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Kubrick, c’est quand même du grand art

Le cinéma au bord du monde - Une approche de Stanley Kubrick

D 12 juillet 2013     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Tom Cruise, Nicole Kidman et Stanley Kubrick sur le tournage de Eyes Wide Shut en 1999.


Sollers, on le sait, écrit « contre le cinéma » (cf. Entretien à Sofilm, mars 2013). Sans doute est-ce le cas de tous les écrivains véritables. Selon lui, le cinéma pense peu ou rarement (d’autres, plus radicaux encore, iront jusqu’à dire que « le cinéma ne pense pas » [1]). « Hitchcock suffit ! », « À part Hitchcock, il n’y a personne » aime à répéter Sollers [2]. Pourtant, dans le même entretien de Sofilm, quelques autres noms font exception. C’est le cas de Stanley Kubrick (1928-1999), associé à Hitchcock :

«  Kubrick ça oui, c’est autre chose, c’est plus inquiétant, Eyes Wide Shut. Ce qui m’intéresse c’est toujours la même chose : la mise en situation d’un innocent qui ne comprend rien à la perversion. Donc là, avec Hitchcock ou Kubrick, c’est quand même du grand art. »

Le mot est prononcé : « du grand art ». Une telle affirmation mérite le détour.


Le cinéma au bord du monde — Une approche de Stanley Kubrick

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Stanley Kubrick


En 2011, alors que se tient à Paris une grande exposition consacrée à Stanley Kubrick, Philippe Fraisse, un philosophe, collaborateur à ses heures de la revue Positif, écrit un essai remarqué, Le cinéma au bord du monde — Une approche de Stanley Kubrick. Il est publié chez Gallimard dans la collection L’infini, en mai.

Quatrième de couverture

Les films de Kubrick constituent un imagier à la fois populaire et sophistiqué de quelques-unes des figures les plus marquantes des événements de la modernité : la rencontre de l’espèce humaine et de ses artefacts, les métamorphoses de la violence domestique et politique, et quelques visages du mal. Ses contes cruels et glacés nous renvoient le reflet vertigineux de toutes nos fins du monde.


Voici l’avant-propos du livre.

