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Les diplomates du pape

D 9 janvier 2018     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Comment le Vatican tente-t-il de peser, dans le plus grand secret, sur des dossiers internationaux tels que la guerre en Syrie, la protection des chrétiens d’Orient ou l’accueil des migrants en Europe ? Une immersion saisissante dans les coulisses de cette diplomatie unique au monde.

Depuis son élection en mars 2013, le pape François mène avec ses hommes de l’ombre une politique étrangère à la puissance inédite. Sur tous les fronts, des sommets internationaux aux longues négociations secrètes, il tente de peser sur des dossiers aussi variés que la guerre en Syrie, la protection des chrétiens d’Orient ou l’accueil des migrants en Europe. Nimbé de son autorité morale et spirituelle, il multiplie les gestes politiques forts, comme lorsqu’il accueille trois familles syriennes à bord de son avion papal, après la visite d’un camp de réfugiés à Lesbos en avril 2016. Premier souverain pontife jésuite et latino-américain de l’histoire, il oriente la diplomatie vaticane vers les pays mis au ban du concert des nations. De nouveaux cardinaux, venus du Venezuela, de Centrafrique ou de Thaïlande, occupent désormais la loge diplomatique du ministère où s’élabore la politique de pacification du monde.

Ambassadeurs divins

Pendant un an, la réalisatrice et journaliste Constance Colonna-Cesari, spécialiste du Vatican, a recueilli la parole des architectes de cette politique, qui dévoilent face caméra les dessous d’étonnantes opérations. Le cardinal Ortega, ancien archevêque de La Havane, qui a joué un rôle de médiateur important dans la réconciliation entre Cuba et les États-Unis, révèle par exemple l’incroyable pacte scellé entre Barack Obama et le pape François pour accélérer la conclusion de ce dossier. Ce documentaire passionnant met aussi en lumière le réseau colossal dont dispose cet État d’à peine 44 hectares pour peser sur les affaires internationales. Le Vatican, qui compte des paroisses dans de nombreux pays, sait parfaitement faire remonter l’information, ce qui l’apparente à l’une des plus grandes centrales de renseignement de la planète. Son activité n’échappe pas à la surveillance de Washington, comme l’ont révélé les dépêches diplomatiques rendues publiques par Wikileaks.

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Le meilleur service de renseignement extérieur au monde ? Après le visionnage de ce passionnant documentaire, on aurait en tout cas tendance à écarter la CIA américaine, le SVR russe, le MI6 britannique, la DGSE française, le MSS chinois ou le Mossad israélien de la première marche du podium au profit… des très discrets diplomates du Vatican !

Depuis de longues années, Constance Colonna-Cesari suit de près les affaires du Saint-Siège. Auteure de plusieurs documentaires et ouvrages de référence, dont Dans les secrets de la diplomatie vaticane (Seuil, 2016), la journaliste effectue dans cette nouvelle enquête une plongée inédite dans l’univers feutré des diplomates de l’Eglise ­catholique, habiles et très compétents représentants d’un minuscule Etat installé sur quarante-quatre hectares au cœur de Rome.

Politique diplomatique ambitieuse

En mars 2013, l’Argentin Jorge Mario Bergoglio devient le pape François. L’élection du premier souverain pontife sud-américain de l’histoire marque le début d’une vaste et ambitieuse offensive de l’Eglise catholique sur le front ­diplomatique. L’Eglise du pape François se veut celle des périphéries et tient à s’occuper de manière concrète des migrants en danger comme des chrétiens opprimés. Mais pas seulement. En effet, des diplomates mènent des actions et négociations sur de nombreuses zones sensibles, de la Syrie à Cuba en passant par l’Irak, la Grèce, la ­République centrafricaine ou la Colombie.

Les résultats positifs enregistrés pour sauver des vies, atténuer des tensions ou favoriser le dialogue entre deux pays prouvent que la célèbre formule ironique pro­noncée en 1935 par Staline (« Oh, le pape ! Combien de divisions ­a-t-il ? ») n’avait pas pris en compte la véritable puissance du Vatican sur la scène internationale. En ­février 1929, les accords du Latran, signés par le secrétaire d’Etat de Pie XI et Mussolini, restituaient à l’Eglise l’autonomie territoriale perdue en 1870. Le Vatican acquiert, de fait, le statut d’Etat et un pouvoir politique réel, reconnu par les organisations ­internationales.

Secret et discrétion

Comme le rappelle ce documentaire, le Saint-Siège a des informateurs partout, jusqu’au cœur des villages perdus dans les forêts africaines, asiatiques ou latino-américaines : prêtres, évêques, religieuses et fidèles font remonter les ­informations jusqu’à Rome. Là, le Conseil pour le développement humain intégral recueille toutes les données et constitue, de fait, l’un des bureaux les mieux informés de la planète. C’est aussi à Rome que la célèbre école des nonces enseigne, avec un savoir-faire reconnu, la diplomatie à des élèves triés sur le volet. Seuls les séminaristes les plus brillants peuvent ­espérer faire une carrière diplomatique. Avec, comme règles de base, le secret et la discrétion. Face ­caméra, le cardinal français Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue inter­religieux, esquisse un sourire : « Comment peut-on être à la fois prêtre et diplomate ? On est d’abord prêtre ! La diplomatie est un moyen dont se sert l’Eglise, pas un but. »

Fortes personnalités

L’un des mérites de ce documentaire est de décrypter les objectifs et les missions des diplomates les plus influents d’une Eglise catholique rassemblant plus de 1 milliard de fidèles dans le monde. Et aussi de les entendre parler, ce qui est rare en public. On découvre ainsi de fortes personnalités, comme Mgr Gallagher, originaire de Liverpool et ministre des affaires étrangères du Saint-Siège. Ou le cardinal Pietro Parolin, numéro deux du Vatican. Sans oublier l’étonnant Mario Zenari, nonce apostolique en poste depuis sept ans à Damas. Un poste stratégique, car le soutien au régime de Damas est une constante de sa diplomatie, le Vatican estimant que Bachar Al-Assad ­continue d’offrir les meilleures garanties aux chrétiens syriens.

Pierre angulaire de la diplomatie vaticane : la protection des chrétiens d’Orient. D’où le dialogue nécessaire avec Vladimir Poutine. Mais la diplomatie du pape François se veut bien plus ambitieuse. Sauver les migrants, rétablir le dialogue avec l’islam, mis à mal par le discours de Benoît XVI en 2006, assurer la paix en Colombie, obliger les Etats-Unis et Cuba à renouer des liens, imposer ses vues à l’ONU… Le travail ne manque pas.

Efficaces sur le terrain, les diplomates envoyés de Rome savent agir sur des conflits sans que les protagonistes se sentent agressés. Le décryptage du réchauffement entre les Etats-Unis d’Obama et le Cuba de Raul Castro met en avant le rôle prépondérant du cardinal Ortega, intermédiaire officieux entre La Havane, Washington et le Saint-Siège. Et les voyages ciblés du pape François en 2016 (Colombie, Philippines, Centrafrique) confirment l’offensive diplomatique du Vatican sur la scène mondiale.

Alain Constant, Le Monde du 9 janvier.

Les Diplomates du pape, de Constance Colonna-Cesari (Fr, 2017, 52 min)

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