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Itinéraires de Marcelin Pleynet

Revue Faire Part

D 5 mai 2012     A par Pascal Boulanger - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


La revue FAIRE PART n° 30 / 31 - Printemps 2012, consacre son numéro à Marcelin Pleynet. Trois extraits avec la complicité de Pascal Boulanger. Libre mise en page pour le Net : pileface (VK). :

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Couverture originale de Pierre NIVOLLET
format 21x22cm - couv. quadri - 292 p. - 25 ? en librairies ou à l’adresse de la revue

22/05/2012 : Ajout du Sommaire détaillé de la revue, en complément de la liste alphabétique des intervenants

Traversée du Temps

(introduction au dossier : Marcelin Pleynet)


Lorsque j’écris ma pensée, elle ne m’échappe pas.


Marcelin Pleynet

La revue fait le choix de s’arrêter, pour ce nouveau dossier, sur l’écriture plurielle, polyphonique, de Marcelin Pleynet. Née parmi les avant-gardes des années soixante et soixante-dix, avec les revues Tel Quel, Documents sur puis L’Infini, l’écriture de Marcelin Pleynet a ceci de singulier qu’elle s’attache sans relâche à l’esthétique classique, et plus avant, à une certaine esthétique classique, qu’elle met à nu aussi dans cet extrême contemporain. Elle repère et écrit ce qui reste toujours après les ruines, après les bouleversements, les ruptures nécessaires, et dans ce regard-là, cette écriture-là est vive, saillante, minutieuse et vaste dans ses trajets d’itinérances. Des peintres de la Renaissance italienne aux contemporains, parmi lesquels il aime à s’attarder, des études sur des écrivains de la fin du XIXe, au voisinage des poètes et romanciers d’aujourd’hui, et aux réflexions sur la littérature contemporaine, des pages lumineuses de son journal intime à ses livres de poèmes et aux romans dont rien ne les sépare, de tous ses jours d’écriture, c’est toujours une pensée multimodale qui est à l’ ?uvre, et à la source, un esprit pérégrin, forcément pérégrin, « L’univers à disposition ».

Promeneur infatigable, arpentant avec égale passion ses paysages d’élection : le Grand canal vénitien, les berges de la Seine, la Chine... des écritures classiques ou contemporaines, (de Donatien Alphonse François de Sade, Arthur Rimbaud, Isidore Ducasse « Lautréamont », à William Burroughs, André Du Bouchet, Jacques Dupin, Charles Olson, Philippe Sollers...), comme des peintres (de Giorgio Barbarelli « Giorgione », Giotto di Bondone, Jean Siméon Chardin, Paul Cézanne, Henri Matisse, Pablo Picasso, Alberto Giacometti à Robert Motherwell, Cy Twombly, Pierre Nivollet, Pierre Buraglio, Judit Reigl, Claude Viallat...), ses pas le ramènent toujours sur le motif, le propre du temps, de chaque temps traversé. Il habite poétiquement le temps comme le monde, réactivant sans cesse l’histoire en la confrontant au monde dans son actualité.

Romancier, critique d’art et essayiste, Marcelin Pleynet est avant tout un poète « mot qu’il faut employer à son égard avec toute la charge de sauvagerie et d’intransigeance qui fait défaut, d’habitude, à des exercices exténués du même nom » (Philippe Sollers), et un penseur qui inscrit sa pensée multimodale dans tout instant de l’écriture, qui la prend vive dans l’écriture. Et en cela, il ne s’abstrait d’aucune question. Quel chemin, quel jour, quelle heure sont encore pour le regard ?

Prenons, pour terminer, ces mots de Marcelin Pleynet : « Nous n’y arriverons jamais faute de savoir quitter l’espace et le temps qui nous quittent... je suis amoureux d’une lumière, d’un éclat, d’un départ, je suis amoureux de l’amour. »

Tout autant que les lieux, les paysages, la question du temps est ici centrale, en ceci qu’il nous faut imaginer toujours leur propre dépassement.


