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A propos du mystère Picasso

D 29 octobre 2008     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Article complété le 12 avril 2013 quarante ans après la mort de Picasso.

En marge de l’exposition « Picasso et les maîtres » [1] ... Rencontre avec Philippe Dagen pour sa monographie de « Picasso » parue aux Editions Hazan.

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Le livre

A la fois biographique et réflexive, cette monographie cherche à répondre à un certain nombre de questions que soulèvent le tempérament artistique et l’oeuvre exceptionnelle de Picasso surgis à une époque non moins exceptionnelle. Picasso y est considéré en fonction de sa situation en son temps, au sens le plus large du mot, bien au-delà des amitiés et des rivalités strictement artistiques du milieu parisien et français. Lui-même par nombre de ses prises de position n’a-t-il pas affirmé qu’il refusait de s’enfermer dans l’atelier et se réservait le droit d’intervenir dans les affaires du monde — d’y réagir et de leur répondre ? C’est donc d’un Picasso résolument moderne parce que constamment et consciemment confronté à la modernité du monde qu’il s’agira de montrer : comment il laisse cette modernité pénétrer dans ses travaux — matériaux, images, techniques, inventions — et comment, en réaction contre elle, il donne forme picturale ou sculpturale à des archétypes — à des passions, à des pulsions — dont, à ses yeux en tout cas, la permanence atteste de l’intemporalité. Mouvement d’acceptation mouvement de refus : cette confrontation sans trêve est, peut-être, l’explication la plus satisfaisante que l’on puisse avancer de la volonté de changement qui l’a animé au point de laisser l’oeuvre la plus polymorphe et la plus diverse de toute l’histoire de l’art. La réflexion se développe ainsi en quatre mouvements. Le premier, qui s’achève peu avant que la Première Guerre Mondiale révèle la face terrible de la modernité scientifique et industrielle, est celui de l’ouverture à toutes les modernités. La traversée rapide des styles artistiques issus de la Renaissance — de ce qui a été l’art et son histoire jusqu’alors — conduit au moment critique par excellence : le primitivisme, qui peut être pensé comme la négation résolue du moderne, et le cubisme, qui apparaît à l’inverse comme son acceptation et la façon la plus radicale d’en tirer les conséquences plastiques. Le deuxième, dont la conjonction du cubisme et d’un dessin quasi ingresque à Avignon au début de l’été 14 marque le commencement et qui dure jusqu’au début des années 30, se caractérise à l’évidence par la simultanéité de pratiques et de styles si distincts qu’on peut les penser incompatibles, le post-cubisme qui ne disparaît pas, le « néo-classicisme » et l’invention d’une autre peinture encore. Cette période pourrait être dite celle de l’artiste « maître du monde », puisque capable de donner à chaque sujet et à chaque sentiment sa forme visuelle la plus juste — maîtrise qui est aussi celle d’une « vedette » à la prospérité visible, soupçonnable d’embourgeoisement ; celle, en somme, d’un Picasso assuré de ses moyens et de sa logique, de sa position et de sa gloire. La troisième se place sous le signe des monstres, quand la maîtrise maintenue pendant une quinzaine d’années éclate sous la pression d’évènements publics et privés qui sont tous de l’ordre du désordre et du drame. Il n’y aura pas d’ordre, il n’aura que des tragédies. Il n’y a donc plus lieu de maintenir l’équilibre complémentaire entre plusieurs styles, mais de se précipiter dans l’expérimentation, du côté des terreurs et des crimes avec pour principaux compagnons les surréalistes et surtout André Breton. A moins que l’on ne veuille reconnaître dans l’oeuvre picassienne des années 30 et 40 quelque chose comme l’équivalent de l’analyse freudienne — celle du « malaise dans la civilisation » qui tourne à la catastrophe. Ces vérités montrées, que reste-t-il à faire ? D’une part à pousser à ses extrémités les plus affolantes l’expérience de la violence — ce qui a donné la « dernière période » de l’oeuvre selon les terminologies habituelles, longtemps la moins admise et la plus redoutée. Et d’autre part à démontrer par la reprise et la mise à nu de leurs toiles que les grands prédécesseurs de Picasso avaient donné de l’humanité des représentations qu’il suffit de durcir pour y reconnaître les scènes d’Eros et de Thanatos, les Femmes d’Alger et le Massacre des Innocents, le Déjeuner sur l’herbe et L’enlèvement des Sabines. Dans un monde occidental qui se glorifie de ses nouveautés et de sa prospérité, le vieux Picasso rappelle inlassablement — et non sans une cruauté désabusée — que l’histoire est vouée à finir par des désastres — y compris l’histoire de l’art du reste.

