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Entretiens avec Sudhir Hazareesingh

D 2 avril 2017     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Sudhir Hazareesingh : « Cette campagne présidentielle achève la séparation entre monde intellectuel et monde politique »

L’historien britannique Sudhir Hazareesingh, fin connaisseur de la France, analyse le rôle des intellectuels dans la sphère politique.


Rodin, Le Penseur. Musée Rodin.
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Comment se définit l’intellectuel français dans son rapport à la politique ?

Sudhir Hazareesingh : Bien avant Zola, la figure de l’intellectuel émerge en France au XVIIIe siècle, avec la philosophie radicale des Lumières. Diderot, Rousseau ou D’Holbach établissent un lien particulier entre les sphères du savoir et du pouvoir par leur conception révolutionnaire du citoyen.

À la fin du XIXe siècle, c’est cette tradition qui renaît avec l’affaire Dreyfus. Elle confirme le rôle de l’intellectuel qui intervient dans la sphère publique au nom de grands idéaux abstraits, si chers à la France, comme la justice, la liberté, la fraternité…

C’est cette conception qui va s’affirmer tout au long du XXe siècle, éclipsant un peu celle que portait le philosophe Julien Benda par exemple, pour lequel l’intellectuel devait au contraire se tenir en retrait de la politique afin d’en demeurer l’arbitre. Sartre reprendra la longue tradition des Lumières qui reste sans équivalent ailleurs : l’intellectuel doit parler au nom de ceux qui n’ont pas de voix.

Cette tradition révolutionnaire explique-t-elle la prépondérance des intellectuels de gauche ?

S. H. : Deux types de raisons expliquent cette prépondérance. Tout d’abord, institutionnelles : les Révolutionnaires puis la République ont donné un rôle particulier au savoir, confiant souvent la direction du pays à des intellectuels. Surtout, de la fin du XVIIIe au milieu du XXe siècle, l’École Normale Supérieure est restée le grand producteur des élites françaises et des leaders socialistes, comme Léon Blum et Jean Jaurès.

La gauche française a ainsi exercé une certaine hégémonie au cours de l’histoire et dans la première partie du XXe siècle, parvenant à discréditer l’idée que l’on puisse être intellectuel et de droite. Même Raymond Aron aura beaucoup de difficultés à faire entendre sa voix.

Enfin, il existe des raisons conjoncturelles. Dans les années 1920-1930, et sous Vichy, la plupart des intellectuels de droite ont fait les mauvais choix.

Comment jugez-vous la mobilisation des intellectuels dans cette campagne ?

S. H. : Elle est difficilement audible et en cela, cette campagne s’inscrit dans la tendance de la précédente. En 2012 déjà, peu d’intellectuels s’étaient engagés publiquement. La dernière génération des intellectuels qui exerçaient un magistère politique s’est éteinte à la fin du XXe siècle et depuis l’élection de 2002, la séparation entre monde politique et intellectuel n’a cessé de s’accroître.

Il me semble que cette campagne marque l’achèvement du processus. L’idée qu’un candidat rehausse son prestige en s’affichant avec un intellectuel me paraît dépassée. On peut le regretter mais également y voir une certaine démocratisation de la vie intellectuelle. Si la parole savante de l’intellectuel demeure respectée, sa voix de citoyen n’a plus de poids particulier.

Comment se situent les cinq principaux candidats par rapport aux différents héritages ?

S. H. : Le plus frappant dans cette campagne, c’est l’individualisation des candidats par rapport aux appareils politiques et aux mouvements collectifs. Tous les candidats de 2017 se distinguent par leur volonté de rupture.

Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ont derrière eux des intellectuels qui tentent de repenser la gauche avec radicalité, imagination et, fait nouveau, en s’inspirant des expériences étrangères. Mais même Mélenchon se présente davantage comme un homme providentiel qu’il ne porte un projet collectif comme en 2012.

La créativité intellectuelle d’Emmanuel Macron est plus complexe, à l’image du mélange qu’il incarne entre formation technocratique et non conformisme. Héritier d’une deuxième gauche qui s’assume, il entretient avec la philosophie un rapport typique d’une grande tradition républicaine qu’on pensait disparue depuis Nicolas Sarkozy ou François Hollande.

À droite, François Fillon s’est repensé intellectuellement pour se présenter comme le candidat d’un néolibéralisme à la française. Quant à Marine Le Pen, elle ne revendique plus l’héritage intellectuel de l’extrême droite française mais souligne la victoire idéologique du Front national, hélas favorisée par les pensées déclinistes, notamment sur l’immigration, l’insécurité, et une conception fermée (et islamophobe) de la laïcité.


Sudhir Hazareesingh.
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En partenariat avec La Croix, la Fabrique de l’histoire de France Culture a diffusé jeudi 31 mars à 9 heures un grand entretien réalisé avec Sudhir Hazareesingh dans le cadre du Forum « L’année vue par l’histoire », enregistré dans le grand Amphithéâtre de l’université La Sorbonne le samedi 25 mars.

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L’imaginaire républicain en France, de la Révolution française à Charles de Gaulle
Note critique. Qui se réclame de la République française et de qui se réclame-t-elle ?