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Vive Dada !

Dada et les dadaïsmes

D 17 avril 2020     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Tristan Tzara est né le 16 avril 1896. En raison du confinement, je n’ai pas pu me rendre à la commémoration de la manifestation Dada du 27 mars 1920 (cent ans pile !). Tzara ne m’en voudra pas.

"Manifestation Dada" dans Dada n° 7 Dadaphone, mars 1920. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Vous pourriez être convié à écrire un poème dadaïste selon une méthode anti-« journalisticaille » (Hugo Ball) et anti-philosophique éprouvée :

« Pour faire un poème dadaïste
Prenez un journal
Prenez des oiseaux
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l’article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l’une après l’autre dans l’ordre où elles ont quitté le sac.
Copiez consciencieusement.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voici un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire. » (Aa, l’antiphilosophe, Littérature n° 15, juillet-août 1920.)

« Nul n’est censé ignorer Dada. »

Tristan Tzara (16 avril 1896 - 25 décembre 1963)

Tristan Tzara. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Tristan Tzara est mort en 1963. On a beaucoup moins célébré le cinquantenaire de cette mort que, disons, celle de Jean Cocteau [1]. Et pourtant, Tzara, quel spectaculaire virtuose de l’anti-société du spectacle !

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Tristan Tzara

Interview de Tristan TZARA par Louis PAUWELS, sur le mouvement Dada, sa création, les relations avec le surréalisme. 1er janvier 1961.

« "Dada" a été choisi au hasard dans un dictionnaire pour qu’il ne signifie rien et ne nous engage à aucun dogmatisme. »

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« Aujourd’hui, on ne peut faire scandale qu’en allant voir le Pape » ? C’est prouvé (voir Jean Paul II avec Andy Warhol et Philippe Sollers).

Écouter aussi : Entretien de Tristan Tzara avec Louis-Albert Zbinden, 07 février 1953 - 15’04".

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Tzara et le mouvement Dada

16 septembre 1963, ORTF (Collection : L’art et les hommes)

Dans cette interview, Tristan Tzara évoque la naissance du mouvement Dada en Suisse, le soutien de la revue Littérature dirigée par Aragon, Soupault, Breton, le contenu du programme de ce mouvement, et le quartier de Montparnasse où tous ces intellectuels se retrouvaient.

Tristan Tzara, de son vrai nom Samuel Rosenstock, écrivain roumain, est né en 1896.

Son nom est définitivement lié à celui de Dada. En effet, il est considéré comme le père de ce mouvement littéraire, né à Zurich. En 1916, est publié le premier manifeste Dada, La Première aventure céleste de Monsieur Antipyrine qui prône « l’abolition de la mémoire, l’abolition du futur, l’abolition de la logique » et « la croyance absolue en la spontanéité, en la folie du moment ». Arrivé à Paris en 1919, il se lie d’amitié avec André Breton et tous deux introduisent le courant Dada en France. Ils mettent en scène une série de scandales et de provocations et apportent de nombreuses innovations littéraires. Ils imaginent des créations singulières et déroutantes, comme la poésie phonétique ou l’écriture automatique, cherchant à remplacer le sens des mots par l’acte poétique de création en lui-même.

En 1922, Tzara rompt avec Breton et continue à prêcher la parole Dada. Il publie une grande fresque automatique d’un lyrisme débordant, L’Homme approximatif en 1931. A partir de 1935, il rejoint l’association des écrivains et artistes révolutionnaires, et se lie d’amitié avec Aragon. Il s’associe à la lutte des écrivains espagnols lors de la guerre d’Espagne et entre dans la clandestinité. Lors de l’Occupation, il continuera ensuite à militer au sein du Parti Communiste. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.