Editeur Hazan.

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Dans la presse...
Zoom : cliquez l’image.

Le mystère Picasso

par Henri-Georges Clouzot

Photo : Claude Renoir
Musique : Georges Auric
Montage : Henri Colpi

Prix spécial du Jury, Cannes 1956 (75’).

Ce film est une oeuvre unique et reste à ce jour la seule tentative de rendre compte cinématographiquement du processus de création. De juillet à septembre 1955, Pablo Picasso et Henri-Georges Clouzot se retrouvent tous les jours durant huit heures dans les Studios de La Victorine à Nice. Grâce à un procédé ingénieux de verre transparent et d’encre spéciale, Picasso compose plusieurs oeuvres sous nos yeux, au gré de son inspiration.

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Genèse du film

Henri-Georges Clouzot s’est contenté de filmer Picasso en train de peindre sur du papier transparent, avec des plans-séquence en caméra fixe. La caméra, placée devant le chevalet sur lequel est tendu le papier et non derrière Picasso, capte le cheminement de la pensée créatrice du peintre. Puis le film capte le passage à la couleur ; peinture à l’huile plus classique, filmée en écran cinémascope. Le film est monté photogramme par photogramme.

La genèse du film résulte d’un concours de circonstances. La rencontre entre Clouzot et Picasso est de 30 ans antérieure au film. Dès le milieu des années 20, Clouzot, provincial âgé de 18 ans, s’installe à Paris et suit son oncle dans les cénacles artistiques. Il ébauche alors une amitié avec le peintre, déjà admiré et courtisé. Le projet d’une collaboration est évoqué pour la première fois en 1952, alors que les deux hommes sont désormais voisins, Picasso vivant à Valauris et Clouzot, auréolé du succès du Salaire de la peur, à Saint-Paul. « C’est une bonne idée, il faudra en reparler » sont les mots du peintre quand Clouzot expose l’idée de faire « un film ensemble ».

Le projet ne sera relancé que trois ans plus tard, au moment où Clouzot s’affirme dans la pratique de la peinture. Il a présenté ses toiles à Braque, puis à Picasso, qui se montre assez critique mais très attentif. Des mésententes subsistent quant au bien fondé de cette collaboration, notamment quand Picasso propose à Clouzot de lui écrire un scénario. Il se fait alors éconduire par le cinéaste qui lui explique qu’il est préférable que chacun reste à sa place et que c’est la rencontre entre les deux hommes qui l’intéresse, pas la substitution de leur talents respectifs.


1956 Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Puis, au printemps 1955, Picasso appelle Clouzot pour lui faire part d’une récente découverte, c’est lorsque le peintre reçut des "feutres magiques" et des encres spéciales envoyées par des étudiants américains que le projet prit corps. Feutres et encres avaient la curieuse propriété de traverser le papier sans baver et d’inscrire au verso les traits exacts dessinés au recto. Clouzot eut l’idée de filmer le derrière de la toile : on verrait ainsi naître l’oeuvre d’art par transparence, comme par magie.

Le silence est de rigueur, Picasso travaille et tout le monde le respecte, ne pas distraire sa concentration, lui a d’ailleurs oublié une caméra. Il est tout entier dans son oeuvre. Clouzot observe. Et ça d’ailleurs sera une objection que des mauvais esprits ont tentés de faire : « au fond, qu’à fait d’autre Clouzot à part dire moteur et coupez ». Clouzot témoigne d’une parfaite culture picturale. On sait que Clouzot peint à ses heures et qu’il s’intéresse de près aux choses de la peinture. En définitive, le Mystère Picasso est bien un film de Clouzot, il a démontré tout le mécanisme créateur d’un artiste, il a conduit Picasso jusqu’à un degré extrême de tension et de fatigue.


Les affiches du film Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Ensuite, Picasso peint à l’huile : la technique de cinéma doit être modifiée. Clouzot place sa caméra derrière le peintre et filme la toile à intervalles réguliers tandis que Picasso s’écarte. Pour la peinture à l’huile, Clouzot emploie la couleur. De même, pour suivre fidèlement les proportions des toiles, le cinéaste filmera en écran large. Ainsi, son film sera le seul à employer successivement le noir et blanc et la couleur, l’écran normal puis le Cinémascope. Parallèlement, la bande sonore suit la même évolution : on n’entend d’abord que le crissement du fusain sur la toile ; puis ce sont des mesures de guitares ou des solos de batterie ; pour finir, c’est la totalité de l’orchestre symphonique qui explicite l’oeuvre en gestation.