Christian Arthaud, Alain Chanéac, Jean Gabriel Cosculluela, Alain Coste

Extrait du « Journal de l’année 2000 » (inédit)

Venise, vendredi 3 novembre

La basilique de Saint-Marc... Ce qui, à Venise, est le plus central est sans doute le moins bien connu. Les informations nécessaires les plus primaires manquent, et les conditions dans lesquelles on visite le plus souvent ce haut lieu de la civilisation européenne sont désastreuses. Comme bien souvent dans les églises, j’en ai fait plusieurs fois l’expérience, ici même et à Chartres, une foule errante envahit les lieux, encombrée, encombrante et... perdue ; ne pouvant pas comprendre qu’il suffirait en somme à chacun d’être là et d’être à soi-même sa propre prière, s’il y était vraiment. Mais comment imaginer que le luxe de ce monument d’or et de pierreries, c’est d’abord et essentiellement d’être l’élévation d’un livre ? Ruskin l’a écrit : « Aucune ville n’a jamais eu de Bible plus glorieuse.

Le livre-temple brille au loin comme l’étoile des Rois Mages. » Ce qui est on ne peut plus juste, si l’on retient que cet « au loin » est la plus grande proximité. Cet « au loin » est là. Les visiteurs l’habitent, le traversent sans la moindre chance de s’en rapprocher. On sait qu’il n’en va pas autrement des foules qui traversent les musées, mais l’on peut toujours supposer que dans ce flot, dans ce passage, quelque chose est perçu, qu’une sensation optique marque l’événement. Rien ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer. Dans une église, et notamment dans celle-ci, les corps parlent et signalent l’encombrante paralysie des âmes... qui ne sont pourtant pas tout à fait mortes puisqu’ils se meuvent... et restent là ne sachant que faire d’eux-mêmes, comment se placer dans la richesse du surcroît, la richesse folle du surcroît qui s’offre à eux.

Dante a visité Venise... il évoque l’Arsenal dans La Divine Comédie. Comment ne pas supposer que la basilique de Saint-Marc, qui était alors pour l’essentiel ce qu’elle est aujourd’hui, a inspiré la composition de son poème ? Sur le modèle des livres saints, l’église s’élève, se construit et déploie dans l’espace la pensée et le chant d’un monde qui ne nous est en rien étranger. Que nous entrions, que nous nous y attardions, ou que nous en sortions... comment pourrions-nous le quitter, il constitue le meilleur et le pire de ce que nous sommes et de ce que nous vivons. Nous sommes venus en train, en avion... mais y aurait-il des trains et des avions, si ce qui élève cette église n’avait pas eu lieu et, ayant eu lieu, reste, que nous le voulions ou non, le lieu qui est indissociable de l’intelligence que nous avons, ou non, des liens qui nous occupent.

Marcelin Pleynet

*

GIF Sommaire

Intervenants par ordre alphabétique

Stephen BANN, Vincent BIOULÈS, Pascal BOULANGER, Sylvie BOURGOIN, Pierre BURAGLIO, Jean CAYROL, Alain CHANÉAC, Benoît CHANTRE, Alain COSTE, Thibaud COSTE, Michel CRÉPU, Marc DACHY, Lionel DAX, Alexandre EYRIÈS, Patrick FFRENCH,
Philippe FOREST, Jocelyne FRANÇOIS, Serge GAVRONSKY, David GRINBERG, Frans De HAES, Jacques HENRIC, Jean-Louis HOUDEBINE, Julia KRISTEVA, Florence D. LAMBERT, Claude MINIÈRE, Philippe MURAY, Pierre NIVOLLET, David Di NOTA,
Dominique PARAVEL, Claire PICHAUD, Ernest PIGNON-ERNEST, Marcelin PLEYNET, Judit REIGL, Jacqueline RISSET,
Denis ROCHE, Samuel RODARY, Bertrand ROGER, Andrea SCHELLINO, Philippe SOLLERS, Christian SORG, Dominique THIOLAT, Margaret TUNSTILL, Claude VIALLAT,
Laurent ZIMMERMANN...
et James BISHOP, Henri MATISSE, Robert MOTHERWELL, Pablo PICASSO...