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Un court témoignage de Tristan Tzara :

« Le programme de Dada était contrairement à ce qu’on pense, communément la destruction, de créer de nouvelles valeurs. »

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Transcription

Journaliste : Tout se passe alors comme si par des voix secrètes parvenaient à Montparnasse le message des deux révolutions issues de la grande guerre. Celle de 14-18, la révolution bolchevique, mais aussi et plus immédiatement encore, la révolution dada. Bombe à idée lancée par un Tristan Tzara alors qu’à Verdun des millions d’hommes s’affrontaient mortellement.

Tristan Tzara : Eh bien, comme vous savez, Dada a été crée en Suisse en 1916, Picabia est venu à ce moment là et en a fait partie, Ribemont-Desaignes en faisait partie également, et le groupe Littérature formé par Breton, Soupault et Aragon, ont donné leur adhésion à ce mouvement Dada. Auquel un peu plus tard s’est joint Éluard.

Journaliste : Quel était le programme ?

Tristan Tzara : Le programme de Dada était, contrairement à ce qu’on pense, communément la destruction, c’était de créer de nouvelles valeurs, renverser les valeurs existantes et pour cela évidemment, pour les renverser, il fallait détruire les valeurs ayant cours communément et plus ou moins académiques. C’est pour cela que la réputation de Dada, mouvement destructeur, a pris pied, et malheureusement, on pense que c’est ça vraiment, uniquement, le mouvement dada. Évidemment, on ne peut pas détruire si..., on ne peut pas construire si on ne détruit pas auparavant ce qui existe. Dada bien entendu ne se passait pas, spécifiquement, spécialement à Montparnasse, puisque toutes les manifestations ont eu lieu ailleurs.

Journaliste : On en parle là j’imagine ?

Tristan Tzara : On en parlait beaucoup et c’était comme je vous dis, un lieu de rencontre où souvent de séjour pour ceux qui habitaient tout près. Parce qu’un peu plus tard avec Man Ray, Crevel, quelques autres, nous avions habité un hôtel rue Campagne Première où presque l’hôtel entier était habité par des amis. Alors évidemment à ce moment là, c’était la belle vie, en amitié, et c’était comme un immense appartement qui appartenait, où nous habitions tous.

Journaliste : Un phalanstère ?

Tristan Tzara : Enfin, si l’on peut dire...

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Hugo Ball, Cabaret Voltaire, Zurich, 1916

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Hugo Ball déguisé en phallus (Cabaret Voltaire, 1916).
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«  Écoutez ce Hugo Ball, imperturbable : « Gadgi beri bimba glandridi laula lonni cadori... »
Quel spectacle fait mieux à Paris ?
 »

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Le manifeste Dada d’Hugo Ball

14 juillet 1916

« Dada est une nouvelle tendance artistique, on s’en rend bien compte, puisque, jusqu’à aujourd’hui, personne n’en savait rien et que demain tout Zurich en parlera. Dada a son origine dans le dictionnaire. C’est terriblement simple. En français cela signifie « cheval de bois ». En allemand « va te faire, au revoir, à la prochaine ». En roumain « oui en effet, vous avez raison, c’est ça, d’accord, vraiment, on s’en occupe », etc. C’est un mot international. Seulement un mot et ce mot comme mouvement.

Très facile à comprendre. Lorsqu’on en fait une tendance artistique, cela revient à vouloir supprimer les complications. Psychologie Dada. Allemagne Dada y compris indigestions et crampes brouillardeuses, littérature Dada, bourgeoisie Dada et vous, très vénérés poètes, vous qui avez toujours fait de la poésie avec des mots, mais qui n’en faites jamais du mot lui-même, vous qui tournez autour d’un simple point en poétisant. Guerre mondiale Dada et pas de fin, révolution Dada et pas de commencement. Dada, amis et soi-disant poètes, très estimés fabricateurs et évangélistes Dada Tzara, Dada Huelsenbeck, Dada m’Dada, Dada m’Dada, Dada mhm, Dada dera Dada, Dada Hue, Dada Tza.