De juillet à septembre 1955, Picasso et Clouzot se retrouvent tous les jours durant huit heures dans les Studios de La Victorine à Nice. Claude Renoir, le petit-fils du grand peintre, dirige les prises de vues. Au début, l’idée du réalisateur est de tourner un court métrage de dix minutes. Mais au bout de huit jours, la matière est tellement riche qu’il songe à une série de courts métrages.

Au bout des trois mois de tournage, Clouzot se trouve en possession d’une longueur impressionnante de pellicule. Il trouve dommage de fragmenter une matière aussi riche : le film sortira donc sous la forme d’un long métrage. Son genre particulier limitera forcément son audience. Mais les vrais amateurs d’art se réjouiront tous de ce document unique dans les annales du cinéma. Un critique de l’époque proclame, en référence aux autres films de Clouzot : Le Mystère Picasso, c’est « le plus beau film de suspense jamais réalisé »...

Le DVD sur arte.

Les tableaux font le peintre (Cahiers de CILSL, l, 1992, pp. 43-54) pdf , Remarques à propos du film Le Mystère Picasso par Félix Thürlemann (Université de Constance).

Le double drame de la création selon Le mystère Picasso pdf

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Pablo Picasso au festival de Cannes 1956

Reflets de Cannes, 5 mai 1956

A l’occasion de la projection du film d’Henri-Georges Clouzot "Le mystère Picasso" au festival international du film de Cannes, commentaire de François Chalais sur images de la montée des marches de Pablo Picasso.

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Deux ans plus tôt...

Juillet 1954. J’ai huit ans. Je suis à Vallauris avec mes parents. Picasso, superstar, surgit dans une voiture à cornes. Villageois et touristes l’escortent. Mon père sort son Foca. Photo. A.G. [2].

Vallauris, juillet 1954. Zoom : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Treize journées dans la vie de Pablo Picasso

un film de Pierre-André Boutang, Pierre Daix, Pierre Philippe

182 minutes, 1999.

Production / Diffusion : Sodaperaga, INA. Entreprise, RMN (Réunion des musées nationaux), La Sept ARTE, TVE S.A. (Espagne).

Ce documentaire en 3 parties retrace en 13 journées, 13 moments clés de la vie et de l’œuvre de Picasso. Un récit truffé de témoignages, d’archives et de documents inédits qui permet d’inscrire l’homme et l’artiste dans son époque, ses époques.
Chaque jour de sa vie, Picasso a dessiné, sculpté, gravé, modelé ou peint. Son œuvre est comme un immense journal intime où se confondent histoire personnelle et histoire du siècle : deux guerres mondiales, la guerre d’Espagne, les femmes, les amitiés, les ateliers, la Méditerranée, le cirque, la corrida, la joie de vivre et les moments de désespoir, l’amour de la peinture...
Chaque séquence a sa composition particulière, sa ligne de force, sa "musique", en fonction des documents présentés : carnets de dessins, œuvres célèbres ou bien secrètes, entretiens, documents filmés, photos...

1 — Du jeune génie barcelonais à l’inventeur du cubisme
2 — Des ballets russes à l’Occupation puis à la Libération de la France
3 — De l’artiste engagé au triomphe du mythe à la mort solitaire d’un génie.

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[1Cf. Grand Palais, Galeries nationales, 8 octobre 2008 - 2 février 2009.

[2J’avais daté cette photo de 1956. J’ai retrouvé l’original dans un album de mon père. J’ai donc rectifié la date (note du 19/08/2023).

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2 Messages

  • A.G. | 12 août 2013 - 10:46 1

    A propos de la voiture à cornes que mes souvenirs d’enfant attribuaient à Picasso, je viens de découvrir qu’elle appartenait en fait à Gilbert Valentin.

    Sa fille, Flore Valentin, raconte :


    Nous sommes début août 1952. mon père, Gilbert Valentin, vient d’acheter une vieille Renault décapotable de 1925, repeinte en bleu avec quelques nuages. Pablo Picasso a le coup de foudre.