Kubrick est juif, mais il n’a jamais souligné cette part identitaire, pas plus dans ses entretiens que dans ses films.
Kubrick est un homme sans culture, et je veux dire sans héritage, sans identité à assumer. Dans sa famille d’origine, on est juif, mais ça n il pas vraiment d’importance. La judéité pour Kubrick n’a rien à voir avec une question de communauté. Mais la judéité chez Kubrick a la forme d’une obsession : sa fascination-répulsion pour le IIIe Reich. Semblable à la fascination de Vassili Grossman, autre juif dit « assimilé », pour le stalinisme. C’est la fascination d’un honnête homme pour le pouvoir, ses formes et son devenir. Mais un honnête homme juif. Et ce n’est pas tout à fait rien. Le cinéma de Kubrick est un combat contre la part de l’hitlérisme qui a survécu à la défaite militaire de 1945. Ce n’est pas une part négligeable, puisque nous pensons que cette part, maudite, comprend en quelque sorte notre présent et notre avenir.
Les images de Kubrick sont une présentation radicale et sans aucune concession du Mal.
Soit une fable célèbre. Le redressement d’Homo sur ses pattes arrière a radicalement changé, raconte-t-on, son rapport au monde. La mâchoire libérée de sa fonction préhensile a pu être engagée dans une nouvelle activité, l’articulation des sons qui permet l’accès au monde symbolique des mots ; les pattes avant libérées de toute fonction locomotrice sont devenues le support du plus performant des outils, les mains. Technicien et parlant, Homo commence à penser le monde et lui-même. L’accès à la conscience est pour l’espèce des hominidés une réussite évolutionniste qui passe toute mesure. Capable de se projeter dans un avenir dont sa pensée calculatrice imagine les différentes possibilités, toujours appuyé sur une rétention du passé qui lui permet d’évaluer toute nouvelle situation à l’aune du déjà-vécu, Homo devient très vite la plus formidable forme d’organisation biologique qui soit, apte à transformer et coloniser tous les biotopes, sans que rien puisse entraver son extension. L élaboration d’outils de plus en plus complexes, jusqu’à la mise en œuvre de calculateurs qui supplanteront bientôt les capacités d’analyse du cortex, le bouleversement du paysage, la domestication des bêtes et leur production industrielle, la transformation du corps pour le rendre apte à de nouvelles performances, la libération d’énergies de plus en plus puissantes, tout en l’animal humain est le signe d’un authentique triomphe de la Volonté. Le prix à payer pour ce triomphe est la chute dans les eaux glacées du temps : formidable bond au vu de l’espèce, mais catastrophe pour les individus qui la composent. Si la temporalité décuple indéfiniment la puissance d’agir d’Homo, elle attache chacun de ces animalcules sur un chevalet où il doit subir la pire des tortures, la certitude de sa propre fin. Dès lors l’accumulation des richesses, la recherche du pouvoir et de la renommée sont autant de formes de ce désir d’immortalité, désir sans fin qui pousse les hommes à la démesure et à la destruction des dieux.
Kubrick a filmé ce désir et son échec nécessaire, il a aussi filmé le triomphe de la Volonté. Un autre Triomphe de la volonté que celui filmé par une certaine Leni Riefenstahl quelque part en Europe dans les années trente du XX siècle. La grandeur du cinéma de Kubrick est d’avoir su illustrer cette fable du destin de l’espèce humaine. La rencontre d’Homo et de ses machines, la fin du monde comme programme politique, l’enfermement qui sauve et aliène en même temps, chacun reconnaîtra les thématiques de 2001, de Docteur Folamour ou encore de Shining ou de Eyes Wide Shut. La question du Mal dans le cinéma de Kubrick n’a aucune signification morale, point de transcendance où s’enracineraient les valeurs, point d’absolu qui fonderait les rapports entre les sujets. Il s’agit bel et bien dans ce cinéma d’un essai pour imager le devenir d’une espèce confrontée à la tentation de l’auto-effacement tant l’effort exigé par l’évolution ou Volonté déchire chaque vie individuelle. Le cinéma de Kubrick a, bien entendu, quelque chose à voir avec le pessimisme d’un Schopenhauer, son esthétique aussi. L’image kubrickienne, qui est dans sa froide perfection représentation presque transparente du monde, s’efforce de matérialiser la rencontre désastreuse d’Homo et de ses artefacts. Il s’agit d’un cinéma aux prises avec l’actualité de l’espèce, qui n’est autre que sa possible destruction. Nous vivons ce temps de mutation technologique qui est un temps de danger. C’est sur ce champ de bataille que Stanley Kubrick, fondamentalement cinéaste de guerre, pose son trépied et allume sa caméra.

(p. 9-11)

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Peu avant la sortie du livre, Michel Ciment, auteur lui-même d’un essai sur Kubrick, recevait Philippe Fraisse en compagnie de Pierre Berthomieu et de Sam Azulys.

Projection privée : Stanley Kubrick

par Michel Ciment, 16 avril 2011

Stanley Kubrick pour l’hommage qui lui est rendu à la Cinémathèque Française avec une exposition (23 mars au 31 juillet 2011) et d’une rétrospective intégrale.

Avec :

Philippe Fraisse, auteur de « Le cinéma au bord du monde — Une approche de Stanley Kubrick » collection Infini chez Gallimard

Pierre Berthomieu pour « Hollywood moderne - Le temps des voyants », collection Raccords, Editions Rouge Profond [3].

Sam Azulys pour son ouvrage « Stanley Kubrick, une odyssée philosophique » aux Editions de la Transparence dans la Collection « Cinéphilie » [4].

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Michel Ciment a rencontré Stanley Kubrick à plusieurs reprises. Ces entretiens ont fait l’objet d’une série de cinq émissions retransmis sur France Culture.