Comment obtenir la béatitude ? En disant Dada. Comment devenir célèbre ? En disant Dada. D’un geste noble et avec des manières raffinées. Jusqu’à la folie. Jusqu’à l’évanouissement. Comment en finir avec tout ce qui est journalisticaille, anguille, tout ce qui est gentil et propret, borné, vermoulu de morale, européanisé, énervé ? En disant Dada. Dada c’est l’âme du monde, Dada c’est le grand truc. Dada c’est le meilleur savon au lait de lys du monde. Dada Monsieur Rubiner, Dada Monsieur Korrodi, Dada Monsieur Anastasius Lilienstein. Cela veut dire en allemand : l’hospitalité de la Suisse est infiniment appréciable. Et en esthétique, ce qui compte, c’est la qualité. Je lis des vers qui n’ont d’autre but que de renoncer au langage conventionnel, de s’en défaire. Dada Johann Fuchsgang Goethe. Dada Stendhal, Dada Dalaï-lama, Bouddha, Bible et Nietzsche. Dada m’Dada. Dada mhm Dada da. Ce qui importe, c’est la liaison et que, tout d’abord, elle soit quelque peu interrompue.

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Hugo Ball, Karawane, 1916.

Je ne veux pas de mots inventés par quelqu’un d’autre. Tous les mots ont été inventés par les autres. Je revendique mes propres bêtises, mon propre rythme et des voyelles et des consonnes qui vont avec, qui y correspondent, qui soient les miens. Si une vibration mesure sept aunes, je veux, bien entendu, des mots qui mesurent sept aunes. Les mots de Monsieur Dupont ne mesurent que deux centimètres et demi. On voit alors parfaitement bien comment se produit le langage articulé. Je laisse galipetter les voyelles, je laisse tout simplement tomber les sons, à peu près comme miaule un chat... Des mots surgissent, des épaules de mots, des jambes, des bras, des mains de mots. AU. OI. U. Il ne faut pas laisser venir trop de mots. Un vers c’est l’occasion de se défaire de toute la saleté. Je voulais laisser tomber le langage lui-même, ce sacré langage, tout souillé, comme les pièces de monnaies usées par des marchands. Je veux le mot là où il s’arrête et là où il commence. Dada, c’est le coeur des mots. Toute chose a son mot, mais le mot est devenu une chose en soi. Pourquoi ne le trouverais-je pas, moi ? Pourquoi l’arbre ne pourrait-il pas s’appeler Plouplouche et Plouploubache quand il a plu ? Le mot, le mot, le mot à l’extérieur de votre sphère, de votre air méphitique, de cette ridicule impuissance, de votre sidérante satisfaction de vous-mêmes. Loin de tout ce radotage répétitif, de votre évidente stupidité.

Le mot, messieurs, le mot est une affaire publique de tout premier ordre. »

Hugo Ball, Zurich, le 14 juillet 1916.

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Vive Dada !

par Philippe Sollers

Le 23 juin 1916, au Cabaret Voltaire, à Zurich, un type habillé d’un drôle de costume « cubiste », monte sur scène, et commence à réciter d’une voix monocorde un poème incompréhensible, suite d’onomatopées parfaitement calculées. La salle est bondée, des cris et des rires fusent, le type continue, impassible, plus sérieux qu’un pape, et scande sa partition dont vous ne trouverez la clé nulle part. Il s’appelle Hugo Ball. Dada est né.