Les interventions

Marcelin PLEYNET : La rive de tous les saints (inédit)

Philippe SOLLERS : Marcelin Pleynet, Nouvelle liberté de pensée

Julia KRISTEVA : Marcelin Pleynet, une certaine alliance avec le temps

Frans De HAES : Le propre du temps de Marcelin Pleynet

Marcelin PLEYNET : Proche et difficile à saisir (inédit)

Jean-Louis HOUDEBINE : Sur Marcelin Pleynet

Patrick FFRENCH : L’enfant qui joue

Stephen BANN : Marcelin Pleynet et le système de la peinture

Philippe FOREST : L’Écart qui préserve

Marcelin PLEYNET : Journal de l’année 2000 (extraits inédits)

Jacqueline RISSET : Les noms dans le texte

Philippe MURAY : Sur Spirito peregrino et Rime

Denis ROCHE : La pratique de la poésie (à propos de Comme)

Jacques HENRIC : Chance et vérité

Jean CAYROL :Pleynitude

Marcelin PLEYNET : Ergo, le centre est partout (inédit)
Marcelin PLEYNET : Grammaire
Florence D. LAMBERT : Marcelin Pleynet politique
Claude MINIÈRE : Nouvelle science
Margaret TUNSTILL : Venetian love
Andrea SCHELLINO : Rimbaud, Pleynet
Thibaud COSTE : Traverse. Bataille/Pleynet
Samuel RODARY/M. PLEYNET : Debord : situation (entretien sur Guy Debord)
Serge GAVRONSKY/M. PLEYNET : Entretien sur la poésie, 1987
Michel CRÉPU : Constellations
David GRINBERG : Manière de voir - Manière de filmer
Marc DACHY : Ici
Jocelyne FRANÇOIS : J’écoute en vie tous ceux qui m’accompagnent
Pascal BOULANGER : Pleynet en son temps
Judit REIGL : Suite pour Marcelin Pleynet
Lionel DAX : Marcelin Pleynet, mousquetaire
Sylvie BOURGOIN : L’incarnation de la Chance et de la Forturne
Alain COSTE : La Chambre des commencements

Alain CHANÉAC : Cavatines voilées
Alexandre EYRIÈS : Marcelin Pleynet, poésie et poétique
Dominique PARAVEL : Quitter Venise
Bertrand ROGER : 3’25
David Di NOTA : De la littérature considérée comme une science exacte

Laurent ZIMMERMANN : Poèmes
Serge GAVRONSKY : Poème, « L’Antre de l’écrit »
Benoît CHANTRE : Au bureau de L’Infini

Iconographie et biobibliographie

Oeuvres de Vincent BIOULÈS, Pierre BURAGLIO, Pierre NIVOLLET, Claire PICHAUD, Ernest PIGNON-ERNEST, Judit REIGL, Christian SORG, Dominique THIOLAT [1]. Présence de James BISHOP, Henri MATISSE, Robert MOTHERWELL, Pablo PICASSO...


Pleynet en son temps

par Pascal Boulanger

C’est la résistance au dressage social (et aux poètes du social) et la radicalité du retrait qui ont toujours fait pour moi actualité dans les oeuvres lues. En puisant dans la bibliothèque et en découvrant, à l’âge de 18 ans, les écritures de Rimbaud et de Pleynet, j’ai compris que la société n’était qu’un crime organisé sous le masque progressiste de la solidarité et des droits de l’homme.

*

Pleynet a été confronté, comme les écrivains de sa génération, au psychologisme lourd, au sociologisme pesant, à l’existentialisme engagé, au surréalisme tenace, au réalisme socialiste et bientôt à l’avant-garde exténuée sombrant dans l’académisme... Il fallait donc aller voir ailleurs, chez les poètes et les peintres américains, chez Lautréamont, Rimbaud et Artaud, chez Georges Bataille afin de détruire la parole éculée, le vieux bassin à sublime (Sollers).

Le combat du texte est combat musical et maîtrise du temps, contre l’asservissement au spectacle, contre le pathos materno-social au service de l’homo technicus, programmé dans un tube de verre et éduqué dans les collèges de l’ignorance et de la violence.

