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"Pourquoi Heidegger ? Pourquoi le Seuil ?"

D 20 avril 2017     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Les éditions du Seuil ont décidé de publier des textes inédits de Martin Heidegger. Michaël Foessel et Jean-Claude Monod, directeurs de la collection « l’Ordre Philosophique », s’en expliquent dans L’OBS.

"Pourquoi Heidegger ? Pourquoi le Seuil ?"

En France, où elle a été introduite par Levinas, Sartre, Merleau-Ponty, l’œuvre de Martin Heidegger a été une source d’inspiration considérable, et elle fait encore l’objet de discussions passionnées, de controverses médiatiques et d’études universitaires. Il est rare qu’une philosophie réputée aussi obscure se trouve convoquée dans des champs aussi différents, de la théorie littéraire à la réflexion sur la technique en passant par le cinéma.

Mais l’engagement de Heidegger en faveur du national-socialisme ne pouvait manquer de susciter des interrogations sur les liens de cette pensée avec l’un des régimes les plus meurtriers de l’histoire, interrogations relancées par la récente publication, en Allemagne, des « Cahiers noirs », qui montraient des traces d’antisémitisme dans les réflexions semi-privées du philosophe. La question « comment le plus grand philosophe du XXème siècle a-t-il pu s’engager en faveur du national-socialisme ? » a laissé la place à une autre : « cet engagement ne disqualifie-t-il pas cette pensée au point de la reléguer au rang de document historique sur les errements des intellectuels ralliés au Troisième Reich ? ».

Pour juger au mieux de cette œuvre, des effets qu’elle continue à produire comme des impasses où elle mène, il faut disposer de textes soigneusement traduits, n’ajoutant pas d’inutiles complications à son écriture, aussi fidèles que possibles à la langue de leur auteur et ne dissimulant aucune de ses équivoques. C’est dans cet esprit que la collection « L’Ordre philosophique » a décidé d’accueillir des textes de Heidegger inédits en français (cours, conférences, notes) avec le souci de solliciter des traducteurs à la fois spécialistes de l’œuvre et germanistes reconnus.

C’est à cette condition seulement, par une connaissance aussi précise que possible des textes, qu’un jugement sur le « cas Heidegger » aura quelque chance d’être pertinent. C’est bien comme philosophe que le Seuil a entrepris de traduire Heidegger, c’est-à-dire comme l’auteur d’une œuvre qui permet d’explorer le monde par des voies inédites et dont les thèses méritent une discussion approfondie, y compris quant à leurs liens avec le contexte historique de leur apparition.

Paul Ricœur, Jacques Derrida, Hannah Arendt, Reiner Schürmann, Marlène Zarader…. autant d’auteurs publiés dans « l’Ordre philosophique », et peu suspects de complaisance avec le nazisme, qui, parmi d’autres, n’ont pas jugé possible de faire l’impasse sur l’œuvre philosophique de Heidegger pour penser le présent, même lorsque celle-ci s’est faite la complice de ce qu’il recèle de pire.

Les Éditions du Seuil ont entrepris parallèlement de publier des ouvrages qui prennent expressément pour objet la critique de l’engagement de Heidegger, comme celui de Peter Trawny, « Heidegger et l’antisémitisme », qui a révélé et documenté pour la première fois les passages antisémites des « Cahiers noirs ». Il s’agit ainsi d’offrir au lecteur français les moyens de formuler pour lui-même la « question Heidegger ». Celle que pose pour la première fois la pensée de l’Etre comme celle qu’impose sa compromission avec la dimension la plus extrême de l’horreur du XXème siècle.

Michaël Foessel et Jean-Claude Monod,
directeurs de « l’Ordre Philosophique »
L’OBS du 20 avril 2017.