Dada ? En pleine boucherie de la Première Guerre mondiale ? Pendant que des poilus héroïques se battent dans les tranchées ? Que la France et l’Allemagne s’égorgent et se gazent ? Qui sont ces déserteurs et ces réfractaires, dont personne, aujourd’hui, en pleine commémoration morbide, ne songe à prononcer le nom ? Des fous, des agités, des étrangers apatrides, qui ont choisi le nom de leur mouvement contre l’art et la société, au hasard, dans un dictionnaire. « Dada » ! A-t-on idée ? Écoutez cet autre cinglé du nom de Tzara : « Il nous faut des oeuvres fortes, droites, précises, à jamais incomprises. » Vous n’allez pas me dire que ces manifestants déterminés et absurdes vont connaître un retentissement mondial ? Et pourtant, si, la Terre tourne autrement depuis cette époque, des cassures importantes s’étaient déjà produites partout. On aurait dû se méfier davantage de ce Jarry, avec son « Ubu » et son cri de guerre lancé à la face du vieux théâtre pourri : « Merdre ! » Aucune voix ne reprend ce slogan de nos jours, c’est étrange. « C’est parce que la foule est une masse inerte, incompréhensive et passive, qu’il faut la frapper de temps en temps, pour qu’on connaisse à ses grognements d’ours où elle est — et où elle en est. Elle est assez inoffensive malgré qu’elle soit le nombre, parce qu’elle combat l’intelligence. »

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Marcel Duchamp, Fontaine, 1917.
Photographie : Alfred Stieglitz.
Signé Richard Mutt.

Inutile de frapper aujourd’hui, le bruit du spectacle a tout recouvert, et toutes les vieilleries sont de nouveau à la mode, accompagnées d’un déferlement continu de cinéma tout-puissant. Mais on ne sait jamais, la porte est à la fois verrouillée et ouverte. (La réédition du Dictionnaire du dadaïsme de Georges Hugnet [2] est donc bienvenue, malgré de nombreuses erreurs.) Tzara, encore : « Dada n’est pas un dogme ni une école, mais une constellation d’individus et de facettes libres. » Les noms de ces aventuriers disparus ? Les voici : Arp, Ball, Janco, Huelsenbeck, Hausmann, Picabia, Man Ray, Richter, Schwitters. Ils sont vite un peu partout, à New York (Duchamp), à Berlin, à Paris, à Moscou, sur la Lune. Duchamp épate les Américains avec sa « Fontaine », urinoir sacré chef-d’oeuvre, et ses « ready-mades », rencontres entre un objet et une intervention choisie (un porte-bouteilles, par exemple) : « Cet horlogisme, instantané, comme un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi, mais à telle heure. C’est une sorte de rendez-vous. »

Vous avez rendez-vous, si vous le voulez, avec votre vie, à n’importe quel moment et n’importe où. Sûrement pas dans la foire de l’art, mais dans les démontages, les photomontages, le rythme des glossolalies (Artaud s’en souviendra [3]). Mais quel est ce jeune homme très chic en train de porter une pancarte ?

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André Breton portant la cible dessinée par Francis Picabia au festival Dada du 26 mai 1920 à Paris (salle Gaveau).

Il s’appelle André Breton, il est promis à un grand avenir. Sur la pancarte, on peut lire, en lettres capitales, une déclaration de Picabia, toujours actuelle : « Pour que vous aimiez quelque chose il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps, tas d’idiots. » Dada s’oppose à tout, y compris à lui-même, c’est un éloge de la contradiction permanente et de l’affirmation « désintéressée des abattoirs de la guerre mondiale ». Dada, ou le mouvement perpétuel, contre le ralentissement et l’abrutissement social. Bien entendu, l’opinion se déchaîne, tout ce qui est national, moral, identitaire, progressiste, réactionnaire, de droite comme de gauche, vomit cet anarchisme radical tombé du ciel. On veut donner du sens à vos sacrifices et à vos efforts ? Dada le récuse. Le monde n’a pas de sens, même si le journalisme est là pour vous répéter le contraire. Tzara, un jour, à Picabia : « Je m’imagine que l’idiotie est partout la même, puisqu’il y a partout des journalistes. »