Le passé, le présent confondu au foyer fixe du désir (...) Etre aujourd’hui comme hier, présent, caché, fuyant, entouré, isolé et seul dans la jouissance de ce vide papier (Marcelin Pleynet, Prise d’otage, Denoël, coll. L’Infini).

*

Les animateurs culturels que je croise pour des raisons alimentaires s’intéressent au bien public. Ils croient à la société, à sa réalité et à son utilité. Ils sont dans l’agitation, l’adhésion, à l’image d’un Sartre pour qui Baudelaire fait scandale : Il a souhaité se dresser à l’écart de la grande fête sociale, à la manière d’une statue, définitif, opaque, inassimilable. Le transparent et assimilable Sartre, comme les bateleurs de foire d’aujourd’hui, n’aiment guère que l’on quitte la fête sociale, surtout sans autorisation. Les écrivains de la misère sociale préfèrent se perdre dans la foule, dans la bafouille de l’engagement. Quel intérêt peut bien susciter la poésie de Baudelaire et de Pleynet pour les professeurs d’instruction civique et de participation citoyenne ?

*

Dans la voix, dans les gestes, j’ai parfois senti une fureur digne d’un saint Paul chez Pleynet. N’est-il pas, comme le fut Pasolini, radicalement étranger à la culture de son époque ? La vision, qui n’est jamais celle d’un siècle mais d’un individu, témoigne d’une traversée directe et existentielle d’où peut surgir une extrême liberté de parole face à tous les discours des pharisiens et des prêtres de la fraternité universelle.

L’oeuvre de Pleynet révèle une métaphysique de l’exil, celle d’un sans-patrie du temps (Franz Rosenzweig). L’oreille et la voix se chargent alors de l’infini : Il ne faut pas lire négligemment avec les yeux, mais avec les oreilles, comme si le papier était en train de déclamer (Hopkins à son ami Robert Bridges).

*

En 1999, je publie aux éditions Tarabuste un recueil : Le bel aujourd’hui, dédicacé à Marcelin Pleynet.

Le premier poème signe une dette explicite.

Le poème Extase publié dans le recueil Le lierre la foudre (Editions de Corlevour, 2011) sera lui aussi dédié à Marcelin Pleynet.

Autrement dit, c’est toujours pour moi, à chaque reprise d’un livre de Pleynet et à chaque rencontre avec lui, un état neuf du langage qui se dessine, un espace stimulant qui se crée. J’écoute et je sais, je traverse ce que je sais, dans une accélération d’images ou dans la lenteur, dans une foule énorme de moments, dans un temps sans durée.

*

Vies misérables/Poésies misérables... La poésie, hors-jeu et dans le secret du jeu, Pleynet la conçoit comme passage d’un monde muet et idolâtre à un monde sensible saisissant l’oreille et le regard.

*

A la fin des années 70, inscrit à l’Université de Paris VIII Vincennes, j’assiste au cours des sinistres hégéliens/marxistes Jacques Julliard, Jean Elleinstein, Madeleine Réberioux et Henri Weber qui, avant de se découvrir social-démocrate et de siéger au Sénat, dirige avec Krivine la LCR. Il me dédicace un de ses livres Changer le PC : A Pascal Boulanger, eurocommuniste de choc, en souvenir de nos débats, et dans l’espoir que du dedans et du dehors on finira tout de même par changer le PC. Amicalement.

Changer le parti communiste, changer la vie ? Tout ce qui ressemble à de l’espoir ne constitue-t-il pas le signe que le présent et l’exercice de la vie ne vont pas de soi ? Je ne resterai pas longtemps ami des ligues, quelles qu’elles soient. Laissant au devenir son innocence et au hasard sa chance. Le monde est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.

