle il a donné son nom, sans en être le concepteur mais seulement, si l’on peut dire, le promoteur, le docteur Joseph Ignace Guillotin disait quelle était "la tâche involontaire de sa vie".

Cela partait pourtant d’un bon sentiment, "Que la mort soit douce avait dit Marat". Comme nous l’entendrons rappelé dans l’émission qui va suivre, c’est bien dans un souci humanitaire et égalitaire que fut conçue et adoptée cette machine à décapiter que nous avons si longtemps tardé à mettre au rencart.

Tuer sans faire souffrir, en principe, et en un clin d’œil, éviter à la foule l’horreur, ou la jouissance, de spectacles pénibles, et mettre tous les citoyens à égalité devant l’exécution de la sentence. Comme le déclinait Fernandel dans Le Schpountz, "Tout condamné à mort aura la tête tranchée" et, dorénavant, tranchée pour chacun par la même mécanique.

En 1994, dans Les chemins de la connaissance, l’historien de l’art Daniel Arasse était invité par Catherine Soullard à raconter la guillotine, à en exposer la symbolique, dans le premier volet d’une série consacrée à l’histoire de "la veuve", de la Terreur à l’abolition en 1981. Un premier volet qui rappelait d’ailleurs que les Français n’avaient fait que perfectionner cette machine qui existait depuis longtemps en Europe et aussi, que Robespierre fut un opposant convaincu à la peine de mort.

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La guillotine, une invention humaniste

Lieux de mémoire, 13 novembre 1997.

Dans ce documentaire, l’historien Daniel Arasse, auteur en 1988 de La guillotine et l’imaginaire de la Terreur (Flammarion), revenait sur la "méchante histoire" de la guillotine, dont la première victime, le 25 avril 1792, fut le tire-laine Nicolas Jacques Pelletier, condamné pour coups et vol. Mais ce sont surtout les étonnantes inspirations humanistes derrière cette invention de mort, qu’évoquait l’historien.

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Crédit : Lieux de mémoire.

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Autour de mai 68

Le week-end infernal de Godard

Godard, en 1967, après avoir passé avec ses acteurs (et avoir fait passer à ses acteurs) un week-end infernal, décide de ressusciter Saint-Just, « l’Archange de la Terreur », « l’Archange de la Révolution », en la personne de Jean-Pierre Léaud, membre d’un problématique Front de Libération de Seine-et-Oise (FLSO). Autoportrait, erreur, humour ou ironique lucidité ?

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« La liberté est violente comme le crime, il semble qu’elle soit la vertu du vice, et qu’elle combatte contre l’esclavage en désespérée ; le combat sera long, mais elle se tuera elle-même. Est-il possible qu’on conçoive l’inconséquence humaine ; croirait-on que l’homme se soit mis en société pour être heureux et raisonnable ? NON !
L’on croirait plutôt que, las du repos et de la sagesse de la nature, il voulait être misérable et insensé. Je ne vois que des constitutions pétries d’or, d’orgueil et de sang, et je ne vois nulle part la douce humanité, l’équitable modération qui devaient être la base du traité social. »

« Au générique de fin, Godard inscrit sur l’écran : FIN DE CONTE et FIN DE CINEMA conscient que pour lui un âge de sa vie et de son cinéma vient de se terminer avec ce film. »

Alain Bergala, Godard au travail.

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« Nous sommes loin de la boutade de Thibaudet qui parlait de la littérature auriculaire de la Révolution ; mais nous sommes loin aussi de Louis Blanc pour qui l’Histoire est comme une suite de pensées. C’est bien plutôt d’une suite de changements de pensée qu’il s’agit et une révolution voit le jour, non pas tellement quand elle remplace une pensée par une autre, mais quand elle met à la place d’une manière de penser une autre manière de penser. Les paroles grimpent à l’assaut de la vieille rhétorique crénelée et, la tuant en l’étouffant, elles deviennent l’autre rhétorique, celle que les graveurs, sous le nom de République, montrent la poitrine nue, celle qui, démantelant la vieille cité antique, fait de ses ruines une ville ouverte. Une cité future. »

Denis Roche, La Liberté ou la Mort, Tchou, collection « Les murs ont la parole », 1969, pp.15-16.

