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Jean-Louis Baudry, Les Corps vulnérables

D 2 septembre 2017     C 1 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Vient de paraître

Jean-Louis Baudry, Les Corps vulnérables

1256 pages. 14 x 22 cm. 30 €
Extraits, détails et commandes sur le site des éditions
L’Atelier contemporain

Présentation du livre et de son auteur le jeudi 12 octobre, à 19 h, à la LIBRAIRIE TSCHANN
(125, boulevard du Montparnasse - 75006 Paris) :
débat animé par le philosophe JEAN-MICHEL REY, avec la participation de :
BRUNO CANY, MICHEL DEGUY, PATRICK KÉCHICHIAN
*

Témoignage d’Anne Baudry, fille de l’écrivain :

Par la fenêtre de sa chambre, de grands arbres et le ciel. En face du lit, un secrétaire où s’entassent les tirages papiers de ses textes, de ce livre-ci, Les Corps Vulnérables, qui pèse son poids et en ploie l’abattant.
Son lit, proche de la fenêtre, m’apparaît au centre de la pièce comme l’espace privilégié de l’intimité avec soi-même. J’imagine un radeau, non, pas un radeau, une île plutôt, cernée de livres comme un refuge pour l’occupation solitaire de l’écriture.
À moitié allongé, le dos calé contre des oreillers, les genoux repliés pour y adosser une planche en bois, il écrit. Il adopte cette posture il y a longtemps pour vaincre un mal de dos obstiné. Elle devient la position même de l’écriture. Elle renoue avec les poses de l’enfance, lorsqu’ à moitié allongé on s’abandonne à la lecture, au rêve qui l’accompagne.
Il lève le nez vers la fenêtre, il observe sur une branche la pie qui fait son nid, il me raconte plus tard l’incessant ballet des brindilles, le méticuleux et patient ouvrage de l’oiseau, il surveille la couvée, s’inquiète de la naissance des petits puis de ce qui les menace, se réjouit de leur premier vol – il écrit.
Dans le silence de sa chambre – enfant je devais veiller à ne pas faire de bruit –, il écrit.
Si je reviens à quelques impressions très anciennes, je me souviens d’avoir pressenti, sans le comprendre tout à fait, que derrière la porte s’accomplissait une tâche quasi-sacrée, un même rituel qui réglait notre quotidien chaque jour, absolument tous les jours, vacances comprises : tous les matins mon père s’enfermait dans sa chambre pour écrire. L’après-midi il exerçait son métier de chirurgien-dentiste. Puisqu’il était aussi dentiste. Il s’en tient à cette stricte discipline – si j’avais eu les mots alors, j’aurais dit implacable – jusqu’à sa retraite. Mais comment aurais-je-pu deviner que cette nécessité d’écrire trouvait sa source dans la vie même, l’écriture infusant la vie que la vie en retour insuffle ? « J’allais dans ma chambre, je me mettais à écrire, je tournais les yeux vers la fenêtre, il faisait beau et je retrouvais le bonheur que j’avais toujours connu, cette humeur avait résisté à tous les chagrins, à tous les arrachements, aux ruptures et aux angoisses, je l’avais perçu dans les années contraires de mon enfance et de ma jeunesse. »
Ainsi cette phrase par laquelle enfant je tentais de le définir, « mon père est écrivain », devenait avec le temps la reconnaissance d’un état inséparable de son être.
Dans l’appartement qu’il occupe depuis toujours, toute la mémoire de sa vie est là, invisible aux yeux des autres, enfouie dans des placards, cachée dans des tiroirs ou exposée, comme cette collection d’objets en argent devant une fenêtre, cadeaux modestes qu’il conserve par délicatesse envers ceux qui les ont offerts, choses insignifiantes mais auxquelles s’accrochent d’infimes souvenirs, d’inestimables souvenirs, parce qu’ils entraînent à leur suite les mots qui sauvent une lumière, une heure, un moment, une histoire, un visage, un monde, de l’oubli.
Sa vie d’écrivain paraît simple, presque ascétique, soumise à ces rituels que l’écriture commande. Sa vie d’homme se tourne vers les femmes, les passions, l’amour. Je n’en reçois que les échos lointains, mais je me souviens qu’enfant je percevais avant de sombrer dans le sommeil les éclats qui traversaient les murs d’un tumulte passionné.
Derrière les vitres de sa bibliothèque il a glissé des images, beaucoup d’images. Des reproductions de peinture, des photogrammes – je reconnais une image de Peter Ibbetson, le film d’Henri Hataway –, quelques photos de ses amis, de sa famille ; et pendant toute la rédaction des Corps Vulnérables des photos qu’il a prises d’elle, Marie son amour. J’en distingue une, en noir et blanc qu’il a fait tirer en grand : on la voit de profil, le visage tourné vers le haut, ciel ou plafond et son visage m’évoque celui d’Ingrid Bergman dans les derniers plans de Stromboli. Il n’est pas dit qu’il n’y ait pensé lui-même et que la photo ne porte aussi cette réminiscence. Une autre photo m’attire, c’est un polaroid de petite dimension pris dans le jardin des Tuileries. Ils se tiennent tous deux proches l’un de l’autre, ils sourient et distribuent des miettes de brioche aux pigeons qui forment cercle autour d’eux. Photo de retrouvailles, écrira-t-il dont : « un ange venu d’ailleurs qui se dissimulait sous l’apparence triviale d’un photographe de rue avait été chargé de fixer les instants. »
Et puis un jour la mort brutale de la femme aimée. Je ne l’ai pas connue, j’ignore presque son existence, il ne parle pas d’elle, ne se confie pas.
J’aimerais qu’il se console, qu’il s’arrache à sa souffrance.
Il oppose à toutes les tentatives pour le détourner de sa peine une résistance farouche : il écrit.
Il m’apprend qu’il ne faut pas chercher à le distraire ; mais respecter le silence de chaque matin, ne pas téléphoner, ne pas le déranger ; ne pas lui parler de vacances ou de voyages ; mais accepter sa solitude habitée par la présence de Celle que l’écriture ressuscite, de Celle par laquelle une œuvre est en train d’advenir grâce à cet autre voyage dans la mémoire et dans le temps qui durera plus de dix ans.