Staline va venir régler leur compte aux formalistes et aux futuristes, et Hitler à « l’art dégénéré ». Mais la guérilla s’obstine, et Dada n’en poursuit pas moins ses mauvaises actions à travers le surréalisme, le lettrisme, le situationnisme, tout en contestant tous les « ismes ». Il n’y a pas de communauté dada. Partout où la bien-pensance suinte ou prêche, Dada surgit. Rien de plus drôle que le procès intenté à Barrés, en 1921, pour « crime contre la sûreté de l’esprit ». Breton est président du tribunal, Aragon est à la défense. Tzara n’est pas d’accord : « Je n’ai aucune confiance dans la justice, même si cette justice est faite par Dada. Vous conviendrez avec moi que nous ne sommes tous qu’une bande de salauds et que, par conséquent, les petites différences, salauds plus grands ou salauds plus petits, n’ont aucune importance. » La revue de Breton, Littérature, nous apprend qu’au même moment l’accusé Barrés « discourait à Aix-en-Provence sur l’âme française pendant la guerre, devant de jeunes provinciaux qui écoutaient bouche bée l’académicien député de Paris ».

Deux procès qui feraient du bruit aujourd’hui ? Le premier contre Péguy, accusé d’être un exécrable poète. L’autre, en défense de Heidegger, sous prétexte qu’il a prononcé plusieurs fois le mot « dada » en voulant dire « oui » en russe. Ce grand criminel de pensée ne peut donc pas être présumé coupable. Contre toute morale, et au grand scandale de tous, Péguy serait donc condamné et Heidegger acquitté. De quoi justifier ce jugement de Courteline à l’époque : « Les dadaïstes sont des marchands de démence et des entrepreneurs de folie. »

Dada ne croit qu’à l’instant, et c’est pourquoi il est éternel. Écoutez ce Hugo Ball, imperturbable : « Gadgi beri bimba glandridi laula lonni cadori... » Quel spectacle fait mieux à Paris ? Comment mieux faire fuir un public servile ? L’opération ne sera pas tentée, c’est dommage [4]. Encore Tzara, en 1919 : « Je n’écris pas par métier, et je n’ai pas d’ambitions littéraires. Je serais devenu un aventurier de grande allure, aux gestes fins, si j’avais eu la force physique et la résistance nerveuse de réaliser ce seul exploit : ne pas m’ennuyer. » Ou Picabia : « Le bonheur, pour moi, c’est de ne commander à personne et de n’être pas commandé. »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 27 février 2014.

À lire : Dada & les dadaïsmes, par Marc Dachy, Folio Essais n° 540. Un livre essentiel.

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Dada et les dadaïsmes

Le pluriel n’est pas ici une afféterie de style. Car Tristan Tzara, le fondateur de Dada à Zurich en 1916, n’est pas tout, n’est pas seul. La subversion poétique généralisée qu’il initie s’attaque résolument à toutes les disciplines de l’art institutionnalisé, refusant les compartimentages de l’ordre culturel établi. Les dadaïsmes, c’est l’offensive lancée en Suisse, en France, en Allemagne, dans les pays anglo-saxons et jusqu’au Japon même, sur tous les fronts pour repenser à neuf la poésie, le dessin, la peinture, la sculpture, l’architecture, la typographie, le collage, l’assemblage, la photographie, la cinématographie, le théâtre, la musique. Les dadaïsmes excèdent les années 1915-1923 auxquelles trop souvent on réduit Dada : du créationnisme à Fluxus en passant par le Nouveau Réalisme, la Beat Generation et les situationnistes, ils ont essaimé jusqu’à nos jours dans les revendications de certains des plus grands artistes contemporains, comme le montre cet ouvrage de référence à nouveau disponible en une édition revue et augmentée.