A voix nue : Stanley Kubrick

par Michel Ciment, 21 au 25 mars 2011

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Barry Lindon

Réalisation Manoushak Fashahi. Avec la collaboration de Claire Poinsignon.

Pour la première fois, on va pouvoir entendre longuement la voix de Stanley Kubrick. Si le metteur en scène, en effet, a donné peu d’entretiens (il n’appréciait guère cet exercice mais consentait à le pratiquer parcimonieusement au moment de la promotion de ses films), ses témoignages oraux sont encore plus rares.

Michel Ciment a eu la chance de rencontrer régulièrement le grand cinéaste. Grâce à lui, France Culture peut présenter un « A voix nue » d’exception avec traduction en français d’amples extraits, de trois de ses conversations avec Kubrick sur Barry Lindon (1975), Shining (1980) et Full Metal Jacket (1987).

Kubrick appréciait le langage, sa richesse et sa saveur, comme le prouve le choix des écrivains qu’il adapta — de Vladimir Nabokov à Anthony Burgess et à Arthur Schnitzler. S’il fut le coscénariste de tous ses films et qu’il écrivit même seul les adaptations d’Orange Mécanique et de Barry Lindon, il se méfiait néanmoins des mots pour parler de ses films, craignant d’en amoindrir la complexité. On découvrira pourtant dans ses propos un artiste apte à analyser ses œuvres et à réfléchir sur son art.

Chaque partie dure de 24 à 30 minutes.

*


Entretien réalisé en 1975

Partie 1

A propos de Barry Lindon. De la critique.
Comment choisir une histoire. Les films historiques.
L’utilité du commentaire.
Le cinéma doit avoir l’air réaliste.

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Partie 2

Sur Barry Lindon (suite).
Innover c’est aller de l’avant sans abandonner la forme classique d’un art.
La musique. Pourquoi j’ai choisi Schubert plutôt que la musique du XVIIIe siècle.
Renforcer l’illusion ou la vie telle qu’elle est.

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Shining

Entretien réalisé en 1980

Partie 3

Sur Shining (la version longue).
L’histoire (the story). Les maquettes de l’hôtel.
Le muet et le parlant.
Les limites du rationalisme, le poétique et le musical.

*


Entretien réalisé en 1987

Pendant un déjeuner dans le manoir de Kubrick à Hertfordshire dans la banlieue de Londres.

Partie 4

A propos de Full Metal Jacket.
Tout est parti d’un livre sur la guerre du Vietnam.
L’élaboration du synopsis.
Au Vietnam tout le monde doutait.
D’où viennent les bonnes histoires ?
Libérer la structure narrative.
L’innocence perdue.

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Full Metal Jacket
*

Partie 5

Sur Full Metal Jacket (suite)
La guerre, le conflit comme thème permanent.
Le tournage à Londres.
C’est le coeur qui tue, l’arme n’est qu’un outil.
Je me considère comme un opportuniste esthétique.

*


A propos de Eyes Wide Shut

C’est le dernier film réalisé par Stanley Kubrick en 1999. Une longue séquence (près de 18’) est particulièrement célèbre par son « inquiétante étrangeté ». En voici un extrait.


Eyes Wide Shut : Ritual Scene

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Dans son essai Le cinéma au bord du monde — Une approche de Stanley Kubrick, Philippe Fraisse la commente ainsi :

