11. « Plutôt qu'à une phrase, le vers semble ainsi pareil à un mot, dont on ne saurait non plus changer ni modifier les lettres, sans lui retirer sa nature même. Pourtant il n'est pas tout à fait un mot, mais une addition, une combinaison de mots divers, dont chacun garde une certaine autonomie, et tolère même d'être à part considéré, comme il arrive dans l'explication de textes. Reste que cette explication n'est jamais tout à fait satisfaisante, ni complète; comme si la synthèse de ces mots se voyait douée d'une vertu nouvelle, qui n'était pas dans les éléments.

Ainsi en va-t-il, dans un autre domaine, du volume par rapport au plan, du plan par rapport à la ligne. Car le volume est fait de plans, et le plan de lignes. Et pourtant il y a aussi dans le volume ce qui n'était pas dans les plans; dans le plan ce qui n'était pas dans les lignes: une qualité inédite, que l'analyse aussitôt lui retire. » (Jean Paulhan.)

On voit comment une telle conception, transposée dans l'ordre mental, pourrait rendre compte de la « conscience », de l'« esprit », de la « mémoire », toutes catégories auxquelles nous soumettons nos activités, et comme le centre de gravité du fonctionnement cérébral. Qui, malade, ne s'est senti comme la somme irréelle de ses organes? Que sommes-nous, sinon un tableau singulièrement complexe, dont la somme, quoique les contenant toutes et en découlant, échappe en partie aux parties?

La plupart des gens semblent se former de leur esprit une image assez fantastique qui n'est pas sans rapport avec la « chambre obscure» de Locke, quand ce n'est pas un vaste arrière-plan ombreux, sacré, indéfini, du front à la nuque (ou inversement), qui constituerait, en passant parfois par le cœur, le dedans opposé au dehors.

Cette vue conventionnelle et qui n'inquiète que pour mieux rassurer, dernier refuge et ressource de la « profondeur », est quelque peu naïve et cède par trop aux images. Que si l'on considère notre corps (tout psychologue devrait assister à une dissection), il est en effet cet étrange ensemble de muscles, d'os et de nerfs, de lymphe et de sang, et le cerveau possède ses centres que l'on connaît de mieux en mieux (les expériences de microphysiologie sont, à cet égard, passionnantes). Mais plus on avance dans la connaissance du détail, plus l'ensemble s'éclaire et s'obscurcit, devient de plus en plus miraculeux, inexplicable, doué d'une qualité qui échappe aux coordinations les mieux observées. L'invisible, en somme, est ex-primé par le visible, reculé, secrété par lui à chaque instant (et c'est pourquoi il y a quelque naïveté à chercher le « mystère» ou la « vérité» comme quelque chose de constitué, alors qu'il est à tout moment le constituant des choses de l'esprit). L'analyse vient confirmer le mystère. La conscience devient le phénomène insaisissable, d'une disposition que nous pouvons reproduire (et peut -être susciter le jour qui ne saurait être éloigné où l'on sera capable de créer la vie). Elle est tout entière contenue dans sa composition et cependant elle lui échappe ... Mais nous pouvons en faire jouer, en projeter, pour une saisie sensuelle, les visions, le principe. Il serait ainsi souhaitable, pour l'époque révolutionnaire que nous allons vivre (qui n'est pas tellement éloignée du XVI' ou du XVII'), de suspendre la dénomination habituelle des qualités de l' « homme». Et s'occuper de réexaminer la logique. Ce point de vue n'est pas mécaniste, ou rationaliste: il fait simplement sa part à l'insaisissable. On peut attendre beaucoup de sa détermination psychologique (la tendance à employer des mots dissociés - où un élément est fixe et l'autre annonciateur, est signe d'un besoin de l'esprit d'exprimer sur le même plan une double perspective).