« Le livre de Marc Dachy sur Dada & les dadaïsmes est indispensable pour tous ceux qui aiment la vie littéraire, donc la vie. L’historien de l’art a raison de titrer « les dadaïsmes » car il y en a plusieurs. En effet, au même moment, et à différents endroits, des jeunes gens ont eu la même idée sans se concerter, au début. Tous voulaient en finir avec les idées reçues. Nous étions alors en pleine Première Guerre mondiale. Eux avaient pour arme la poésie. Ils savaient qu’elle était « l’acide le plus violent » selon le mot de Philippe Soupault, grand dadaïste sur le sol français. La première édition de cet ouvrage de référence, qui fait autorité, date de 1997. En voici une nouvelle édition revue et augmentée. Elle retrace toute l’Histoire de ce mouvement qui a jeté les bases du surréalisme. L’ouvrage restitue l’ambiance de l’époque fondatrice dans tous les pays clefs : Suisse, Allemagne, France, Japon, Espagne, Belgique, Etats-Unis...) Le dadaïsme est un cri de révolte tandis que le surréalisme fut l’organisation de cette rébellion. Etre Dada consistait à faire table rase du passé. Etre surréaliste signifiait « créer sans le contrôle de la raison », selon l’explication de Breton. En neuf chapitres, à la fois denses et clairs, Marc Dachy dresse le panorama complet de cette époque qui a vu une abondance inouïe de talents les plus divers qui se sont exprimés sous forme de poèmes, de tableaux, de collages, de sculptures, de musiques, de photos, de films, de pièces... Marc Dachy parle des racines, du tronc, des branches, jusqu’aux bourgeons. De Tzara et Marcel Duchamp à Kerouac et Guy Debord. Dada a tout inventé. Les dadaïstes ont donné la cadence à l’esprit moderne. Nous sommes ses enfants alors que des imposteurs à la télé depuis les années 1960 font croire qu’ils ont inventé l’humour. [...] » Le blog de Bernard Morlino.

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Dada, docteurs et stupéfiants

avec Marc Dachy

Historien de l’art spécialiste de Dada, Marc Dachy est l’auteur, entre autres, de plusieurs ouvrages de références sur le sujet. Il est également directeur de collection, fondateur et animateur d’une revue dédiée à la création contemporaine, Luna Park, ou encore traducteur. Son expertise du dadaïsme l’amènera à évoquer le lien que les membres du mouvement entretiennent avec les stupéfiants et les docteurs.

Une excellente approche du dadaïsme et des « dadas », avec plusieurs extraits audio commentés.
5 mars 2011.


DADA, docteurs et stupéfiants - Marc DACHY par centrepompidou

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« Le Merzbau » (1920-1923 - titre original Cathédrale de la misère érotique) de Kurt Schwitters (1887–1948)

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Kurt Schwitters : The Cathedral of Erotic Misery - Merzbau
Hanovre - 1924-1937. © DR

Refusé par le club Dada de Berlin, Kurt Schwitters réagit en fondant un nouveau mouvement qu’il dénomme « Merz ». Par ses travaux, Schwitters cherchait à fonder un ordre esthétique remplaçant l’environnement détruit par la guerre : « Tout était en ruines de toute façon, et créer du nouveau à partir de débris avait une signification. Voilà ce qu’était Merz » confie-t-il.

« Merz » cherche en effet à s’approprier les rebuts de la société industrielle et urbaine, faisant entrer la réalité quotidienne dans l’art, sans idée de message politique ou d’esthétique d’opposition, mais avec la volonté, à partir de 1920, de fonder un « art total Merz », embrassant l’architecture, le théâtre et la poésie.

Dans les années 20, dans sa maison de Hanovre, Schwitters entreprend de construire une vaste structure dans laquelle s’encastrent, dans des cavités, ses œuvres et celles de ses amis. La construction envahit peu à peu toutes les pièces et même tous les étages de la maison et l’artiste lui donne le nom de Merzbau (construction Merz).

Le premier Merzbau fait 3,5 x 2 x 1 m, constitué d’une colonne qui traverse les deux étages de l’immeuble. Dans les descriptions fournies par Schwitters, cette partie de l’édifice est nommée « cathédrale de la misère érotique ».

Avec Marc Dachy, historien de l’art, pour la parution de La Cathédrale de la misère érotique au éditions Sens & Tonka dans la collection "Essai sur l’art".
Céleste Boursier-Mougenot, artiste plasticien et musicien, pour Rêvolutions, projet inédit et ambitieux, qui transforme le Pavillon français en un îlot organique et sonore, à la 56ème Biennale d’Art contemporain de Venise (09 mai au 22 novembre 2015).
Clinamen v.2, au Centre Pompidou de Metz (3 juin au 28 septembre 2015).
Acquaalta au Palais de Tokyo (24 juin au 13 septembre 2015).