Eyes Wide Shut est un dispositif qui nous fait franchir une limite, ou qui nous invite à l’expérience d’une transgression. Rarement film n’aura été aussi violent, souvent à la limite du supportable. Il ne s’agit évidemment pas d’une violence du représenté. Il y a violence parce que le spectateur est amené à voir ce qu’on ne doit ni ne peut voir. Insoutenable cauchemar, la longue scène de l’orgie. Insoutenable parce que Bill est au pays des dieux (on lui explique plus tard qu’il a voulu jouer dans la cour des « grands »), cruel panthéon où on peut reconnaître Dionysos en personne — le scénario de Kubrick et Raphael est très explicite : il est question d’un homme portant le masque de Pan — foutant comme un bouc une ménade dépossédée d’elle-même —, toutes ces filles ne sont-elles pas droguées ? Les dix-huit minutes que Kubrick fait passer au spectateur dans les pièces et les couloirs de la demeure de Somerton sont parmi les plus éprouvantes que le cinéma nous ait jamais offert. Comment peut-on se contenter de voir dans cette longue scène une partouze luxueuse où les participants portent des masques vénitiens ? Les masques choisis par Kubrick, on peut imaginer avec quel soin maniaque, sont d’une diversité qui excède largement la référence à Venise. Il suffit d’ouvrir grands les yeux, à ce moment où justement on peut avoir envie de les fermer : il y a des masques africains et grecs, il y a un visage de Picasso de style cubiste, il y a des visages grotesques et des masques d’animaux. On peut penser au tableau de Grünewald montrant les visages féroces d’une humanité suppliciant le Christ, on peut penser à Lascaux et à la fameuse scène du puits décrite par Bataille où un homme en érection et portant un masque d’oiseau agonise auprès d’un bison qui perd ses viscères. Ce que Kubrick nous montre ici, c’est une ronde infernale où se retrouvent tous les types humains : c’est une allégorie de l’humanité en prise au sexe, c’est-à-dire à ce qu’il y a peut-être de plus étrange, qui l’attire à la fois vers la bestialité et vers la divinité. Ici la force symbolique du cinéma de Kubrick atteint un sommet. On ne sait si l’humanité qui est donnée à voir est encore humaine : disparus les visages, les paroles semblent sortir d’un ailleurs spectral, les baisers ne sont plus des contacts mais de simples signes dont le sens nous inquiète. Combien Kubrick a-t-il eu raison de remplacer les loups de Schnitzler par des masques qui couvrent tout le visage. Alors que le loup n’a qu’une fonction sociale (empêcher le partouzeur d’être reconnu), le masque défigure celui qui le porte, lui enlève son visage et aussi sa capacité à être un locuteur : qu’il est étrange de voir parler des spectres ! Les accouplements ne sont évidemment que des mécaniques. Kubrick nous donne un équivalent visuel de ce que chez Sade on appelle « foutre ». Ce qui se passe dans le château de Somerton échappe à toute référence temporelle, historique. C’est une représentation de l’érotisme éternel, si on veut bien entendre par érotisme non la pratique sensuelle du sexe mais sa connaissance symbolique.
Car ce qu’on voit là, c’est le sexe intemporel, ce sont des accouplements de dieux, des coïts sans aucune justification, ni dramatique, ni sociologique, ni sensuelle. La fantastique demeure de Somerton, où des potentats masqués disposent des plus beaux corps sans qu’aucune espèce de limite puisse être assignée à leurs caprices (une des putains ne dit-elle pas qu’il peut y aller de sa vie ?), cette impensable maison, qui ne voit qu’il s’agit des châteaux de Sade investis par des libertins puissants et sans scrupules ? Ceux qui reprochent à Kubrick sa froideur et son manque d’imagination sont les mêmes qui trouvent Sade lassant, répétitif et inconsistant. Bien sûr les romans de Sade décrivent toujours la même scène ! Mais qui oserait lire Sade en ricanant ou en se masturbant ? Ce que Sade écrit, de cette écriture terrifiante dont Bataille disait qu’elle est peut-être la seule à être à la simple hauteur du réel, Kubrick a l’audace de parfois nous le montrer.
Face aux films de Kubrick — et Eyes Wide Shut ne fait pas exception à la règle — une attitude couramment observée est celle du déni. Comme Bill [5] dénie être préoccupé par le sexe, le spectateur peut choisir de ne rien voir. Mécanismes de défense assez élémentaires, mais somme toute compréhensibles. L’accès aux linéaments d’une connaissance de soi est suffisamment bouleversant pour qu’on essaie de s’en prémunir. Eyes Wide Shut présuppose en effet chez le spectateur quelques efforts consentis à l’exploration de soi-même, et implique de ce fait une rupture totale avec le discours dominant. Or, que veut nous dire Eyes Wide Shut ? L’ambiguïté de tout désir qui est à la fois désir de vie et désir de mort. Ce qui peut se traduire par : identité du sexe et de la mort. Ou encore : identité du rêve et du cauchemar, puisque les deux sont la satisfaction imaginaire de désirs, ces désirs qui en fin de compte ne peuvent qu’échouer au réel.