Paru l’année d’après les mouvements ouvriers et étudiants de mai 1968, le titre de cet opuscule rassemblant près de sept cents citations résonne aujourd’hui particulièrement.
« La liberté ou la mort » — devise nationale clamée par le peuple grec après la révolution de 1821-1829 contre l’Empire ottoman (peinte par Delacroix) puis lors de la révolte crétoise des années 1866-1869, est également le titre d’ouvrages d’historiens spécialistes de la Révolution, comme ceux de Michel Biard ou Sophie Wahnich.
L’auteur (disparu en septembre dernier [2015]) a rassemblé de nombreuses maximes, de façon trompeusement anarchique, dans ce petit livre de format italien, avec une préférence marquée pour Robespierre, — « La vertu est au-dessus de tous les évènements, comme elle est au-dessus de toutes les calomnies », Marat – « La Convention nationale doit être sans cesse sous les yeux du peuple, afin qu’il puisse la lapider si elle oublie ses devoirs » ou Saint-Just – « Armez le peuple, c’est lui qui doit régner ».
A une présentation sur stylistique et révolution succèdent cinq parties suivant un fil directeur commun : « Nous sommes devenus invincibles » ; « La Révolution commence quand le tyran finit » ; « L’insurrection est la garantie des peuples » ; «  La douceur des maximes républicaines » ; « La guerre ouverte des riches contre les pauvres ».

Cri de ralliement ou ultimatum impérieux, c’est ici la référence à la nécessité, sinon l’obligation, de trancher son opinion sous peine de perdre la tête, ce que Manon Roland comprit en montant sur l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ».
Car d’autres républicains, célèbres acteurs d’une Révolution française qu’ils soutinrent avec ferveur, y laissent l’empreinte de leurs aphorismes : Vergniaud disant « On a cherché à consommer la révolution par la terreur, j’aurais voulu la consommer par l’amour », ou Camille Desmoulins avertissant que « quand on ne fait pas justice au peuple, il se la fait lui-même », retrouvent dans ce recueil un Danton affirmant le 2 septembre 1792 à l’Assemblée nationale que «  (…) contre les ennemis de la patrie (…) il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace (…)  ».

Marilyne Alexandra Delbès, janvier 2016


[1Le 10 août 1792, des sans-culottes s’emparent du palais des Tuileries. Au terme d’une journée sanglante, le roi Louis XVI et sa famille sont jetés en prison.

[2C’est moi qui souligne. A.G.

[3Le 2 septembre 1792, à l’instigation de Marat, des dizaines de sans-culottes envahissent les prisons parisiennes et massacrent les prisonniers prétendument contre-révolutionnaires. Au total un millier de victimes : aristocrates, prêtres réfractaires mais aussi droit commun et citoyens ordinaires.

[4Cf. aussi Radio Vatican. Frère Jean-Paul Aleth, visiteur provincial de France des Frères des Écoles chrétiennes, revient avec Hélène de Vulpian sur la vie du Frère Salomon Leclercq et sur la manière dont ce nouveau saint s’inscrit pleinement dans l’institution à laquelle il a consacré toute son énergie.

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[5La Guillotine. Cf. Laurent Dispot, La Machine à Terreur, Grasset, 1978. Le Livre De Poche, 1993. Sollers a rendu compte du livre dans Le Monde du 26 novembre 1978 dans un article intitulé La mort au travail, repris dans Tel Quel n° 79, printemps 1979 (voir à la fin de cet article).

[6Jean-Claude Milner le fait longuement, de manière nouvelle, dans Relire la Révolution.

[8Cf. Drouot catalogue. Saint-Just a dix-sept ans quand il écrit ce poème en décasyllabes. Le héros Organt, porte le même prénom que lui (Antoine). « J’ai vingt ans ; j’ai mal fait ; je pourrai faire mieux » : Saint-Just, dans la très courte préface à la réédition de 1792 (Mes Passe-Temps, ou Le nouvel Organt, poème lubrique en 20 chants, par un député à la Convention Nationale), semble prendre ses distances avec ce « poème » peu vertueux, mais surtout d’une grande médiocrité poétique. Le comparer au Rimbaud d’Une Saison en enfer est une évidente tromperie et une faute de goût. Saint-Just fera effectivement « mieux » (voir le texte de Sollers ci-dessus).

[9J’en ai déjà publié des extraits dans Lautréamont politique aujourd’hui comme jamais..