Crédit FC

Marc Dachy parlait également de son essai sur RCJ le 20 mars 2015. Il y annonçait aussi la publication de Il y a des journalistes partout. De quelques coupures de presse relatives à Tristan Tzara et André Breton [5].

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Marc Dachy sur le site du Centre Pompidou
De Marc Dachy, lire Une avant-garde ridicule (article démystificateur sur le futurisme italien)
et James Joyce se promène à lunapark.
Sur Pileface : Heidegger, Zagdanski, Dachy... et Sollers.

Marc Dachy, né le 5 novembre 1952 à Anvers est mort le 8 octobre 2015.

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André Breton, Paul Éluard, Tristan Tzara et Benjamin Péret.
Photographe anonyme. Saint-Denis, musée d’art et d’histoire. Cliché I. Andréani.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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André Breton parle de Dada (entretiens de 1952)

En 1950 et 1951, André Breton s’entretient avec André Parinaud. Seize émissions sont diffusées en 1952. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’entretiens préalablement écrits — le ton monocorde de la voix de Breton s’en ressent [6]. Le quatrième et le cinquième entretien portent sur le mouvement Dada trente après qu’il a eu lieu.

4ème entretien. Le mouvement Dada (15’22)

Les années 1919/1920, des premiers numéros de la revue Littérature à la rupture avec Dada.

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5ème entretien. La rupture avec Dada (17’23).

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Sites à consulter

L’exposition Dada en janvier 2006 au Centre Georges-Pompidou rassemblait plus de 1000 œuvres de 50 artistes en provenance de collections publiques et privées.
The International Dada Archive (catalogues, ouvrages et revues dadas originaux).
Le mouvement dada.
Dadaïsme ou néant absolu ?.
Jean-Michel Palmier, Le mouvement Dada (1987)

*

[2Dictionnaire du dadaïsme, par Georges Hugnet, Bartillat, 2014.

[3Artaud voulait « abandonner le langage et ses lois pour les tordre ». D’où les glossolalies. Exemple dans Suppôts et supplications :

« ti largar
ori tartura
la tartura
ara tula

ti largar
ori tartura
ra lartura

ti largar
ori tartura
ta lartula
ara tula

ti largar
ori tartura
ta ratula
ara tula

ti largar
ori tartura
ora
tartula
ora tula » (OC, t. XIV, Gallimard, p. 111). (A.G.)

[4On a beaucoup parlé de l’influence de Joyce pour la rédaction du roman de Sollers Lois (1972). Mais ne peut-on pas aussi lire l’influence de Dada dans des phrases comme celles-ci : « Sac à peau. Découdre. Sphétroul. En démoelle. Palais. Voiles. Palais. Laryngécoudé. Et nasalisé. PBM. TDN. KGN. FV. SZ. X. Lab ! Dents ! Occl ! Fric ! Spir ! Gutt ! Pal ! Matères ! Liq ! Vib ! Emoi des pétilees. Doucérupte. Caplottes ! Puis brouillard. » Cf. Lois ou "la libération du territoire". « On ne peut pas construire si on ne détruit pas auparavant ce qui existe » disait Tzara. C’est vrai, à un moment donné (après mai 1968), pour le travail sur la langue qu’effectue Sollers. A.G.

[5Sur ce livre, lire Insoumission, la critique de Stéphane Guégan.

