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Mais où donc Emmanuel Macron a-t-il pris sa citation de Lévinas ?

D 5 novembre 2017     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Mais où donc Emmanuel Macron a-t-il pris sa citation de Lévinas ?

Par Gilles Hanus, directeur des "Cahiers d’études lévinassiennes"
BibliObs, 3 nov 2017

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Le tableau « Liberté, égalité, Fraternité » d'Obey vu pendant l'interview d'Emmanuel Macron à l'Élysée, le 16 octobre 2017. (PHILIPPE WOJAZER-POOL/SIPA)
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Dans un entretien récemment publié par « le Point », le président de la République se réfère à une phrase qu’il attribue à Lévinas :

« La confiance, c’est le problème de l’autre. »

Cette phrase, il semble l’affectionner : une rapide recherche sur internet montre qu’on la trouve dans sa bouche, ou dans celle de ses proches sous deux formes au moins : celle que nous venons de citer et une autre légèrement différente :

« La confiance, c’est l’affaire de l’autre. »

Certes, la parole politique n’est pas la parole « savante », et le politique use des mots pour convaincre ou persuader quand le chercheur cherche à rendre compte ou à interpréter. D’ordinaire, ces deux types de paroles s’ignorent parce qu’ils se développent en des lieux différents. Il arrive cependant qu’ils se croisent et l’on est en droit de s’interroger sur ce qui se produit alors.

De ce point de vue, un premier constat s’impose : les journalistes qui rendent compte du contenu de l’entretien ont considéré comme évident que la phrase citée était de Lévinas, et se sont interrogés sur son sens quelque peu abscons. Ils ont hésité entre déclaration altruiste et maxime cynique. On comprend leur hésitation, pas leur absence de vérification tendant à la docilité.

Avant de chercher à résoudre une énigme, il n’est peut-être pas inutile de se demander si elle ne relève pas d’une illusion, si elle n’est pas un mirage. Pour tout lecteur de Lévinas, cette phrase, il faut le dire, sonne assez faux : on a bien du mal à voir de quel texte elle pourrait venir.

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Étant donné qu’à l’Institut d’études lévinassiennes, nous présentons, discutons, soumettons les textes de Lévinas à l’interrogation depuis plusieurs années, il était inévitable que la référence du président (même si nous ne l’avons pas tout de suite relevée) nous interpelle… Fidèles à notre travail sur les textes, nous avons cherché, et sommes restés bredouilles : aucun des grands textes de Lévinas ne contient une telle phrase.

Restent donc quelques hypothèses :
- la première est généreuse : que Lévinas ait prononcé une telle phrase dans un des nombreux entretiens qu’il a accordé à des journalistes à la fin de sa vie.

- la deuxième est réaliste : que la prétendue citation résulte du mauvais réflexe culturel consistant à attribuer à Lévinas toute phrase mentionnant « l’autre » (de préférence avec une majuscule) On serait alors au niveau de culture générale d’un futur bachelier (auquel on ne pourrait, pour le coup, rien reprocher).

- la troisième hypothèse est cynique et embarrassante : que la parole politique se serve de la parole « savante » pour redorer son blason en ces temps où justement la confiance est, pour elle, si peu acquise d’avance…

Quelle que soit l’hypothèse juste, on aimerait connaître, pour retourner à l’étude savante, la source de M. le président.

Gilles Hanus,
Directeur des« Cahiers d’études lévinassiennes »,
au nom de l’Institut d’études lévinassiennes.

Crédit : http://bibliobs.nouvelobs.com/