[11Portrait de Charles Baudelaire par Étienne Carjat (1828-1906). Négatif au collodion humide, tirage sur papier en photoglyptie (234 x 187 mm), monté sur le carton d’origine (340 x 259 mm) légendé.
Très lié à Carjat, Baudelaire se rendait souvent à son atelier. Ce célèbre portrait fut réalisé vers 1862 et Baudelaire note dans ses carnets : "Cela [le portrait] n’est pas parfait, parce que cette perfection est impossible, mais j’ai rarement vu quelque chose d’aussi bien" (Étienne Carjat, p. 22). Belle épreuve sur son carton original légendé "Ch. Baudelaire, né à Paris en 1821 ; mort en 1867" et avec les indications "Galerie contemporaine" (gauche), et "Cliché Carjat et Cie" (droite). Étienne Carjat, p. 22 et 46 (ill.) ; Pléiade 305 (ill.).

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4 Messages

  • D.B. | 4 juin 2018 - 17:31 1

    Sur la période, on pourra lire avec intérêt, puisque les textes nous sont livrés, les travaux d’Augustin Cochin (1876-1916) tout récemment publiés par Denis Sureau sous le titre " La Machine révolutionnaire" aux éditions Tallandier.


  • Albert Gauvin | 4 juin 2018 - 10:51 2

    Timothy Tackett, auteur de Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire (1787-1793), montre comment la peur s’est aussi installée dans le camp de la Révolution. LIRE L’ENTRETIEN pdf


  • Albert Gauvin | 20 mars 2018 - 11:39 3

    Anatomie de la Terreur
    Le processus révolutionnaire (1787-1793)
    Timothy Tackett
    Traduit par : Serge Chassagne


    Cliquer sur l’image.

    Comment l’élan démocratique de 1789 a-t-il pu donner naissance à la violence terroriste de 1793 ? Cette question obsédait déjà les contemporains, qui y voyaient non seulement un défi politique et une épreuve morale mais aussi un scandale logique. « Ce qui sera à jamais incompréhensible, c’est le contraste inouï de nos principes et de nos folies », écrit le révolutionnaire Dominique-Joseph Garat dès 1795.

    Timothy Tackett n’instruit pas le procès de la Révolution, il décrit le processus révolutionnaire. Dans un livre très neuf, s’appuyant sur les correspondances, pour la plupart inédites des acteurs des journées révolutionnaires, le grand historien américain restitue le sens des événements et des engagements, au plus près de la manière dont ils furent vécus, et des émotions politiques qui s’y exprimèrent. Après avoir expliqué dans Par la volonté du peuple (1997) comment l’on devenait révolutionnaire, l’auteur montre ici avec brio comment l’on peut devenir terroriste.

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chassagne

    Professeur à l’université de Californie, Timothy Tackett est spécialiste de la Révolution française. Plusieurs de ses livres ont été traduits en français, dont Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires (Albin Michel, 1997) et Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur (La Découverte, 2004 et 2007). (Seuil)

    LIRE : Antoine Lilti, Rumeurs, panique et paranoïa : les émotions aux origines de la Terreur pdf


  • Albert Gauvin | 20 février 2018 - 22:36 4

    Éternel imaginaire de la guillotine

    Cécile Guilbert

    «  La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus »  : ainsi Joseph Guillotin vantait-il, dans son discours du 21 janvier 1790, sa nouvelle invention. Machine de mort au confluent de l’archaïsme et du progrès, nul ne s’étonnera qu’elle ait hanté toute la littérature d’après, celle écrite par des auteurs qui en avaient été témoins. Néanmoins, « la guillotine ne passe pas. Comme une arête dans la gorge. Comme une angoisse qui étouffe. La guillotine ne passe pas », écrirait au début du XXIe siècle Patrick Wald-Lasowski, dans Guillotinez-moi  ! Un constat déjà établi par Daniel Arasse vingt ans plus tôt dans La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur, magistral essai sur l’abject prestige de cet instrument politique fondateur de la République.

    On aurait pu penser que les jeunes romanciers français d’aujourd’hui avaient d’autres sujets à se mettre sous la dent et a fortiori sur le cou  ? Il n’est en rien. Tout au contraire me frappe depuis quelques années le come-back répété de la « Veuve » dans le meilleur de leurs proses. Angoisse de castration  ? Complexe d’Œdipe  ? Retour du refoulé  ? Né en 1985, Louis-Henri de La Rochefoucauld avait plusieurs fictions au compteur quand il publia La Révolution française (2013), désopilant roman sur fond d’histoire familiale confondue avec l’histoire de France. La guillotine y tenait son rang, ce qui était normal avec une dizaine d’ancêtres massacrés de 1789 à 1793 dont le gouverneur de la Bastille. La même année paraissait Tu montreras ma tête au peuple, premier livre du jeune François-Henri Désérable qui, à 25 ans, avait déjà rédigé une nouvelle sur la mort de Danton intitulée Clic  ! Clac  ! Boum  ! « Appel des dernières victimes. Toilette des condamnés. Charrettes cahotantes sur le pavé gras. Tricoteuses hululantes, venues en cohortes au spectacle des raccourcissements. Cinéma. Histoire. Littérature », écrit ces jours-ci Christophe Bigot, auteur d’un étonnant Autoportrait à la guillotine dont le titre dit tout de la charge personnelle empruntée par sa monomanie.

