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C’étail Daniel Cordier

D 22 novembre 2020     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

•• Il y a quelques années, l’ascenseur de son appartement cannois devait être en travaux durant des mois. Alors, plutôt que de rester confiné dans son cinquième, ou d’avoir à gravir péniblement les étages à son âge, Daniel Cordier a décidé qu’il valait mieux aller faire un tour du monde. C’était tout Daniel Cordier. À près de 95 ans, il voulait revoir les trésors du musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, et, là, retrouver la lumière de certains Matisse ; puis poursuivre plus loin, saluer une dernière fois les statues de l’île de Pâques… Il faut imaginer le trajet, les avions, le cargo, les difficultés pour cet homme voyageant seul, vital certes mais si chétif. Retour en France, Daniel était « épuisé, mais RAVI ». Oui, ravi, c’était un de ses mots préférés, qu’il prononçait avec sa jeune voix toujours zézayante. Daniel Cordier, c’était cela aussi : cette inoxydable jeunesse, et ce bonheur allant, qu’on pouvait retrouver chez la plupart de ces « déraisonnables » que furent les premiers résistants.

C’est avec la même jeune ardeur qu’il y a moins de dix ans Daniel Cordier arrivait à mon bureau, tous les matins, lorsque nous écrivions ensemble, avec Alain Tasma et Raphaëlle Desplechin, l’adaptation audiovisuelle d’Alias Caracalla, son grand livre qui raconte son engagement dans la France libre à 20 ans, sa vie quotidienne auprès de Jean Moulin, ce «  patron » que, vivant, il ne connaîtra que sous le nom de Rex, clandestinité oblige. Si j’avais voulu qu’Alias Caracalla devienne un film, c’est qu’à mon sens, pour la première fois peut-être, la Résistance était racontée dans tous ses états, dans toute sa vitalité ; telle qu’elle me faisait vibrer lorsque j’entendais enfant le fameux discours de Malraux pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin. Comme cet élan vital dont parlait Malraux et pas comme ces clichés lointains, héroïques, académiques, qu’on voyait sur nos écrans dans les années 1960 et 1970.

Avec Daniel Cordier, en écrivant ce scénario, nous étions bien forcés de revivre ces moments, de préciser, de pinailler, d’affiner ; de la rendre vivante à nouveau, cette grande aventure : l’incroyable déclic de l’engagement, non pas le 18 juin, mais la veille, en entendant le discours de défaite de Pétain ; l’odeur de la poudre, les nuits blanches à coder ; les boîtes aux lettres qui servent aux réseaux ; la peur, la fièvre, les amours clandestines…

Nous avons beaucoup ri avec lui, et pleuré : à l’évocation de ce camarade breton tombé au combat ; au moment, où dans Paris occupé, Daniel, résistant mais toujours maurrassien et antisémite, est proprement foudroyé par la vision d’une étoile jaune accrochée au revers du veston d’un noble vieillard et de son petit-fils. Il ne se pardonnait toujours pas son antisémitisme de jeunesse.

Daniel Cordier ne restera pas seulement à la postérité comme le secrétaire de Jean Moulin, ou l’avant-dernier compagnon de la Libération, mais comme ce Juste auquel la France s’était attachée ces dernières années ; et, dans la dernière partie de sa vie, comme un très grand historien de la Résistance, reconnu mondialement par la communauté universitaire. À force de recherches, de labeur, de pertinence, Daniel Cordier avait fini par s’imposer aux historiens sceptiques. Il a bâti une œuvre. Il a montré la complexité de la Résistance (Résistance intérieure versus France libre) sans jamais la flétrir, et en a dégagé les enjeux, les tensions, et les violentes contradictions qui ont dû, ou pu, mener au drame de Caluire, qui le laissait inconsolable.

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Qui a donné Jean Moulin ? Sur ce mystère, serpent de mer français depuis des décennies, Daniel Cordier avait bien son idée, mais il disait, prudent : « On saura un jour, après ma mort. Des archives allemandes vont ressurgir, c’est certain. »

* A propos de Georges-Marc Benhamou

Producteur du téléfilm « Alias Caracalla », réalisé par Alain Tasma, qui sera rediffusé lundi soir sur France 5. Il a également publié sur le sujet « C’était un temps déraisonnable » (Robert Laffont, 1999) et « Les Rebelles de l’an 40 » (Robert Laffont, 2010).

Journal du Dimanche, 22 novembre 2020