(p. 164-167)

Lire aussi : Michel Ciment, Masques.

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Interview de Michel Ciment à propos du film


STANLEY KUBRICK : interview de Michel Ciment par FilmoTV

*


Tom Cruise parle de Stanley Kubrick

Le tournage. Les relations avec Nicole Kidman. La mort de Kubrick.


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A la Recherche de Stanley Kubrick

Un film d’Agnès Michaux et Frédéric Benudis
Réalisé par Roland Allard. Septembre 1999.

Documentaire français sur Stanley Kubrick et Eyes Wide Shut.

Avec les témoignages de Frederic Raphael [6], Terry Semel, Jan Harlan, Diane Johnson, etc.

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Kubrick par Kubrick

par Gregory Monro (France, 2020)

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« Kubrick par Kubrick » : confidences d’un cinéaste discret
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Les exigences de Stanley Kubrick sur un plateau de cinéma ne sont plus depuis longtemps un mystère. Le réalisateur américain s’était imposé comme l’auteur ultime dès son exil en Grande-Bretagne pour tourner Lolita (1962), pays qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1999, alors qu’il venait de terminer un premier bout à bout de son dernier film, Eyes Wide Shut. Le cinéaste maîtrisait chacune des étapes de la fabrication d’un film, y compris sa promotion, sa distribution et son exploitation. Un tour de force d’autant plus impressionnant que l’auteur de 2001 (1968) y parvenait à de l’intérieur du système hollywoodien.

C’est dans la plus taylorisée des industries cinématographiques, celle où l’artiste doit affronter le plus de tumultes pour préserver son indépendance, que Kubrick est parvenu à s’octroyer une marge de manœuvre inédite. On se souvient de la déclaration de Ken Adam, le décorateur de 2001 : « Stanley est un homme extrêmement difficile et talentueux. Nous avons développé des rapports très étroits et le résultat est que je dois vivre sous tranquillisants » ; et celle du scénariste du film, Arthur Clarke : « Chaque fois que je sors d’une rencontre avec Stanley, je dois m’allonger.  »

Des interviews au compte-gouttes

Qu’en est-il de la rencontre que nous propose Grégory Monro dans son documentaire consacré au réalisateur, Kubrick par Kubrick ? Alors que les films consacrés à l’auteur de Shining se sont multipliés au fil des ans, en particulier depuis la disparition de ce dernier comme si, une fois effondrée la pression qu’il infligeait à son entourage, les langues se déliaient soudain, mais aucun documentaire n’avait tenté de laisser la parole à Kubrick, de permettre à celui-ci de devenir le guide de sa filmographie. Il fallait pour cela le concours de Michel Ciment, directeur de la revue Positif, et l’un des rares journalistes à avoir eu systématiquement accès à Kubrick, à partir de Barry Lyndon (1975), puis sur Shining (1980) et Full Metal Jacket (1987), pour une série d’entretiens qui constitueront la base du livre de référence consacré au réalisateur américain, Kubrick (Calmann-Lévy, 1980, édition définitive en 1999).

Michel Ciment avait gardé les enregistrements de ses entretiens avec le cinéaste, qui constituent la colonne vertébrale de ce documentaire. Si Kubrick parlait beaucoup dans la vie, il accordait en revanche les interviews au compte-gouttes. Par souci d’efficacité dans sa communication, mais aussi car il était persuadé de ne pas exceller dans l’exercice particulier du question/réponse. Rien de cela dans ce passionnant documentaire, tant la voix chaude du cinéaste rythme sa trajectoire avec une lucidité et une décontraction surprenantes, de ses années new-yorkaises (photojournaliste pour le magazine Look, il y apprend les rudiments techniques du cinéma) à son premier film, Fear and Desire (1953), produit en indépendant. Peu à peu se dessine le visage d’un cinéaste plus humain, qui contredit la réputation de despote qui lui collait à la peau et ajoute un nouvel élément au dossier complexe d’une des personnalités les plus fascinantes de l’histoire du septième art.