[6Selon Michel Collomb, universitaire à Montpellier, « le fichier de l’INA donne, comme date du premier enregistrement, le 5 décembre 1950 et que les autres s’étalèrent de décembre 1950 à mai 1951, les trois derniers étant archivés à la date du 1er janvier 1952. Ces seize entretiens furent calibrés pour occuper chacun une durée de quinze à vingt minutes, soit celle des entractes des concerts de l’Orchestre National, au cours desquels ils étaient programmés, tantôt le lundi, tantôt le jeudi soir, aux environs de 20h50. Ils furent diffusées sur les ondes du Programme national, du 21 janvier au 9 juin 1952 à raison de plusieurs émissions par mois, avec un maximum de cinq en mai. » Cf. La voix insonore d’André Breton.

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7 Messages

  • A.G. | 28 octobre 2017 - 10:36 1

    Dada Africa, ou Dada plus que Dada


    Sophie Taeuber-Arp, Motifs abstraits (masques), 1917.
    Zoom : cliquez l’image.
    GIF

    Il n’est pas improbable que le mouvement Dada, né en 1916 à Zurich au Cabaret Voltaire, soit pourtant bien en avant de nous-même, et que sa déflagration se fasse d’autant plus ressentir aujourd’hui que l’époque s’enfonce dans le conformisme moral, la force motrice de la bêtise, et l’impossibilité de remettre en question son fondement étroitement marchand. (Fabien Ribery. LIRE ICI).


  • Albert Gauvin | 15 février 2016 - 16:45 2

    Tristan Tzara, l’homo poeticus (1896-1963)
    Tristan Tzara n’est pas mort avec dada en 1923 ! Que ce soit au sein du groupe surréaliste ou en solitaire, le poète n’a jamais cessé d’appartenir à l’histoire littéraire…
    Il y a un tout juste un siècle, en février 1916, naissait à Zurich le mouvement dada. Son principal orchestrateur ? Un roumain de 20 ans qui s’était mis en tête de tout détruire. Des arts au langage, en passant par la religion et bien sûr la guerre... France Culture


  • A.G. | 12 février 2016 - 11:16 3

    Libération diffuse en avant-première le documentaire d’Arte consacré à la vie tumultueuse du mouvement Dada. VIVA DADA !


  • D.B. | 7 septembre 2015 - 11:35 4

    "Première grande exposition consacrée à Tristan Tzara" au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg du 24 septembre 2015 au 17 janvier 2016.


  • Albert Gauvin | 28 août 2015 - 20:38 5

    Il y a des journalistes partout, de Marc Dachy. Lire la critique de Sanda Voïca sur le site de La Cause Littéraire.


  • Albert Gauvin | 29 juillet 2015 - 18:32 6

    Marc Dachy a également publié en 2015 "La Cathédrale de la misère érotique" au éditions Sens & Tonka, sur une oeuvre de Kurt Schwitters. Il en parlait sur France Culture avec le plasticien Céleste Boursier-Mougenot le 20 juin. Ecoutez ici.


  • Albert Gauvin | 30 juin 2015 - 19:20 7

    Vient de paraître.

    M. Dachy, Il y a des journalistes partout.
    De quelques coupures de presse relatives à Tristan Tzara et André Breton.

    Présentation de l’éditeur

    De Zurich où, en 1917, il a baptisé Dada un groupe d’artistes et d’écrivains libres, sur le point de rejoindre à Paris dans les premiers jours de 1920 le futur groupe surréaliste, Tristan Tzara écrit à Francis Picabia : « Je m’imagine que l’idiotie est partout la même, puisqu’il y a partout des journalistes. » Facétieux et habiles furent les dadaïstes de la première vague qui se jouaient des journaux et les piégeaient avec humour en y faisant passer de fausses nouvelles, des échos ironiques, des faits divers suspects. Viennent des temps plus graves où l’on distingue en ces jeunes poètes, dont André Breton, les esprits les plus brillants et les plus avertis de leur temps. Subversifs donc, et en première ligne.
    Contre toute attente, entre petite et grande histoire, articles, interviews, notes, entrefilets en disent long et rendent vie aux contextes d’une époque qui détermine la nôtre. Ces traces éphémères d’une grande diversité forment au total encore une autre facette, saisissante et passionnante, de la lecture et de la réception de ces avant-gardes.