    « Valentin, il faudra me conduire dans ton ­automobile à la corrida de Vallauris.  » Avec sa calandre aux allures de museau et ses phares semblables à deux yeux perçants, l’engin a un faux air de taureau, l’animal de prédilection de Picasso. Pour parfaire la ressemblance, mon père a eu l’idée de sceller une paire de cornes sur le capot de sa vieille Renault décapotable, dont le peintre espagnol est tombé amoureux. Mais un peu irrité de ne pas être à l’origine de cette sculpture ­zoomorphe ambulante, l’artiste a d’abord lancé  : «  Dans mon pays, les taureaux ont les cornes plus en avant.  » A quoi Lilette, ma mère, originaire du Dauphiné, a répliqué  : «  Oui mais, dans le mien, ils les portent sur le côté.  »

    Cela deviendra un rituel  : dans les années 50, le dernier dimanche d’août à la fin de la corrida, Picasso fait le tour de Vallauris, conduit par mon père dans la voiture à cornes. Debout dans l’auto, il salue la foule qui suit en riant et en chantant. Parfois, une remorque accrochée au véhicule trimballe un orchestre. Toute la ville est en fête. L’atelier de Picasso, une vieille distillerie qu’il loue en 1949, se trouve chemin du Fournas, en face de l’ancienne poterie où mes parents, potiers mais aussi sculpteurs et peintres, viennent de créer «  les Archanges  », leur lieu de vie, de production et de vente.
    Le village profite de la notoriété pour en tirer quelques bénéfices. «  Un Picasso, s’il vous plaît  !  » Chez M. Bianco, le boulanger, les clients se pressent pour acheter ce petit pain en forme de main avec des doigts démesurément gros, comme Picasso aime à les représenter. Mais tous les habitants ne sont pas sensibles à son art. Un jour, M. Palanca, le menuisier, glisse au maître venu payer une chaise  : «  Monsieur Picasso, entre hommes, vous pouvez me le dire, vous voulez faire peur aux petits enfants avec votre peinture  ?  »

    “De chez lui, le peintre adore observer notre famille avec des jumelles”

    Picasso se plaint souvent, auprès de mes parents, de sa trop grande célébrité. «  L’artiste a besoin d’observer. Eh bien, je ne le peux plus, parce que maintenant c’est moi qu’on regarde, c’est moi le spectacle.  » Alors il se déguise. Un jour, il arrive dans notre cour en bermuda, lunettes noires, casquette et appareil photo en bandoulière  : «  Je suis déguisé en touriste, personne ne m’a reconnu.  » Françoise Gilot, sa femme, nous confie qu’il adore nous observer avec des jumelles. Il trouvait mes parents atypiques et inattendus. Il aime leur beauté aussi. Celle de ma mère, surtout. Visage rond, nez rond, joues rondes, pourtant pas les canons auxquels Picasso était sensible  : nez droit en continuation du front, pommette étirée, œil oblique. C’est avec ses jumelles, un jour de juin 1951, qu’il découvre dehors un panier en osier avec un nouveau-né nu, moi. Aussitôt il arrive  : «  Je n’ai rien su, personne ne m’a rien dit  ! Comment moi ne suis-je même pas au courant de cette naissance  ?  » Il repart en maugréant et revient dix ­minutes plus tard avec Jacques Prévert et Jean Cocteau pour leur présenter le nourrisson. Et voilà ces trois poètes penchés comme trois bonnes fées au-dessus de la corbeille qui me ­servait de couffin.

    Le jour où il découvrit la voiture à cornes, il rameuta chez nous Cocteau et Braque pour leur faire voir la «  merveille  ». Et Cocteau de suggérer  : «  Formidable  ! Décorons chacun une porte, envoyons le tout au Louvre où, suspendue au plafond, la voiture fera un lustre surréaliste.  » Mais pas question pour Picasso de désosser son nouveau véhicule de parade. C’est dans cette même auto, toujours conduite par mon père, qu’il défila en 1961, dans les rues de Vallauris, pour célébrer ses 80 ans. Il habitait désormais le quartier de la Californie, à Cannes, et venait cette même année d’épouser Jacqueline Roque, de quarante-cinq ans sa cadette.

    Paris Match.


    • « Du coup, la photo, juillet ou août 56 ? » me demande un ami après avoir lu le témoignage de Flore Valentin. Bonne question... à laquelle je suis incapable de répondre, la date exacte n’ayant pas été notée au dos de la photo, tirée à partir d’une diapositive que je n’ai pas retrouvée. Qu’importe !
      S. Z. m’écrit : « Cher Albert Gauvin, c’est ce qui s’appelle croiser son destin ! Félicitations ! »
      Un autre : « Magnifique ! Même le cheval publicitaire dans le fond prend un tout autre sens. »
      Eh oui, Pégase, le cheval ailé... Il est connu que, là où Picasso passait, chaque chose devenait un élément de son oeuvre...

  • A.G. | 12 avril 2013 - 17:20 2

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