    « Longtemps, j’ai cru que j’avais été guillotiné dans une vie antérieure »  : après cet incipit qui déchire, l’auteur, né un mois avant l’exécution de Christian Ranucci aux Baumettes en 1976, entreprend de raconter sa scène primitive. Il a six ans, découvre pour la première fois « Louisette » dans une adaptation téléfilmée du Chevalier de Maison-Rouge d’Alexandre Dumas, «  horreur familière » qu’il lui semble «  reconnaître ». Fascination. Répulsion. Terreur et jouissance. À partir de ce souvenir à demi scotomisé débouchant plus tard sur la lecture du livre, s’enclenche une obsession morbide de la Révolution qui nourrit son imaginaire d’enfance tout autant qu’elle l’empoisonne. Au début, la vision prime sur l’entendement, la mort est un théâtre et la guillotine sa vedette. L’enfant visite la sombre Conciergerie, l’amusant Musée Grévin, l’historique Carnavalet. Se gave de dessins animés, d’opéras-rock, de BD. Lit aussi bien Astrapi que Tardi. Dévore de vieux numéros d’Historia avec autant de fièvre que Wikipédia. Pris d’abord de passion pour l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, il s’identifie à Camille Desmoulins, dont il pense être la réincarnation et porte le deuil tous les 5 avril, toujours aveuglé par la sinistre guillotine comme « signe cabalistique de la nuit. épure algébrique de l’horreur. Vision géométrique de la mort » telle qu’elle apparaît dans le Danton de Wajda qui l’épouvante. Mais impossible de rester passif devant tant de noirceur. Traquer les histoires horribles n’engendre que des cauchemars. « C’est très mauvais de rêver qu’on marche à l’échafaud », écrivait Lautréamont que le jeune Bigot n’a pas besoin de lire pour pressentir qu’il lui faut l’exorciser. Alors il se met à produire « dessins, histoires, jeux ». Dessine les héros de son épopée intime. Se déguise en eux. Écrit une pièce de théâtre et ses premières fictions. Névrosé et souffreteux, phobique des machines et se découvrant gay, l’adolescent étend son obsession à la peine de mort. La lecture de L’Exécution de Robert Badinter le submerge. Comme l’anéantiront plus tard les décapitations de Daniel Pearl et Nick Berg bientôt relayées par les vidéos live des nouveaux barbares. Parvenu à l’âge d’homme, tout s’éclaire enfin sans se dénouer, bouleversant comme l’amour et la mort d’un être aimé. Je n’en dirai pas plus, lisez Autoportrait à la guillotine, récit sec et tranchant qui ne vous coupera pas la tête mais le souffle.

    Cécile Guilbert, La Croix, 21 février 2018.

    *

    Christophe Bigot, Autoportrait à la guillotine

    Parution : 10/01/2018

    « Longtemps, j’ai cru que j’avais été guillotiné dans une vie antérieure. Cet aveu a toutes les allures d’une énormité, je sais. Tout ce que je puis dire à ma décharge est que ma croyance est révolue – quoiqu’elle fasse encore partie de moi. Il y a quinze ans, souffrant de problèmes de dos, j’ai consulté sur le conseil d’une amie un masseur versé en sophrologie. Tout en me pétrissant les lombaires, il m’a questionné sur mon passé. Avec une certaine réticence, j’ai évoqué cette croyance déjà ancienne. Lui a pris la chose très au sérieux. Aussi sec, il m’a parlé d’une patiente qui ressentait des douleurs aiguës entre les omoplates. Elles s’expliquaient, à l’en croire, par des coups de poignard reçus au xve siècle, alors que la dame était assaillie par des Ottomans en plein marché. J’ai trouvé ça exotique. Poétique, presque. En même temps, je me suis retenu de rire. Quand il est question de moi, hélas, je suis incapable de la même légèreté. » Comment guérir l’obsession d’une vie ? A la créativité instinctive de l’enfance répondent les armes de l’âge adulte : l’humour et la volonté de comprendre. Entre les deux, l’amour maternel, indéfectible. »

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