*

Depuis la parution de Provisoires amants des nègres, les livres de Pleynet signent une odyssée du nom propre sous l’éclairage de la pensée. Ils tiennent la poésie en éveil, même quand ils prennent la forme d’un essai et du journal. Ils envisagent la poésie comme un savoir du monde, dans un carrousel de traits décalés sur la page, agissant par secousses, condensations, illuminations. Pour que le monde retrouve la vieille incohérence qui le fonde, il faut que l’écriture fasse retour à l’origine en brisant le lien social. Ce qui devient alors déterminant, c’est la liberté de son propre être essentiel.

*

J’ai eu la chance d’être abordé par des visages et des livres. Pour brûler sans agir, pour tuer le monde et ses convulsions folles et fermées. Même si je sais que, demain, je risque de retomber en servitude, sollicité par quelque famille d’opinions encline à l’hostilité rageuse ou douceâtre des prédicateurs de l’action.

*

La poésie doit dévoiler l’histoire et l’histoire qui se dévoile poétiquement n’est évidemment pas l’histoire des historiens. Elle est l’expérience singulière du temps, c’est-à-dire la façon dont le temps est vécu dans le vécu du temps. Elle est aussi, et je pense au livre central de Pleynet : Stanze, épopée musicale jouant sur les harmonies et les dysharmonies prosodiques.

Heidegger : La poésie n’est pas simple ornement qu’accompagnerait la réalité humaine, ni simple enthousiasme passager, elle n’est pas du tout une simple exaltation ou un passe-temps ; la poésie est le fondement qui supporte l’histoire.

La poésie fonde l’histoire et tenter une fondation poétique de l’histoire, c’est ouvrir un monde, un présent du monde à chaque fois singulier, que les événements intimes et collectifs, dans une succession muette, recouvrent. Mais n’est-ce-pas aussi s’opposer à une communauté de destin basée sur le sacrifice et la guerre ? N’est-ce-pas se démarquer du site d’un monde historique commun dans lequel, justement, s’est égaré et compromis bassement Heidegger qui, en refoulant le judéo-christianisme, a souhaité unifier une communauté de langue recevant sa loi du poète et de l’homme d’Etat ?

*

(...) Comment lire Rimbaud ? Artaud ? Comment traiter la folie qui pourvoit d’otages ces misérables ? Comment quitter ce continent ? (Pleynet).

En effet, comment quitter ce continent et le dix-neuvième siècle comme technique de l’ennui, sinon en proposant une écriture qui pense sa dépense ? Et comment ne pas être chassé de sa propre parole, comment rester vivant à force de paradoxes ? Pleynet ne s’est jamais identifié au milieu d’où il était censé venir ni à la misère qu’il traversa en faisant ses premiers pas à Paris. Pleynet ne sera pas assimilable. il n’y a pas de mère-patrie dans ses livres, mais le rejet radical de la société française, celle qui s’impose après la seconde guerre mondiale et pendant la guerre d’Algérie, un rejet des compromis et des marchandages, un refus de se laisser enfermer, fût-ce à l’intérieur de Tel Quel et de L’Infini. Il s’agit pour lui de se dégager des affaires de famille — du fascisme, du stalinisme — de se dégager d’un monde rongé par le négatif. Pour lui, toute création poétique nait de la ferveur pensante du souvenir et il s’agit de penser, à l’intérieur du déjà-pensé, le non-pensé qui s’y cache encore.

Les trois livres (Seuil), Fragments du choeur (Denoël), Plaisir à la tempête (Carte blanche), Le Propre du temps (Gallimard), Notes sur le motif (Dumerchez), Le Pontos (Gallimard) et tout autant les livres consacrés à la peinture et à la littérature participent à cette révolution poétique, inaugurée par Lautréamont et par Rimbaud, qui doit être comprise au sens étymologique des mots « qui fait retour ». Ce qui oublié, et oublié dans les oeuvres lues, fait retour dans le temps. Il ne s’agit plus, à partir de là, de savoir si la poésie est admissible ou inadmissible, si elle participe ou non de l’impossible, elle est — écrit Pleynet — qu’on le veuille ou non, une fois pour toutes et par essence, de tous les possibles dévoilés.