*

« 1200 pages de littérature pure, un chant à l’être aimé disparu. Jean-Louis Baudry recrée littéralement sa femme, par les voies enchanteresses du langage, seul habilité à faire sentir ce qui est fragile. Vulnérable. « Que la terre te soit légère », disaient les antiques inscriptions funéraires. Baudry a rédigé la sienne. C’est très simple, c’est l’océan de la vie ordinaire illuminée par l’amour. » [MICHEL CRÉPU, blog de « La NRF »]

« La liste, pensait-on figée par le temps, des livres incontournables sur l’amour voit désormais sa hiérarchie bousculée puisqu’aux côtés de Belle du seigneur, Eugène Onéguine, Aurélien, Orgueil et préjugés, Jane Eyre et d’Anna Karénine il convient d’intercaler Les Corps vulnérables. » [FRANÇOIS XAVIER, « Le salon littéraire »]

« Ces Corps vulnérables, qui tiennent du travail de mémoire et de la dissection analytique du sentiment amoureux (...) se veulent aussi exercice spirituel, épiphanie, liturgie. L’écriture devient alors un outil magique qui a pour objectif la résurrection de l’être aimé, qui rend l’auteur attentif au monde, et par là capable de création. (...) Voilà l’essence de ce livre admirable, une entreprise d’écriture qui permet de faire reculer l’issue fatale, usant de la mémoire ou d’une faculté de création pour quêter la résurrection. (...) [ VINCENT WACKENHEIM, « La revue littéraire »]

Du même auteur, les éditions L’Atelier contemporain ont publié, il y a une année, le recueil de ses essais sur l’art, sous le titre L’Enfant aux cerises (avec une préface et des photographies d’ALAIN FLEISCHER).

Jean-Louis Baudry sur Pileface.