Samuel Blumenfeld, Le Monde du 12 avril 2020.

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Liens

Sanley Kubrick sur wikipedia.
Un monde autour de Stanley Kubrick.
Kubrick à la Cinémathèque, l’odyssée d’une filmographie.
Aux croisements d’une oeuvre (exposition virtuelle).
Kubrick sur great film directors

*

[1Stéphane Zagdanski. Cf. « Deleuze a tort : le Cinéma ne pense pas » sur Paroles des jours.

[5Le personnage joué par Tom Cruise.

[6Le scénariste de Eyes Wide Shut. Cf. Entretien avec Frederic Raphael.

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5 Messages

  • Albert Gauvin | 17 novembre 2023 - 11:37 1

    Le critique de cinéma Michel Ciment vient de mourir à l’âge de 85 ans. Grand admirateur de Kubrick, vous pouvez réécouter ci-dessus les entretiens que le réalisateur lui avait accordés en 1975, 1980 et 1987.

    Sur France Inter, lire les Hommages d’auditeurs au critique et historien du cinéma Michel Ciment.


  • Albert Gauvin | 27 juillet 2020 - 10:22 2

    Biopic révolutionnaire, il reste un fantasme cinématographique absolu. Cinquante ans après sa genèse avortée, la saga historique du maître du 7e art renaît de ses cendres.

    Courant 1971, le couperet tombe : la Metro Goldwyn Meyer ne produira pas le « Napoléon » de Stanley Kubrick. A 43 ans, le réalisateur des « Sentiers de la gloire », de « Lolita » et, bientôt, d’« Orange mécanique » voit anéantis ses espoirs d’ériger ce que certains considèrent toujours, même tué dans l’œuf, comme son chef-d’œuvre absolu. Pendant quatre ans, il a travaillé sans relâche à ce qui devait être sa grande fresque historique, dans le prolongement de « 2001, l’odyssée de l’espace ». Bonaparte, génie militaire comme l’Histoire n’en a pas connu depuis Jules César, est à la démesure de ses ambitions filmographiques. Pour Michel Ciment, la destinée hors pair du Petit Caporal porte en elle l’essence même du cinéma de l’Américain. « Un sujet passionnant qui regroupe les thèmes qui lui sont chers : le conflit armé, mais aussi le couple, la sexualité, explique l’écrivain et journaliste, qui a recueilli ses propos pendant trente ans. Depuis “Lolita” en 1962 jusqu’à “Eyes Wide Shut” en 1999, le mariage, c’est la continuation de la guerre pour lui. » LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 13 avril 2020 - 12:56 3

    Kubrick par Kubrick

    Réalisation : Gregory Monro. Stanley Kubrick s’exprimait peu. Ce documentaire envoûtant fait entendre la parole rare d’un cinéaste aussi génial que secret, au travers des entretiens qu’il a accordés au critique de cinéma Michel Ciment. Inspirés des célèbres travellings de Kubrick, de lents mouvements de caméra nous promènent dans un musée labyrinthique, au décor inspiré de "2001 : l’odyssée de l’espace". VOIR ICI.


  • A.G. | 7 mars 2014 - 18:04 4

    L’odyssée Stanley Kubrick

    Réalisateur touche à tout, travailleur acharné et exigeant, Stanley Kubrick nous quittait il y a 15 ans le 7 mars 1999, en plein montage de son dernier film, Eyes Wide Shut. Hommage à l’un des plus grands cinéastes de tous les temps sur le site de l’INA.


  • A.G. | 9 octobre 2013 - 00:29 5

    Toute la semaine, France Culture propose de Philosopher avec Stanley Kubrick. La première émission : Orange mécanique avec Sam Azulys ; la deuxième : Shinig avec Philippe Rouyer.