L’écriture de Pleynet n’a rien à voir avec l’affairement autour de la question poétique, qui révèle trop souvent le nihilisme acharné de ceux qui jouissent de leur manque et de leur misère. La niaiserie poétique (qui peut très bien s’inclure dans un jeu formaliste) accepte un monde sans questions ni tentatives de réponses. C’est d’une autre partition dont il s’agit ici, où la pensée s’insère dans l’exercice de l’existence et de la liberté, et de l’aventure poétique qui en découle.

*

Prendre congé du siècle. En lisant donc tous les livres de Pleynet, conçus comme une éthologie, une composition de vitesse et de lenteur où les lignes de force qui se déploient sont des sillages de lumière et de couleur. Le champ qui s’ouvre est centrifuge, étendu, complexe. Et l’émotion méditée, l’éclat et le roulement des mots, le feu jusqu’au blanc des cendres sont des défis au nihilisme et à la logique interne de notre histoire dans laquelle tout le monde se ressemble et agit de même.

L’homme Pleynet en trois mots ? Fidélité, écoute, générosité.
Allez y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire.

Pascal Boulanger

Pascal Boulanger est écrivain. Il a publié des chroniques et des entretiens dans de nombreuses revues et notamment sur Marcelin Pleynet. Son intervention à la Sorbonne en 2004 sur Rimbaud et Pleynet a été publiée dans le recueil critique : Suspendu au récit, la question du nihilisme (Comp’Act, 2006). _
Il est l’auteur de plusieurs livres parmi lesquels : Martingale (Flammarion), Une action poétique de 1950 à aujourd’hui (Flammarion), Tacite (Flammarion), Le Bel aujourd’hui (Tarabuste), Jongleur (Comp’Act), Jamais ne dors (Corridor bleu), Un ciel ouvert en toute saison (Corridor bleu) et Le lierre la foudre (Editions de Corlevour). _
Prochaine publication : un livre d’entretiens avec Jacques Henric.

Le site de la Revue Faire Part

Revue Faire Part, Le Village 07160 MARIAC

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 13 septembre 2017 - 17:39 1

    Description
    Marcelin Pleynet est une des grandes figures de la poésie contemporaine, héritier de Rimbaud et de Lautréamont auxquels il a consacré des études. Depuis son premier recueil, paru en 1962, Provisoires Amants des nègres, il n’a eu de cesse d’englober dans la définition de son écriture non seulement la subjectivité et la métaphysique, mais aussi la biographie et l’histoire. Écriture ouverte aussi sur les images, puisque ses écrits sur l’art ont influencé toute une génération de peintres, notamment ceux du groupe Support-Surface qu’il soutint en critique engagé. Il a également beaucoup contribué à rétablir le dialogue entre l’art américain et l’art européen en le dégageant des rivalités nationalistes.
    Secrétaire de rédaction de Tel Quel, revue phare des avant-gardes dans les années 1960 et 1970, il est aujourd’hui celui de l’Infini (Gallimard). Longtemps en charge de la chaire d’esthétique à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, il a aussi accompagné artpress dès le premier numéro qui ouvrait sur sa relecture critique, toujours actuelle, du mythe Marcel Duchamp.

    Par Pascal Boulanger, Jacques Henric, Catherine Millet.
    Préface de Catherine Francblin.

    « L’expérience picturale est liée fondamentalement à un certain type de rapport à l’écriture et à la parole »
    Disponible sur artpress.com


  • A.G. | 13 décembre 2012 - 13:24 2

    Les 11 et 12 janvier 2013, au théâtre régional de Privas (Ardèche)

    Colloque et exposition autour de Marcelin Pleynet

    Événement organisé par la revue Faire part.

    Avec la participation de Marcelin Pleynet, Christian Arthaud, Alain Chanéac, Alain Coste, Thibaud Coste, Michel Crépu, David Grinberg, Andrea Schellino, Laurent Zimmermann.
    Des œuvres de Vincent Bioulès, Pierre Buraglio, Pierre Nivollet, Claire Pichaud, Ernest Pignon-Ernest, Dominique Thiolat, Judit Reigl, Christian Sorg, Claude Viallat seront exposées.
    Programme et inscription